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Maroc : Le mouvement du 20 février un an après

D 28 février 2012     H 05:17     A Chawqui Lotfi     C 0 messages


Une leçon particulière des processus révolutionnaires dans la région arabe concerne, au-delà de l’embrasement général et de la dialectique régionale des luttes, les rythmes différenciés de la lutte pour le renversement des dictatures. Chaque pays, en fonction de son histoire, de la forme du régime politique, des traditions de résistance populaire et nationale, de ses liens avec l’impérialisme mais aussi de sa structure sociale, connait des embrasements plus ou moins rapides, plus ou moins généralisés. On peut légitimement se demander pourquoi au Maroc, mais la question concerne aussi d’autres situations, il n’y a pas de percée qualitative. Qui n’avance pas recule dit un vieil adage, mais ici on se heurte à un risque inverse : celui de figer des difficultés et problèmes à résoudre, de théoriser la défaite parce qu’il n’y a pas de victoires immédiates. Il est néanmoins nécessaire de prendre du recul, ne serait-ce que pour mesurer la nature exacte des défis qui permettraient au mouvement populaire de se redéployer.

La politique de la monarchie

La monarchie a gagné une bataille. Elle a su imposer son agenda de réformes octroyées qui va du « changement » de la constitution à l’instauration d’un gouvernement officiellement dirigé par un parti islamiste : le Parti de la Justice et du Développement. Sans doute, cela ne change rien à la situation générale, d’un point de vue global, mais cet agenda (referendum et élections) a eu un effet sur le terrain politique immédiat. Cette séquence, a en effet contribué, à ce que le mouvement se positionne principalement par rapport aux initiatives de la monarchie, plutôt que de définir clairement sa position par rapport à celle-ci. La critique s’est concentrée sur les hommes du sérail, le non représentativité des instances élues et des processus électoraux, l’absence de constitution démocratique, c’est-à-dire sur les formes légales du régime autoritaire, sa cuirasse extérieure, sans remise en cause des fondements réels du pouvoir absolu. La finalité des « manœuvres » du pouvoir apparait aujourd’hui : éviter une remise en cause directe, peser par la nature même de ses initiatives, sur le cadre d’action et l’horizon politique immédiat du mouvement, contribuant à ce qu’il se situe, au moins pour toute cette phase, comme un mouvement de pression plutôt qu’un mouvement de rupture.

L’intelligence du pouvoir, en refusant toute répression massive et sanglante est d’avoir aussi cherché, avec succès pour le moment, à circonscrire le champ politique et social de la contestation : sa politique vise à ne donner aucune prise à une radicalisation de masse. Il a pu le faire d’autant plus facilement qu’en gelant le front syndical, en s’appuyant sur ses alliés de l’intérieur, les bureaucraties ; il a réussi à contenir toute combinaison entre revendications syndicales/luttes ouvrières et revendications démocratiques/luttes populaires, tout en menant une politique ciblée de concessions/répressions visant à contenir les luttes sociales les plus diverses. A son tour, la critique principale de la rue sur les hommes du sérail, la corruption, la façade démocratique, a relégué la question sociale à des slogans généraux au lieu de devenir le terrain principal de la lutte, le champ d’expression directe de l’antagonisme politique et d’une stratégie d’accumulation des forces. Les luttes sociales et professionnelles ne se politisent pas et les luttes politiques ne s’enracinent pas dans l’activité revendicative. Les contestations se chevauchent sans se rencontrer. Autre victoire tactique de son point de vue : le retrait de la principale composante organisée (d’obédience islamiste, Al Adl ) du M20F. D’un point de vue strictement photographique, la contestation apparait fixée dans un agenda maitrisé et en grande difficulté à déplacer les lignes de forces.

Les lignes de force de l’allégeance makhzeniene

Le pouvoir central a des capacités sociales et politiques de résistance qui ne se réduisent pas à la répression brute. Des éléments d’explications au moins partiels nous paraissent importants. Sur le temps long de l’histoire, le Makhzen a acquis une capacité intrinsèque à diriger, à soumettre des territoires sous son contrôle avec une connaissance fine des adversités, du tissu social jusque dans les bourgades les plus reculées. Il est une forme « d’administration des choses et des hommes » qui a accumulé une longue mémoire des résistances à sa domination et qui a su combiner légitimité traditionnelle, patriarcale, religieuse et légitimité moderne, nationale, légal. Il a su doser, en fonction des périodes, un éventail extraordinaire de ressources de domination allant de la répression la plus barbare, aux formes les plus subtiles de cooptation. Mais d’une manière plus vaste, il a su cristalliser des formes politiques, sociales, économiques, culturelles d’organisation des territoires et des populations, qui assure une division interne/ segmentation des forces sociales, qui lui sont potentiellement opposées. Les racines de ce processus renvoie à la particularité du système makhzen, très différent des états nations de la région et qui n’a pas été détruit par la colonisation, ni au moment de l’indépendance.

Combinant des fonctions de contrôle social, d’organisation des ressources, de leur captation, et de lutte contre toute forme de dissidence, le Makhzen a su coaguler/refléter une domination territoriale, qui loin d’homogénéiser la formation sociale, a su maintenir et reproduire son caractère composite pour reprendre l’expression de Paul Pascon. Par ailleurs, en entretenant et façonnant des mécanismes d’allégeances sociales et matérielles, lui permettant d’avoir des relais et prolongement organiques dans différentes fractions de la société, l’état Makhzen a enveloppé le corps social de multiples mécanismes de domination, bien plus amples, qu’un simple état policier. Ce système de domination a une épaisseur historique, culturelle qui s’est façonné sur une longue période. La base matérielle de cette puissance tient à sa capacité à être au centre de l’allocation des ressources, ce qui lui a permis d’ajuster partiellement, au cours de ces dernières décennies, le mode d’accumulation du capital à des fins de reproduction des conditions sociales de la domination de la caste régnante. Les politiques d’ajustement structurels, l’intégration à la mondialisation capitaliste, la libéralisation, ont imposé des réajustements sans modifier cette logique spécifique, au contraire, elles l’ont paradoxalement amplifiée.

Une base sociale plus large

Derrière le cercle étroit du palais et des grandes familles, s’est constitué progressivement et d’une manière concentrique, un système de prébendes, de concessions économiques, de passes droits, dans une logique à la fois capitaliste et (néo) patrimoniale, qui a alimenté un vaste système de corruption organique en échange de la soumission politique et économique. Ce système de faveur qui dépend du caprice du prince est la source de la stabilisation d’une large hiérarchie à tous les niveaux et nourrit des dépendances complexes, individuelles, collectives, corporatistes, professionnelles. Il traverse l’espace public et concerne toutes les administrations et appareils d’état. Il structure l’ensemble des espaces économiques, aussi bien privés que publiques, concerne les grandes entreprises mais aussi une bonne partie de l’activité économique, sociale, culturelle. Le pouvoir s’est façonné, par ce biais, une base sociale d’appui plus large que sa base directe, où les privilèges mêmes les plus dérisoires, sont liés à la loyauté.

La monarchie a su, par ailleurs, jouer ce rôle de colonne vertébrale des intérêts de l’ensemble de la classe dominante et a su intégrer ses différentes factions sous son hégémonie. Il n’y a pas aujourd’hui de fractures potentielles au sommet : l’armée, la bureaucratie civile et sécuritaire, les secteurs du patronat tournés vers l’exportation ou le marché intérieur, les grands et moyens propriétaires, les fractions supérieures de la classe moyennes sont soudés derrière leur régime. A l’économie de rente qui permet à la monarchie, principal acteur économique de se constituer comme fraction hégémonique, se combine l’usage du secteur public comme un patrimoine du pouvoir, et des procédures de libéralisation, comme un moyen de le renforcer. Cette structuration politique du champ économique lui a permis de maintenir des appuis sociaux traditionnels hérités des légitimités précapitalistes, enracinés dans l’univers rural des relations sociales, tout en développant des appuis sociaux modernes, imbriqués dans l’économie de marché tournée ou non, vers la mondialisation. Plus larges que sa base directe, ces appuis sont nécessaires à sa domination. Nous sommes face à un système complexe où la concentration des richesses, aussi forte soit elle, s’accompagne d’une politique de distribution de privilèges, durables ou momentanées, d’octroi de zones d’accumulation et de pouvoir, de nature variable, qui donne au système une assise relative dans les rapports sociaux. Ce qui lui permet doublement de maintenir la « soudure » de son propre camp mais aussi de se construire comme au-dessus de la mêlée et d’acquérir des appuis multiples.

Des adversaires sociaux fragmentés

La dialectique spécifique que l’on a vu émerger en Tunisie et en Egypte, où un large front multi classiste s’est trouvé dans le rang de la contestation, ne prend pas forme au Maroc et trouve partiellement ses raisons dans cette réalité. Mais la raison la plus essentielle n’est pas dans les formes étendues du clientélisme d’Etat ou dans l’existence d’un « makhzen économique » support d’une légitimation sociale et pas seulement d’existence d’une économie de rente. Elle est dans la fragmentation du bloc social potentiellement antagoniste. La monarchie conserve de solides appuis dans les classes moyennes et les couches profondes de la paysannerie, même si il y a des craquements. Quant aux forces sociales urbaines, populaires, il n’y a pas d’entrée massive du prolétariat informel, des couches paupérisées, prises dans une logique de concurrence pour la survie, dans une dynamique de lutte globale et durable. Elles sont restées dans leur grande majorité, éloignées pendant une longue période, des formes d’action collective et d’organisation qui vertèbrent une conscience politique, si ce n’est sous la forme partielle de l’attraction islamiste ou de mobilisations conjoncturelles. Entre un salariat du privé écrasé, surexploité, sous syndicalisé et subissant des défaites sociales depuis plusieurs décennies et un salariat du public largement restructuré ; sous l’effet des politiques libérales de dérégulation et dont le bras syndical fait défaut, c’est à leur tour, les couches essentielles de la classe ouvrière qui ne trouvent pas de médiations vers la lutte politique de masse ou même vers luttes revendicatives interprofessionnelles impliquant un haut niveau de confrontation collectif.

