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ALE Maroc-UE : conséquences et perspectives

D 30 juin 2018     H 16:22     A Abdellah Elharif     C 0 messages


1. L’économie du Maroc : une ouverture très libérale fortement insérée dans l’espace européen

Dès l’indépendance formelle du Maroc, les classes dominantes ont choisi de renforcer l’insertion de notre pays dans l’économie mondiale et en particulier aux vastes et riches marchés européens.
Suite à son adhésion en Mai 1987 au GATT (Traité de Marrakech) puis en Avril 1994 à l’OMC ; le Maroc a conclu en 1996 l’Accord de libre-échange avec l’UE qui est entré en vigueur le 1er Mars 2000. L’objectif était la création d’une zone de libre-échange industrielle (ZLE) à l’horizon 2012. Celui-ci concerne exclusivement les produits manufacturés. S’agissant des produits agricoles et la pêche, la libéralisation de leurs échanges commerciaux a fait l’objet de négociation distincte et est entrée en vigueur en Octobre 2012.
Ce processus s’inscrit dans le cadre d’une politique de libéralisation économique entamée depuis mi-1980, consacrant l’insertion du Maroc dans les courants d’échanges et d’investissements internationaux comme choix stratégique irrévocable. Cette tendance s’amplifie par le lancement des négociations sur un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).

2013 (7juin) : signature d’un partenariat pour la mobilité (PPM) entre l’Union européenne, le Maroc et neuf Etats membres. Ce partenariat définit les objectifs à atteindre dans la gestion des flux migratoires entre le Maroc et l’Union européenne et les différentes actions à mettre en œuvre.

2014 (24 juillet) : signature du 2ème protocole sur la pêche (le 1er ayant expiré en février 2011 a été prolongé à deux reprises, faute d’accord ratifié par le parlement européen).

A la suite de l’arrêt du Tribunal de l’UE en décembre 2015 sur l’accord agricole UE/Maroc qui considère qu’il ne s’applique pas au Sahara Occidental, le Maroc a annoncé la suspension de ses relations avec l’Union européenne en février 2016, ce qui a provoqué le report de nombreuses réunions de niveau technique et un ralentissement des négociations sur l’ALECA et les questions migratoires.

Selon la Banque Mondiale, le Maroc est aujourd’hui l’un des pays dont l’économie est la plus extravertie, avec un taux d’ouverture supérieur à 65% [pour la période 2008-2013, soit un taux supérieur à celui de l’Egypte (39,5%), de l’Inde (36,6%), de l’Argentine (35,8%) ou de la Turquie (43,6%), avec un niveau d’importations bien plus élevé que celui des exportations].

2. Des accords négociés en huis-clos : la démocratie au placard

L’ALECA, en particulier, devrait bouleverser les règles concernant notre santé, l’alimentation, l’environnement, le droit des salariés, les données personnelles, les services publics, le commerce, l’agriculture, bref, tout le fonctionnement de notre société…..

Et pourtant : rien ne transpirait au cours des négociations.

Que négocie le Maroc dans le cadre de l’ALECA ? Qui négocie au nom des Marocains ? Quel est le planning des négociations ? Personne ne peut apporter des réponses précises à ces interrogations. Le mandat des négociateurs marocains et les projets à partir desquels ils travaillent demeurent secrets.

Face aux nombreuses plaintes des médias marocains, la Commission européenne, le Parlement européen en collaboration avec le Ministère de la Communication marocain et l’ambassadeur auprès de l’UE ont organisé des visites pour des délégations de journalistes à Bruxelles en octobre 2013 : l’état des lieux des négociations y a été présenté, les points en suspens aussi, mais sans entrer dans les détails du contenu de l’accord..

La Commission contre le droit de savoir

Le déroulement des négociations sur l’ALECA montre le blackout qu’impose la Commission européenne sur ce droit fondamental des citoyens à l’information. Sur les sites de la Commission comme du Parlement, ainsi que sur celui de la Délégation de l’UE à Rabat seuls quelques communiqués laconiques annoncent la tenue des rounds des négociations.

