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L’embrasement lent et déterminé de l’Intifada égyptienne.

D 11 février 2011     H 05:15     A Sellouma     C 0 messages


Le régime de Moubarak continue son érosion et malgré la mainmise autoritaire, les signes de faille du système apparaissent de façon manifeste. Elles sont de trois types : démocratique, régionale et sociale. Démocratique car c’est un régime qui muselle fortement toute velléité d’opposition, même au sein de sa classe. Ces derniers temps, les partis d’opposition, même les plus mous, en ont fait les frais. A l’échelle régionale, Moubarak est un grand allié d’Israël et est soutenu financièrement par les États-Unis dans cette entreprise : le Ha’aretz décrivait la relation entre Moubarak et Netanyahou comme étant une « amitié formidable » et avançait que Bibi se sentait plus proche du grabataire égyptien de 82 ans qu’avec n’importe quel autre chef d’état . On peut difficilement être plus explicite.

Ces failles sont nourries avant tout par la misère aggravée que subit le peuple égyptien. Depuis la séquence ouverte par le mouvement Kefaya en 2004 , le régime connaît une vague de grèves et mouvements assortie d’une impopularité grandissante. Le pouvoir égyptien a beau déployer d’importants modes de répression, il ne fait que révéler l’impasse dans laquelle il s’est plongé. Dans ce contexte de crise étatique, allant même jusqu’à une crise au sein de l’appareil dirigeant, les mouvements de la classe représentent le seul espoir de dépassement réel.

Les différentes échéances électorales, les législatives en 2010 et les présidentielles en 2011 peuvent être comprises comme indicatrices de stabilité du pouvoir. C’est un élément que Hosni Moubarak a bien compris. Voulant mettre toutes les chances de son côté, il a pris le parti de la répression généralisée. Résultat : son parti, le parti national démocratique, a gagné 80% des sièges au parlement. Toute opposition, aussi molle soit-elle, a été maladroitement muselée. Beaucoup de partis ont appelé au boycott du second tour, allant même, pour une centaine de parlementaires sortant, à appeler à la constitution d’un parlement parallèle.
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A première vue, cette attitude pourrait être perçue comme un tournant depuis les déclarations médiatisées d’El Baradei qui, surfant sur sa notoriété internationale et l’obamania mondiale, promettait le changement. L’idée même qu’il puisse transparaître dans le jeu politique égyptien une alternative concurrence d’ores et déjà les projets de succession dynastique, d’autant qu’El Baradei apparaît comme un candidat crédible aux yeux de la classe dirigeante et des puissances impérialistes. Mais le recours aux vieilles recettes répressives n’est que révélateur de la nature de ce régime. L’état d’urgence est en vigueur depuis 30 ans, et tout acte de protestation, grève, manifestation, critique est interdit. La torture et la corruption sont une institution. Ce qui permet aujourd’hui de faire tenir le régime égyptien, c’est la violence.

La marge de manœuvre en terme de droits est tellement limitée que la diffusion d’une information est devenue un acte de militantisme, et cela l’est encore plus depuis les législatives . Dans un pays dictatorial, toute divergence devient rapidement un problème politique, et la question de la non-neutralité de l’information ressort très clairement. Beaucoup de journalistes de presse et d’internet, socialistes ou membres des frères musulmans ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Cela a été le cas de Khaled Hamza, le webmestre des frères musulmans. Les campagnes de libération des prisonniers politiques de manière générale ne sont pas qu’une question de principes humanistes. Elles peuvent servir d’appui pour faire cesser la barbarie étatique et donner plus de souffle aux mouvements sociaux.

Le faible taux de participation aux élections est une donnée qui illustre le fait que le peuple égyptien ne croit pas au changement par les élections, et y a peu cru en fait. La vague de protestations, la flambée des prix de première nécessité ont largement contribué à cette situation. A cela s’ajoute, comme précisé précédemment, que la mascarade électorale a été avérée, même à ceux qui nourrissaient encore des illusions. Pour reprendre un billet du camarade Hossam el Hamalawy paru l’automne dernier, il y a comme une colère latente dans l’air. Les discussions entendues de la rue arabe tournent pas mal autour de la volonté d’en découdre avec cette dictature : « Que dieu mette à feu ce régime. Ce pays va s’embraser rapidement, très rapidement. On ne peut plus supporter ça. [….] Il y aura une deuxième intifada du pain comme en 1977. Et cette fois nous incendierons le pays. Nous n’irons pas brûler les voitures, les bus et les boutiques. Ils sont à nous. Non non. C’est eux que nous brûlerons. »

