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Procès de Wafae Charaf et Boubker Khamlichi

RAPPORT DE MISSION

D 28 août 2014     H 05:31     A Michèle Decaster     C 0 messages


Tribunal de Tanger 11 août 2014

J’ai été missionnée le 8 août 2014 par Jean-Paul Escoffier, Président de
l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA), pour observer
le procès de Wafae Charaf, (en détention préventive) et Boubker Khamlichi. Le report du procès,
initialement prévu le 4 août, et le temps libéré par les autorités marocaines depuis l’annulation de
mes vacances au Sahara occidental, m’ont permis de réaliser le suivi de cette affaire judiciaire
évoquée sur le site de l’AFASPA le 17 juillet 2014. L’observation de procès devant des tribunaux
marocains n’est pas nouvelle pour notre organisation ; j’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs procès
de militants sahraouis devant les juridictions. En 2002 à El Ayoun, puis Agadir, Casablanca, le dernier
au Tribunal militaire de Rabat en 2013. Jusqu’à présent j’ai eu accès sans problème aux salles
d’audience après avoir dûment présenté mon accréditation lors des audiences comme les autres
observateurs internationaux.

Rappel des faits

Les deux militants sont conjointement inculpés pour « accusations calomnieuse » (art 445 du code
pénal) à propos de la plainte déposée par Wafae Charaf suite à l’arrestation dont elle a été victime,
en infraction des lois en vigueur. L’arrestation arbitraire est devenue une pratique courante de la
police marocaine, tant au Maroc qu’au Sahara occidental1
. Le mois passé un jeune militant du
Mouvement du 20 février, Oussama Housne, a été condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000Dh
d’amende pour « allégation mensongère de torture et de viol ».Son témoignage avait été filmé en
mai dernier et posté sur les réseaux sociaux.

Ce qui est moins courant, c’est qu’une victime marocaine porte plainte.
Je suis donc arrivée à Tanger en début d’après midi le lundi 11 août vers 13h. Le véhicule au bord
duquel je me trouvais a emprunté la rue du Tribunal. Face au bâtiment se tenait une manifestation
pacifique d’une centaine de personnes, rassemblées derrière trois banderoles : l’une du Mouvement
du 20 février, l’autre de l’AMDH et la troisième de la Voie Démocratique. Les manifestants
scandaient des mots d’ordre demandant la libération de Wafae Charaf et brandissaient ses photos.
Un cordon de policiers en tenue leur faisait face sans agressivité. Le chauffeur est allé garer son
véhicule quelques rues plus loin et nous sommes revenus sur les lieux.

Mon arrestation arbitraire

Alors que je me dirigeais vers le tribunal pour présenter mon ordre de mission au Président, j’ai été
coursée par des policiers qui voulaient visiblement m’empêcher d’y aborder. Je me suis alors réfugiée
parmi les manifestants qui ont tenté de me protéger. Les policiers ont alors forcé violemment la
foule pour me saisir brutalement. Certains m’ont poussée dans le dos, d’autres me tiraient par les
bras pour m’emmener vers une petite voiture (taxi ?) où ils m’ont littéralement soulevée et jetée sur
le siège arrière. Un policier s’est assis à ma droite, un autre, très gros, est monté à ma gauche. Ils ont
donné des ordres au conducteur, un homme âgé vêtu d’une gandoura. Il conduit son véhicule à la
Préfecture de police de Tanger. Ils m’ont fait entrer au service des étrangers dans un bureau qui établit les documents administratifs. Un policier m’a demandé mon passeport, je lui ai remis. J’ai
immédiatement demandé à téléphoner à l’Ambassade de France, ignorant qu’il y avait à Tanger un
Consulat Général, je voulais protester d’avoir été arrêtée et traitée comme une criminelle, avant
même que l’ont m’eût demandé de présenter une pièce d’identité.

Puis ils ont tenté à plusieurs reprises de fouiller les poches de mon pantalon où se trouvait mon
téléphone, ce que je refusais, ayant été échaudée à El Ayoun où il avait été mis hors service. J’ai par
contre accepté d’ouvrir mon sac et de présenter les quelques objets qui s’y trouvaient : le cahier
pour prendre des notes au tribunal, un stylo, la pochette de mon appareil photo, mon porte
monnaie. Mon passeport étant déjà entre leurs mains.

J’ai eu affaire à deux types de fonctionnaires de police. Des administratifs qui ne savaient rien des
raisons pour lesquelles j’étais là, ni ce qui m’était arrivé quelques jours plus tôt. Ils étaient chargés de
me garder et de me faire parler de manière informelle. Un inspecteur qui m’interrogeait. Il insistait
pour me demander si je savais que le sit-in était interdit. J’ai répondu que j’avais découvert ce
rassemblement à mon arrivée et que le but de ma présence était d’assister à l’audience. On
m’affirmait qu’il fallait pour cela demander une autorisation, ce à quoi je répondais avoir assisté à de
nombreux procès dont les séances sont publiques et que par courtoisie nous présentons les
accréditations de nos organisations au Président du Tribunal, la police n’ayant aucunement le droit
de s’y opposer. J’ai finalement décidé de ne plus me prêter à cette procédure qui ne présentait pas
les garanties de légalité, tant que l’on me refusait d’entrer en contact avec les autorités françaises.
On m’affirmait depuis le début que l’Ambassade était prévenue et que quelqu’un allait venir, mais je
n’y croyais plus.

