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Libye : les complicités passées de la France

D 7 novembre 2011     H 04:42     A Bertold de Ryon     C 0 messages


C’est le type d’informations qui, décidément, tombe vraiment
mal. A la fin de l’été 2011, Nicolas Sarkozy se croyait
autorisé à triompher : au moins en Libye, sa politique
semblait pouvoir trouver (temporairement) un accueil populaire
positif. La France, à côté de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis
– quoique l’administration US ait eu des positions plus hésitantes
– avait aidé militairement les rebelles libyens.

A partir du 20 août - avec le début de la « bataille de Tripoli » - le
combat entre les rebelles armés et le Conseil national de
transition (CNT) d’un côté et le régime de Kadhafi, de l’autre,
entra dans sa phase décisive. Même si la guerre civile en Libye
n’est pas totalement terminée au moment où nous mettons sous
presse, les derniers jours d’août et les premiers jours de
septembre 2011 virent un renversement du rapport de forces
entre les deux camps. Le 15 septembre, le président français
Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron purent
se payer un bain de foule à Benghazi.

Or, justement en cette période-là, des nouveaux détails sur la
complicité tout récente du pouvoir français en général – et du
clan Sarkozy en particulier – avec la dictature libyenne ont été
révélés.

Déjà en février et mars 2011, le sujet avait été abordé. Quand
l’opinion publique en Afrique du Nord (et au-delà) évoquait très
largement la complicité de la France officielle avec les dictatures
en Tunisie et en Egypte qui venaient de tomber, on craignait à
Paris que le même débat ne soit déclenché aussi pour la Libye. La
ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait été
remerciée fin février 11 pour amitié avérée trop étroite avec des
mafieux proches de l’ancien pouvoir tunisien (Aziz Miled p.ex.).
Or, son compagnon, le toujours ministre des relations avec le
parlement Patrick Ollier, était un lobbyiste en chef du régime
libyen à Paris. N’oublions pas d’ailleurs, d’ailleurs, qu’Aziz Miled –
l’ami tunisien de Madame – était soupçonné d’avoir transporté
des mercenaires de Kadhafi avec la compagnie aérienne lui
appartenant. Bref, la crainte de voir la France associée à toutes
les dictatures d’Afrique du Nord, au moment où ma région était
en plein bouleversement, était forte. Elle constituait un puissant
motif pour Nicolas Sarkozy de décider l’intervention militaire en
Libye. Il fallait court-circuiter l’élan populaire, remettre les
grandes puissances au premier plan – et détacher l’image de la
France officielle de celle des dictatures (anciennement) en place.
Sarkozy et Cameron en Libye le 15 septembre 2011
Le calcul était presque parfait. Sauf que, au moment des combats
dans Tripoli, les représentants des appareils (militaire et/ou de
renseignement) français sur place n’eurent pas le temps de
nettoyer les ruines entre les belligérants. C’est ainsi que, dans
celles de l’ancienne centrale des services secrets libyens, des
journalistes étrangers pouvaient faire des découvertes
étonnantes.

Le « Wall Street Journal » du 29 août 2011, en premier – suivi
par « Le Figaro » du 1er septembre, puis « Le Canard
enchaîné du 07 septembre – l’ont ainsi révélé : les services
français ont aidé ceux de la dictature libyenne à surveiller
l’ensemble du pays. Des représentants de la DGSE française
étaient sur place, dans le Centre de commandement des services
libyens, à Tripoli, d’août 2008 jusqu’à février 2011 inclus. Ils
aidaient leurs collègues libyens à surveiller Internet et
communications téléphoniques.

Ce n’est pas tout : une entreprise française, Amesys, filiale du
groupe Bull, a livré entre 2007 et 2009 la technologie permettant
de surveiller les communications électroniques (e-Mail et
consultations d’Internet) de toute la population libyenne. Le site
OWNI l’avait révélé dès le mois de juin 2011, puis ça a été
confirmé de toutes parts. Il s’agissait de filtrer les
communications de chacun/e et de signaler, p.ex., si certains
mots-clés étaient utilisés. « J’ai aidé à surveiller huit millions de
personnes en Libye » a ainsi déclaré un cadre du groupe
française dans la presse parisienne (pages « Technologie » du
journal « Le Monde »). La CFDT chez Bull a confirmé les
informations, revendiquant une « clause de conscience » qui
permettrait à des salariés de se retirer de l’exécution de certaines
commandes.

Rappelons, par ailleurs, que le journal en ligne « Médiapart » a
commencé, à partir du 10 juillet 2011, une série de révélations
précisant le rôle joué par le clan Sarkozy à partir de 2005 dans la
coopération avec la dictature libyenne. Comme pour le Pakistan
(où l’« Affaire Karachi », déclenché par l’attentat du 08 mai 2002,
a déclenché une série de révélations) et l’Arabie Saoudite, il
s’agissait là encore de financer illégalement des politiques
français par le biais de commissions et « rétrocommissions » -
revenant en France – prélevées sur des gros contrats
d’armement. Dans les années 1990, cette méthode de
financement illicite avait utilisée par le clan autour d’Edouard
Balladur, plus tard visiblement par les sarkozystes.

Les enquêtes de « Médiapart » ont démontré le rôle central de
l’« intermédiaire » Ziad Takieddine. Aujourd’hui, ce trafiquant
d’armes, sorti de l’ombre qu’il affectionnait tant, est sur la
sellette. Ses grosses voitures, ses villas et son yacht ont été mis
sous scellés. Le 05 mars 2011, il avait d’ailleurs été arrêté au
Bourget, quand il revenait de Tripoli avec 1,5 millions d’euros en
liquide sur lui.

Les complicités d’hier avec le régime de Kadhafi sont aujourd’hui
dépassées par l’évolution politique en Libye. Les responsables
français et les structures qui les ont rendu possibles sont toujours
en place. C’est là que s’imposerait un fort « nettoyage ».

Bertold du Ryon