On ne peut prédire dans quelle mesure la violence d’état serait capable d’étouffer la vague de grèves et de manifestations dans le pays, et de faire perdre toute confiance dans la lutte. Mais on peut s’appuyer sur le fait que ces mouvements perdurent, malgré les revers qu’elles ont subis au regard du contexte démocratique. Pour la seule année 2010, on dénombre au moins 600 grèves, manifestations et sits-in. Parmi ces grèves, on peut citer celle des chauffeurs routiers, mais aussi des conducteurs de bus et minibus contre les nouvelles taxations. Elle a été lancée le 10 décembre 2010 et est d’après Al masry al youm la grève la plus massive, impliquant environ 100 000 routiers. L’ensemble du pays a ainsi été privé en approvisionnement de diverses matières premières tels que le métal, le ciment, le sucre ou le blé. Cette nouvelle taxation est d’autant plus honteuse qu’au même moment, le ministre chargé du pétrole signait un contrat d’exportation avantageux pour Israël. Officiellement, le ministère dénie cette information alors que d’après El Dostour, les journaux israéliens confirment ce contrat . De nouveaux secteurs se sont mis en grève comme celui des employés de l’université américaine du Caire. La revendication principale portait sur l’augmentation des salaires.
Globalement, ces mouvements de grève s’engagent à partir d’une revendication spécifique pour élargir leurs demandes dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs : une revendication récurrente de ces dernières années porte sur la hausse du salaire moyen. Cela a été le cas lors de l’appel à la grève générale du 06 avril 2008 lancée par les ouvriers textiles de Mahalla, et lors de la manifestation du 07 novembre devant le syndicat de la presse qui a réuni et consolidé des réseaux de militants syndicaux et de grévistes.

La jeunesse est également pas mal mobilisée. Au mois de novembre, des étudiants et activistes ont manifesté contre le harcèlement policier dans les campus. L’exemple tristement emblématique reste le cas de Khaled Saïd, 28 ans, battu à mort par la police le 06 juin 2010 à la sortie d’un cybercafé. Cet événement à fait l’objet d’une campagne active des cyber activistes, internet étant le seul moyen pour eux d’organiser des manifestations.

Les coptes, partie prenante de la société égyptienne, sont également des victimes du régime. La bombe qui a explosé au 1er janvier a fait beaucoup de bruit, mais on parle peu des heurts récurrents entre la police et les coptes : le 25 novembre 2010, un manifestant copte a été tué. De même, des manifestations en réaction à l’attentat d’Alexandrie unissant musulmans et coptes contre le sectarisme ont rapidement dégénéré en affrontements contre la police.

On remarque souvent qu’a travers ces luttes s’engage une politisation de fond pour ses acteurs. Au début du mouvement de grève des travailleurs textiles de Mahalla, une ouvrière témoignait au début du mouvement qu’elle pensait qu’il fallait se manifester car Moubarak n’entendait pas la souffrance qu’endurait son peuple. A la fin du mouvement, elle ne se faisait plus d’illusions quant aux intérêts réels du président . La bataille pour obtenir des cadres de lutte indépendants du pouvoir a été une nouveauté dans la période : la création du premier syndicat indépendant depuis 50 ans, celui des collecteurs de taxes foncières, est un saut qualitatif quant à l’inscription de la colère politique et sociale dans la durée.

