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République Sahraouie : La répression continue

D 16 septembre 2012     H 05:54     A AFASPA     C 0 messages


Elles étaient à Gdeim Izik,
5 mois de prison pour Hayate et N’Guya âgées de 20 ans
Trente sept ans et cinq mois après le premier coup de feu contre le colonisateur espagnol, un soulèvement populaire d’ampleur inégalée s’est produit au Sahara occidental, au nez et à la barbe du nouvel occupant marocain. Ses brigades de police, de gendarmerie, ses détachements de l’armée, de la DST, des RG et ses mouchards n’ont rien vu venir. En quelques jours le campement est passé d’une dizaine de tentes à des milliers où se sont réunis 20 000 sahraouis de toutes générations.

Hayate et N’Guya évoquent cette nouvelle étape de leurs jeunes vies militantes.
Je n’avais pas discuté avec elles depuis janvier 2009, où elles m’avaient raconté comment elles s’étaient engagées dans la lutte pour l’indépendance, les arrestations et tortures qu’elles avaient endurées. Aujourd’hui je découvre des jeunes filles encore plus sereines, dont la réflexion s’est nourrie d’expériences nouvelles, enthousiasmantes autant qu’éprouvantes, qui ont renforcé leur détermination à militer pour vivre libres.

Hayate / L’image qui me vient immédiatement à l’esprit quand on évoque Gdeim Izik, c’est celle de la violence de son démantèlement par la force publique. L’avion qui déversait le gaz lacrymogènes, les tentes incendiées.
N’Guya / Pour moi c’est la même chose, j’ai été choquée de voir des femmes impuissantes devant la souffrance de leurs bébés qui suffoquaient, d’autres qui avaient perdu des enfants en fuyant dans la nuit devant les hommes en arme. C’était la terreur dans le camp dévasté.

Cet anéantissement brutal a-t-il entamé votre résistance et celles des Sahraouis ?

Hayate / Dès le montage des tentes, nous avons démontré la volonté de notre peuple et son unité. Nous avons dévoilé au monde la réalité de notre vie quotidienne. Nous avons mis en lumière les 35 années de mensonges du Maroc, notre attachement au Front Polisario et la décision de poursuivre la résistance. Continuer aujourd’hui va dans cette logique.

Quelle fut votre implication dans le campement ?

N’Guya / Nous l’avons regagné au 10ème jour, il y avait à ce moment là 400 tentes. Il était bien organisé. Nous participions à la section de l’aménagement et de la propreté, installée dans la tente de « La Municipalité ». Chaque matin nous allions nettoyer les ruelles entre les tentes. Nous nous occupions également de l’accueil et de l’accompagnement des étrangers, journalistes et sympathisants, qui entraient clandestinement. Nous les conduisions auprès des familles qui avaient été agressées par les forces publiques alors qu’elles voulaient rejoindre le camp. Nous discutions avec les gens sur les formes de résistance pour faire aboutir les revendications des manifestants.

Quelles étaient les revendications essentielles des participants à ce campement de la dignité ?

N’Guya / Elles étaient d’ordre socio-économique : le droit au travail pour tous et pour les jeunes diplômés des instituts et du secondaire, le droit à un habitat convenable, le refus de la spoliation des ressources naturelles de notre pays, en particulier le phosphate et les produits de la mer.

Qu’avez-vous vécu de différent par rapport à votre vie habituelle ?

Hayate / Nous avons connu des semaines de sérénité entre Sahraouis, nous nous sentions libres, seuls, loin des yeux marocains. Chacun pouvait s’exprimer librement sur ce qu’il ressent, que ce soit sur des sujets politiques ou autres, sans la crainte d’être espionné. Nous étions unis, il n’y avait pas de différences entre nous. Nous avons aussi démontré notre capacité d’auto-organisation : assurer la sécurité, la propreté, la distribution de nourriture, les soins médicaux... Nous sommes fiers de cette expérience qui a donné courage à tout le monde et fait tomber la peur.

Et depuis qu’en est-il de la peur ?