Face aux inquiétudes de quelques députés européens et ONG marocaines, la Délégation de l’UE à Rabat, a fini par publier un document de Questions/réponses sur l’ALECA. Cependant, ces réponses restent dans le domaine des généralités et n’apportent rien de concret sur le sujet.

Côté marocain, les parlementaires marocains ne (se) posent pas de questions…

Les lobbys des deux rives aux premiers rangs

Si les citoyens ne sont pas consultés, les entreprises, elles, sont parties
prenantes de ces négociations. Dans le cas de l’ALECA, il a suffi de légères pressions de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc pour qu’elle soit impliquée dans les négociations.
Les grandes entreprises( les multicoloniales) européennes sont également omniprésentes dans ces rounds. Rien n’est plus dangereux pour la démocratie que l’alliance des capitalistes des deux bords de la Méditerranée.

A ce contexte marocain, s’ajoute une tendance internationale réduisant l’accès à l’information lors de négociations d’accords commerciaux. Le culte du secret est devenu la règle dans les accords commerciaux en négociation par la Commission européenne depuis des années. Sans Wikileaks, les contenus de l’ACTA], du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA)], du Partenariat Transpacifique (TPP), n’auraient jamais été révélés aux citoyens. Ces révélations ont montré l’ampleur des dangers que représentent de tels accords sur l’accès aux soins, à la culture et aux services publics. Au Nord comme au Sud, la question démocratique est au cœur de la lutte contre ces Accords de libre-échange.

3. Des conséquences désastreuses :

L’UE a imposé au Maroc une spécialisation économique, essentiellement, dans la production des matières premières ou demi-produits minéraux et produits agricoles très voraces en eau (oranges, pastèques et tomates…) et soumis à des conditions draconiennes( contingents, calendriers d’exportation et normes contraignants…)ainsi que dans les dernières opérations de production industrielle (montage de voitures en particulier) ou la fabrication d’accessoires pour les voitures et les avions ; une spécialisation à faible valeur ajoutée qui s’accompagne d’une surexploitation de la main-d’œuvre et de la destruction de l’environnement, en particulier des ressources hydrauliques. Cette absence de développement pousse les meilleurs cadres marocains à émigrer vers l’Europe, et les jeunes, en général, à émigrer clandestinement au risque de leur vie. De plus, cette spécialisation induit une très forte dépendance pour les produits alimentaires de base (blé, lait, sucre, huiles). En ce qui concerne les produits agricoles, il faut exporter 5 kilos de tomates pour importer un kilo de blé.

Cette spécialisation économique génère un déficit structurel de la balance commerciale avec l’UE aggravant la dépendance économique et politique vis-à-vis de l’UE et dont les répercussions sociales sont graves.
A cela s’ajoute l’imposition des politiques néolibérales par les institutions financières internationales et l’UE conduisant au démantèlement ou la privatisation du secteur public, en particulier les services publics, la remise en cause des rares acquis sociaux( code du travail et autres législations sociales) et renforçant la détérioration de la situation sociale des masses populaires et de l’environnement :
  Précarité du travail ; baisse des salaires, flexibilité dans l’application des droits de travail, accentuation de l’exploitation des travailleurs et travailleuses, quasi-absence de protection sociale…).
  Conditions de travail inhumaines, surtout pour les femmes( salaires inférieurs à ceux des hommes, harcèlement sexuel fréquent, transport collectif défectueux dans des conditions atroces et conduisant souvent à des accidents routiers mortels…).
  Pillage des ressources naturelles : matières premières, ressources halieutiques et hydrauliques…
  Déclin drastique du nombre de paysans et de paysannes et exode rural massif vers les villes gonflant l’armée de réserve industrielle, pesant sur les salaires modiques et alimentant une spéculation immobilière effrénée au détriment de l’investissement productif.
  La nature n’a pas été épargnée non plus car les ALE portent atteinte à la protection de l’environnement et au bien-être animal.
  Faillite de l’enseignement et du système de santé publics.
  Chômage de masse touchant aussi les diplômés de l’enseignement supérieur.

