Vous êtes ici : Accueil » Afrique du Nord » Tunisie » Tunisie, Kaïs Saïed, l’étrangleur ottoman

Tunisie, Kaïs Saïed, l’étrangleur ottoman

D 7 août 2021     H 13:51     A Nicolas Beau     C 0 messages


Alors que des arrestations ciblées se multiplient contre des personnalités proches de la mouvance islamiste, dont l’ancien Procureur de Tunis suspecté d’avoir couvert des centaines de dossiers de terrorisme, la base d’Ennahdha réclame le départ du leader historique du mouvement, Rached Ghannouchi

Non sans une grande habileté, le président tunisien, Kaïs Saîed, cherche à tordre le coup à ses adversaires islamistes en jouant aux étrangleurs ottomans. On se souvient que ces derniers, munis de lacets de soie, se débarrassaient de leurs victimes en douceur avant de les jeter en pleine nuit dans le Bosphore. Pour l’instant, le président tunisien alterne le chaud et le froid. Aucune vague massive d’arrestations ne s’est produite en Tunisie dans les rangs des islamistes depuis le coup de force de dimanche soir.

En revanche, on a assisté à quelques poursuites ciblées, sur la base de dossiers judiciaires ouverts avant même les récents événements. De bonne source, il semble que la vague répressive devrait redoubler dans les jours qui viennent, mais à un rythme qui ne provoquerait pas de levée de boucliers du coté des ONG ou des chancelleries occidentales. Du grand art !

Human Rights Watch cette semaine exposait ses craintes estimant que « le président Saïed risque d’utiliser ses pouvoirs extraordinaires contre ses opposants ». La présidence, elle, se veut rassurante. Kaïs Saïed a affirmé vendredi qu’il n’y a « pas de peur » à avoir en matière de libertés publiques en Tunisie

Coup de force … en douceur
Le plus emblématique de ces nouveaux proscrits qui, hier encore et depuis dix ans tenaient le haut du pavé en Tunisie, est l’ex Procureur de Tunis, Bachir Akremi, qui est accusé, preuves à l’appui, d’avoir comme juge d’instruction fait libérer ou condamné à des faibles peines des salafistes qui avaient trempé dans les attentats du Bardo ou de Sousse, voire dans les assassinats politiques de l’année 2013. Ce magistrat est très proche de Noureddine Bhiri, un des « durs » d’Ennahdha, ancien ministre de la Justice du gouvernement nahdaoui en 2012 et 2013 et discret émissaire pendant la dictature de Ben Ali entre les islamistes et le pouvoir.

Résultat, l’ancien Procureur de Tunis qui n’est certes pas un enfant de choeur est aujourd’hui placé en résidence surveillée, plus proche de la mise en examen que de l’augmentation.
La réaction ne s’est pas faite attendre. Noureddine Bhiri a publiquement affirmé que tous ceux qui ont attaqué, le dimanche 25 juillet, les sièges d’Ennahdha allaient payer le prix cher devant la justice.Il a dans ce sens accusé les partis de la gauche et le parti destourien libre d’être derrière ces attaques mettant en garde contre un plan émirati visant à déstabiliser le pays. Ce qui n’est pas entièrement faux quand on sait l’aide apportée par les Émirats et leurs alliés égyptiens au coup d’État de dimanche soir….

Ce n’est pas tout. Quelques mandats d’amener ont été délivrés également contre des députés Nahdaouis ou leurs alliés salafistes d’ al-Karama. Enfin et toujours avec un redoutable sens politique, Kaïs Saïed a interdit de sortie de territoire quelques centaines d’hommes d’affaires à qui il a offert une alternative brutale : ou des poursuites judiciaires, ou la restitution de leurs biens mal acquis à la communauté nationale.

Ce qui donne à l’opération « mains propres » menée par ce Président sans partis, ni passé politique mais élu avec plus de 70% des suffrages, une coloration populiste, voire révolutionnaire. Lui qui fut totalement passif lors du régime musclé de Ben Ali, s’inscrit dans la logique des mobilisations populaires de janvier 2011 lors du départ forcé du dictateur. Ce qui donne une vraie aura auprès d’une jeunesse tunisienne qui ne veut pas renoncer aux acquis du printemps arabe en termes de liberté d’expression et de contrôle du pouvoir policier. Rached Ghannouchi au pied du mur
Pour l’instant, le leader historique des islamistes tunisiens, à la fois chef du groupe parlementaire le plus nombreux et président de l’ARP, joue la montre. » Nous avons fait des erreurs, nous sommes prêts à nous amender ».Tel est le message que Ghannouchi, formé à l’école des Frères Musulmans et à ce titre rompu à toutes les contorsions tactiques, fait passer au nouveau maitre de Tunis, Kaïs Saied. Hélas ; la ficelle est un peu grosse et Kaïs Saïes qui a préparé son coup d’état avec minutie en organisant en sous main une vaste mobilisation populaire le jour de sa prise de pouvoir, contine à resserrer l’étau, façon étrangleur ottoman. Rached Ghannouchi n’a pas l’autorisation de se déplacer à l’étranger, sa famille non plus, malgré une demande officielle du Qatar de les accueillir à Doha.

Du coup, le Cheikh, comme Ghannouchi aime à se faire appeler, affaibli par un Covid sévère et légitimement inquiet de l’avenir, voit une fronde sévère se développer au sein de la base de son propre mouvement où beaucoup voudraient le voir quitter ses fonctions. Ce qui peut expliquer qu’il ait été victime d’un nouveau malaise le samedi 31 juillet.

Soigné habituellement à l’hôpital militaire comme toute la plupart des décideurs tunisiens, Ghannouchi a préféré cette fois être accueilli dans une clinique privée. À Tunis, on se perd en conjectures sur un tel choix. Est ce la peur d’être empoisonné ? Ou en tout cas mal soigné ? Ou bien cherche-t-il à se voir remettre un certificat de santé alarmiste pour négocier un transfert à l’étranger ?

L’homme le plus puissant de Tunisie depuis 2011, la seule personnalité d’envergure du printemps arabe à avoir survécu politiquement depuis dix ans, a été écarté du pouvoir comme l’avait été son homologue égyptien Morsi en 2013. Avec un tel dénouement, disparait l’espoir de voir surgir un Islam politique ouvert et tolérant qui aurait agrégé les valeurs démocratiques et la tradition islamiste. Le pari a été tenté, il a définitivement échoué pour une double raison : la médiocrité de ces nouvelles élites et l’aveuglement des appareils sécuritaires.

Les régimes arabes autoritaires ne tolèrent l’existence de mouvements à coloration religieuse qu’à condition qu’ils soient marginalisés et émasculés.


Voir en ligne : mondafrique