Hayate / Passée la frayeur du démantèlement, nous avons tout de suite été conscients du bénéfice de cette expérience et la fierté d’avoir surmonté la peur de l’occupant. Presque tout le monde depuis parle de la cause sahraouie. La réalité de la sauvagerie du gouvernement marocain et de ses troupes a éclaté au grand jour. Même des gens pro-marocains ont commencé à changer d’avis. Nous n’attendons que l’occasion de démontrer une nouvelle fois notre volonté. Depuis, les manifestations qui ont eu lieu dans toutes les villes voient la participation de toutes les générations, et ce malgré la répression dont elles sont l’objet.

Que se passait-il dans les soirées et des meetings ?

N’Guya / La colonisation a tenté de faire disparaître la culture sahraouie. La vie du camp a permis de la mettre en valeur, d’en faire renaître certains aspects et de retrouver nos comportements ancestraux. On utilisait les affaires les uns des autres, on se regroupait dans les tentes pour parler la cause sans crainte car les jeunes qui gardaient le camp étaient là pour assurer notre sécurité et non moucharder. Nous avons joué aux jeux que pratiquaient nos parents comme le sigh et d’autres qui commencent à se perdre. Les vieux et les vieilles ont eu un rôle majeur : Les femmes sahraouies ont cousu les tentes, elles l’ont enseigné aux jeunes filles citadines et leur ont appris à les monter. Les hommes ont participé dans la pratique et la sauvegarde de la langue car les jeunes ont métissé le Hassania avec le dialecte marocain obligatoire à l’école ainsi que l’Arabe. Ils ont montré les jeux spécifiques aux hommes.

Comment s’est passé l’expulsion du campement pour chacune de vous ?

Hayate / Pour moi, c’était la première nuit que je passais dans la tente de ma maman, les autres nuits j’étais avec mes amis et camarades. J’avais le pressentiment qu’il se passerait quelque chose. A 5 h j’ai été réveillée en sursaut, ma mère hurlait d’un côté et mes frères d’un autre. J’ai donné son portable à ma mère et chacun est parti de son côté. Je ne comprenais pas car tout avait été discuté et organisé avec les autorités pour la poursuite et cette attaque a été vécue comme une traitrise. Je me demandais si c’était la réalité ou un cauchemar qui se déroulait sous mes yeux : la troupe qui s’approche avec des fusils et des armes blanches, les nuages de gaz lacrymogène et lances à incendie qui déversaient de l’eau chaude. Ce matin-là j’ai lu dans les yeux des Sahraouis une grande détermination et la conviction de la légitimé de nos revendications, bien que les forces ne soient pas égales (des camions et un arsenal contre un peuple désarmé). Ils ont défendu leurs tentes jusqu’à la dernière minute.
N’Guya / Ce matin-là j’ai eu peur quand j’ai vu s’avancer les forces de police avec leur armement. Les enfants qui pleuraient, j’étais bouleversée, c’était un jour de désastre. La peur qui m’avait submergée s’est amenuisée en approchant de la ville en récupérant ma détermination. J’ai pensé que ce serait le dernier jour du Maroc au Sahara occidental. Le monde entier allait dénoncer cette agression, la communauté internationale allait nous aider à accéder à l’indépendance.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Hayate /Nous ne nous sommes pas cachées, on a continué notre travail, en ramassant dans la ville les restes des munitions utilisées contre les manifestants par les armes offensives des forces de police : douilles, capsules… toute trace que l’on pouvait trouver pour les remettre aux enquêteurs d’Amnesty International.

En décembre 2010 vous étiez déléguées pour participer au 17ème Festival internationale de la jeunesse et des étudiants en Afrique du Sud, que s’est-il passé à l’aéroport de Laayoune ?

