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Mauritanie : la police torture des hommes, des femmes et des enfants pour les contraindre à « avouer » des crimes

D 19 septembre 2013     H 05:30     A Amnesty International     C 0 messages


La police en Mauritanie recourt à la torture pour contraindre des hommes, des femmes et des enfants à « avouer » des crimes durant leur détention provisoire, a déclaré Amnesty International après une mission de recherche de dix jours dans ce pays.

En Mauritanie, la délégation a interrogé une soixantaine de détenus, y compris des femmes et des enfants incarcérés dans trois prisons de la capitale Nouakchott.

« Des prisonniers, y compris des hommes inculpés de « terrorisme » et de délits de droit commun nous ont raconté les tortures subies durant leur garde à vue. Beaucoup ont été jugés dans le cadre de procédures totalement inéquitables et certains ont été soumis à des disparitions forcées »,

a déclaré Alex Neve, secrétaire général d’Amnesty International Canada (anglophone), qui faisait partie de la délégation.

Onze enfants ont affirmé à la délégation d’Amnesty International avoir été torturés dans des commissariats de police, notamment à la Brigade des Jeunes, un commissariat situé dans la capitale mauritanienne qui est spécifiquement chargé de s’occuper de jeunes délinquants.

Un garçon de seize ans a raconté :

« Ils m’ont fait m’accroupir. Ils ont attaché une de mes mains à mon pied avec des menottes et ont fait la même chose avec mon autre main et mon autre pied. Ils ont placé un bâton sous mes genoux et ont mis le bâton entre deux récipients d’eau. Cela m’a élevé dans les airs et ma tête s’est mise à balancer vers le sol. Ils ont commencé à me frapper sur la tête avec leurs bâtons. J’ai perdu trois fois connaissance ».

Si ce recours à la torture a surtout lieu durant la garde à vue, Amnesty International a également relevé des cas préoccupants de torture dans les prisons, y compris celui d’un homme décédé après avoir été torturé à la prison de Dar Naïm en décembre 2012.

Deux prisonniers détenus dans cette prison ont expliqué à l’organisation comment ils avaient été torturés :

« Pendant trois jours, ils nous ont gardés dans des cellules de punition qui étaient si petites qu’on ne pouvait même pas étendre nos bras ou nos jambes. Il y avait des puces partout. Chaque nuit après minuit, on nous emmenait dehors dans un champ. On nous faisait nous allonger sur le dos et on nous faisait ingurgiter de force de l’eau par la bouche et le nez. Ensuite ils appuyaient sur nos poitrines avec leurs bottes et faisaient ainsi sortir l’eau par nos bouches et nos narines. On nous a fait manger du sable. Ils nous ont frappés avec des câbles électriques après nous avoir frictionnés le dos avec du sel. Ils nous ont brûlés avec des couteaux chauffés. Nos mains et nos pieds étaient attachés dans notre dos et ils nous ont frappés. Après trois nuits de torture, Hassan Ibrahim est mort ».

« En Mauritanie, le recours à la torture prend des formes terrifiantes dans les cas liés au terrorisme : des individus sont arrêtés, on les empêche de parler à leur avocat et on les torture pour les obliger à « avouer » un crime ; puis ils sont jugés dans le cadre de procès expéditifs où leurs aveux sont utilisés comme preuve principale. Comment peut-on qualifier cela de justice ? »,

a déclaré Alex Neve.

Dans la prison centrale de Nouakchott, Amnesty International a rencontré un réfugié malien de 41 ans, qui est détenu en prison sans procès depuis son arrestation peu après son arrivée en Mauritanie, pour des faits liés au terrorisme. Il a raconté :

« Ils m’ont déshabillé, je me suis retrouvé en sous-vêtements. Ils m’ont bandé les yeux. Ils m’ont fait m’allonger sur le sol. Un policier a posé son genou sur mon dos pendant qu’un autre attachait mes mains à mes pieds. Il a serré si fort que mes deux pieds touchaient ma tête. Après ils ont fait un nœud autour d’une matraque qu’ils ont glissé sous la corde et l’ont enroulé très fort. Ensuite ils m’ont soulevé en l’air et ont laissé la corde se dérouler. Ils me frappaient avec leurs matraques et la paume de leurs mains et m’ont donné des coups de pieds pendant que je tournais en l’air. Ils ont fait ça deux fois, la première entre 19h et 1h du matin, la deuxième entre 17h et 1h du matin ».

Lorsque les détenus ont « avoué » un crime, ils n’ont pas le droit de lire leur déclaration avant de la signer. Les « aveux » sont souvent utilisés comme la principale – et très souvent la seule – preuve pendant le procès. Bien que beaucoup des prisonniers avec lesquels Amnesty International s’est entretenue se soient plaints devant le tribunal du fait qu’ils avaient été torturés, ces allégations n’ont fait l’objet d’aucune enquête.

« Beaucoup de prisonniers se sont rendus compte que le fait de tenter de faire valoir leurs droits pendant un interrogatoire entraînait des actes de torture »

a déclaré Alex Neve.

Aaron Yoon, un Canadien de 24ans condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement pour des faits liés au terrorisme, nous a dit que lorsqu’il a demandé, dans un arabe approximatif, à avoir accès à un avocat et à un traducteur, la police a commencé à le torturer. La torture n’a cessé que lorsqu’il a arrêté de demander et qu’il a accepté de signer leur déposition.

Les procès concernant les délits liés au terrorisme sont souvent brefs et expéditifs.

Comme un prisonnier l’a affirmé à Amnesty International,

« ce n’était pas un procès. Ils ont simplement lu ce que j’avais signé après avoir été torturé. Ils m’ont demandé si c’était vrai. J’ai dit que non et que j’avais été torturé. Ils ont fait comme si je n’avais rien dit. Ils ont dit que c’est une déclaration de la police, et que c’est ce qu’ils utiliseront. Et j’ai été condamné à trois ans de prison. »

Au cours de leur mission en Mauritanie, les délégués d’Amnesty International ont également soulevé la question du sort de 14 individus qui ont « disparu » après avoir été enlevés de la prison centrale de Nouakchott en mai 2011. Plus de deux ans après leur disparition forcée, les autorités continuent de refuser de divulguer le lieu où ils sont retenus et de leur donner accès à leurs proches ou à un avocat.

Les enfants de ces disparus, qui souffraient déjà de l’absence de nouvelles quant au sort de leur père, sont eux-mêmes directement affectés par cette situation. Ils ne peuvent pas s’inscrire dans des écoles publiques et n’ont pas accès à des soins médicaux parce que leurs pères n’ont pas été correctement enregistrés dans le recensement actuel.

« Les violations des droits humains, y compris de recours à la torture, qui est profondément ancré en Mauritanie, doivent cesser. Les autorités doivent enquêter sur toutes les informations faisant état de tortures et de violations, et doivent mettre en œuvre les recommandations récemment formulées par le Comité contre la torture des Nations unies »,

a conclu Alex Neve.