La forme prise par le capitalisme dépendant au cours de ces trente dernières années, a fragmenté les territoires, le corps social, diversifié les formes d’exclusion et de rapport au travail, empêché l’émergence de solidarités professionnelles, sociales, cristallisé des fractures entre le Maroc utile et le Maroc inutile, les quartiers périphériques et les quartiers intermédiaires, le prolétariat informel et les salariés, les travailleurs du privé et du public, les couches profondes de la paysannerie et les populations urbaines, et même au sein de la jeunesse. S’il y a un processus très large d’alignement vers le bas des conditions de vie et de travail, les rythmes et les formes qu’ils prennent ne sont pas uniformes, et sont source de différenciations au sein même des classes populaires et même au sein de chaque corps professionnel. Cela est vrai dans la fonction publique qui est adossé à des statuts très divers où la précarité ne prend pas un visage uniforme mais traverse de manière différente, plusieurs catégories de salariés. Cela est vrai dans le privé où l’on trouve toutes les gammes de l’exploitation et de la surexploitation. Cela est vrai dans cette jungle de la survie qu’est l’économie informelle. Ces différenciations sont à leur tour accentuées en fonction des « territoires réels », de la carte économique et des investissements, de l’ancrage ou marginalité, qu’ils occupent dans l’espace de la mondialisation mais aussi des politiques du pouvoir.

Ce sont ces éléments combinés qui expliquent en partie l’absence de processus rapide et cumulatif de la mobilisation. Générale, celle-ci n’est pas massive. Sans pour autant être marginale. Cette réalité composite se reflète en miroir aujourd’hui dans la carte même de la mobilisation, très différenciée en fonction des espaces sociaux et territoriaux, mais aussi dans l’existence de secteurs sociaux en retrait, attentiste et dans l’unité de front au sommet. Nous ne sommes pas dans une conjoncture où se combinent approfondissement du « mouvement d’en bas » et fissures au sommet, préalable nécessaire à la maturation d’une crise politique.

La façade démocratique : un amortisseur de la crise politique

A la différence d’autres dictatures, le régime a été attentif aux conditions de sa propre survie, bien avant les soulèvements actuels. Ce que l’on appelle communément la façade démocratique ne doit pas être réduit à un simple décor, visant à maquiller la dictature. C’est cela, mais aussi autre chose de plus substantiel. En réalité, la façade démocratique a une fonction sociale et politique très précise : au-delà de l’appui qu’elle procure de la part de l’impérialisme qui peut se targuer de soutenir un régime engagé dans la « modernité », elle vise à structurer le champ politique autour d’un multipartisme contrôlé qui sert de médiation à la contestation sociale, tout en cooptant et renouvelant des élites issues de différents secteurs de la société, dans ses équilibres géographiques, ethno culturels et liées aux couches supérieures ou intermédiaires. Le pouvoir s’est construit politiquement une base d’appui, par un jeu subtil d’équilibre et de partage des privilèges allant de la « gauche « à la « droite » en passant par les « islamistes », qui tous bénéficient d’une clientèle. Cette réalité à sa traduction politique : les partis, apparaissent, encastrés, sans autonomie réelle, dans un espace permanent de soumission en échange d’un accès aux privilèges concédés. Les élites politiques et économiques, sont comme des vassaux auxquels le pouvoir accorde, en fonction des besoins donnés et des circonstances, des parcelles de terrains et l’accès à un statut d’impunité. Entre eux, la concurrence fait rage pour attirer la bienveillance du prince, mais tous sont là pour le servir.

A la différence du régime de Ben Ali, la monarchie n’a pas fait le vide mais exactement l’inverse. Elle a su susciter/utiliser un « trop plein » d’acteurs : les partis, une large partie de la société civile, du mouvement syndical, des ONG et mettre en place un système de médiations sur tous les champs possibles de contestation et qui servent de pare feux. L’effet majeur, proprement politique du système de la façade démocratique, va cependant plus loin que l’existence d’une classe politique aux ordres. Elle impose, et c’est sa fonctionnalité première, une déconnection entre la question sociale, démocratique et le champ politique institutionnel. Elle opère, que ce soit au nom de la tradition ou/et de la transition, une dépolitisation du politique réduit à une fonction de sélection d’élites et de cantonnement des questions sociales et démocratiques à l’invisibilité politique. Tout est organisé pour que n’émerge pas un espace politique, institutionnel et électoral relativement indépendant et conflictuel. En ce sens, il ne s’agit même pas d’une « démocrature ».

Dans le prolongement de ce processus, ce « despotisme semi-libéral » a su ouvrir partiellement un espace aux contestations sociales de la société dite civile. Le pouvoir est passé maitre dans l’art de gérer les conflits sociaux. Non seulement, il a su récupérer dans les discours et les initiatives, quitte à en détourner le sens, des thématiques des droits de l’homme, des femmes, de la question amazigh, du développement, en cherchant à chaque fois à récupérer et parfois avec succès, les promoteurs de ces causes, mais il a su aussi laisser les revendications s’exprimer dans certaines limites, en miroitant les possibilités d’un dialogue social et d’une avancée. Plutôt qu’une répression systématique, il a su combiner concessions formelles, stratégie d’isolement des mobilisations, répression ciblée. Et d’une certaine manière, cela a permis au pouvoir de jouer au pompier et d’éviter que les contradictions sociales ne débouchent sur des formes de lutte explosives et incontrôlables, d’éviter leur politisation ou de la contenir dans la critique des politiques gouvernementales, même si le gouvernement ne gouverne rien.

La pratique formelle du dialogue social, à son tour, ne vise pas seulement à gagner du temps, à noyer les revendications dans des pseudo négociations, à donner du grain à moudre aux bureaucraties et à cultiver l’illusion d’une démocratie apaisée entre partenaires sociaux. Prolongement de la façade démocratique sur le terrain social, sa fonction est d’abord de sectorialiser la question sociale, de maintenir l’émiettement des dynamiques revendicatives, de rejeter aux oubliettes la notion même de lutte interprofessionnelle et de grève générale qui ont par le passé mis le feu à la plaine, et plus largement de dépolitiser l’activité sociale et syndicale. Dit autrement, la façade démocratique met en œuvre un espace politique où les organisations civiles, sociales, syndicales et politiques sont à diverses degrés intégrées, mais surtout, n’ont pas pour fonction d’organiser et de mobiliser le peuple, pour que s’affirment des sujets sociaux et politiques indépendants. Si les formes d’intégration peuvent varier et n’exclut pas des contradictions partielles avec le système en place, dans l’ensemble, le pouvoir a imposé aux organisations, une capacité restreinte ou nulle d’existence autonome. Il a toujours su limiter leur champ d’intervention et leurs moyens d’action. Dans la grande séquence structurée dès les premières années de l’indépendance, poursuivie pendant les années de plomb, qui a permis pendant une longue période, l’exclusion des campagnes de toute vie politique, associative et syndicale, s’est juxtaposé un processus de neutralisation politique de l’activité revendicative notamment dans les villes, très visible à partir des années 90. La façade démocratique est, d’abord l’exclusion institutionnalisée des classes populaires.

Un système répressif organisé

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les luttes qui débordent « le processus démocratique » sont celles qui sont le plus lourdement réprimées, soit parce qu’elles sont spontanées et échappent aux médiations façonnées ou contrôlées par le pouvoir, soit parce qu’elles mettent en avant l’urgence sociale et démocratique et dévoilent la faiblesse du pouvoir à contenir les contradictions sur ce terrain. De sidi Ifni en passant par les luttes des diplômés chômeurs, la liste est longue. Cependant la force spécifique du mécanisme d’allégeance « démocratique » est d’éviter une traduction politique indépendante des mobilisations sociales et la mise en place de processus de lutte et d’organisations, qui mutualisent les revendications et placent le rapport de force à un niveau national. Les mobilisations sociales peuvent être tolérées tant qu’elles n’ont pas de soutien actif, populaire, qu’elles restent limitées à des revendications catégorielles et partielles, ne s’installent pas dans la durée, ne débouchent pas sur des formes d’organisation et d’action qui menacent la paix sociale. Tant que leur visibilité reste limitée ou banalisée. Tant que leurs dynamiques restent localisées.