Hayate /Après notre départ pour l’aéroport la police est arrivée chez mes parents et a fouillé la maison ainsi que celle d’un ami. Ils ont confisqué l’ordinateur, des CD et des documents. Nous savions que nous étions sur le point d’être arrêtée, mais on a tenu à démontrer que nous n’avions pas peur. La délégation avait pour objectif de démontrer à ce festival la situation actuelle vécue par les Sahraouis et la foule de gens qui avaient été arrêtés. L’utilisation d’armes offensives, de balles en caoutchouc et
surtout l’attaque par des civils marocains incités par les autorités qui leur demandaient d’aller « sauver leur armée.
L’aéroport à notre arrivée était véritablement en état de siège. Les services de l’aéroport ont fouillé les bagages de toute la délégation sauf les deux nôtres. On nous a convoquées dans un bureau. Deux policières nous ont fouillées ainsi que nos bagages. Une cinquantaine de policiers en civil avec de nombreux appareils nous encerclaient : ils nous ont bombardées de photos. Pendant ce temps l’avion a décollé sans nous. Après on nous a fait sortir, une estafette nous attendait pour nous conduire à la gendarmerie royale de Laayoune.
N’Guya /Arrivées là, les gendarmes ont appelé une femme civil, elle nous a fait entrer dans les toilettes et nous a déshabillées, fouillées, et elle trouvé une carte mémoire sur Hayate. Nous nous sommes rhabillées et on nous a conduites au bureau où se trouvait l’enquêteur. Il a mis la carte dans l’ordinateur et il a vu des photos de la visite dans les campements de la RASD. Il y avait notamment Khadija Hamdi, des élus de l’Assemblée Nationale et des vidéos de Gdeim Izik.
Hayate / On avait aussi filmé des témoignages de mineurs qui expliquaient les trafics qui se pratiquent dans les écoles, pour inciter les élèves à prendre de la drogue vendue à des enfants. L’homme a transféré les données de la carte mémoire dans l’ordinateur puis il l’a cassée et nous a insultées copieusement.
N’Guya / L’interrogatoire des policiers a commencé. Ils avaient une idée fixe : le groupe des 70 personnes qui avaient participé à la conférence à Alger, persuadés qu’ils étaient à l’origine de la décision de ce campement. Ils nous ont montré des photos de vieux et jeunes qu’ils avaient prises au cours de manifestations et nous demandaient s’ils avaient participé à Gdeim Izik. Celle d’Enaama Asfari en suggérant qu’il nous donnait de l’argent pour faire ce travail ! Après l’interrogatoire on nous a fait passer dans autre pièce où un homme tenait une baïonnette, il nous a dit qu’on serait tuées avec cette arme. Un autre a dit que ce serait avec le couteau ordinaire qu’il tenait entre les mains. Puis on nous a mis un bandeau sur les yeux avant qu’une autre personne entre dans la pièce. Ils ont lancé notre témoignage enregistré sur ordinateur où nous évoquions la situation du pays, notre expérience et la répression qui sévit au Sahara occupé. Il nous a dit : « Alors, demandez à vos ONG de venir vous libérer de nos mains. Vous verrez si elles sont capables de faire quelque chose pour vous ! ». Puis ils nous ont conduites dans une autre pièce et enlevé les bandeaux. Un homme en civil des services secrets, Rabir, a lu un rapport avec tous les renseignements sur nos familles et ils nous ont laissées seules dans la pièce. Les murs étaient maculés de sang. Nous y sommes restées jusqu’au lendemain. Nous avons dû signer les procès verbaux sans les lire. Une estafette de la gendarmerie nous a emmenées au tribunal où un juge d’instruction qui nous a inculpées en présence d’avocats sahraouis :
 Formation de bande criminelle
 Utilisation d’armes blanches,
 Utilisation de bombonnes de gaz butane
 Intelligence avec une puissance ennemie
 Destruction de biens publics
Hayate / J’ai répondu « Nous défendons seulement le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, c’est vous qui avez l’armement, nous étions dans un campement pacifique, nous n’avons rien à voir avec ces inculpations ». Il a ordonné notre transfert en prison. Nous sommes montées dans un fourgon où se trouvait un détenu sahraoui, direction la « prison noire » de Laayoune. Á notre arrivée tout le personnel masculin et féminin était présent devant porte avec le directeur. Nous avons été acheminées dans le quartier des femmes. Dès notre entrée, on a compris que notre accueil était préparé. Les gardiennes ont commencé la fouille vestimentaire et corporelle. On nous a fait entrer dans une salle où se trouvaient des détenues marocaines de droit commun. Elles avaient été sensibilisées à notre égard par l’administration, car nous avons été immédiatement violemment agressées