Sur le plan politique, alignement fréquent sur les positions de l’UE, rôle de gendarme protégeant ses frontières sud.

  En résumé, les Accords de libre-échange sont des accords coloniaux, pensés en fonction des intérêts des pays occidentaux et de leurs grandes entreprises. Ils ont contribué à démanteler les services publics, détruire le tissu productif, industriel comme agricole, creuser le déficit de la balance commerciale, générer la dépendance alimentaire. Ils permettent aux entreprises de l’UE de profiter des exonérations fiscales, de la main d’œuvre et des terres bon marché dans les pays du Sud. Les ALE, couplés avec le service de la dette, sont des instruments coloniaux de domination des peuples. Ils contribuent à affaiblir la souveraineté politique de notre pays
  Au Maroc, ces accords servent aussi les intérêts des grands propriétaires fonciers, de la grande bourgeoisie mandataire des multicolonionales et de l’Etat makhzen prédateur qui combattent tout développement économique et social autonome de notre pays et renforcent le despotisme nécessaire pour imposer au peuple les répercussions économiques et sociales désastreuses de ces accords.

Perspectives de luttes des deux rives de la lutte commune anticapitaliste.

Il est clair que l’UE est, pour l’essentiel, une construction servant les intérêts des multicoloniales et non des peuples. En conséquence, il serait illusoire de croire en la possibilité de relations équitables entre l’UE et les pays du sud en l’état actuel des choses.
Ce n’est que par la lutte des peuples de l’UE pour une Europe à leur service et des peuples du sud pour la libération nationale et la démocratie que les conditions de relations équitables seront réunies. Dans ce cadre, les mouvements de gauche doivent se ressaisir et s’unir pour accentuer le combat vers un monde de justice et de dignité humaine. Ce combat pourrait s’articuler autour des axes suivants :
 Exiger la tenue d’un débat public national et démocratique au sujet des objectifs et des répercussions de tout accord, une totale transparence des négociations et une procédure démocratique pour décider de la validation ou du rejet de tout accord.
 Remettre l’être humain et l’universalité des DDH au cœur des échanges sociaux et bilatéraux entre Etats en faisant de la solidarité internationale notre grande devise.
Dans ce cadre, renforcer les mouvements de la société civile qui se battent pour les droits humains, l’environnement, le développement, le féminisme…
 Soutenir la lutte du peuple marocain pour la démocratie, la souveraineté nationale et les droits et acquis sociaux.
– Soutenir le droit à l’autodétermination des peuples.
 S’inspirer des blocs régionaux qui permettent aux peuples de mieux se protéger tel que l’ALBA en Amérique Latine,
 Encourager les initiatives visant à développer le commerce équitable, en développant les circuits locaux d’échange de produits agricoles faisant vivre les produits dits de terroir, élargir les champs de l’économie sociale, les systèmes d’échange locaux ou les réseaux de troc pour remettre en cause le système commercial mondial.
 Et enfin, coté migratoire le « travailler et vivre ensemble » était longtemps confondu avec un droit à la différence dénué de toute adhésion à l’espace commun ; ce qui s’entend souvent en établissant des frontières internes favorisant le communautarisme. Notre avenir commun est dans l’égalité des droits, le combat pour une société juste qui retrouve ses valeurs de laïcité et de terre d’accueil. Il est à notre portée de démolir ses murs de peur et de stéréotypes érigés par le capitalisme vers un monde de justice, de démocratie, de paix et de fraternité

Abdellah Elharif

Source : http://annahjaddimocrati.org