Le Maroc devrait réexaminer la condamnation d’un porte-parole du « Hirak »
Sa peine de 5 ans de prison est fondée sur des aveux apparemment forcés
14 février 2018 04:01 0 messages
Les autorités marocaines devraient réexaminer de toute urgence la condamnation d’un activiste à cinq ans de prison, sans doute en représailles de son rôle dans un mouvement de protestation sociale, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient faire en sorte qu’aucun aveu obtenu sous la contrainte ne soit accepté comme preuve dans un tribunal.
Le 30 novembre 2017, un tribunal de première instance a reconnu Elmortada Iamrachen, 31 ans, coupable d’apologie du terrorisme et d’incitation à commettre des actes terroristes, en se basant sur certaines de ses publications sur Facebook ainsi que sur ses aveux à la police—des aveux qu’il avait réfutés peu après les avoir signés et que, devant le juge, il avait qualifiés de faux, et de forcés. Sans même l’examiner, le tribunal a sommairement rejeté l’affirmation d’Imarachen selon laquelle ses aveux avaient été obtenus sous la contrainte. Il doit être entendu en appel le 7 février 2018.
« Une fois de plus, on jette en prison un activiste marocain en se fondant sur des aveux contestés », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités marocaines devraient enquêter en bonne et due forme sur l’allégation d’Iamrachen selon laquelle ses déclarations à la police ont été obtenues sous la contrainte ; et elles devraient écarter du dossier tout élément de preuve qui semble résulter de coercition. »
Iamrachen était un des principaux porte-parole du Hirak, un mouvement de protestation qui s’est constitué en octobre 2016 en réaction à la négligence gouvernementale dont ferait l’objet la région du Rif, dans le Nord du Maroc. Son arrestation, le 10 juin 2017, s’inscrivait dans une campagne d’arrestations de manifestants et meneurs du Hirak. Environ 450 ont été condamnés à des peines allant de quelques mois à 20 ans de prison, tandis qu’une cinquantaine d’autres sont toujours en attente de jugement. Plusieurs manifestants détenus ont déclaré que des policiers les avaient torturés et forcés à signer des aveux écrits. Certaines de ces allégations sont corroborées par des rapports d’expertise médicale consultés par Human Rights Watch.
Les policiers avaient arrêté Iamrachen à El Hoceima, chef-lieu du Rif, puis transféré au siège du Bureau Central d’Investigation Judiciaires de Salé, un service sécuritaire spécialisé dans les opérations antiterroristes. Il y était resté en détention préventive pendant dix jours, comme l’autorisent les lois antiterroristes marocaines. Pendant son interrogatoire, les policiers avaient surtout questionné Iamrachen sur l’organisation du Hirak et ses détails opérationnels, ont déclaré ses avocats Naima El Gallaf et Mohamed Kotaya à Human Rights Watch. Les policiers avaient ensuite présenté à Iamrachen, pour qu’il le signe, un procès-verbal d’interrogatoire qui mentionnait à peine le Hirak et dans lequel il « avouait » que son intention, en publiant certains éléments sur Facebook, était de faire l’éloge d’actes terroristes et d’inciter d’autres personnes à en commettre.
La déclaration se concentrait sur deux publications Facebook de Iamrachen. Dans la première, il publiait la nouvelle de l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie, le 19 décembre 2016, par un policier turc qui agissait apparemment au nom de "L’État islamique" (dit Daech). La publication Facebook, que Human Rights Watch a consultée, ne commentait pas la nouvelle et se contentait de rapporter, à l’instar de nombreux médias, que « le meurtrier [avait] crié : ‘Nous mourons à Alep, et vous, vous mourez ici’ ». Un peu plus tard dans la même journée, Iamrachen ajoutait sur Facebook : « Le meurtre de l’ambassadeur russe est un crime terroriste, et son auteur est un criminel... quelles que soient ses motivations. »
Dans la seconde publication Facebook, datée du 9 juin 2017, Iamrachen racontait avoir dit à un journaliste que le chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri, qu’il était allé voir à Tora Bora en Afghanistan, lui avait ordonné d’importer des armes dans le Rif. Au tribunal, Iamrachen a expliqué que cette publication était manifestement sarcastique—et ce pour plusieurs raisons, dont le fait qu’il n’était jamais allé en Afghanistan. Mohamed Sadkou, un de ses avocats, a déclaré à Human Rights Watch que « dans sa publication Facebook, Iamrachen relatait comment il s’était moqué d’un journaliste qui avait proféré des accusations absurdes contre lui, en lui racontant des faits imaginaires et en le mettant au défi de les publier ». La déclaration rédigée par la police et signée par Iamrachen en juin ne mentionne nulle part qu’il s’agissait de sarcasme.
