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EGYPTE : Un an après la révolution, des craintes pour l’avenir politique

D 1er février 2012     H 05:18     A Bertold de Ryon     C 0 messages


A l’heure où nous bouclons, l’Égypte s’apprête à fêter dans
la division et, pour certain-e-s le doute, le premier
anniversaire du début de sa révolution. La manifestation
du 25 janvier 2011 au Caire avait marqué le début du
soulèvement de masse. Au jour-anniversaire de la date, en
2012, l’armée commémorera l’événement par… une parade
militaire, sur la désormais célèbre place Tahrir de la capitale
égyptienne.

Des militant-e-s du « Mouvement du 06 avril » (qui porte son
nom en raison d’une grève générale, ayant eu lieu le 06 avril
2008) quant à eux, avaient été réprimés pour avoir appelé à un
rassemblement indépendant du pouvoir le même jour. Quatre
militants furent ainsi arrêtés, le 03 janvier 2012, pour avoir
distribué des tracts et collé des affiches dans ce sens. La
direction militaire du pays entend bien, visiblement, contrôler et
verrouiller le proche avenir politique de l’Égypte.
En même temps ou presque, le premier
parlement égyptien issu d’élections
vraiment pluralistes, depuis que l’armée
avait pris le pouvoir en 1952 sous Gamal
Abdel Nasser, a commencé à se réunir. Sa
première session a eu lieu le 23 janvier
2012. Elle était placée sous le signe de la
victoire précédente des partis islamistes,
qui restent cependant divisées entre plusieurs courants. Les
« Frères musulmans », qui - avant le scrutin - s’étaient
comportés en vrais politiciens tacticiens et avaient tenté de
rassurer tout le monde (l’administration américaine, les
touristes, la bourgeoise…) ont ainsi obtenu 47 % des voix pour
la liste de leur « Parti de la Liberté et de la Justice ». A leur tour,
les salafistes, partisans d’une lecture rigoriste et réactionnairepuritaine
de l’islam dont le principal parti en lice était An-Nour
(« La lumière »), ont pu réunir 24 % des voix. Cependant,
beaucoup des forces issus des jeunes révolutionnaires n’avaient
pas voulu se présenter aux élections, ou encore avaient stoppé
leur campagne suite aux violences survenus en novembre 2011
sur la place Tahrir.

Une nouvelle révolution nécessaire ?

Certains appellent de leurs voeux « une deuxième
révolution », en Egypte, après celle qui a chassé le président
Hosni Moubarak du pouvoir en février 2011 - ce dernier étant
désormais en prison, le procureur de la République ayant requis
la peine de mort contre lui.
D’autres insistent plutôt sur l’idée que « la (première)
révolution est loin d’être terminée, il faut la continuer ».
Peu importe la terminologie employée, à la limite ; même s’il est
sûr et certain que ce serait une grave erreur que de considérer
la révolution démocratique et populaire en Egypte comme
« terminée ». En effet, même si Moubarak a dû renoncer au
pouvoir - après 30 ans de présidence ininterrompue - et que son
« Parti national démocratique » (PND) a été formellement
dissous en avril 2011, on voit bien maintenant que les bases de
la dictature sont bien restées en place. Alors que le pouvoir
économique de la bourgeoisie n’est guère entamé, c’est
maintenant l’armée qui exerce ouvertement le pouvoir politique.
Le Scaf ( « Supreme council of the armed forces » - SCAF,
Conseil suprême des forces armées), gouvernant le pays depuis
plusieurs mois, est bien l’émanation du pouvoir militaire.
Au début de l’année 2011, l’armée avait su conserver une forte
popularité, en se donnant l’apparence de rester neutre, entre
les forces de la dictature et les participant-e-s aux
manifestations de masse. Ce n’est pas elle qui tirait, frappait,
lynchait : le sale travail était alors fait par la police de Moubarak
ainsi que par des miliciens en civil, les « baltagiya ». L’armée
s’interposait parfois entre les manifestant-e-s et les agresseurs en
uniforme de police ou en civil. Arguant du fait que « nous
aussi, nous sommes les fils du peuple », les militaires prétendaient
« protéger le peuple », évitant ainsi d’être honnis à l’image des
autres forces du régime en place.
Aujourd’hui, c’est une autre affaire. L’armée dirige le pays, et c’est
elle qui réprime maintenant les manifestations et (parfois) les
grèves, ces dernières étant nombreuses depuis le mois de février…
alors même qu’un décret adopté par le SCAF à la mi-mars 2011
permet de criminaliser une grève dès qu’elle perturbe le
fonctionnement d’un service. Alors que les grèves dans certains
secteurs (textiles, transports, …) continuent à fleurir malgré tout,
des manifestant-e-s, des blogueurs critiques sur Internet et
d’autres « contestataires » sont souvent impitoyablement
poursuivis par les militaires. 12.000 à 13.000 civils ont été jugés
entre le printemps et la fin 2011, selon les propres chiffres de
l’armée, par des tribunaux militaires après la chute de Moubarak,
pour des « délits » liés à la contestation. D’autres opposants sont
parfois condamnés en mettant sur leur dos des prétendus délits de
drogue ou autres violations de la loi.

