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Maroc : LIBERTE, DIGNITE ET JUSTICE SOCIALE

D 8 avril 2011     H 05:20     A Chawqui Lotfi     C 1 messages


Un régime politique plus solide

Le 20 février ont eu lieu des mobilisations réellement populaires. La part importante des femmes et des jeunes est à noter. Mais ces mobilisations qui ont réuni des centaines de milliers de personnes à travers le pays n’ont concerné qu’une fraction des classes populaires. Si le souffle de la révolution arabe atteint le Maroc, les rythmes de la lutte sont marqués par le contexte particulier de la situation locale : sur le plan politique, l’existence des marges de contestations tolérées a permis de servir partiellement de « soupape de sécurité ». La façade démocratique cache en partie les responsabilités directes du pouvoir et c’est d’ailleurs sa fonction. Pendant longtemps le « nouveau » règne a laissé entrevoir des possibilités de reformes, d’ouverture et donner l’illusion d’une rupture par rapport au passé. L’alignement des partis d’opposition historiques, devenus de stricts partis gouvernementaux (et de leurs relais dans le mouvement syndical et la société civile) a donné une assise politique à la continuité du règne. A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, les logiques de cooptation politique et électorale ont renouvelé et élargi les mécanismes d’allégeance et font que le rapport de domination ne repose pas seulement sur l’existence d’un appareil répressif dévoué.

Contrairement aux autres dictatures, le pouvoir ne cherche pas à faire le vide politique mais à utiliser les acteurs organisés, à tous les niveaux, pour avoir une base politique d’appui plus large que sa base sociale directe. Par ailleurs, le règne de Mohammed 6, n’apparait pas comme une fin de règne traduisant l’usure d’un pouvoir exercé depuis trop longtemps et qui, confronté à un problème de succession, relève la lassitude de la société devant l’absence de changement. D’une certaine manière le modèle marocain représenté un banc d’essai des pseudos « transitions démocratiques » qui permette de concilier continuité autoritaire, ouverture politique maitrisé, adaptation au capitalisme libéral. Le degré de délégitimation s’il touche les institutions, les partis, les élections, n’affecte pas de la même manière et au même degré la monarchie.

L’économie locale tournée vers l’exportation est touchée de plein fouet mais la rente phosphatiére, les aides européennes permettent au besoin des concessions partielles si s’exerce une pression sociale très forte. Par ailleurs, il y a des éléments partiellement spécifiques qui ont joué dans le déclenchement de la crise et révolte populaire en Tunisie et Egypte : en Tunisie, le « miracle économique » s’est traduit par une marginalisation brutale de l’intérieur du pays, un développement inégal exacerbé qui a soulevé les couches populaires de l’intérieur d’une manière relativement homogène. Au Maroc, la marginalisation n’aboutit pas à la cristallisation de maillons faibles, de concentration des contradictions de même ampleur, même si existe une tendance similaire. Les différentes révoltes populaires sont restées localisés. La contradiction entre le poids social des diplômés chômeurs, le niveau de qualification et de formation, et les possibilités d’emploi est plus important en Tunisie alors qu’au Maroc, le pouvoir a su non seulement diviser le mouvement des diplômés chômeurs mais aussi combiner concessions et répressions et l’enfermer partiellement dans une logique corporatiste. En Egypte, la dérégulation des prix et d’effondrement brutal du pouvoir d’achat dans des concentrations urbaines comme le Caire a atteint des seuils où l’économie informelle de survie ne jouait plus le rôle même partiel, de garantie d’un minimum vital. Même si on note une tendance similaire au Maroc, l’effet reste relativement contenue sur certains produits de base. Par ailleurs, la monarchie apparait comme « paternaliste » par ses œuvres et ses fondations. Les opérations en direction des pauvres jouent comme une forme de légitimation sociale qui marche pour un temps et pour certains secteurs mais qui marchent quand même...

Le palais a aussi laissé des espaces d’accumulation aux généraux, à d’autres familles capitalistes, il a pu également stabiliser aussi des classes moyennes supérieures. Au-delà des conflits d’intérêts, l’empire économique de la monarchie, tentaculaire s’appuie aussi sur de concessions aux autres corps des classes possédantes, qui lui permet de maintenir une « unité au sommet » même si depuis plusieurs années, monte une contestation contre la corruption, « l’économie de rente » et le « makhzen économique. »

Contrairement aux autres régimes, le palais a une connaissance très réaliste et très concrète de la société d’en bas. il n’ y a pas de problèmes de coordination entre les services répressifs dont le commandement centralisé est « rodé » et l’appareil sécuritaire fait face depuis plusieurs années déjà à des manifestations populaires qui ont un caractère d’affrontement, mêlant initiatives politiques, technique d’isolement et de récupération, répression sélective et directe. Les possibilités de dissociations internes sont faibles en raison même des connections entre services et des formes de leur commandement sans compter l’unité d’intérêts sur le plan politique et économique des sommets de l’armée, de l’appareil répressif, de la bureaucratie d’Etat et du palais. L’hypothèse d’une « neutralité de l’armée » ou du basculement d’une partie de l’appareil gouvernemental aux cotés de la contestation est peu crédible.
Ces différences sont relatives. Nous sommes dans une phase d’accélération/ renforcement des contradictions qui sont plus importantes que les capacités des classes dominantes à les gérer et maîtriser. C’est vrai aussi au Maroc où les réserves du pouvoir, en termes de marges de manœuvre, sont limitées et le deviendront plus, dans les temps à venir.