La répression n’est pas une pièce seconde dans ce système de domination. L’appareil qui a imposé la longue nuit des années de plomb est non seulement intact mais a été en réalité, restructuré pour garder son efficacité. Si jusqu’ici le pouvoir a évité une escalade, ce n’est pas évidemment en raison de son prétendu engagement dans la transition démocratique, mais parce que les luttes dans la dernière décennie, n’ont pas été de nature à déstabiliser le pouvoir et que le mouvement actuel n’arrive pas à transformer les rapports de force et à précipiter la crise politique. Par ailleurs, une des leçons retenus par le pouvoir, à l’aune des processus de la région, est qu’une répression de masse entrainera une dynamique de radicalisation politique irréversible, qu’il s’agit précisément pour lui d’éviter. Ce qui ne l’empêche pas de faire la démonstration de sa force, de sanctionner et de prévenir du coût qu’aurait à payer la population, si elle venait à se soulever. La quasi militarisation et mise en état de siège de Khouribga, ville phosphatiére ou la lourde condamnation à des années de prison ferme des chômeurs qui ont osé bloquer par leur action, l’acheminement du phosphate à Asfi sont un message explicite. Tout comme la condamnation des syndicalistes de Bouarfa, ville où s’est maintenue une mobilisation de masse unitaire marquée par des actions de désobéissance civile et de refus de payer les factures d’eau et d’électricité. La liste est en réalité longue. Si le pouvoir tolère dans certaines limites, des manifestations classiques, la ligne rouge à ne pas dépasser concerne à la fois les actions qui ont pour vocation de bloquer l’économie, ou les actions qui cristallisent sur la durée une dynamique réellement populaire. Ou qui encore participent à la désacralisation du pouvoir et déconstruisent ses symboles.

Cependant, et contrairement à la Tunisie et l’Egypte, le pouvoir n’est pas dans un isolement total et « sa pseudo démocratie » lui assure des marges de manœuvres, une capacité d’intervention et d’anticipation plus solide, lui permettant de chevaucher la contestation avec l’objectif de la neutraliser, l’épuiser, l’affaiblir, sans chercher un affrontement direct dont l’issue est imprévisible. Du moins pour le moment. Nous sommes face à un pouvoir qui a une solide forteresse, qui a su construire des digues, des couvres feux opérationnels. Qui est capable à la fois de mobiliser une confrérie soufie et l’ambassade de France, des baltagias et des experts serviles, les mosquées et l’élite intellectuelle occidentalisée, les matraques et un ancien responsable de la FIDH. Qui sait activer les réflexes d’allégeances et la crainte. Il ne s’agit pas par-là d’affirmer qu’il y a une exception marocaine et encore moins d’expliquer l’inanité de la revendication de la chute du régime parce que ce dernier apparait plus stable, mais de donner quelques éléments d’explication de la solidité relative du régime, qui cependant tend à être de plus en plus exposé.

Des maillons faibles

La combinaison de la violence sociale structurelle, des effets de l’approfondissement de la crise du capitalisme mondial, du discrédit de la façade démocratique aux yeux du peuple d’en bas et du réveil des aspirations au changement portées par les processus révolutionnaires, multiplient les zones de fragilité du système. Le pouvoir ne peut opérer des reformes structurelles, ni répondre aux aspirations sociales et démocratiques de la grande majorité. Sur la durée, les contradictions sociales ne peuvent se réguler par une simple gestion d’en haut visant à les contenir. Et ce qui fraye son chemin aujourd’hui, c’est l’aspiration à ce que cesse le règne de l’arbitraire, du déni des droits, de l’injustice permanente. En réalité, une autre légitimité sociale, morale et politique résumée dans le slogan « Vive le peuple » est entrain de germer. Elle est foncièrement et radicalement anti despotique.

Le maillon faible du pouvoir repose sur deux éléments dont la combinaison est potentiellement explosive pour lui. La façade démocratique avec son système de médiations est en crise. Pas assez pour que la contestation s’en prenne directement à la figure centrale de l’Etat, mais suffisamment pour que sa responsabilité soit maintenant évoquée, sans aucun paravent, et que certaines de ses attributions soient ouvertement contestées. Son statut de « commandeur de croyant », son poids dans l’économie, sa place dans la constitution. La décision d’officialiser dans le cabinet royal, après les élections, des figures ouvertement contestées, apparait comme un signe d’arrogance et de fermeture. Le « nouveau » gouvernement placé sous tutelle, ne mènera rien d’autre qu’une politique anti populaire d’adaptation aux intérêts des classes dominantes et de gestion de l’impact de la crise du capitalisme, sans rien faire de « neuf ». Le temps des reformes octroyées est clos. Sans que le pouvoir ait été en mesure de réajuster ses formes de domination, ni d’opérer des reformes d’en haut, qui apparaitraient comme une ouverture réelle. La façade démocratique, paravent légal de la dictature, peut maquiller la scène politique, elle ne change pas ses règles et ses acteurs. Dans ces conditions, l’exposition de la monarchie va s’accroitre. L’émergence de mots d’ordre tel que « Makhzen dégage », ou dans certains secteurs « le peuple veut la chute du régime », témoigne de cette évolution.

Par ailleurs, le climat social représente l’autre talon d’Achille. Certaines manifestations comme à TAZA, avec une référence directe à la famille régnante, témoignent à leur tour que la question de l’emploi et du chômage, dans les conditions concrètes du Maroc et plus particulièrement dans cette conjoncture, agissent comme le vecteur de l’antagonisme social et de la contradiction centrale avec les tenants du pouvoir. Mais plus largement, le front social, au-delà de la dispersion des mobilisations, connait un processus singulier d’extension des domaines de la lutte. Fait nouveau, la conscience collective que les richesses produites sont accaparées par une minorité au lieu d’assurer l’emploi et des conditions de vie dignes, pénètrent les secteurs sociaux en résistance. L’approfondissement des contradictions sociales cristallise un ras le bol général qui peut alimenter une contestation démocratique radicale. Non, la Maroc n’échappera pas indéfiniment à la vague révolutionnaire même si l’on ne peut prédire les rythmes et les mouvements, qui lui donneront une impulsion concrète. Mais en cette matière, la capacité du régime à s’accorder un sursis dépend aussi des dynamiques portées par les oppositions.

Les visages de la contestation

Les éléments de force du mouvement actuel sont connus : une capacité créative du mouvement 20 février à dialoguer avec le peuple sur la base de ses aspirations sociales et démocratiques, la politisation de secteurs importants des nouvelles générations qui compteront à l’avenir, la compréhension partagée de la nécessité d’un rapport de force s’appuyant sur des mobilisations populaires, une capacité à unir plutôt qu’à diviser, une intelligence tactique par rapport aux manœuvres du régime, visant à discréditer son combat et à dénaturer ses revendications. Mais malgré tous ces points de force, qui permettent au mouvement d’être plus large, que les organisations qui le soutiennent, et de durer, il y a incontestablement des limites profondes, où se combinent, à la fois des éléments objectifs et des éléments qui relèvent des « tactiques et « stratégies » mises en œuvre. Et qui se traduit concrètement dans la difficulté à gagner de nouveaux secteurs sociaux à la lutte, à redéfinir une stratégie politique adaptée à la conjoncture post-électorale, à franchir un pas qualitatif dans l’inversion des rapports de force. Le M20F est né dans un contexte local qui pèse sur ses propres conditions de lutte. Comprendre ce passé récent permet de situer les contraintes qui pèsent sur le mouvement.

Le passif des défaites et de la fragmentation

Durant la décennie précédente, le mouvement des diplômés chômeurs, les coordinations contre la vie chère, les luttes étudiantes, les révoltes populaires qui ont agité nombre de petites et moyennes villes dont sidi Ifni a été l’emblème, l’émergence de grèves très dures dans un certain nombre de secteurs, témoignent alors d’une poussée de l’activité revendicative et d’un potentiel large des luttes les plus diverses. Mais en même temps, il s’agissait pour l’essentiel, de luttes défensives et catégorielles. Ce réveil social n’a pas tissé « d’histoire commune » entre les différentes forces / acteurs engagés dans la résistance populaire. Il n’y a pas eu une accumulation d’expériences significatives de lutte porteuses de victoires partielles, capables de faire référence, ni un processus d’émergence de nouveaux mouvements de masses et syndicaux, capables d’inaugurer un nouveau cycle de mobilisation contre le despotisme et le néolibéralisme. A part des exceptions très locales, il n’y a pas eu d’expérience même partielle de front social de lutte, d’unité d’action ouvrière-populaire, de dynamique inter professionnelle. Dit autrement, avant l’éclosion du M20F, il n’existe pas de courants sociaux et populaires relativement stabilisés, qui revendiquent à la fois la nécessité de combiner les revendications sociales et démocratiques, et la nécessité d’une lutte globale pour obtenir leur satisfaction, ou qui ont pu, articuler leurs revendications spécifiques à des revendications plus larges, capables d’associer d’autres secteurs populaires. Pour illustrer notre propos, on peut s’appuyer sur trois exemples :

Le mouvement des diplômés chômeurs, mouvement de jeunesse radicalisé, combatif, lié à des courants de la gauche radicale, a occupé depuis les années 90 à de nombreuses reprises, le devant de la scène sociale et politique. La plupart de ses militants n’ignorent pas qu’il n’y a pas de solutions réelles à la question de l’emploi, sans remise en cause des structures politiques et économiques existantes, et que le chômage ne concerne pas seulement les diplômés. Menant des luttes pour arracher le maximum de postes, luttant contre la répression, ce mouvement a porté un souffle précieux et démontré une grande capacité d’action sur la durée. Mais il n’a pas su, ni réellement cherché un pont avec le M20F, au-delà de l’implication individuelle de certains de ses membres ou à des niveaux locaux. Prédominance d’une logique corporatiste même politisée ? Défiance idéologique face à un mouvement qui apparait insuffisamment ou pas révolutionnaire ? Défiance politique face à un mouvement qui ne prend pas suffisamment en compte l’urgence sociale au-delà de ses slogans généraux ? On peut le penser mais la raison fondamentale est ailleurs : l’absence durant ces deux décennies d’expériences significatives et accumulées avec d’autres secteurs sociaux et d’une large politique d’unité d’action, ce qui laisse d’ailleurs un espace tant aux logiques corporatistes, qu’aux défiances idéologiques préconçues.

