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La guerre impérialiste et contre-révolutionnaire en Libye

D 13 avril 2011     H 04:59     A     C 0 messages


Les développements politiques et militaires actuels en Libye confirment le caractère impérialiste et contre-révolutionnaire de l’intervention occidentale, désormais menée sous commandement de l’OTAN.

Pour les marxistes, l’attitude à adopter face à toute guerre découle de l’analyse et de la nature de cette dernière. Or, en Libye, il y a actuellement deux guerres en cours : l’offensive aérienne lancée par les impérialistes d’une part et la guerre menée par le régime de Kadhafi contre l’insurrection populaire. La seconde, qui s’est imposée par la répression sanglante du régime et le passage dans le camp des insurgés d’une partie de l’armée, est une guerre de libération contre un dictateur.

Quant à la première, s’il s’agit d’une guerre impérialiste menée par les principales puissances afin de garantir leurs intérêts en Libye (qui ne se limitent pas aux hydrocarbures), c’est également une guerre de nature contre-révolutionnaire. Différence fondamentale avec l’Irak, le Kosovo ou l’Afghanistan, l’intervention actuelle se déroule (et découle dans une grande mesure) dans le contexte d’une montée révolutionnaire dans l’ensemble du monde arabe. Ce processus déstabilise les régimes « amis » et l’ordre établi par l’impérialisme depuis plus de 30 ans dans une région vitale pour lui. L’intervention est donc destinée à reprendre l’initiative afin de stopper cette vague révolutionnaire ; de tenter de soumettre le processus populaire en Libye à sa volonté en « chevauchant le tigre », plutôt qu’en s’y opposant frontalement.

Chantage

Le motif invoqué pour l’intervention en Libye - « la protection des civils » - se révèle clairement aujourd’hui comme le pur prétexte hypocrite qu’il a toujours été. Menés pour « éviter les massacres », les bombardements de l’OTAN n’empêchent nullement les victimes de s’accumuler dans les villes de Misratah, Zintan ou Nalut, assiégées par Kadhafi, ni même leur reconquête et la répression consécutive. Les « frappes » de l’OTAN ajoutent en outre d’autres victimes sous les bombes « humanitaires », y compris dans les rangs des anti-Kadhafi.

L’affrontement armé entre l’opposition et les forces du régime libyen est en train de s’enliser. Après avoir à nouveau progressés vers l’ouest, les milices de l’ « Armée populaire libyenne », toujours aussi pauvrement équipées et entraînées, ont reflué sous le coup d’une contre-offensive des troupes fidèles à Kadhafi (1), preuve que les bombardements aériens à eux seuls ne peuvent fondamentalement pas changer la donne. D’autant plus que les frappes aériennes de l’OTAN en faveur des insurgés se font au compte goutte et très sélectivement, afin d’exercer un chantage sur leurs dirigeants pour qu’ils garantissent les intérêts impérialistes assurés jusqu’ici par Kadhafi : respect des concessions et contrats pétroliers accordés aux multinationales ; contrôle et répression féroce de l’immigration « illégale » vers l’Europe ; lutte contre le « terrorisme islamiste » ; remboursement de la dette extérieure et bonnes relations avec l’Etat sioniste d’Israël.(2)

Parallèlement, on refuse toujours aux insurgés de se fournir en munitions et en armes lourdes en quantités suffisantes, sans quoi ils n’ont que peu de chances de résister ou de vaincre militairement les troupes bien entraînées et équipées du tyran. Pire, l’OTAN leur interdit y compris d’utiliser les quelques rares avions et hélicoptères récupérés à Benghazi et remis en état par leurs soins (3). Le gel des avoirs du régime du dictateur se révèle être une farce tandis qu’on l’autorise tranquilement à vendre le pétrole qui lui permet d’acheter ses partisans et ses mercenaires. L’impérialisme ne soutiendra pleinement l’opposition à Kadhafi que lorsqu’il aura la certitude de pouvoir installer à la place de ce dernier une nouvelle marionette docile à sa solde et jouissant d’une certaine autorité. Or, ce n’est pas (encore ?) tout à fait le cas aujourd’hui, comme le démontre la valse-hésitation sur l’armement des insurgés ou les « informations » sensationnalistes filtrées à dessein sur la « présence d’Al Quaïda ».

Pour l’instant, les impérialistes ont plusieurs fers au feu. S’ils sont divisés quant au but politique précis de l’intervention, ils veulent en tous les cas que le conflit s’éternise (certains évoquent six mois d’opérations militaires !) afin que les deux camps s’affaiblissent mutuellement pour mieux imposer au vainqueur (ou aux deux parties en cas de « match nul ») les diktats précités.