Pour trois raisons principales : Les crises qui agitent aujourd’hui le monde arabe ne sont pas extérieures à la crise du capitalisme mondial, qui loin de finir, accélère le rythme général des contradictions internes. Les soulèvements populaires en cours modifient en profondeur la perception des masses sur la légitimité des pouvoirs en place et sur la possibilité de les contester. L’existence d’un ras le bol généralisé au sein des couches populaires est réelle et les facteurs qui peuvent servir de détonateur sont potentiellement présents dans la situation générale. Les indices d’un tel processus existent depuis plusieurs années. Il y a, depuis plusieurs années, une accumulation des forces et d’expériences de luttes qui traduisent une plus grande détermination, une volonté de lutte, une conscience des droits qui font leur chemin souterrain dans toute la société. Sidi Ifni est la sœur jumelle de Gafsa.

Par ailleurs, il existe des organisations militantes qui ont émergé ou se sont consolidés ces deux dernières décennies : l’association des diplômés chômeurs, le renforcement de la gauche radicale dans le mouvement étudiant malgré sa crise, les coordinations contre la vie chère, l’association marocaine des droits humains, des associations de luttes en direction des sans droits et sans logis, Attac, des sections syndicales au niveau local ou en terme de fédérations plus combatives, sans parler sur le plan politique d’une gauche radicale, avec ses milliers de militants et sympathisants, qui existe et a pu s’imposer sur le terrain politique et des luttes concrètes. Cependant cette corrélation des forces diverses et pour certaines implantées ne doit pas occulter des différences importantes : si la contestation actuelle est relayée dans tout le pays, il n’ y a pas l’équivalent de l’UGTT au Maroc, c’est-à-dire un syndicat qui a conservé des bases de masses significatives et dont les fédérations locales et régionales liées à l’opposition de gauche ont joué un rôle moteur dans l’extension et la généralisation du mouvement populaire, y compris contre la bureaucratie. Il n’y a pas, comme en Egypte, cette vague de grève ouvrière, y compris dans des secteurs stratégiques, dont la renaissance a commencé des années auparavant, et qui deux jours avant la chute de Moubarak, a avancé le mot d’ordre de grève générale. Et d’une manière plus générale, il n y a pas l’équivalent de mouvements sociaux et syndicaux qui peuvent jouer le rôle de colonne vertébrale de la mobilisation à partir des aspirations sociales et démocratiques de la grande majorité. C’est dans ce contexte général qu’il faut apprécier la naissance du mouvement du 20 février.

Réveil de la lutte et offensive du pouvoir

Il est incontestable que les manifestations appelées par le mouvement du 20 février représentent un tournant dans la situation. Pour la première fois depuis des décennies, des manifestations réellement populaires ont porté centralement sur des revendications politiques : l’exigence d’une constitution démocratique, la démission du gouvernement , la dissolution du parlement et des institutions de la façade démocratique, la fin de la corruption, l’abolition de la monarchie exécutive, celle qui règne et gouverne à la fois, la fin de l’économie de rente et des liens entre pouvoir politique et pouvoir économique, le jugement des corrompus et des spoliateurs, l’aspiration à la justice sociale, aux droits égaux pour tous, à une répartition égalitaire des richesses. Ce mouvement est porté par une nouvelle génération de la jeunesse mais aussi par des secteurs populaires. Sans être une lame de fond permettant d’instaurer un rapport de force global, les mobilisations traduisent un réveil social et démocratique durable qui peut aboutir à une confrontation généralisée. C’est en prévision de cette possibilité, que le pouvoir réprime et manœuvre, cherchant à étouffer la contestation ou à la maintenir dans un cadre raisonnable.

Le pouvoir a réagi de plusieurs manières :