Le mouvement étudiant : Durant ces dernières années, la gauche basiste et radicale a su retrouver une influence relativement importante après une longue domination des courants islamistes. Et mené des luttes importantes mobilisant une large base sur le plan local. Mais là aussi, pas de synergie réelle avec le M20F et d’une manière générale, il n’y a pas de mobilisation dans les facultés que ce soit sous formes de cortèges spécifiques, de grève et d’occupation, irriguant le Mouvement d’une force supplémentaire et d’un nouveau front de lutte. La vielle thèse selon laquelle « chaque lutte populaire doit trouver son écho dans l’université » ne rencontre pas de traduction, à l’exception de deux ou trois villes et même là, sans articulation avec les batailles nécessaires à mener dans l’enceinte universitaire. D’un point de vue général, la jeunesse scolarisée, lycéenne et étudiante, n’occupe pas son propre terrain.

Le mouvement syndical : divisé et bureaucratisé, ligoté par les politiques de dialogue social, le mouvement syndical n’a pas connu de réalignements internes, ni de combats majeurs pour la formation d’une opposition sociale et démocratique structurée, capable de cristalliser, au moins dans certaines régions et certains secteurs, des syndicats de masses et unitaires. Ni des équipes militantes liées par des pratiques communes, coordonnées sur un terrain interprofessionnel, capables de porter une orientation de confrontation politique et sociale et de convergences de lutte. Nous sommes pas dans une configuration marquée par un mouvement ascendant des luttes ouvrières indépendantes des structures officielles ( Egypte ), ni dans une situation où comme en Tunisie, la gauche syndicale a pu impulser des mouvements de grèves générales régionales, s’insérant dans le soutien populaire et la contestation directe du pouvoir , l’organisant en partie, malgré et contre la bureaucratie. Car là aussi rien ne se crée spontanément à la simple faveur de l’action ou d’un climat général ou par un simple volontarisme, peu présent par ailleurs, si ne se sont pas constitués pendant une période antérieure, les bases sociales, les pratiques militantes, les éléments d’orientations, les structures d’organisation et les expériences concrètes, permettant à des secteurs de s’engager au moment voulu.

Le M20F n’a pas de relais et d’appui pour promouvoir un processus réel de convergence des luttes. Il porte seul la contestation globale. Dans un contexte, où le mouvement populaire ne connait pas de processus de massification rapide, n’est pas portée par une explosion sociale généralisée, ce sont les carences antérieures, tout ce qui n’a pas été accumulé comme pratiques de lutte, les faiblesses structurelles des organisations militantes, qui rejaillissent comme un obstacle objectif à l’approfondissement de la lutte. D’une manière plus large, la dynamique actuelle révèle la faiblesse non seulement de l’enracinement des organisations de luttes, de ce que certains appellent « les instruments de défense organiques des masses populaires », mais aussi l’absence d’articulation entre front social et front démocratique. C’est sur cette différenciation entre le temps social et le temps politique que le pouvoir puise ses forces et notre camp sa faiblesse. La dialectique des luttes reste inégale, fragmentée sans qu’existe les éléments d’appui à leur combinaison. Elle renvoie certes à des éléments objectifs partiellement abordés mais aussi au poids des traditions et faiblesses de la gauche démocratique et radicale et à un autre niveau celle de l’opposition islamiste, c’est-à-dire des principaux courants organisés de la contestation.

La gauche : Contestation du pouvoir ou pression sur le pouvoir ?

La gauche de la monarchie parlementaire :

Connaissant un long déclin politique, électoral, organisationnel durant la dernière décennie, la gauche démocratique a retrouvé un espace politique partiel, en réalité virtuel, dans le cadre des mobilisations actuelles. Traduisant le réformisme de secteurs de classes moyennes et de la petite bourgeoisie intellectuelle, son horizon politique se confond avec une stratégie de pression sur le pouvoir pour le démocratiser, et surfe sur deux éléments propres au M20F : l’illusion présente dans certains secteurs qu’il est possible de faire tomber le makhzen sans nécessairement faire tomber la monarchie, quitte à exiger d’elle des reformes substantielles , l’illusion qu’il est possible sur la base de manifestations de masses répétées, de faire céder la monarchie sans que surgisse une crise politique ouverte. Cette gauche-là est organiquement hostile à des revendications démocratiques élémentaires comme l’assemblée constituante, n’envisage pas, même comme perspective lointaine, d’exiger la chute du régime et n’a en réalité, aucune stratégie d’accumulation des forces du camp social et démocratique. Son soutien au M20F se confond avec le fait que celui ne dépasse pas les lignes rouges de la reforme sans confrontation directe avec le pouvoir personnel absolu. La faiblesse politique principale de ce courant qui poursuit l’objectif illusoire d’une monarchie au service du peuple, est qu’elle occulte deux éléments :

Le makhzen n’est rien d’autre que la forme concrète de l’appareil d’Etat et du système d’allégeances qui structure la place spécifique de la monarchie comme pouvoir absolu, ce qui lui donne le monopole matériel de sa suprématie sur le terrain politique, social, économique et sécuritaire et assure sa reproduction. Dissocier la monarchie du makhzen revient à démembrer le corps en sauvegardant la tête. Ce n’est possible ni en chirurgie, ni en politique. Le deuxième élément tient à l’incompréhension que la monarchie n’est pas qu’une forme de régime politique marquée par le déséquilibre des pouvoirs mais le garant d’un système de domination global et la cristallisation d’intérêts sociaux spécifiques. Qui ne sont pas seulement d’une maffia corrompue, d’affairistes, de voleurs contrôlables par un gouvernement honnêtement élu, un parlement représentatif et une justice indépendante, mais d’une alliance nationale et internationale de classe, de jonction entre des forces sociales qui tiennent les rênes de l’accumulation, de la propriété et dont la logique de profit repose structurellement sur la surexploitation et la dépossession. Le palais est la tête, le cœur, le poumon et le bras armé de ce système.

Mamfakinch ?

La monarchie parlementaire revendiquée, en réalité est très différente des cas espagnols ou anglais, apparaitrait aussi comme le débouché politique logique d’une particularité du M20F : son pacifisme assumé et revendiqué. Ce dernier, qui en réalité vise d’abord à rendre possible l’activité d’un mouvement de masse et la participation de secteurs populaires, évitant le piège d’une confrontation inégale dans un processus long de construction des rapports de force, devient synonyme du refus d’avancer des revendications politiques et des formes de luttes, qui impliqueraient en retour le risque d’une répression de masse. La monarchie parlementaire serait l’option la moins couteuse pour obtenir « la démocratie » et l’option logique d’un mouvement pacifiste de masse. Elle occulte cependant la nécessité d’un affrontement social et politique face à un Etat qui lui ne reculera devant rien pour se maintenir. Le pacifisme n’est en rien une garantie contre un tournant répressif généralisé. Cette gauche cherche à reproduire le schéma historique de la lutte pour l’indépendance : l’alliance du mouvement national et de la monarchie contre le protectorat dont le seul résultat est le néo colonialisme, l’intégration du premier et sa soumission à un pouvoir devenu absolu. Là, il s’agirait de l’alliance pour des reformes entre les forces progressistes et la monarchie, contre le makhzen. Farce ou tragédie ?

En réalité, les partisans de la monarchie parlementaire envisagent à terme une issue institutionnelle à la contestation et n’ont pas rompu avec une stratégie visant à reformer de l’intérieur le pouvoir. Souhaitant un compromis historique et pacifique avec le pouvoir réel, leur orientation s’attelle à la défense d’une « démocratisation politique » progressive en faisant l’économie d’une lutte de masse assumant une conflictualité ouverte avec le pouvoir central. Cette orientation est en décalage à la fois avec le pouvoir lui-même qui a clos l’agenda des « réformes » mais aussi avec les aspirations d’une démocratie réelle, non despotique, que porte le mouvement.

Les gauches radicales : entre reforme et révolution ?

La « Voie Démocratique » : Les années de reflux des années 80 et 90, la crise de la perspective révolutionnaire, la dégradation des rapports de forces mondiaux, la violence des années de plomb ont pesé sur les courants révolutionnaires des années 70 et qui se sont confrontés à des taches de reconstruction organisationnelle et politique, après avoir été durablement réprimés. C’est le cas pour l’essentiel des militants issus de la tradition marxiste-léniniste et d’Ilal Amam en particulier qui ont fondé la « Voie démocratique » dans les années 90. L’éloignement de la perspective révolutionnaire a recentré l’horizon politique sur la conquête de l’Etat de droit et d’un espace politique de lutte, avec une nette perdition des débats/réflexions sur les questions stratégiques de la prise du pouvoir. La lutte démocratique devenait le maillon central de la lutte politique mais dans le sens d’abord d’arracher les acquis sociaux et démocratiques, de reconstruire le rapport de force et de rendre possible à terme, l’isolement de la maffia makhzenienne, condition d’une rupture avec les institutions du pouvoir absolu. La période défensive nécessite un long travail d’enracinement dans les organisations de masse et les luttes populaires et une stratégie d’alliance avec les forces sociales et politiques, opposées objectivement aux intérêts des classes dominantes. Il s’agit de constituer un « bloc démocratique radical » capable d’être le débouché politique de la « contradiction principale » entre les « classes compradores » et les classes populaires. Dans ce processus, la constitution démocratique devient le mot d’ordre politique central de la période.

