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La lutte pour des syndicats indépendants en Égypte

D 10 septembre 2009     H 11:57     A Sellouma     C 0 messages


Le 21 avril 2009 marque une avancée historique dans la lutte
des classes en Egypte. Après 51 ans d’absence d’indépendance
syndicale, les fonctionnaires collecteurs de la taxe foncière ont pu
officialiser le premier syndicat indépendant, le Reta. Le nouveau
syndicat compte 40 000 membres sur environ 55 000 employés
dans le secteur. Cet événement constitue un pas décisif dans un
contexte marqué par la montée des luttes sociales.

Il est important de préciser que la naissance de ce syndicat
est le produit d’une vague de grèves sans précédent qui secoue
le pays depuis 2007, et en particulier de la lutte acharnée des
collecteurs de taxes pour obtenir son officialisation. Cette
première organisation qui défend les intérêts des travailleurs est
appelée à jouer un rôle moteur dans les mobilisations à venir, et
son élargissement aux autres secteurs se présente comme un
enjeu crucial de celles-ci. Depuis la première grève déclenchée à
Mahalla al Kubra située dans le Delta du Nil, le pays a connu une
succession de grèves, sit-in et manifestations qui ont culminé
avec l’appel à une grève générale le 4 avril 2008. Les victoires
obtenues ont permis d’accroître la confiance des travailleur-euses
quant à leur capacité à défier le pouvoir en place. Il est
également apparu nécessaire, pour consolider et étendre la lutte,
de faire reconnaître des droits démocratiques tels que le droit à
l’auto organisation.

Les syndicats dominants sont affiliés au pouvoir, en héritage
du système nassérien. Ils constituent un obstacle à la
mobilisation des travailleurs. En effet, ils condamnent souvent les
grèves, car elles sont illégales, ce qui a été le cas des collecteurs
de taxes qui ont entamé une grève de trois mois ainsi qu’un sit-in
de 11 jours devant le Ministère des finances en décembre 2007.
Au cours de la lutte, il est apparu évident pour l’ensemble des
travailleur-euse-s de rester organisé-e-s, à distance du
gouvernement et de sa bureaucratie corrompue. Officieusement,
le syndicat existait sous forme de comités au moment où la grève
prenait de l’ampleur, et il a fallu un an et des protestations
massives devant le Ministère du travail pour le faire reconnaître.
Sur le même modèle que les collecteurs de taxes, et par
l’ampleur qu’a pris la grève dans le secteur postal début mai
2009, les postiers ont eux aussi tenté d’officialiser leur syndicat
indépendant. Le motif de la grève était le refus de la mise en
place d’un système qui permettait aux cadres de licencier les
postiers les moins productifs. Les employé-e-s demandaient
également l’égalité de statut avec les employé-e-s de la
compagnie égyptienne des télécommunications. Ils se sont
heurtés dès le début à la police postale et au syndicat contrôlé
par l’état. Ce dernier a essayé de saboter l’action des grévistes à
Kafr al-Shaykh, lieu central du mouvement. La stratégie utilisée
par les postiers, similaire à celle des collecteurs de taxes, a été de
coordonner le mouvement à l’échelle nationale et à organiser des
manifestations combatives.

Souvent, les mouvements qui reposent sur des revendications
syndicales prennent un tour politique, et affrontent directement
l’appareil d’État et son emprise militaire sur la société. Selon le
camarade du Centre d’Études Socialistes au Caire, Hisham Fu’ad,
alors que les grévistes de Tanta Flax demandaient la
renationalisation de l’entreprise en brandissant le portrait de
Moubarak, leur mouvement les a conduits à remettre en cause
leur soutien au gouvernement, en manifestant leur défiance par
des slogans violemment anti-Moubarak. A Mahalla, les travailleureuse-
s sont même allé-e-s jusqu’à piétiner son portrait et à ériger
son tombeau symbolique. C’est donc face à la pression des
employeurs, de l’État et de ses valets syndicaux que les militante-
s pour un syndicalisme indépendant luttent et se coordonnent
pour généraliser l’avancée des collecteurs de l’impôt foncier.
On comprend que des revendications économiques prennent
immédiatement un caractère politique quand des activistes sont
licencié-e-s, intimidé-e-s, ou même arrêté-e-s, comme les deux
travailleurs de l’usine textile Abul Sebae à Mahalla al-Kubra le
2 août dernier, pour de faux motifs selon les militant-e-s pour un
syndicalisme indépendant. On comprend aussi qu’un tel combat
soit à l’avant-garde des luttes de classe dans la région, ouvrant
des perspectives révolutionnaires en Égypte comme dans
l’ensemble du Proche et Moyen-Orient.

C’est pourquoi il est crucial d’y apporter notre soutien, car
toute victoire en direction de l’indépendance de classe des
opprimé-e-s vaut pour l’ensemble de notre camp politique et de
ses organisations.

Sellouma


Les sources de ce texte viennent pour une grande part des articles de
Mustafa Bassiouny et Anne Alexander parus dans le journal Socialist
Worker n°2154 et 2165.