 Il a dans un premier temps multiplié les concessions sociales : réintégration des travailleurs de SMESi qui luttait depuis plus d’un an, procédure d’embauche de diplômés chômeurs, revalorisation de la caisse de compensation des prix, recul face à certaines mobilisations. Il a également toléré la première vague de manifestations après avoir chercher à discréditer par tous les moyens, les initiateurs de l’appel issue des réseaux sociaux de facebook, (les qualifiant de traitres, d’agents de l’étranger, du Polisario, de chrétiens, de proxénètes et prostitués et affirmant dans les médias qu’ils avaient annulé la manifestation). Mais dés le lendemain, une vague répressive ininterrompue s’est abattue sur le pays entrainant des centaines de blessés et d’arrestations, des morts.
 Sur le plan politique, le pouvoir a cherché par la suite à reprendre l’initiative. Dans un premier temps, lors du premier discours, il a fermé la porte aux exigences démocratiques portées par la contestation populaire, reprenant le leitmotiv selon laquelle la monarchie est déjà engagée dans une transition démocratique. Le maintien de la mobilisation l’a contraint dans un deuxième discours, le 9 Mars, à ouvrir le chantier de reformes constitutionnelles. Il apparait très clairement qu’il s’agira de concessions formelles qui ne remettent pas en cause le monopole politique du trône. Il s’agit en réalité d’une manœuvre visant deux objectifs : diviser le mouvement de contestation en neutralisant les partis et les mouvements qui limitent leur horizon politique à un simple processus de démocratisation formelle, exclure la politisation de la question sociale et économique. Pour autant l’initiative de la monarchie d’adopter des « reformes constitutionnelles », validée par un referendum, est un défi pour le mouvement.

Dans la première phase du mouvement, la tonalité majoritaire des revendications politiques était ambivalente : l’exigence d’un changement de régime politique mais où on appelle le roi à reconnaitre le pouvoir du peuple et la nécessité d’un rééquilibrage des pouvoirs. La monarchie doit régner mais non pas gouverner. Cette revendication n’est pas fausse sur le plan tactique : dire de la monarchie qu’elle doit seulement régner, c’est en réalité la rendre symbolique et abolir son pouvoir réel sans poser de clivage immédiat au sein de la contestation. La phase actuelle appelle cependant à plus de clarté sur l’objectif d’une constitution démocratique. Il s’avère en réalité que la monarchie ne peut que gouverner ou être abolie. Les « propositions » de la monarchie sont entrain de faire la démonstration qu’elle ne peut s’auto reformer même sous la pression populaire.

L’exigence d’une constitution démocratique issue d’une assemblée populaire souveraine, indépendante du makhzen, de son administration, de ses conseillers et partis, portée par un gouvernement démocratique- populaire de transition lié aux mobilisations, est la seule réponse conséquente et cohérente aux manœuvres politiques du pouvoir. Il est vrai qu’aucune mobilisation, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte n’a commencé directement par l’exigence du départ du dictateur. Il a fallu deux facteurs supplémentaires : le développement d’un mouvement de masse suffisamment confiant dans sa force collective et l’attitude de fermeture politique et ultra répressive qui a radicalisé l’exigence démocratique. C’est pour cette raison que la monarchie hésite sur l’attitude à adopter et sait que des réponses uniquement sécuritaires risquent de faire d’elle plus directement la cible de la contestation. Elle cherche à organiser une vaste coalition autour de son discours du 9 mars en adoptant les même méthodes que ses adversaires : utilisation d’internet, contre manifestations, appel à l’unité national patriotique, occupation du terrain idéologique, mobilisation de tous ses réseaux tout en faisant usage de la peur et de la répression. Le pouvoir en proposant des « reformes cosmétiques » ou sans garanties aucune selon les points de vue, n’a pas réussi à démobiliser le noyau dur du mouvement et de la grande majorité de ses alliés. De ce point de vue, la journée du 20 mars est un test de grandeur nature de l’état de la dynamique après le discours royal.

Cette journée a montré qu’un processus réel de contestation populaire s’est installé. Les cortèges étaient plus nombreux, jeunes et populaires notamment dans les grandes villes, plus structurés et porteurs d’une diversité de revendications sociales et politiques très visibles. La tonalité largement combative montre aussi une détermination à continuer. Si le pouvoir a laissé faire, c’est qu’il ne peut crédibiliser la pilule de la reforme constitutionnelle et de dialogue nationale par une offensive répressive. La répression quelques jours auparavant à Casablanca devant le local du PSU qui s’apprêtait à publier un communiqué positif sur le discours royal à l’issue de la réunion de sa direction national a eu pour seul effet de refroidir les tenants du compromis. Par contre, tout le monde a pu observer l’entrée en scène dans la manifestation des islamistes du PJD, parti gouvernemental qui s’est ouvertement opposé au M20F, ainsi que des ténors de la gauche monarchiste. Il s’agit par ce biais de poser les bases d’une maitrise politique du mouvement en cherchant à multiplier les acteurs qui y participent dans l’optique de dévoyer ses revendications. Il n’est pas sur que cela marche tant la dynamique enclenchée est profonde et que les relais politique de la monarchie n’ont aucune crédibilité dans le mouvement. En même temps, force est de constater que les manifestations du 20 mars ne traduisent pas encore un franchissement qualitatif en terme de rapport de force.