Constitution démocratique et lutte de masse

L’axe principal est l’exigence de la constitution démocratique réalisée par une instance indépendante ou une assemblée constituante, avec en réalité très peu d’éléments sur le projet de société alternatif défendu et encore moins, une articulation avec la bataille en réalité, très politique, d’une autre répartition des richesses. La façade démocratique analysée uniquement comme du théâtre et un vernis à la dictature, un moyen de capturer et intégrer les oppositions historiques, n’a pas fait l’objet d’une analyse plus approfondie. Il y a eu une sous-estimation du fait que les formes d’ouverture politique, contrôlées mais réels, ont à la fois consolidé une base sociale et politique d’appui au régime, mais aussi rendu plus difficile, la perception que la revendication de la constitution démocratique pouvait être le support d’un changement politique et social. En réalité, l’exigence de la constitution démocratique n’est pas le creuset de la confrontation politique ou le mot d’ordre central qui peut traduire la volonté politique des masses d’imposer un autre régime. Non pas qu’elle soit une revendication secondaire ou inappropriée, mais ce n’est pas sous cette forme revendicative, que les larges masses perçoivent la possibilité et la nécessité politique d’un changement de leur vie et conditions concrètes d’existence. Elle ne porte pas, par elle-même, la prise de conscience, que si les masses veulent voir leur revendications générales satisfaites et d’une manière durable, elles devront s’emparer du pouvoir et en finir avec l’actuel. Du moins à une échelle autrement plus significative que la fraction mobilisée aujourd’hui. L’histoire des réformes constitutionnelles, nombreuses depuis l’indépendance, contribue aussi à ce que l’exigence de la constitution démocratique apparaisse comme résolument une affaire des élites, des partis, du pouvoir et non pas la voie royale de l’autodétermination politique du peuple. Liés aux aspects institutionnels et du type de régime politique, elle n’apparait pas comme une réponse à l’urgence sociale. Déconnecté d’une bataille centrale pour une autre répartition des richesses et sur le plan politique de l’exigence d’un gouvernement populaire indépendant du makhzen, elle ne peut être perçue comme un débouché politique logique des résistances populaires, nombreuses aujourd’hui, qui naissent du terrain social. ». Les masses ne se politisent, pour la grande majorité, qu’à partir de leurs propres expériences de luttes. C’est la construction d’un mouvement de masse qui s’affronte globalement au pouvoir qui permettra une politisation massive et accélérée et son point de départ ne sera pas nécessairement l’exigence d’une constitution démocratique .Et si demain il y a un processus populaire de radicalisation politique, le seul mot d’ordre qui s’exprimera est celui de l’exigence de la chute du régime.

La lutte politique : une affaire de partis ?

Cette orientation est aussi marquée par une conception restrictive de la lutte politique vue comme lutte concernant exclusivement les partis. Certes ; une alternative politique ne nait pas automatiquement des contradictions sociales et des mobilisations immédiates sur le terrain social et syndical. Une construction spécifique qui permette de dépasser l’horizon limité des luttes immédiates, et un projet politique qui ne reflète pas seulement une addition des résistances partielles, est nécessaire. Mais dans cette approche, la lutte syndicale est réduite à un terrain de lutte économique, tout comme les luttes sociales à la défense de revendications partielles et ne sont pas des terrains potentiels d’affirmation de la contradiction fondamentale. Là ou peut se jouer la possibilité de prises de consciences de l’impossibilité d’une satisfaction durable et réelle des revendications élémentaires dans le cadre du système existant. Et partant de la construction d’organisation de masses/front de lutte qui peut avoir une dimension politique explicite. Non pas que « la lutte des masses organisées et conscientes » (du seul fait du parti ?) ne soit pas considéré comme le facteur décisif du changement, mais dans le sens où les mouvements de masse ne peuvent avoir de portée globale.

La perception que le mouvement social au sens large, peut potentiellement et à certaines conditions, devenir un mouvement politique, c’est à dire lier ses revendications propres à une contestation plus générale du pouvoir, ne pas s’inscrire uniquement dans une démarche défensive et catégorielle, est singulièrement absente. La gauche radicale a en réalité, reproduit dans sa pratique même, la dissociation imposée par le système entre le champ social et le terrain politique. Dans une sorte de division très mécanique des taches et des fonctions. Au mouvement social et syndical la contestation quotidienne, les revendications immédiates, la résistance et aux partis la formulation de l’alternative, des alliances, la lutte contre le pouvoir, la mise en avant de revendications politiques. Le terrain politique pourtant commence lorsque les secteurs populaires s’affrontent à partir de leurs luttes et aspirations immédiates à la politique globale du pouvoir.

L’exemple des coordinations contre la vie chère est significatif. Un mouvement de masse commençait à émerger sur la question des factures de prix , d’électricité et plus largement du coût de la vie, posant d’emblée la question plus générale du pouvoir d’achat, des salaires et de la répartition des richesses, du contrôle des politiques économiques, c’est-à-dire des questions qui touchent directement la structure matérielle de la domination. Et qui pose concrètement dans l’espace public, la question de savoir « qui décide et qui contrôle », la majorité de la gauche radicale, n’y a vu qu’un nouveau front de lutte de défense des consommateurs et un nouveau terrain de dénonciation des politiques anti populaires et de la privatisation. Cette incompréhension radicale qu’à partir des questions économiques et sociales et de la structure générale de la répartition des richesses, peuvent se déployer des contestations de masses qui prennent un caractère politique, a un effet majeur. Une sous-estimation de la question des convergences des luttes, de l’unité d’action ouvrière-populaire, de l’auto organisation à la base, des liens revendicatifs nécessaires entre les aspirations immédiates et l’exigence d’une lutte globale, c’est-à-dire des politiques nécessaires à la construction d’un mouvement de masse capable de prendre une dimension nationale, d’agglomérer des secteurs populaires divers et de se confronter centralement aux politiques du pouvoir.

Il n’y a pas dans cette approche, sur le terrain concret de l’activité, la recherche de médiations entre les luttes partielles, de trait d’union entre les processus de luttes, de mutualisation des revendications. La centralisation/coordination des luttes comme vecteur de la construction d’un rapport de force politique et national est évacué au profit d’une simple stratégie d’additions de luttes défensives que rien ne vient lier. Tout comme la construction d’un débouché politique par le haut apparait comme le préalable et la condition d’une maturation politique des résistances populaires. Là aussi, si l’on reste à l’exemple de coordinations de la vie chère, l’accent a été mis sur la recherche d’accords entre fractions politiques bien plus que sur l’organisation à la base des habitants des quartiers populaires, quitte au final que cette expérience soit sabordé par ceux-là même qui sont supposés en être les forces motrices. Cette approche ne conçoit la politisation de masse que sous la forme de la lutte dirigée par les partis, ce qui écarte toute perspective de complémentarité dialectique entre le terrain des mobilisations de masse et le combat politique. Elle relativise la centralité de la question sociale comme moteur fondamental d’une lutte démocratique de masse et non pas comme un simple support de la confrontation politique. Dans cette approche, celle-ci ne se pose que lorsqu’est abordée la question de la constitution démocratique et que se réalise un bloc démocratique, et non pas lorsque le mouvement de masse, sur la base de ses aspirations propres, s’empare par ses propres moyens et l’action directe, du terrain politique. Le M20F a apporté un démenti cinglant à cette approche rejetant les cadres politiques existants en réalité dans une situation défensive, les contraignait à s’ériger comme simple force de soutien, tout en cherchant dans le cadre du comité national d’appui et des alliances affichées , à peser sur les dynamiques existantes.

Un pas en avant, deux pas en arrière ?

Au-delà de l’épisode éphémère de tentative d’une alliance de la gauche radicale, la « Voie démocratique » a dessiné dès sa naissance officielle, l’axe ou le centre de gravité de ses alliances, avec des hauts et des bas, avec des courants politiques de la gauche non gouvernementale, « réformiste ». Loin d’être seulement le catalyseur d’un front d’action sur la base de revendications concrètes, il s’agit de façonner un bloc politique capable d’incarner une alternative démocratique face au pouvoir makhzenien, sans faire la démonstration que ce type d’alliances peut effectivement modifier la situation. Cette approche surestime la force de ces courants qui ne sont pas liés organiquement aux classes populaires et sous-estime les entraves à leur radicalisation potentielle, au-delà de prises de positions conjoncturelles de leur part. Elle reflète en réalité une difficulté singulière : l’impossibilité d’imaginer « le nouveau » dans une période historique où les générations qui entrent dans les luttes sociales et politiques ne se retrouvent pas dans les oppositions institutionnelles, ni même dans les schémas classique d’avant-garde. Le M20F n’est-il pas d’ailleurs à sa manière une réaction face à l’impuissance de partis, y compris progressistes, incapables depuis des décennies, de changer un tant soit peu la donne ? Et qui depuis longtemps avait déserté la rue ? Ou qui dans les mobilisations n’ont pu imposer des victoires partielles ?. La conception dominante du bloc démocratique radical est conçue comme une addition de courants hétéroclites de la gauche, nés dans un autre contexte historique ; une « alliance d’en haut » au lieu d’être un processus de refondation d’un mouvement populaire, y compris dans sa dimension politique, à partir du mouvement réel qui conteste l’ordre établi. Cet impensé renvoie t’il aux limites d’une génération politique ? À l’effet cumulatif d’une longue période de défaites qui rend difficile une conception différente de la lutte politique ?.

