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Introduire “ Vertières ” dans les Dictionnaires français

Lettre ouverte

D 21 décembre 2021     H 06:30     A Kodjo FIOKOUNA     C 0 messages


La 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie française, en finalisation, mentionnera le nom “ Vertières ” dans le cadre d’une exemplification. Ce sera la toute première fois, dans un Dictionnaire français. C’est l’occasion de demander, par extension, que les Dictionnaires français fassent référence à cette bataille dans leurs éditions futures. Pourquoi une telle demande ? Pour une question de “vérité historique”, doublée, au plan universel et sur nombre de points, de son rôle incontestable dans “l’accélération de l’histoire”, des concepts chers aux historiens.

En effet, la bataille de Vertières du 18 novembre 1803, s’est soldée par la victoire d’Haïti sur l’armée napoléonienne qui essuya l’une de ses pires défaites, pour une armée qui fut probablement la plus puissante du monde. Outre le fait qu’il se soit agi de l’une des rares révolutions – victorieuses –, qui ait été menée par des esclaves, du moins dans l’histoire connue, elle fut également « la révolution politique la plus radicale »1 de l’ère révolutionnaire, qui plus est, « de portée universelle »2, de par sa contestation de l’hégémonie coloniale. Cette victoire consacra l’indépendance d’Haïti, généra des conséquences économiques, politiques et sociales durables, telles que la remise en cause de la perpétuation de l’esclavage ou le questionnement des
hiérarchisations raciales. Elle obligea Napoléon à abandonner son projet de “l’Amérique française ” (vente de la Louisiane), tout en impactant durablement l’histoire de la France, influença la guerre de sécession des USA, de même que la lutte pour l’indépendance des États d’Amérique latine.

Les récits traditionnels des droits de l’Homme, relatent souvent les révolutions américaine et française comme fondatrices des “droits de l’Homme”. Mais malheureusement l’haïtienne, laquelle reposait tout à la fois sur les droits de l’Homme et l’antiracisme – stricto sensu, la seule révolution qui ait jamais proclamé
l’égalité raciale –, n’est quasiment point indiquée.

C’est d’une organisation systématique et systémique de l’oubli tout autant que du silence, qu’il s’agit : une manière indirecte de nuire continuellement à Haïti et de lui imposer une guerre sans fin, qui ne dit pas son nom. Il est certain que « la “mise sous silence” de la Révolution haïtienne (…) est peut-être même encore plus prégnante dans le champ intellectuel français (…). Aucun manuel d’histoire français ne mentionne la bataille de Vertières et (…) la moindre référence à Haïti est absente de la plupart des dictionnaires historiques français »3.

La question du devoir “d’objectivité de l’historien” – de profession –, se pose ici
avec gravité et consternation. Le méfait inhérent à ce comportement, s’appréhende dans le fait que l’ignorance du passé est nuisible, non seulement à la connaissance du présent, mais compromet également toute action dans le présent (Marc Bloch), comme la banale reconnaissance de la victoire de Vertières.

Or, dès lors qu’il s’agit a fortiori de faits en lien avec un crime contre l’humanité dont la traite et l’esclavage, si aucune dynamique transformatrice n’est adoptée, cela engendre, par hystérésis et souvent à notre insu, la persistance de comportements sociologiques néfastes, d’ordre systémique. D’où, la pérennisation d’une guerre sans fin, qui ne dit pas son nom, menée contre Haïti, détails dont nous faisons abstraction. En outre, ce cas d’espèce se situe par-delà le cadre dévolu à un crime contre l’humanité, pour déboucher sur une intentionnalité, clairement documentée. Preuve en est, dans cette guerre, ce furent des centaines de chiens, affamés pour les dévorer : selon l’ordre de Rochambeau, « vous devez leur donner des
nègres à manger », soit « un demi-nègre par jour », selon un autre ordre4. Par ailleurs, ces chiens dressés, « dévoraient tous les noirs qu’ils rencontraient, femmes, enfants et civils compris »5. D’autres faits : « j’aurai à faire une guerre d’extermination », dixit Leclerc le 17 septembre 1802, ou, dit-il encore, le 7
octobre 1802, « il faut détruire tous les nègres de la montagne, hommes et femmes, ne garder que les enfants au-dessous de douze ans ». S’il est certes bien acquis qu’en Occident, cette défaite française a entraîné, selon Gomez (Alejandre)6, un « traumatisme de portée supranationale » confinant à un « syndrome collectif », il importe et il urge de transcender tout cela et d’en guérir.

La demande de la mention de Vertières dans les Dictionnaires français, n’est, in fine, qu’une réparation symbolique : pour guérir l’humain.

Kodjo FIOKOUNA, pour le Collectif Afrique (Président et signataire)

Les premiers signataires

 1 Georges Prince AGBODJAN, Professeur certifié des sciences économiques et sociales
 2 Thomas DELTOMBE, Journaliste, essayiste et militant associatif
 3 Roland Fodé DIAGNE, Professeur d’histoire et militant associatif
 4 Louisette FARENIAUX, Maître de conférences en étude cinématographique et militante associative
 5 Éva LUMANISHA, Analyste politique et militant associatif
 6 Armelle MABON, Maître de conférences en histoire contemporaine
 7 Armand NWATSOCK, Professeur de mathématiques et militant associatif
 8 Odile TOBNER, Essayiste et militante antiraciste
 9 Jean ZIEGLER, Sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies

Notes

 1 Trouillot (Michel-Rolph), Silencing in the Past : Power and the Production of History : 98. Voir Nicolas (Sébastien), Identités
raciales et production du politique, Université de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux, 2017, volume 1, p. 105.
 2 Nicolas (Sébastien), op. cit, p. 105.
 3 Nicolas (Sébastien), op. cit., p. 108-109.
 4 Girard (Philippe R.), L’utilisation de chiens de combat pendant la guerre d’indépendance haïtienne, La Fondation Napoléon, « Napoleonica. La Revue », 2012/3, N° 15, p. 54-79.
 5 Girard (Philippe R.), L’utilisation de chiens de combat pendant la guerre d’indépendance haïtienne, La Fondation Napoléon, « Napoleonica. La Revue », 2012/3 N° 15, p. 54-79, p. 68-69 pour la citation.
 6 Nicolas (Sébastien), op. cit., p. 110.