S’il s’avère, dans les temps à venir, que la contestation n’arrive pas à passer un cran supérieur, le pouvoir combinera guerre d’usure et répression, sans chercher nécessairement un affrontement centrale et généralisé. Cette attitude lui vaudra le soutien déjà acquis de l’impérialisme. Et en même temps, il ne peut tolérer indéfiniment des manifestations et des actions de masses qui peuvent forger sur la durée les conditions sociales et politiques d’une accumulation des forces. La répression peut aboutir à une radicalisation du mouvement et de ses revendications mais elle peut aussi l’isoler des forces populaires qui restent à gagner pour un changement radical et affaiblir ses capacités d’action. On est en réalité dans un « entre deux » : la contestation s’organise, s’enracine progressivement, a une base populaire, repose maintenant sur un large réseau d’activistes, mais reste encore dans l’incapacité à promouvoir un affrontement global. Le pouvoir à son tour fait preuve d’une grande inquiétude, ne sait pas comment étouffer la mobilisation mais garde la maitrise de l’espace politique et sécuritaire.

Enjeux et défis du mouvement populaire

L’erreur serait dans cette situation nouvelle de réfléchir et d’agir avec des reflexes politiques nés à une autre phase de la lutte où les possibilités de transformer les luttes défensives en contre offensive étaient faibles. L’erreur inverse serait de surestimer les forces actuelles de la mobilisation et de sous estimer l’adversaire. Le mouvement populaire doit affiner à la fois ses réponses démocratiques pour en finir avec l’absolutisme mais aussi développer des formes de mobilisations populaires qui donnent une base de masse continue à la contestation pour qu’elle puisse passer à une phase supérieure.

Nous sommes confrontés à plusieurs difficultés :

 La question de l’élargissement de la mobilisation : 300000 manifestants représentent moins de 2% de la population. Ce n’est pas tant une question de nombre, le mouvement actuel peut jouer un rôle de catalyseur mais c’est une bataille qui n’est pas gagnée d’avance. La question est plutôt de voir par quels moyens peut s’élargir et s’enraciner la mobilisation. Nombre de secteurs populaires sont attentistes, attendent de voir l’évolution des événements. La peur de la répression et des années de plomb jouent certainement. Et le régime joue parfaitement cette corde. Mais ce n’est pas la seule raison : les niveaux différenciés de la conscience populaire sont inévitables à cette phase du processus. Ce n’est pas l’ensemble de la population, ses majorités populaires, qui voient dans la démocratie la possibilité de gagner sa liberté et de changer sa condition sociale. La logique de survie quotidienne tout comme l’idéologie dominante n’est pas abolie d’un coup. Elever le niveau de conscience générale de la lutte et la participation populaire doit être un objectif du mouvement du 20 février et des forces progressistes qui y sont engagés.

Elles ne peuvent le faire qu’à trois conditions :

a) Apporter un soutien réel aux luttes concrètes et immédiates des masses populaires et des travailleurs qui sont entrain de connaitre un essor, travailler en somme à l’articulation entre les luttes revendicatives dispersées et la lutte démocratique. Ce soutien implique un rapport qualitativement différent du mouvement syndical et des mouvements sociaux au mouvement du 20 février. Il ne s’agit pas (seulement) « d’exiger » des directions bureaucratiques qu’elles apportent un soutien (verbal et symbolique) au mouvement du 20 février, mais d’intégrer dans la lutte démocratique des secteurs des travailleurs. En faisant des mobilisations démocratiques en cours le levier pour reprendre l’offensive sur le terrain social, pour mettre en avant les revendications urgentes et immédiates des exploités. Certes, on trouve dans les slogans, les communiqués, les revendications portées, l’ébauche d’une telle articulation mais elle ne peut devenir une force matérielle que si s’impliquent les équipes syndicales et les bases ouvrières dans la lutte démocratique en lui donnant un contenu social. La rencontre du mouvement social et démocratique portée par la jeunesse populaire et de parties significatives du mouvement syndical sera un élément décisif dans la construction du rapport de force et de l’élargissement de la mobilisation. Il faut voir le mouvement de la jeunesse populaire comme partie intégrante du mouvement ouvrier au sens large et concevoir le mouvement syndical réel, au-delà de ses directions conciliatrices, et contre elles, comme partie intégrante du mouvement démocratique général. C’est y compris la possibilité de cette rencontre qui fera pression sur les sommets bureaucratiques et qui ouvrira un espace aux courants combatifs. Or une des grandes faiblesses de la contestation actuelle est l’inertie générale du mouvement syndical, à l’exception de quelques fédérations et sections qui se comptent sur le bout des doigts. Le pouvoir a parfaitement saisi le risque d’une convergence en convoquant les directions syndicales, leur rappelant leur rôle dans le maintien de la stabilité sociale et les risques d’une multiplication de luttes revendicatives qui, dans le contexte actuel, alimenterait objectivement la contestation actuelle. La répression violente contre la population minière le 14 mars de Khouribga est significative et témoigne de la peur de l’entrée en lutte des travailleurs, à plus forte raison dans des secteurs stratégiques qui touchent la rente du pouvoir, et cela sans une action de solidarité, ni même un communiqué des directions syndicales.. Sans compter que celle ci ont approuvé pour une bonne partie la ligne générale du discours royal. la bataille sur les salaires, les conditions de travail, la titularisation des précaires, l’arrêt des licenciements, l’élargissement de la protection sociale, la satisfaction des droits sociaux, les libertés syndicale, l’arrêt de la répression, la démission des administrateurs corrompus, la défense des droits et libertés démocratiques donnera une impulsion majeure à la lutte des classes et permettre le développement des revendications sociales et démocratiques à un niveau supérieur de l’ensemble des masses populaires. Si il y a une double leçon des révolutions tunisiennes et égyptiennes à prendre en considération, c’est le fait que la gauche syndicale a passé les lignes rouges des équilibres bureaucratiques d’appareil et contribuer à organiser le mouvement populaire ( tunisie ) et que les travailleurs, avec l’aide des militants ouvriers, ont impulsé à la base des grèves massives en contournant l’appareil bureaucratique en forgeant dans leur mouvement leurs structures indépendantes ( Egypte ). Quelque soit les différences, l’entrée en lutte des travailleurs a été un des éléments déterminants dans l’isolement du pouvoir et la chute du dictateur. Si les medias ont beaucoup insisté sur les manifestations populaires massives, leur fixation à la place tahrir ou la place de la casbah, c’est en réalité la combinaison de l’occupation de la rue par le peuple et le blocage économique en raison des grèves et des manifestations qui a déplacé le centre de gravité des rapports de force et donnait une légitimité sociale et démocratique à la contestation populaire.