Cet héritage pèse aujourd’hui dans la manière de concevoir les batailles nécessaires pour assurer des jonctions avec la lutte démocratique populaire mais aussi plus largement pour se positionner dans le mouvement. La contradiction à ce niveau est double : il s’agit d’entrainer dans la lutte et d’organiser des secteurs populaires, les forces principales de la lutte, qui ne se retrouvent pas dans les organisations de masses , alors que n’a pas été résolu la matrice des revendications qui peut unifier les contestations, des outils de lutte et des formes d’organisation nécessaires à ce niveau, et plus particulièrement, la question de l’auto activité ou l’auto organisation, qui fait partie des « impensés » de cette tradition. Mais aussi d’entrainer, les organisations de masse ou certains de leurs secteurs, dans un contexte où cette gauche radicale n’a pas d’ancrage politique spécifique, indépendant des concessions faites par la bureaucratie et de son bon vouloir, ni construit en leur sein, les points d’appui à une orientation « lutte de classe », radicale, qui ne se limite pas à la défense partielle de revendications immédiates et catégorielles. Pendant longtemps, la pratique dans les organisations de masses, notamment syndicales, a reproduit une politique « trade unioniste » (ce que ne fait même pas la bureaucratie) et de guerres de position dans l’appareil , déterminés par des accords au sommet, entre fractions politiques. Cette tactique, sur la base des rapports de forces existants, exclue toute médiation vers des luttes ouvrières indépendantes unitaires et ne cherche pas à nourrir des dynamiques interprofessionnelles. Elle épouse le fractionnement des luttes et des organisations et les reproduit dans des cadres, qui excluent toute initiative indépendante de la base. Le versant politique de cette contradiction, à un niveau plus général, est la construction d’alliances avec des courants politiques qui sont structurellement opposés à l’émergence de mouvements de masse autonomes et d’une dynamique de grève générale qui implique un blocage effectif de l’économie.

« Direction ferme des luttes » ?

Dans un contexte où la lutte prend un caractère plus offensif, la « Voie démocratique » n’arrive pas à sortir des tactiques et réflexes issus d’une longue période défensive, ni des limites de son propre héritage politique. La référence commune à une orientation et appartenance politique, radicale dans ses énoncés, n’a pas permis d’être en réalité le contre feux et le lieu d’un réajustement politique des pratiques existantes, car cette orientation est-elle même limitée, par l’absence de stratégie claire de construction d’un rapport de force dans une perspective révolutionnaire. Elle théorise l’impossibilité de devenir le référent politique global, ou même partiel, du processus aux côtés des autres courants radicaux. Fruit d’une longue existence minoritaire ? . Elle exclue la construction d’un mouvement populaire sur des bases de classes, dissociant la révolution politique de la révolution sociale. L’enjeu est pour elle de « préparer l’avenir », d’abord en s’appuyant sur le mouvement actuel pour arracher la démocratie, de rendre possible la rupture avec le régime ou du moins des conquêtes démocratiques significatives, permettant d’aborder dans de meilleures conditions, cette tâche. Ce réalisme apparent confond certains éléments de la situation concrète et les politiques nécessaires à une rupture démocratique.

Un changement réel ou même des conquêtes significatives nécessitera un haut niveau de confrontation sociale et politique impliquant une dialectique entre mobilisation de masse et grèves reconductibles, une combinaison des formes de luttes vertébrés par des exigences communes, une insurrection sociale et démocratique. Et au cœur du mouvement réel, un processus de réorganisation des outils de lutte impliquant et associant, à l’intérieur et l’extérieur des organisations de masse, des milliers de nouveaux révolutionnaires insérés dans leurs milieux respectifs. Cette perspective implique un horizon et des tactiques politiques qui ne se réduisent pas à une simple addition des luttes partielles, à la recherche de l’unité politique avec des forces qui font plus partie du problème que de la solution, ou au « soutien » du mouvement. A supposer même que dans le cadre des rapports de force actuel, le « réalisme politique » impliquerait d’abord d’affaiblir l’adversaire et d’élargir des brèches démocratiques, la question de la conquête de l’autonomie politique des exploités et opprimés sur la base d’accumulations d’expériences de luttes de masses indépendantes n’est-elle pas l’élément essentiel qui permettrait d’imposer et élargir ces brèches ? et de préparer dans les meilleures conditions la lutte pour une rupture plus profonde ?.

Autres visages radicaux

Les autres courants qui se réclament d’une perspective révolutionnaire sont également en difficulté. Les courants basistes principalement présents dans la jeunesse, sont en partie désarmés dans la situation actuelle. Incapable de surmonter leurs divisions, cherchant d’abord à cultiver leurs spécificité, leur radicalisme d’action ne répond pas pour autant aux questions clefs de l’accumulation des forces : comment gagner de larges secteurs populaires non pas sur une base idéologique, mais à travers l’action ? Comment combiner les alliances nécessaires et la construction d’une indépendance politique, sur des bases de classes, du mouvement ? Quelles formes d’action, de lutte et d’organisation du mouvement populaire permettaient d’élever le niveau de confrontation et de permettre dans les meilleures conditions, l’affrontement nécessaire ? Quel programme revendicatif permettrait de sceller une large coalition populaire ? A ces questions qui nécessitent une réponse de toute la gauche radicale, en termes d’élaboration ouverte, le courant basiste n’apporte pas plus de réponses satisfaisantes que la voie démocratique. Mais on ne peut nier la radicalité portée et son refus d’imposer des barrières artificielles au mouvement de masse. Ni sa capacité à se lier à la contestation en tenant compte de sa complexité.

Les courants issus du trotskysme sont confrontés à la faiblesse de leur surface sociale et aux limites de leur implantation géographique et de leurs moyens d’intervention. A cette limite objective se combine une limite politique : l’indétermination relative de leur projet politique au-delà des taches générales de propagande et/ou d’un activisme de terrain. La question non explicitée, de la nature du parti à construire ( parti se référant à un héritage historique , parti de l’unité des révolutionnaires, parti large tourné vers la refondation d’un mouvement populaire et ouvrière indépendant, parti de l’unité de la gauche radicale.. ), l’absence de programme d’action articulant le mouvement réel et les taches stratégiques, la question non résolue des rapports entre « mouvements sociaux », mouvement démocratique », « mouvement ouvrier » dans la perspective de construction d’un bloc social et politique antagoniste, sont des éléments de faiblesses. Qui ne leur sont pas spécifiques, mais pèsent d’une manière plus particulière sur les groupes qui n’ont pas stabilisé leur réalité politique et organisationnelle, à plus forte raison dans un contexte où le processus révolutionnaire dans le monde arabe et l’émergence d’un mouvement de contestation de type radicalement nouveau soulève des questions tactiques complexes. Face à cette difficulté, le risque est soit de s’enfermer dans une politique de repli visant à préserver les acquis et à chercher des substituts aux limites du M20F, soit au nom du soutien au mouvement, de relativiser les clivages politiques et programmatiques. « L’appel à toute la gauche » initié par le groupe Almounadila dénote de cette pression de la situation et de la difficulté à définir une voie indépendante. L’alliance souhaitée allant des basistes aux réformistes, au nom d’un intérêt commun au changement, outre qu’il ne définit pas sur quelle base et autour de quelles taches, cette unité aussi large peut se faire, tend seulement à décaler la bataille nécessaire à la clarification des voies et des moyens de la construction d’un mouvement révolutionnaire de masse. Et partant de là, la nécessité spécifique de travailler à un regroupement indépendant des courants qui prônent une rupture véritable. A sa manière, cela relève aussi la difficulté de parler aux nouvelles générations et de rester arrimé à l’ancien.

Une radicalité sans ailes ?

La gauche radicale dans sa diversité navigue entre un réalisme tactique qui peine à définir des « lignes stratégiques » et un activisme de lutte qui saute sur les médiations nécessaires pour stabiliser des courants réels de radicalisation, capable de polariser et d’entrainer de larges secteurs populaires. Elle navigue entre la volonté de peser sur les courants issus de la crise du vieux mouvement démocratique et national et un « mouvementisme « avec une base limitée. Il y a en réalité trois lignes de fracture : la ligne de recomposition avec les partis/organisations issus de la crise du vieux mouvement national-démocratique, la ligne de l’autonomie basiste du mouvement social et démocratique de contestation, la ligne de la convergence unitaire basé sur une complémentarité et non pas une hiérarchie des luttes sociales et démocratiques. Aucune de ces orientations n’arrivent toutefois à faire émerger une stratégie cohérente. Au-delà des différences d’orientations, il y a en réalité quatre écueils :

 L’absence d’une compréhension stratégique des ressorts d’une confrontation sociale et politique généralisée : l’articulation dynamique entre la grève générale entendue non pas comme une journée d’action mais comme mouvement des salariés visant à bloquer l’économie et d’un mouvement de masse, non institutionnel, capable d’occuper l’espace publique. La discussion peut être ouverte sur comment atteindre ces objectifs mais encore faut-il qu’ils soient partagés comme perspectives concrètes.

 L’absence d’une vision commune de l’importance spécifique d’un regroupement indépendant des forces de la gauche radicale pour faire émerger un pôle démocratique révolutionnaire et anticapitaliste dans la contestation actuelle, délimité des partisans de la monarchie parlementaires et des stratégies de simple « pression « sur le pouvoir.

 L’absence, sur le terrain concret de la pratique de lutte, d’une vision convergente sur l’auto organisation démocratique du mouvement comme condition de son enracinement et élargissement.