Novembre sanglant

Surtout, la violence a explosé plusieurs fois lors de tentatives, par
l’armée, d’évacuer la foule des manifestant-e-s réuni-e-s sur la
désormais célèbre place Tahrir, au Caire. Au cours de la dernière
semaine de novembre 2011, au minimum 42 civils ont été tués sur
et autour de cette place. Auparavant, l’évacuation hyper-violente
d’un petit groupe de 150 personnes campant sur la place Tahrir
avait déclenché des affrontements. Plusieurs témoignages
rapportent l’utilisation de gaz toxiques par l’armée, ayant asphyxié
bon nombre des civils tués. Des snipers tirèrent depuis les toits
environnants sur les manifestants, visant souvent délibérément les
yeux.
Les affrontements de la fin novembre 2011 firent suite à une
polémique déclenchée par des plans rendus publics par le Scaf au
début du mois. Le pouvoir militaire avait alors prévu de nommer
lui-même 80 membres sur les 100 qu’allait compter la future
Assemblée constituante, les 20 restants seulement pouvant être
nommés par le parlement (élu, en plusieurs étapes, depuis le 28
novembre dernier). Le Scaf s’était par ailleurs réservé le droit
explicite de congédier l’Assemblée constituante si elle allait toucher
au budget de l’armée ou à des « principes supraconstitutionnels
 », échappant à la souveraineté populaire. Par
ailleurs, le gouvernement militaire prétendait ouvertement rester
au pouvoir au moins jusqu’en 2013, année où se terminerait « la
transition » en cours.
Les très vives protestations sur la place Tahrir, juste avant le début
des élections commencées le 28 novembre dernier, ont cependant
contraint la direction de l’armée à déclarer qu’elle allait, finalement,
partir plus tôt : en juin 2012. Il restera à vérifier, cependant, la réalité de cette annonce.

Quelle alternative ?

Par ailleurs, les forces politiques qui s’étaient alors opposées -
courant novembre - au SCAF sont elles-mêmes divisées. Alors
que la gauche et les libéraux opposent la souveraineté populaire
au pouvoir de l’armée (s’érigeant en « garant de principes
supérieurs »), au moins une partie des islamistes voit les choses
autrement. Pour eux, il n’est pas question - au fond - d’entendre
parler de « souveraineté populaire », mais c’est bien « la
souveraineté de Dieu » qui doit primer. Eux-mêmes
s’érigeant en interprètes autorisés de la prétendue volonté
divine…
A moyen terme, il est donc plutôt probable que les islamistes ou
une partie d’entre eux se liguent avec les militaires (malgré des
rivalités persistantes entre ces deux camps) contre la gauche et
les démocrates, plutôt que le contraire. Le camp islamiste, et
surtout son électorat de masse, pourrait néanmoins rapidement
connaître une exacerbation de ses divisions et être placé en
face de ses contradictions, déjà à vif. Alors que les « Frères
musulmans », p.ex., possèdent un encadrement recruté parmi
les élites sociales, leur électorat (ainsi que celui des salafistes)
est en partie composé de milieux très populaires. La penchant
de la direction des « Frères musulmans » depuis la fin du
printemps 2011, vers la négociation de compromis avec les
militaires, pourrait aussi les placer en contradiction avec une
partie des sympathisants. Déjà, début 2011, la question de
l’attitude vis-à-vis du soulèvement lui-même avait profondément
divisé - pendant un temps - le camp islamiste qui, pendant les
premières semaines, courait derrière les événements plutôt que
des les initier.
Le constat d’un autoritarisme intrinsèque est vrai, surtout, pour
les salafistes. Leur nom est dérivé du terme « es-salaf » pour
« les anciens », pieux compagnons du temps du Prophète de
l’islam. Même si leur activisme va souvent de pair avec une
réelle volonté subjective de changement, face à une société
perçue comme profondément injuste, le courant salafiste
entend bien se comporter (pour l’essentiel) comme une sorte de
guide éclairé. Ou, au mieux, comme un avant-garde détenteur
d’une vérité « divine », devant influencer la société par « le bon
exemple » donné.
A la différence des salafistes, prétendant incarner « un islam
pur » à interprétation intégriste, les Frères musulmans -
incarnant la plus ancienne force de l’islam politique en Egypte -
font bien de la « Realpolitik ». A partir de juin 2011, par
exemple, les contacts avec l’administration américaine étaient
explicites et non dissimulés.
C’est peut-être aussi leur apparition plus ou moins
« tacticienne » qui a laissé finalement une marge sur le flanc
droit des Frères musulmans, qu’ont finalement occupé les
salafistes. Ces derniers - soutenus aussi par le royaume ultra
réactionnaire d’Arabie Saoudite - ont également pu profiter du fait
que le régime de Moubarak, voyant en eux une concurrence
bienvenue pour les Frères musulmans puisqu’ils rivalisaient avec
eux, avait laissé des marges de manoeuvre importantes à ce
courant. Alors que d’autres forces politiques furent réprimées, les
salafistes disposaient à l’époque de leurs propres chaînes de
télévision, d’un réseau de mosquées et d’autres leviers.

Perspectives

La gauche et les démocrates auront, dans un proche avenir, à
lutter à la fois contre l’armée qui reste au pouvoir et contre les
islamistes.
Dans un premier temps moins à cause de leurs idées théoriques
(réactionnaires), mais aussi et surtout parce que les Frères
conduiront certainement une politique libérale, favorable à la
bourgeoisie, une fois qu’ils seront arrivés au pouvoir. Il faudra
attendre pour voir s’ils se comporteront plutôt en rivaux de l’armée
ou si les deux forces se mettront d’accord pour un partage du
pouvoir et des prébendes. Rappelons que l’armée égyptienne est
une très forte puissance économique ( beaucoup d’officiers de haut
rang sont aussi de grands patrons ) qui veillera jalousement sur
ses propres intérêts.

Berthold Du Ryon