b) Ce qui est vrai pour le mouvement syndical est vrai pour les mouvements sociaux. Confronté à des logiques parfois corporatistes et à des divisions ( le mouvement des diplômés chômeurs ) à un enracinement inégal ( attac, comité des sans droits ou pour le logement ), à un affaiblissement ( coordination contre la vie chère ), à des crises qui perdurent ( UNEM ), à des référentiels liés aux luttes pour les droits humains mais non pour la conquête du pouvoir ( amdh ) pour ne prendre que ces exemples, ces mouvements gardent malgré tout une importance décisive car issues et liés à des batailles populaires anciennes ou récentes et continue à disposer d’une légitimité. La question de leur articulation au mouvement du 20 février, au-delà de la participation de leurs militants et parfois de leurs instances, restent à élaborer. L’amdh est sans doute la plus avancée dans cette voie mais l’enjeu majeur reste de gagner plus massivement la jeunesse scolarisé et enchomagée, ses couches non organisées et de renforcer l’expression des aspirations sociales et démocratiques que portent ces mouvements. Il s’agit de renforcer le rôle des courants sociaux militants dans l’extension du mouvement populaire, sans laisser l’espace à des associations/ ong et des forces qui ne représentent pas la dynamique d’en bas.

c) L’autre défi à relever est de dépasser une conception étroite de la lutte démocratique. Si il est juste de donner une importance et visibilité maximale aux revendications démocratiques qui posent la question de la nature du régime politique et de donner ainsi au combat démocratique la dimension d’une réelle lutte politique, il serait faux et dangereux pour l’avenir du mouvement de se cantonner à la lutte pour la définition de l’espace politique du pouvoir et de restreindre le combat au contenu de la légalité/légitimité constitutionnelle. Or si il y a un terrain antagoniste sur lequel le pouvoir n’a pas de marges de manœuvres, c’est bien celui de la question sociale. Accorder « plus » de pouvoir au parlement ou au premier ministre avec de nouvelles couches de peinture sur la façade démocratique est une chose, répondre au droit à la vie digne, à la fin du chômage, à des salaires décents, à la satisfaction des besoins sociaux mêmes les plus élémentaires est une impossibilité absolue pour la dictature. C’est pourquoi le combat démocratique doit lier dans le même mouvement, la lutte contre l’absolutisme à la lutte pour la satisfaction des besoins sociaux, c’est y compris la condition pour que de larges masses fassent le pas dans la lutte politique, en voyant en elle, un moyen de faire aboutir ses revendications les plus urgentes. S’il est vrai qu’en fonction des contextes, l’aspect démocratique peut devenir dominant, polariser la situation ; au Maroc, les rythmes, sans exclure des possibilités d’accélération, seront différents et nécessiteront une accumulation des forces. L’erreur serait de penser que le peuple peut, dans sa majorité porter la revendication de la chute de la dictature à court terme, sans que se multiplient et convergent les mobilisations populaires les plus diverses qui se confrontent centralement à l’obstacle gouvernemental. C’est en réalité le moment politique de l’ouverture de tous les fronts de lutte en cherchant à leur construire une colonne vertébrale et des revendications sociales et démocratiques communes.