En tentant de maintenir à tout prix et contre tous un régime de terreur qui devra invariablement s’écrouler, Moubarak mise gros : le récent discrédit du changement par en haut peut se transformer en opportunité pour la classe ouvrière égyptienne. Elle pourrait ainsi être l’actrice principale de la révolution politique à venir. La question est la suivante : comment s’en donnerait-elle les moyens ? Quels enjeux pour la région ? Il est compliqué d’obtenir des informations relatives à la structuration des mouvements d’opposition, ou syndicaux. En termes d’opposition, le parti le plus implanté et qui garde une grande influence est celui des frères musulmans. La confrérie existe depuis 1928, c’est donc le plus vieux parti d’Égypte, et elle revendique un million de membres et sympathisants. Ses orientations s’apparentent plus au réformisme qu’à l’islamisme, qui nommé ainsi n’a pas beaucoup de sens car il existe plusieurs tendances politiques différentes au sein de l’islam politique. Ses positions sont ambivalentes, elles peuvent initier des mouvements, souvent anti-impérialistes, tout en essayant de ne pas trop défier directement le régime . On peut expliquer cette ambiguïté par le décalage qui existe entre la direction, en quête de respectabilité, et la base militante, présente dans les manifestations et grèves : leurs intérêts de classe divergent. La capacité des réseaux militants syndicaux et politiques à s’organiser en parti de la classe ouvrière est un élément important qui est lié à la possibilité d’écroulement du verrou anti-démocratique : le syndicat indépendant qui a été officiellement reconnu en 2009 est un pas qui doit retenir notre attention et notre soutien.

Des luttes de ces derniers mois en Egypte puis dans l’ensemble de la région naît un nouveau militantisme arabe . Son surgissement est la conséquence directe du tournant néo-libéral que connaissent ces états bureaucratiques. La jeunesse se heurte à la fois à l’absence de perspective d’emploi après de longues études, corruption d’état oblige, mais aussi, plus récemment, à l’aggravation des conditions de vie. Les modes d’organisation de ce militantisme se manifestent par des formes de mise en réseau qui échappent aux autorités tels que le cyber-activisme, ou encore l’usage du téléphone portable pour les rassemblements de dernière minute. La diffusion spontanée des révoltes de la jeunesse d’un pays arabe à l’autre est bon signe : on est loin des affrontements nationalistes entre l’Algérie et l’Égypte causés par des matches de foot. Mais le repli nationaliste, notamment en Égypte, est une vraie menace pour le mouvement. C’est pour cela qu’une structuration entre les différents pays de la méditerranée est nécessaire pour inscrire cette solidarité, dont la forme élémentaire est le soutien à la lutte de libération de la Palestine.

Pour conclure, le premier levier politique en Égypte s’est produit grâce la campagne politique contre la guerre en Irak, qui s’est rapidement transformée en lutte pour les droits démocratiques. La question de la révolution permanente dans le monde arabe a été soulevée dans des contextes de regain des luttes. « [J]’ai appris les appels, les échos, la résonance presque immédiate de la Résistance palestinienne dans le peuple arabe. Certainement il fallait aider les feddayin à refuser malgré l’Amérique, l’Occupation sioniste mais sous cette exigence j’en distinguais une autre : l’Algérie, la Tunisie, le Maroc en secouant les feuilles avaient fait tomber les Français qui s’y cachaient » .
Pour les états impérialistes, l’Égypte est un pays clé au moyen orient, et il l’est aussi pour les partisans de la révolution : c’est sous la pression des manifestations en solidarité avec Gaza à Rafah que Moubarak a levé -partiellement- le siège. Et comme disait justement la pancarte d’un manifestant : « la libération de la Palestine passe par le Caire ».

Sellouma

Voir l’article de Ha’aretz : http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/prayer-for-the-health-of-the-rais-1.292269
Kefaya dont la traduction en français est « ça suffit » est un mouvement d’opposition politique au régime dictatorial. Il rassemble des mouvement politiques divers et a dans ses objections la fin de l’état d’urgence et des lois antidémocratiques.
Voir l’article d’al jazeera english (en anglais) : http://english.aljazeera.net/indepth/spotlight/egyptelection/2010/11/201011272392020625.html
Voir l’article en anglais : http://www.almasryalyoum.com/en/news/wednesdays-papers-parliamentary-and-ministerial-unrest-ongoing-truckers-strike-and-gas-exports-
Voir le documentaire (en arabe) sur la grève à Mahalla : http://vimeo.com/326691
Voir l’article (en anglais) du Socialist Worker : http://www.socialistworker.co.uk/art.php?id=21455
Voir l’article d’Al Jazeera (en anglais) : http://english.aljazeera.net/indepth/opinion/2010/12/20101231161958792947.html
J. Genet, Un captif amoureux, p.31, édition Gallimard, 1995.