Les avocats d’Iamrachen ont déclaré que s’il avait signé sa déclaration à la police sans la lire, c’était parce que des agents de police l’avaient menacé de divulguer des photos intimes de lui avec son épouse, qu’ils avaient trouvées dans l’ordinateur portable saisi lors de son arrestation. Le 20 juin 2017, Iamrachen a été entendu par le juge d’instruction Abdelkader Chentouf de la chambre antiterroriste de la Cour d’appel de Rabat. Sadkou, qui était présent à l’audience, a déclaré qu’Iamrachen avait demandé au juge Chentouf d’interdire à la police de publier ses photos.
Le 30 novembre, lors de son procès devant le tribunal antiterroriste de Salé, Iamrachen a déclaré au juge qu’il avait été forcé à signer le procès-verbal préparé par les policiers parce qu’ils l’avaient menacé de publier des photos privées de sa femme, a déclaré Sadkou. L’avocat a déposé une requête pour que ce procès-verbal soit jugé irrecevable, au motif que l’accusé l’avait signé « sous la coercition et la menace ».
Le tribunal a rejeté la requête, affirmant : « Ayant examiné le procès-verbal de police, la Cour a remarqué que l’accusé n’y avait pas seulement apposé sa signature, mais qu’il avait également écrit son nom ; [ce qui a conduit la Cour] à rejeter la motion [de la défense], à cause de son manque de sérieux. » Dans le jugement, il n’est indiqué nulle part que le tribunal a examiné (et encore moins enquêté sur) l’allégation d’Imarachen selon laquelle ses aveux étaient contraints. Le jugement n’explique pas non plus comment ou pourquoi le fait d’avoir inscrit son nom, en plus de sa signature, prouve que l’accusé a signé volontairement.
L’article 293 du code marocain de procédure pénale stipule qu’aucune déclaration préparée par la police n’est recevable comme preuve si elle est obtenue par la coercition ou la violence. Le droit marocain et le droit international exigent tous deux que le juge rejette les déclarations forcées. Les principes sur le droit à un procès équitable en Afrique, rédigés par la Commission africaine des droits humains, établissent que « tout aveu ou tout autre témoignage obtenu par une forme quelconque de contrainte ou de force ne peut être admis comme élément de preuve ou être considéré comme prouvant un fait lors de la procédure orale ou du délibéré sur la sentence ». Le Maroc, qui a rejoint l’Union africaine en 2017, a l’obligation d’appliquer ses normes relatives aux droits humains.
Les lois marocaines sur l’incitation ont été maintes fois critiquées. En raison de leur caractère vague, général et arbitraire, personne ne peut prédire raisonnablement quels actes tombent sous le coup de la loi. Par conséquent, des paroles relevant de la liberté d’expression peuvent être qualifiées de criminelles dans un tribunal. Ces lois devrait être réformées de sorte à éliminer les références vagues à l’« apologie » du terrorisme, et à préciser que pour qu’il y ait incitation criminelle, il faut un risque réel que l’acte soit commis, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient aussi faire explicitement référence à deux éléments prouvant l’intention – l’intention de transmettre un message, et la volonté que ce message incite à commettre un acte criminel.
« Le tribunal a ignoré les explications d’Elmortada Iamrachen sur ses publications Facebook, n’a pas enquêté sur ses allégations d’aveux forcés, et s’est basé uniquement sur ces aveux pour le condamner à cinq ans de prison », a conclu Sarah Leah Whitson. « Cette affaire n’a sans doute rien à voir avec le terrorisme ; il s’agirait plutôt d’un moyen détourné de punir un nouveau chef de file du Hirak, un mouvement de protestation que le gouvernement marocain semble déterminé à écraser. »
Pour lire d’autres communiqués de Human Rights Watch sur le Maroc, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/middle-east/n-africa/morocco/western-sahara
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