verbalement. Le lendemain de cette agression nous avons décidé de faire une grève de la faim pour revendiquer le statut prisonnière d’opinion et demander à être protégées de l’agressivité de ces femmes en étant regroupées dans une cellule à part avec les deux Sahraouies arrêtées dans le campement de Gdeim Isik : Fatma Sabi et Zara Lansari. Elles se trouvaient isolées l’une de l’autre dans des cellules de prisonnières de droit commun et n’étaient pas en mesure de dénoncer les brimades qu’elles subissaient. On leur faisait nettoyer tout le quartier des femmes et éplucher les pommes de terre servies par la prison. Le lendemain le directeur et son adjoint sont venus nous voir pour nous dire : « Ne parlez pas le droit, nous
n’avons que faire de votre opinion et de vos revendications. Vous devez accepter cette vie et la situation ». Nous avons répondu que nos revendications étaient légitimes et dénoncé le comportement de l’administration à l’égard des deux Sahraouies. Ils ont refusé de nous entendre : « Vous êtes des petites connes, on ne va pas répondre à vos revendications et vous allez vous taire ou vous le paierez cher ». Après trois autres jours de grève de la faim ils ont accepté de nous rassembler, isolées des détenues de droit commun. Deux jours plus tard deux autres femmes sahraouies, Khaidouma Joumani dite « Ghalia » et Fadala Jaouda ont été incarcérées avec nous. Après leur arrivée une commission de Rabat accompagnée du directeur est venue nous visiter dans notre cellule. Ils ont commencé à parler et nous ont demandé quelles étaient nos revendications. J’ai dit « On a rien à voir avec les accusations portées contre nous car c’est pacifiquement qu’on exprime les revendications du peuple sahraoui ». J’ai ajouté « Comment voulez-vous qu’une femme de plus de 60 ans comme Fadala et l’autre femme puissent faire ce dont on les accuse ? » Le directeur a crié « Sois polie ! » Je lui ai répondu « C’est toi qui n’est pas poli » alors il m’a giflée et emmenée signer un procès verbal.
Après cette agression j’ai décidé de fait une nouvelle grève de la faim et N’Guya l’a suivie aussi par solidarité. On leur a dit qu’on ne cesserait que si on pouvait voir nos avocats et nos familles car ça faisait une semaine que nous étions arrêtées et nous n’avions pu les voir. Après trois jours nous avons eu droit à une visite dans de très mauvaise conditions : quatre grillages nous séparaient et deux gardiens nous encadraient et de même que nos familles. Dans le parloir il y avait un grand vacarme et on ne pouvait s’entendre. Durant notre détention nous n’avons eu droit qu’à un quart d’heure de visite par semaine. Nous ne pouvions ni lire ni écrire et seulement un quart d’heure de promenade au soleil de la cour par jour. La nourriture nous était apportée par nos familles mais les gardiens nous volaient ce qui leur plaisait. Nous n’avions pas accès à la pièce où il y avait une télévision, ni à cabine téléphonique interdite aux détenues sahraouies de droit commun. Elles n’étaient pas autorisées à nous parler. On a demandé au directeur des cahiers pour écrire notre journal et des livres pour étudier il a refusé et répondu : « Vous croyez qu’on va vous aider à devenir des Aminatou Haïdar ? ». Après un mois et demi deux d’entre nous ont été libérées, les deux autres un mois plus tard, mais nous ils nous ont encore gardées toutes les deux. Notre détention a duré plus de 5 mois.

Cette expérience douloureuse vous a-t-elle apporté quelque chose ?

Hayate / Nous nous souvenions des récits des anciennes disparues ou prisonnières des années de plomb et nous avons pu mesurer que les choses avaient changées, malgré l’arbitraire. Ça nous a donné du courage pour la suite.
N’Guya / Depuis que nous avons commencé à militer nous avons été souvent arrêtées. On nous menaçait de la prison et on en avait peur, maintenant nous l’intégrons comme une chose normale dans notre vie sous occupation étrangère et on estime que notre cause mérite ce sacrifice.

Avez-vous été jugées ?

Hayate / Nous sommes en liberté provisoire depuis 14 mois. Et cette inculpation reste suspendue au-dessus de nos têtes comme pour beaucoup de Sahraouis, c’est une manière de faire pression sur nous pour que nous cessions nos activités.

Quelles sont les activités auxquelles vous avez participé depuis votre libération ?

N’Guya / Nos manifestations sont quasi quotidiennes, nous sommes allées deux fois dans les campements de la RASD en Algérie, et nous avons été invitées à des rencontres de jeunes en Suède et en Espagne.

Laayoune le 13 juillet 2012

Témoignage recueilli par
Michèle DECASTER,
Secrétaire Générale de l’AFASPA