 L’absence d’expériences communes de confrontations politiques visant à délimiter les divergences et à explorer les zones de convergences. Dans les conditions actuelles, l’investissement de la gauche radicale n’est pas de nature à dénouer les problèmes/ difficultés auquel est confronté le mouvement, ni de peser d’une manière significative pour transformer les rapports de forces.

L’opposition islamiste :

Nombre de polémiques ont eu lieu ces derniers mois sur le sens de la participation des islamistes et la nature des relations à établir avec eux. Certains considéraient que « Justice et Bienfaisance » ( Al ADL) n’est pas un bloc homogène avec lequel il était possible d’établir des collaborations, sur la base du respect de la plateforme du mouvement. La dynamique même de la lutte permettrait de peser sur les contradictions qui lui sont propres, voire de gagner une partie de sa base à un projet d’émancipation démocratique. Sa présence était une condition pour affirmer l’unité populaire et le caractère de masse des mobilisations face au makhzen. D’autres ou les mêmes, tout en qualifiant de réactionnaire son projet de société, n’excluait pas sa transformation en parti « démocratique » islamiste à la manière du PJD turc, d’autant plus que le nouveau discours public de cette mouvance était tourné vers la défense de l’état civil. Ces mêmes coutants étaient persuadés qu’Al Adl irait jusqu’au bout de la lutte, compte tenu de sa critique radicale du système du makhzen et du statut du commandeur des croyants et de sa position traditionnelle, visant à refuser toute légitimité politique aux institutions en place. D’autres critiquaient ce point de vue à partir d’une analyse de classe de la nature de sa direction et de son programme réel mais ne pensait pas nécessairement qu’Al Adl arrêterait, à cette phase, sa participation.

Comment analyser le retrait d’Al Adl ? Laissons de côté les fanfaronnades d’une certaine gauche qui explique le retrait en raison de sa résistance et celle du camp laïque mettant en échec ses tentatives d’hégémonie, les raisons essentielles sont ailleurs. Al ADL était confronté dans la conjoncture politique ouverte par la nomination d’un gouvernement « dirigé » par un autre parti islamiste, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, à une série de contradictions : son positionnement était décalé au niveau international, tant l’administration américaine que ses principaux financeurs soutiennent le processus gouvernemental, la mettant en porte à faux. Par ailleurs, Al Adl ne souhaite pas apparaitre tactiquement comme un des responsables de l’échec ( prévisible) du gouvernement actuel, son objectif à ce niveau, est plutôt de gagner la base sociale du PJD, voire certaines de ses composantes à son propre projet, tout en ouvrant l’espace politique à un dialogue officieux lui assurant une éventuelle transformation comme parti politique légal, doté d’une vitrine publique, ce qui est une vielle revendication de ce mouvement. Troisième élément, Al Adl fait l’analyse que le M20F n’est pas en capacité de transformer radicalement les rapports de force en raison même de la faiblesse et l’hétérogénéité des forces organisées qui y interviennent, ni d’être le point d’appui à la construction d’un mouvement politico-religieux de masse. Ce retrait pragmatique est peut être aussi liée à l’analyse que la conjoncture postélectorale va être marquée par un mouvement ascendant de la répression dans les termes d’une confrontation inégale. Sans doute, on peut attribuer ce virage à un conservatisme d’organisation, à l’analyse que la situation ne se prête pas à un dénouement rapide et que l’enjeu est d ‘accumuler les forces dans les bases sociales que n’arrivent pas à agglomérer le M20F, en s’appuyant sur une plus grande visibilité politique et médiatique acquise durant ces derniers mois. Il serait dans tous les cas hasardeux de considérer ce recul comme un retrait stratégique. Il ne pose pas moins les capacités de la gauche à assumer une situation où elle occupe de fait, seule, le champ de contestation politique dans le M20F.

Retours sur le M20F :

Le mouvement est en réalité dans une phase difficile et connait un reflux relatif, même si il continue, avec un vrai ancrage dans certaines villes. Si il a pu faire pression sur le pouvoir, il n’a pu imposer des reformes ou un changement, ni promouvoir des formes de luttes qui construisent le rapport de force. IL n’a pu s’articuler avec les luttes sociales et populaires qui traversent le royaume et élargir sa base sociale et il connait une crise larvée faute de perspectives. Simple inflexion aggravé par le retrait de Al Adl ou début d’un reflux prolongé ?. En réalité, les racines de sa faiblesse sont dans sa constitution même. Mouvement horizontal et constitué comme une addition de mouvements locaux sans structure hiérarchique et porte-parole, il a reproduit les éléments de force de ce type d’organisation, à savoir un mouvement qui n’est pas structuré d’en haut et permettant à des secteurs non organisés, de s’engager et contribuer en même temps, à un pluralisme de fait des acteurs. La base d’adhésion individuelle au mouvement et ses actions a contribué à ce que les forces organisées se positionnent comme force de soutien, tout comme leur diversité est un frein partiel au risque d’hégémonie. Mais en même temps ce type de structuration a impliqué aussi des faiblesses réelles.

L’absence de coordination nationale propre au mouvement n’a pas permis d’élaboration collective, « centrale » des initiatives nécessaires à l’expression/construction nationale du rapport de force, au-delà des journées d’actions répétitives et décentralisées. Notamment lorsque le mouvement a connu un pic comme le 22 avril et d’une manière générale, pour aborder collectivement toutes les questions posées au mouvement et peser sur les rythmes de mobilisations (et la nature des actions à promouvoir).

L’extériorité des organisations sociales, politiques et de masses du mouvement , ou de cadres collectifs d’expression a rendu difficile d’aborder la question concrète des convergences, au-delà du soutien au M20F par ces mêmes organisations, mais aussi la reconnaissance du Mouvement , comme un espace inclusif, social et politique, lieu où peuvent s’articuler des revendications spécifiques et des revendications générales.

Mouvement horizontal, mais aussi faiblement auto organisé : dans la grande majorité des villes, il n’y a pas d’espace spécifique d’élaboration et de décision réappropriés par les militants et manifestants. Et quand elles existent, les assemblée générales sont en général « techniques », faiblement porteuse d’une dynamique démocratique de politisation et où les militants organisés sont sur représentés.

Conçu comme un mouvement unitaire sur la base d’une plateforme forte mais minimale, avec le souci légitime de ne pas diviser les forces sur des enjeux qui brouillent la contradiction principale avec le makhzen, cette unité/plateforme bloque paradoxalement la maturation offensive du mouvement en rendant secondaire ( tabou ? ) la clarification sur les objectifs et les moyens de construction d’un rapport de force global. Elle laisse en suspens la question du pouvoir et plus particulièrement le lien entre les revendications démocratiques et la place de la monarchie, sur laquelle n’existe pas de consensus, tout comme sur les formes de luttes et de convergences qui permettrait de densifier le mouvement de masse et ses formes de contestation. Tant cette approche de l’unité, que le type de structuration existante, ont rendu difficile l’émergence d’un débat maitrisé collectivement, pluraliste et ouvert sur les taches du mouvement et en son sein.

Construit de fait comme un mouvement de pression et d’agitation populaire sur une problématique démocratique général, leM20F ne s’est pas (encore ?) élaboré comme mouvement organisant d’en bas, la confrontation centrale avec le pouvoir. Ses formes d’agitations et slogans traduisent aussi des aspirations sociales mais il ne joue pas le rôle de passerelle entre les différentes résistances et n’arrive pas à traduire, en force collective, les revendications concrètes que porte le climat social général.

Dans les conditions actuelles, le M20F n’apparait comme le creuset de l’alliance populaire, le sujet antagoniste du bloc dominant doté d’une légitimité supérieure mais comme un ferment et un révélateur des contradictions sociales et politiques et des tâches qui restent à résoudre pour que surgisse pleinement le printemps de la révolution marocaine. Est-il une prémisse d’un mouvement populaire plus large amené à se construire à moyen terme, avec une autre physionomie sociale et politique ? saura t’il dépasser ses limites et contradictions internes dans les conditions d’aujourd’hui ?. On ne peut répondre d’une manière catégorique à ces questions. Mais jusqu’ici, Il ne semble pas avoir les ressorts internes pour être le catalyseur d’une lutte démocratique et révolutionnaire de masse, capable de souder le peuple dans une volonté commune. Il ne résorbe pas comme facteur agissant, l’asymétrie ou discordance entre les temps sociaux et les temps politiques, et n’apparait pas au-delà de l’écho et la sympathie qu’il peut susciter, comme le référent logique des aspirations sociales de la grande majorité.

Il est toutefois intéressant de noter que la proposition de la coordination de rabat d’une manifestation nationale centralisée dans la capitale articulée à un appel à la grève nationale, suscite des réactions diverses. Cette proposition traduit bien la prise de conscience des limites des formes d’action déployées à ce jour, mais se heurte à l’absence d’une structure nationale propre au mouvement et n’est pas issue d’un débat à la base et d’une maturation collective. Les voies de sa réappropriation sont incertaines. Elle sous-estime l’absence de condition d’une grève en raison même de l’absence de synergie entre le M20F et le mouvement syndical et au sein de ce dernier l’absence d’équipes et secteurs capable de s‘emparer de cette proposition. Elle relève les manques inscrits dans la situation générale. Ce qu’il convient précisément de dépasser.