 d) Mettre les forces syndicales et du mouvement social au cœur de la contestation, ne signifie pas ignorer la jeunesse du 20 fevrier et qui aujourd’hui est bien plus large que les initiateurs des premiers appels, ni la nécessité de son autonomie et de la possibilité de faire sa propre expérience dans la lutte. Mais la jeunesse qui se bat exprime un combat social plus global ; celui de la dignité, de la justice sociale, de la liberté et de la défense de son avenir et du choix de la société où elle veut vivre. C’est le chômage, la précarité, le manque de droits qui la mette en mouvement. Le fait que le mouvement actuel ne se réclame pas d’une idéologie spécifique ne signifie pas que le combat mené n’a pas de contenu politique ou reste seulement démocratique avec un grand D. La nature des aspirations exprimées tout comme l’expérience concrète de la confrontation sociale et politique avec le pouvoir nourrissent une dynamique de classe et une radicalisation pragmatique qui va au-delà des mots, des slogans, des représentations politiques. Dans un contexte de crise de la perspective socialiste issues des échecs et désastre du siècle dernier, de la faiblesse du mouvement ouvrier et de son autonomie, de l’émergence aussi d’une individualité plus ouverte, moins suiviste, refusant toute confiance a priori dans les structures verticales, le point de départ de la politisation est évidement plus complexe, plus hétérogène. L’essentiel reste que ce soulèvement s’opère contre la dictature et les politiques sociales et économiques liées à la crise du capitalisme et que son caractère est objectivement progressiste. Mais l’autonomie de la jeunesse ne signifie en aucun cas l’inutilité d’un front social de lutte ou que la jeunesse à elle seule peut créer le rapport de force nécessaire.

 e) la question de ce point de vue, non réglée, est à la fois la consolidation du mouvement de la jeunesse et de ses connections avec le mouvement populaire dans un contexte où le pouvoir mène maintenant une guerre ouverte et larvée contre les masses. La dictature veut faire avorter toute possibilité d’accumulation de forces, d’expérience et de convergence de luttes avant une quelconque maturation du mouvement de masse. La seule manière de faire face à sa stratégie dans le cadre d’un rapport de force encore inégal repose sur deux éléments : la naissance et l’extension de comités d’action populaires qui permette aux secteurs populaires et à la jeunesse d’agir et préparer la lutte, au delà des rendez vous militants, avec l’appui des secteurs organisés mais en laissant une large place à l’apprentissage de l’auto organisation. De ce point de vue le cadre de structuration de la mobilisation populaire doit être souple, ouvert, dynamique, s’appuyant directement sur la base et inscrit dans les lieux de proximité de la vie quotidienne, là où vivent et se rassemblent et peuvent agir les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain : les quartiers populaires, les lycées, les universités, les entreprises. Cela implique une vision plus large des modalités de construction de la participation populaire qui aille au delà du cartel des organisations et qui ne peut se réduire aux organisations actuelles. Le processus doit créer ses propres organes de luttes de masse à la base, non par défiance mais comme condition d’entrée dans la lutte de nouvelles couches. Seule un mouvement de masse conséquent est capable de défier l’appareil sécuritaire en opposant sa force collective au delà des succès momentanés de la répression. La deuxième condition tient plutôt de l’intelligence tactique des formes de luttes. Il n’y a ni modèle, ni schémas, ni recettes. Mais le pouvoir a une maitrise securitaire de l’espace public pour une raison simple : la fixation des lieux de rassemblement et de manifestation en un lieu précis qui lui permet de concentrer les forces nécessaires. Dans les formes de protestations adoptées jusqu’ici, on livre toute la possibilité aux forces de répression d’agir à leur guise et à partir de leur propre agenda. C’est cette mécanique qu’il faut briser. Si il y a une expérience des révolutions tunisiennes et égyptiennes, elle tient dans la capacité du mouvement de masse a disperser les forces de répression parce que la contestation était mobile, multiple, volontairement dispersé tout en visant à atteindre un objectif géographique commun, contraignant l’appareil sécuritaire à disperser ses forces. Il ne s’agit pas de fixer des manifestations, déclarés ou non d’ailleurs, à partir de dynamiques minoritaires divisant le mouvement de masse en des cortèges peu nombreux, mais de multiplier les rassemblements/ manifestation de masse. C’est pourquoi une telle possibilité est conditionnée non par des facteurs techniques ou organisationnels mais par le niveau atteint par la mobilisation et cette question rejoint des points précédents : l’ouverture des fronts de lutte sur différentes questions, l’enracinement de comités populaires qui rythment et élargissent dans le quotidien la mobilisation, l’articulation des initiatives centralisées avec l’extension des formes et lieux de mobilisation. Le pouvoir peut réprimer des rassemblements et des manifestations mais il aura plus de mal à emporter des succès si des grèves actives se multiplient, si la contestation part de plusieurs quartiers populaires, si elle se déploie dans les lycées et les universités, si elle s’étend, d’une manière organisé et coordonnée, en plusieurs points de la ville, et à plus forte raison dans tout le pays. C’est à ces conditions que la rue peut être réapproprié par le peuple et non pas le makhzen.

Quel appui au mouvement du 20 février ?