Issue politique

S’il faut soutenir le droit des révolutionnaires libyens à se procurer toutes les armes qui leur font défaut (en leur permettant de les acheter, entre autres, par la rétrocession des avoirs du régime dûments saisis à l’étranger), la solution ne peut être que politique. Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour imposer un cesser-le-feu et l’ouverture de négociations. Mais un cessez le feu risque de figer la situation sur le terrain, de permettre aux impérialistes d’envoyer des troupes au sol « pour veiller à son respect », ou d’avancer le scénario d’une partition du pays – toutes choses que l’opposition libyenne rejette avec force. Quant aux négociations, elles ne peuvent avoir comme préalable que l’exigence démocratique et légitime première du peuple libyen : le départ de Kadhafi et de son entourage du pouvoir.

D’autres voies sont possibles pour parvenir à cet objectif et mettre rapidement fin au conflit, à condition d’isoler réellemement le régime de Kadhafi. Par le blocus total de son pétrole - tout en permettant le ravitaillement de la population - et par la pression sur ses alliés (l’Algérie du dictateur Boutéflika ou la Syrie d’Al Assad) afin, entre autres, d’appliquer une réel embargo sur toutes ses fournitures militaires et sur les renforts de mercenaires venant du Tchad ou du Mali. La fin immédiate des bombardements de l’OTAN est également une condition politique essentielle car leur poursuite, outre la conséquence de prolonger les affrontements armés et son cortège de victimes au lieu de les écourter, risque à la longue d’aider Kadhafi à se présenter en victime « héroïque » d’une agression impérialiste et à élargir sa faible base sociale.

Paralysie du mouvement anti-guerre

Le doute n’est plus permis aujourd’hui quant au caractère nuisible de l’intervention militaire occidentale en Libye. Malheureusement, en Belgique (et en Europe), l’essentiel du mouvement anti-guerre, des ONG et des organisations syndicales sont aux abonnés absents ou, pire, affichent toujours un soutien direct ou plus discret à l’intervention impérialiste, même sous la houlette de l’OTAN. Seule la gauche radicale et quelques organisations pacifistes s’y opposent clairement. Et cela, face au scandale d’un gouvernement en « affaire courantes » qui participe directement à une intervention militaire qui ne jouit même pas de l’unanimité au sein de la « communauté internationale » des puissances capitalistes, y compris en Europe.

Au niveau international, en Amérique latine surtout, les forces progressistes et anti-impérialistes sont quant à elles toujours aussi divisées quant à la nature des événements en Libye. Une partie tombe dans le piège du « campisme » le plus simpliste qui soit, en soutenant le dictateur « anti-impérialiste » contre l’OTAN ou en se taisant sur ses crimes tout en déniant toute légitimité à la révolution libyenne, du fait des contradictions ou de la composition hétéroclite de sa direction actuelle (4). L’impact actuel de la révolution arabe en Syrie et le soutien affiché, à nouveau, par Hugo Chavez au profit du dictateur Al Assad - dénonçant, comme lui, un « complot impérialiste » (5) derrière les protestations populaires - ravivent d’autant plus ces divisions.

Face à toute cette confusion, il faut réaffirmer notre opposition résolue à la guerre impérialiste ; exiger le retrait immédiat des troupes belges et soutenir le peuple libyen afin qu’il puisse enfin se débarrasser – seul et sans contrepartie - du tyran et de son régime. C’est la seule voie permettant au processus révolutionnaire libyen de se poursuivre en évitant qu’il ne soit récupéré, maîtrisé et inversé par l’impérialisme, et de contribuer ainsi au développement, sans ingérences, des autres processus qui secouent le reste du monde arabe.

Ataulfo Riera

(1) Le gros de ces forces se déplacent la nuit pour éviter les bombardements et utilisent en première ligne des unités équipées des mêmes picks-up civils que les milices populaires afin de semer la confusion, tout en gardant en « second échelon » l’armement lourd.

(2) Nous reviendrons prochainement plus en détail sur la composition et la nature sociale de l’opposition libyenne à Kadhafi, ainsi que sur les formes d’auto-organisation qui sont apparues dans le cours de la révolution et leurs rapports avec la direction politique incarnée par le Conseil National de Transition de Benghazi.

(3) http://www.libyafeb17.com/2011/04/translated-the-complete-press-conference-that-major-general-abdulfatah-younis-gave-today/

(4) La thèse d’un « leader nationaliste arabe » légitime qui lutte contre l’impérialisme ne résiste pas aux faits : il n’y a pas une seule mobilisation populaire dans tout le monde arabe en faveur de Kadhafi, contrairement à ce qui s’était vu lors de la première guerre du Golfe de 1991 en faveur du dictateur Saddam Hussein.

(5) http://www.aporrea.org/tiburon/n177717.html