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Egypte : Retour sur la révolution

D 7 mars 2011     H 16:58     A Bert De Belder     C 0 messages


Le docteur Alaa Shukrallah, président de l’Association for Health and Environmental Development (AHED), était présent dès le 25 janvier, jour où le mouvement contestataire a commencé. Rencontre avec Bert De Belder, membre de la délégation du PTB présent en ce moment en Egypte.

Dr. Alaa Shukrallah : « Ce 25 janvier, je donnais un workshop sur les droits sociaux et économiques, tels que le droit à la santé publique et à l’eau. Depuis des années, d’importants mouvements de lutte ont été lancés autour de ces thèmes en Égypte et dans la région. Ces mouvements ont lentement déplacé leur attention d’un travail de lobbying vers des mobilisations de masse et des manifestations contre le Parlement. Ainsi, nous avons apporté notre modeste contribution en apprêtant le terrain pour cette explosion de protestation populaire égyptienne. »

Quel est votre avis à propos de la nature de la révolution ?

Dr Alaa Shukrallah. C’est une révolution démocratique, où les revendications sociales sont également mises en avant. Cela a commencé dans la classe moyenne, plus précisément chez les jeunes qui avaient étudié, mais ne trouvaient pas d’emploi après toutes ces années de politique néolibérale sévère. Le rêve de la classe moyenne de gravir l’échelle sociale a éclaté comme une bulle de savon.

Mais, quelque chose a bien dû mettre le feu aux poudres ?

Dr Alaa Shukrallah. Le 7 juin de l’année passée, un jeune homme de 28 ans, Khaled Said, a été tué par la police dans un cybercafé à Alexandrie. Ses amis ont créé un groupe Facebook sous le nom « We are all Khaled Said », qui compte maintenant plus de 300 000 membres. Ce meurtre était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Auparavant, la plupart des jeunes n’étaient pas impliqués dans la vie politique, mais cette fois, il y avait quelqu’un à qui ils pouvaient s’identifier : ils auraient tous pu être Khaled Said ! Ils ont formé des groupes de discussion et au début, ils demandaient seulement justice pour leur ami. Ensuite, ils ont également protesté contre la loi sur l’état d’urgence, la répression, la corruption et le chômage. Ils ont décidé de devenir maîtres de leur destin et d’aspirer à de réels changements. Le dernier coup est venu de la révolution tunisienne lorsque le dictateur Ben Ali a été chassé le 14 janvier. C’était le signal pour destituer Hosni Mubarak de son trône. Finalement, c’est devenu réalité le 11 février.

Comment avez-vous ressenti cette révolution personnellement ?

Dr Alaa Shukrallah. Pour être honnête, nous ne nous y attendions pas, car nous sommes assez éloignés du monde des jeunes avec leurs réseaux sociaux et leurs méthodes de mobilisation innovatrices. Nous savions que quelque chose se préparait, mais ne nous attendions pas à ce que cela prenne cette ampleur. Mais nous sommes vite passés outre notre surprise initiale et tout le monde a trouvé une tâche ainsi qu’une place dans le mouvement. J’ai travaillé des journées entières en tant que médecin sur la place Tahrir. Je ne l’avais plus fait depuis des années, mais j’ai épinglé un brassard sur lequel était écrit "pédiatre" et j’ai rejoint le Poste 4, un des quatre postes des Premiers Secours que les manifestants avaient installés . Nous y avons vu différents manifestants succomber à des blessures par balle dans le cou, la tête. Nous avons traité des centaines de blessés. J’ai effectué de petites chirurgies et ai soigné des blessures dans des conditions très difficiles. À un moment donné, nous n’avions plus de ciseaux, car les militaires ne les laissaient pas passer. Nous devions les faire passer sous le manteau par les points de contrôle vers la place.
Aussi dur que cela puisse être, la récompense était énorme. Nous ne savourions pas seulement la victoire d’avoir renversé Mubarak, mais également l’unité, la solidarité et l’amitié. Tout le monde se partageait la nourriture, des gens apportaient des médicaments et de l’argent, les chrétiens protégeaient les musulmans lorsqu’ils étaient en train de prier et inversement... nous étions tous des Égyptiens !

Et comment voyez-vous la suite ?

Dr. Alaa Shukrallah. C’est encourageant de voir que les protestations et grèves continuent. Des travailleurs en grève, dans tout le pays et dans différents secteurs, exigent de meilleurs contrats, des salaires plus élevés qui suivent les augmentations de prix, et le renvoi de l’oligarchie qui se trouve à la tête des syndicats. En ce qui concerne les réformes démocratiques, je pense qu’il serait judicieux d’attendre avant d’organiser des élections et de prendre le temps d’installer un gouvernement civil provisoire, de mettre de côté les militaires et de renforcer les organisations populaires. C’est la seule garantie pour laisser grandir et approfondir la révolution égyptienne.

Source : http://www.ptb.be