L’ensemble des taches évoquées impliquent une conception de l’unité, des alliances et du cadre de structuration et d’appui au mouvement du 20 février qui va au delà de ce qui existe aujourd’hui. S’il est juste de réunir les conditions d’un large front social et politique impliquant toutes les forces qui veulent un changement et qui participent déjà à la mobilisation, il est erroné par contre :
 de chercher à construire une plateforme politique commune même minimale entre toutes les composantes. L’accord sur les revendications portées par le mouvement sont largement suffisantes, non pas pour répondre à l’ensemble des défis et aux enjeux réels, mais pour agir ensemble. Elles constituent déjà ce minimum commun qui permet la mobilisation unitaire. C’est l’extension des mobilisations et la réalité concrète de la confrontation sociale et politique qui permettra au mouvement de masse, s’il devient confiant dans sa force collective et ses capacités d’action, de mettre à l’ordre du jour l’ensemble de ses aspirations. Et elles seront plus radicales.

Par ailleurs, si l’on veut se référer aux exemples tunisiens et égyptiens :

 L’unité d’action démocratique populaire qui a rassemblé des couches et forces sociales et donné sa force au mouvement populaire n’est pas le résultat mécanique de l’unité d’organisation. C’est la force directe du mouvement de masse qui a contraint à l’unité et non pas le contraire.
 l’unité n’a réunie que les forces réellement engagées dans le processus de lutte et l’unité dans l’action n’impliquait pas forcement une coordination politique de tous mais une coexistence des propositions politiques et des modalités d’action en ce centrant sur les actions de masse contre l’adversaire principal.
 l’unité était tournée d’abord et principalement vers la mobilisation, son extension, son enracinement et sa généralisation.
 l’unité n’impliquait pas l’absence d’indépendance des organisations qui ne partagent pas le même projet, ni les mêmes approches de la lutte et pouvait aboutir à des coalitions diverses.
Pour être plus concret, la constitution du front du 14 janvier en Tunisie s’est faite à une étape ultérieure de la lutte, quand le mouvement de masse s’est avéré décisif dans la chute du dictateur et il ne regroupe pas en son sein tous les courants. Ils ne regroupent, ni les islamistes, ni les courants réformistes qui avaient une place dans le décor de la dictature. En Egypte, il n’y a pas de coordination politique mais des coalitions diverses et autonomes qui ont convergé sur des exigences communes imposés là aussi par la force du mouvement populaire. Et au-delà de ces différences, il important, de voir, que l’élément déterminant du processus a été l’irruption du mouvement populaire qui a pris conscience de sa force collective et qui a dépassé largement les prévisions et les capacités d’initiatives des organisations. Quand il n’y a pas cet élément, il n’ ya que du vent. L’Algérie offre l’exemple d’une coalition politique qui se revendique comme opposition démocratique et civile radicale mais qui est incapable de gagner une légitimité d’action et d’être reconnue par les masses populaires, qui elles développent une radicalité sociale et revendicative, bien éloigné des montages à courte vue. Dans tous les cas, il faut prendre acte que de larges secteurs populaires et c’est particulièrement vrai pour les nouvelles générations n’accordent aucun crédit, ni confiance aux appareils politiques et syndicaux, quel qu’ils soient et que leurs formes de politisation et d’action se trouvent opposés aux encadrements d’en haut.