Quand j’ai pu, j’ai passé des appels téléphoniques pour rassurer ma famille et indiquer à Khadyja
Ryadi (ex Présidente de l’AMDH) l’endroit où je me trouvais. Je me faisais rappeler à l’ordre
régulièrement car, étant sur écoute, la personne prévenait mes « gardiens » qui me suppliaient de
« collaborer » avec eux et d’être « raisonnable ». Vers 16h on m’a apporté un café et une bouteille
d’eau. J’ai fini par informer ces personnes de l’origine de toute cette lamentable affaire en leur
donnant l’adresse du site de l’AFASPA sur lequel ils sont allés découvrir les informations qu’on leur
cachait. Je tiens à préciser que ces agents n’ont jamais été violents à mon égard. Assez vindicative,
cependant, une personne qui estimait, en tant que femme sans doute qu’elle était habilitée à me
fouiller. On a continué à me raconter qu’il ne s’agissait que d’un contrôle d’identité. Il me semblait se
prolonger très longtemps, il était probant qu’il s’agissait de m’empêcher s au procès.

On m’a ensuite demandé si je disposais d’une photo, dans la négative on m’a demandé si on pouvait
me photographier ! J’ai accepté en précisant que les divers services de police disposaient déjà d’une
grande collection de photos, y compris le film de mon enlèvement à El Ayoun. Mais trop c’est trop,

j’ai refusé de donner mes empreintes, n’ayant commis aucun crime ni délit.

A 16h05 j’ai reçu un SMS de Khadyja Riady indiquant que le Procureur Général avait déclaré aux
dirigeants de l’AMDH que j’avais été libérée, ils avaient également contacté le Ministre de la Justice.
Elle m’indiquait d’autre part que Claude Mangin-Asfari présente à Rabat avait alerté l’Ambassade de
France où on lui a assuré avertir le Consulat de Tanger. Pourtant c’est seulement à 20h 30 passé
qu’une personne a informé le Président de l’AFASPA qu’elle entrait au commissariat.

J’avais été
remise en liberté depuis environ une demi-heure. En France, Nicole Gasnier de l’Association des Amis
de la RASD avait contacté le Ministère des Affaires Etrangères dans l’après-midi ; Monsieur Antoine
Lhéritière lui a assuré avoir prévenu le Consulat de France à Tanger où on l’avait informé des propos
du Wali de Tanger, à savoir que j’avais été conduite au commissariat de police pour n’avoir pas
présenté de pièce d’identité lors de mon interpellation, qu’il s’agissait d’un simple contrôle d’identité et que j’allais être libérée !! Deuxième grossier mensonge d’une personnalité marocaine, détentrice
de l’autorité publique.

Vers 19h30 les policiers ont commencé seuls, la rédaction d’un procès verbal qui leur a pris une
bonne demi-heure. Ils sont allés le montrer au Commissaire principal au nom de qui il était rédigé.

L’inspecteur me l’a présenté pour signature. Il était plein d’erreurs : dans mon nom et ma date de
naissance (indiquée en 1981 alors que j’ai 67 ans), de fautes de frappe et d’orthographe. Le
document a été refait deux fois mais je ne pouvais toujours pas signer puisqu’il me faisait dire des
inexactitudes. Par exemple que je serais venue à Tanger pour participer à un sit-in, que c’était
Madame Khadyja Ryadi qui m’avait invitée… Finalement, et contre toute attente, l’inspecteur m’a dit
que je pouvais partir, en insistant sur l’interdiction formelle de rejoindre le sit-in devant le tribunal. Je
fus étonnée car je pensais que le procès, dont l’ouverture était prévue à 14h, était terminé. Je n’ai
pas voulu quitter seule les lieux sans être accompagnée de Madame Khadyja Riady. J’ai demandé soit
qu’un agent aille la prévenir, soit de la faire appeler car la batterie de mon téléphone était
déchargée. L’inspecteur après m’avoir promis de me prêter son chargeur, a changé d’idée et a
demandé à un policier de m’accompagner à une boutique de proximité. Avant de partir je me suis
inquiétée de savoir quand nous allions poursuivre la lecture du PV, il m’a assuré que je serai
contactée ultérieurement sans plus de précision. Je n’ai toujours pas été appelée et je n’ai pas
achevé la lecture de ce PV que je n’ai donc ni signé, ni refusé de signer.

Dès que mon portable fut utilisable, à la téléboutique, j’ai constaté qu’il était 20h20. J’ai alors pu
contacter Khadyja Ryadi, et le président de l’AFASPA et je suis retournée au commissariat de police
accompagnée du policier pour retrouver Khadyja Ryadi et plusieurs défenseurs des droits de
l’Homme qui m’attendaient.

Nous nous sommes allés au carrefour de la rue du tribunal, pour apercevoir le groupe manifestants.
J’ai appris là que ce rassemblement, qui avait été ni interdit ni autorisé, n’avait pas été dispersé et
que personne d’autre n’avait été arrêté.

Les débats se sont poursuivis toute la nuit une trentaine d’avocats avait volontairement pris la
défense des accusés par solidarité avec la jeune femme en détention depuis le 9 juillet. Parmi eux un
ancien bâtonnier. Ils ont démontré les nombreuses irrégularités de procédure et l’absence de preuve
de l’accusation.

Le verdict a été prononcé vers 9h le 12 août. Boubker Khamlichi est relaxé, mais Wafae Charaf est
condamnée à 1 an de prison ferme et 5000Dh d’amende et 50 000 dh de dédommagement pour la
partie civile.

Rabat le 13 août 2014

Note :

1 J’ai malheureusement pu le vérifier moi-même ayant été enlevée le 6 août 2014 à 21h20 à l’aéroport d’El
Ayoun et emmenée contre mon gré à 650 km de là. Cependant je n’ai subi aucun tabassage ou autre sévice,
traitement inhumain ou dégradant, ce qui n’est pas le cas pour les Marocains et les Sahraouis.