Des défis présents

Les dangers auquel se confronte l’avenir à relativement court terme du mouvement peuvent se décliner à différents niveaux. Un risque de radicalisation politique faisant éclater ses contradictions internes et sans qu’existe une dynamique ascendante du mouvement de masse. Un risque inverse visant à sacraliser le consensus et les formes normalisées de contestation hebdomadaires/mensuelles sans qu’émergent de nouvelles dynamiques revendicatives et de luttes, porteuses d’une confrontation de masse. Un risque que se cristallise sur la durée des formes de délégation de pouvoir où le centre réel de décision soit porté par les forces organisées, ne serait-ce que parce que le mouvement n’arrive pas à se doter d’une structuration nationale propre. Ce point mérite une attention particulière.

La contribution D’amine Abdelhamid, membre du comité de suivi du conseil national d’appui au M20F et figure importante de la gauche radicale, sur les questions d’organisation est révélatrice des limites d’une génération et orientation politique. Le développement du mouvement est selon lui conditionné par sa structuration sectorielle (comité 20f étudiant, 20f chômeurs, 20f syndicalistes, 20f femmes, 20f quartiers populaires…), sa dotation d’une direction nationale et d’une coordination étroite avec le comité national d’appui, en réalité le comité de suivi de ce dernier. En apparence, cette proposition apparait de bon sens, ne faut-il pas que le mouvement s’organise auprès des secteurs sociaux qu’il faut gagner et maintenir dans la lutte ? Arriver à mieux coordonner les forces qui soutiennent ? Mieux organiser leur soutien ?. Mais, en réalité, elle prend le problème à l’envers. La difficulté du mouvement est d’abord de nature politique plus qu’organisationnelle. Il y a une indétermination de la stratégie de lutte et des modalités de construction de rapport de force qui ne peuvent se limiter à voir comment étendre géographiquement le mouvement et assurer une large participation un jour de manifestation.

L’entrée de nouveaux secteurs en lutte ne dépend pas de telle ou telle forme d’organisation, dans le sens le plus étroit, quasi administratif et technique, de recettes organisationnelles, mais de la part faite à la question sociale, de la manière dont celle-ci émerge comme revendication politique, bien au-delà des aspects constitutionnels et démocratiques de la lutte. Là est en réalité le nœud du problème. La structuration proposée ne résout en rien la question des convergences des luttes, balayées au détour de deux phrases. Et ne résout pas les blocages qui existent à l’extérieur du M20F, dans les organisations politiques, de masse et syndicales. Imagine-t-on un seul instant qu’il suffit d’organiser les syndicalistes du 20 février alors que n’est pas définie une stratégie syndicale pour rendre possible, ce qui ne l’est pas à ce jour, à savoir l’entrée en lutte de secteurs de travailleurs dans un processus de lutte interprofessionnelle ?. Dans cette approche, l’organisation est tout, la stratégie n’est rien ou plutôt se réduit à une somme de tactiques. L’organisation précède et conditionne la lutte. On organise et puis on voit comment encore mieux et plus organiser. Elle projette sur le mouvement populaire des schémas dirigistes, formellement démocratiques, qui sont celles des vieilles organisations hiérarchiques où pullulent les vieux routiers professionnels de l’action politique et associative.

Elle révèle une incompréhension abyssale de l’aspiration à l’autonomie des nouvelles générations, de la défiance de la verticalité, souvent pour de bonnes raisons. Une telle approche reviendrait à mettre aux poste de commandes non pas ceux qui luttent mais les directions des organisations dont on sait qu’elles ne sont pas en capacité de libérer « l’énergie révolutionnaire des masses », quand elles ne sont pas encore largement extérieures à elles. Il est d’ailleurs significatif qu’Amin rejette la proposition de la coordination de rabat, appelant à l’occasion de l’anniversaire du mouvement à une action centralisée dans la capitale suivi d’un appel à une grève nationale, sur la base d’un constat objectif ( capacité du makhzen à avorter une montée nationale, difficultés matérielles, extériorité du mouvement syndical à cet appel…) mais sans dire si cela est prématuré ou complètement hors de propos et sans définir les formes de luttes qui permettraient de cristalliser un rapport de force.

Préparer l’avenir

Est-ce dire que le mouvement n’a pas besoin de s’organiser ?. Assurément que si. Localement et nationalement. A la fois par des assemblées générales souveraines, structurées par des commissions d’action diverses et par une coordination démocratique porté par des délégués élus, de la base et révocable. Tout en préservant une autonomie locale. L’enjeu est d’abord de construire des comités populaires d’action coordonnés qui visent d’une part à associer majoritairement, les éléments non organisés, dans une activité pratique d’organisation de la contestation, mais aussi à tisser des liens avec tous les secteurs en résistance, sur le plan local. L’enjeu est aussi d’avoir un cadre national d’intervention réellement lié aux structures de bases, dont la fonction est de proposer des campagnes de masse, sur les questions sociales et démocratiques et de contribuer à ce que le mouvement avance sur la question des convergences, tant sur le plan local que national. Plus qu’un schéma d’organisation bâtie sur des modèles classiques, il faut des formes d’organisations souples adaptées aux situations locales mais avec une colonne vertébrale commune dont le ciment est des campagnes concrètes autour des besoins les plus urgents des classes populaires. Mettre au cœur de la lutte politique, la question de l’abolition du chômage et des licenciements, des salaires et revenus de misères, du droit à un logement digne, à une santé gratuite, à une formation de qualité, non pas comme slogans mais déclinés en revendications concrètes et coordination avec les luttes concrètes qui se déploient sur ce terrain. Donner un contenu politique à ces aspirations immédiates en luttant ouvertement pour un pouvoir, contrôle et gouvernement populaire (et pas seulement une constitution démocratique) permettrait de situer le mouvement dans une perspective différente.

L’objectif est à terme de bloquer le pays, c’est cette perspective, ce fil à plomb qu’il faut populariser et préparer. Sans doute dans les conditions actuelles, il est difficile d’envisager une « place Tahrir » à Rabat et une grève générale. Sans doute, même un mouvement de blocage, compte tenu de la physionomie du mouvement, aurait un caractère national sans que cela soit nécessairement centralisé au début. Sans doute, ce moment ne se décrète pas non plus. Sans doute, il y a aura pendant longtemps une absence du mouvement ouvrier et une désynchronisation des mobilisations. Mais la lutte politique n’est pas une simple question d’arithmétique des forces et d’actions linéaires. La prise d’initiatives qui fait bousculer la partie d’échec est nécessaire, sans viser à ce qu’elle soit minoritaire et isolé. Nul ne peut prédire les voies concrètes d’une telle possibilité si ce n’est qu’il faut travailler à ce qu’elle devienne réalité. En travaillant dès maintenant aux convergences et l’unité d’action ouvrière-populaire et à l’auto organisation démocratique du mouvement. En discutant collectivement d’une nouvelle plateforme, en continuité avec la première, mais qui s’ouvre pleinement sur la dimension sociale de la confrontation politique.

SANS CONCLURE…

Le mouvement a beaucoup apporté. Quel que soit les résultats de la lutte, il y aura un avant et un après. Mais un résultat, en faveur de notre camp, dépend en bonne partie, de ce qui se passe aussi à l’extérieur du M20F. Car on ne peut demander à ce dernier de lever tous les blocages qui limitent les possibilités d’extension et de généralisation de la lutte. Il ne peut être un substitut aux batailles spécifiques à mener dans les organisations de masses et notamment syndicales, quitte à se confronter, à d’autres pouvoirs absolus. Ni même à prendre en charge les luttes sociales qui se développent. Il ne peut être à la fois le centre et la périphérie. Il ne peut non plus élaborer par lui-même, par sa simple expérience, sa détermination, le volontarisme de sa jeunesse, ses journées d’action, les lignes stratégiques d’un renversement révolutionnaire du pouvoir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ?. Non ?. Il ouvre une voie, des possibilités, réveille un potentiel enfouie et c’est déjà beaucoup. Mais il n’y a pas de raccourcis même quand le vent de l’histoire s’accélère. On ne pourra faire l’économie de la construction d’un front social qui scelle dans une volonté commune les résistances populaires, leur donne une assise à leur élargissement. Front social, espace d’articulation, d’unité d’action, où le ras le bol populaires, les luttes particulières s’organisent, les mouvements sociaux se rencontrent, s’épaulent et apprennent à parler un langage commun. Où le peuple d’en bas apprend à reconnaitre les siens, ses alliés. Et le peuple du M20F en est une des forces essentielles. On ne peut faire non plus l’économie d’une nouvelle gauche radicale, radicalement révolutionnaire, qui rassemble le meilleur de celle qui existe et qui ne renonce pas à la défense jusqu’au bout des intérêts des exploités et opprimés, autant que le pouvoir est prêt à aller jusqu’au bout dans la défense de siens. Pour qui, la politique est armer les masses du désir de s’affronter, de trouver les voies de l’offensive en lui tenant un langage de vérité, puisque parait-il seul celle-ci est révolutionnaire. Loin donc des chemins balisés où l’on se croit plus ruser que l’adversaire, où les objectifs se limitent à des slogans et des tactiques, à des manœuvres qui sont comme des coups d’épée dans l’eau. En espérant que le régime fera l’erreur fatale. En espérant que les compagnons d’hier recyclés dans les eaux troubles de l’alchimie parlementaire éviteront de plier, nous laissant dans une solitude prolongé. Oubliant que depuis bien longtemps, le peuple lutte seul, sans autorisation de personne. Alors peut-être, l’espoir sera plus qu’un espoir.

par Chawqui Lotfi

Source : http://www.cetri.be