Unité d’organisations et unité du mouvement de masse

La réunion du comité national de soutien au mouvement du 20 février est riche d’enseignements pour les partisans de l’unité à tout prix, en faisant l’impasse sur le contenu et les modalités. La montagne a accouché d’une souris. Car cette réunion n’est pas représentative des dynamiques d’en bas et des secteurs mobilisés, qui rappelons le, ne se retrouvent pas nécessairement dans toutes les forces présentes. C’est le genre de cadre qui privilégie le poids des appareils plutôt que le mouvement de masse. En partie pour des raisons objectives : le mouvement de masse ne s’est pas doté, à cette phase de la lutte, des organes de mobilisation qui lui sont propres mais aussi parce que la gauche marxiste a soit tendance à se confiner dans une attitude basiste , refusant tout cadre organisé nationalement , quitte laisser l’espace à des courants réformistes-conciliateurs, voire aux forces réactionnaires qui craignent l’émergence d’un rapport de force au niveau national, soit au contraire mise sur la possible radicalisation de courants réformistes et bureaucratie syndicale et qui est même prête à donner aujourd’hui une caution de fait aux courants obscurantistes. La limite principale de la gauche radicale (de ses composantes légales) est de penser que la radicalisation politique et sociale, au sens d’entrée en politique de larges secteurs populaires à partir de leurs propres aspirations, est surdéterminée par la recherche d’un accord unitaire entre organisations. Or celle çi ont des projets différents pas seulement sur le plan stratégique mais y compris par rapport aux taches immédiates du mouvement. Ces différences, au moins pour ceux qui étaient présents, on peut les situer de la manière suivante :
 Du coté des directions des forces réformistes autour du PSU et ses alliés : l’enjeu vise à contrôler la dynamique du mouvement de masse en la focalisant sur des exigences de simple reforme constitutionnelle pour imposer une « ouverture politique » du pouvoir sans crise politique majeure. Ces forces, si elles soutiennent la mobilisation, sont radicalement opposées à l’extension populaire du mouvement et à ce qu’il acquiert une dynamique propre. Elles cherchent à reconstruire sur une base plus large, un « bloc démocratique » qui améliore les conditions de participation à un processus démocratique renouvelé. Tout en revendiquant leur accord avec les revendications du mouvement, elles n’en tirent pas des conséquences pratiques. Ainsi, malgré l’exigence centrale de la dissolution du parlement, l’alliance de la gauche démocratique refuse de retirer ses élus, alors qu’une telle décision donnerait un appui politique au mouvement. Elles avaient, par ailleurs, accueilli positivement le dernier discours royal, seule la répression qui s’en est suivie et la décision du mouvement du 20 février de continuer la lutte, la pression d’une partie de leurs bases, les contraignent à se positionner différemment.
 Du coté du courant islamiste : al adl a appris des révolutions tunisiennes et égyptiennes. Là bas, les courants islamistes ont été surpris et absolument pas préparés pour intervenir dans des mobilisations populaires dont le caractère n’était pas religieux mais social et démocratique. Ils ont eu une attitude conciliatrice au-delà des discours contradictoires aussi bien avec la dictature que les gouvernements de la contre révolution qui lui ont succédé. Al Adl a fait le choix de soutenir dés le début le mouvement du 20 février à partir de trois préoccupations tactiques : apparaitre comme une composante naturelle du mouvement démocratique général, donner l’assurance d’une volonté non hégémonique, accompagner les revendications du mouvement à cette phase. Ce positionnement tactique relève d’une vraie intelligence stratégique : ne pas être isolé, construire une légitimité populaire qui va au-delà de sa base de masse actuelle, être en meilleur position pour disputer en cas d’accélération, la direction politique de la lutte actuelle. Ce mouvement n’a pas changé de nature politique et contrairement à la Tunisie et l’Egypte, n’a pas été déstructuré par la répression et il conserve des capacités de mobilisation homogènes et une unité politique qui se fera sentir quand il le décidera.
 Les courants des ong qui, dans leur grande majorité, plaident pour une non politisation du mouvement alors qu’il se bat pour des revendications politiques et qui, loin de contester l’ordre établi, vise à autolimiter la dynamique d’ensemble
 Les courants amazighs dont certains sont ouvertement réactionnaires et chauvins
 Des représentations syndicales qui n’apportent aucun soutien à la mobilisation y compris à partir de leur propre terrain d’intervention
Sans parler de courants politiques, présents au nom de leur organisations de jeunesse et liés aux partis de la gauche gouvernementale

Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’agit pas d’une coalition révolutionnaire, ni même d’une coalition démocratique radicale capable d’être un moteur réel de l’extension de la lutte. Et dans cette espace, la gauche radicale, au moins certaines de ses composantes, est tenue par les exigences de « l’unité ». En réalité, nous avons besoin d’une coordination nationale mais qui ne soit pas un encadrement d’en haut d’appareils qui développent des orientations et des projets contradictoires sous le couvert de l’unité, mais qui soit portée par les secteurs réellement en lutte, y compris sur le plan local, et dans lequel la jeunesse, les organisations de base, les associations militantes, les équipes syndicales combatives, les mouvements sociaux prennent un poids réel. Et dont la tache essentielle est d’articuler la défense des revendications démocratiques immédiates qui donne corps au slogan « le peuple veut le changement » et la nécessité de développer le niveau de mobilisation populaire. L’articulation avec les mouvements politiques implique le respect de l’indépendance des acteurs de lutte et un soutien réel au mouvement de masse. De ce point de vue, la gauche radicale doit être elle-même. Unie pour défendre les aspirations démocratiques et sociales jusqu’au bout et au service de la construction de la mobilisation et défendant sa propre conception du changement radical. Le rapport aux autres courants politiques est celui d’une lutte pour le maintien et la radicalisation, quand les conditions s’y prêteront, des exigences sociales et démocratiques, et celui d’une cohabitation tactique, voire technique, plutôt que coordination, et tourné exclusivement sur la préparation de l’action, sans jamais oublier que l’ennemi de mon ennemi n’est pas nécessairement mon ami. Il ne s’agit pas de diaboliser les islamistes comme le fait le régime pour discréditer le mouvement et justifier la répression mais il ne s’agit pas non plus de les aider à se construire une légitimité politique supérieure. De même l’unité d’action avec des courants réformistes nécessaire ne doit en aucuns cas signifier la construction d’une direction politique commune du mouvement, déclaré ou non. L’enjeu est bien dans ce processus révolutionnaire encore en gestation de préparer les conditions et la mise en mouvement des travailleurs et des opprimés sous leur propre bannière pour qu’ils deviennent la direction réelle de la lutte de tous ceux et celles qui revendiquent le changement.

Chawqui Lotfi