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Partout, il faut combattre la crise de la dette et sa logique néocoloniale

D 20 octobre 2024     H 05:30     A Thérèse Di Campo     C 0 messages


« Partout, il faut combattre la crise de la dette et sa logique néocoloniale qui confine les Etats africains dans une impossibilité d’assurer le bien-être de leurs populations »

En collaboration avec la Marche mondiale des femmes (MMF) et le Forum national sur les stratégies économiques et sociales (FNSES), la 4e édition de l’université d’été du CADTM Afrique intitulée « Regard féministe sur la crise de la dette en Afrique, la nécessaire réforme de l’architecture financière internationale et du régime fiscal mondial » s’est déroulée cette année à Abidjan, en Côte d’Ivoire et était intitulée « Regard féministe sur la crise de la dette en Afrique, la nécessaire réforme de l’architecture financière internationale et du régime fiscal mondial. »

Cet article propose de faire la synthèse non exhaustive, des analyses, échanges et expériences qui ont rythmé les différentes tables rondes du premier jour de l’université d’été du CADTM Afrique, qui s’est déroulée du 25 juillet au 28 juillet, à Abidjan en Cote d’Ivoire.

La crise de la dette en Afrique : contexte historique et réalité culturelle

« Rappelons que le FMI et la Banque mondiale ont fêté récemment leur 80e anniversaire. 80 ans de dictature financière et de crimes commis envers les peuples et en particulier envers les peuples du Sud. ». Dans la salle de séminaire du centre CERAO, dans le quartier de Cocody à Abidjan, le ton est lancé. Omar Aziki, membre du secrétariat national d’ATTAC CADTM Maroc et du secrétariat international partagé du CADTM, Navigue Célestine de la FNSES et Nana Aïcha Cisse, représentante de la marche mondiale des femmes ont inauguré cette cette première journée d’université d’été.

En guise d’introduction, le panel d’invités a rappelé que depuis plus de 20 ans, le capitalisme mondial est passé par différentes crises, allait de 2008 jusqu’à une phase de récession économique qui a été aggravée par la pandémie. Le constat : les facettes de cette crise se sont élargies à l’échelle du contexte africain et touche de plein fouet les populations du continent. Partout en Afrique, la dette accapare et dévore des ressources qui devraient être consacrées aux politiques sociales, à une transition écologique et aux bénéfices des populations. « On assiste à une crise de la dette économique et écologique toujours plus lourde, à l’austérité, aux privatisations mais aussi à une crise alimentaire généralisée et à la montée des guerres sur notre continent », explique Solange Koné, une des représentantes de la MMF. Avec 20 pays en situation de surdentemment, et 50 milliards de dollars prêté par le FMI en 2021/2022 en Afrique, le continent va être soumis a des conditionnalités fortes et s’apprête a subir le fardeau d’une vague d’endettement.

L’Afrique endettée dans une spirale infernale

Selon Broulaye Bagayoko, sécrétaire permanent du CADTM Afrique, le stock de la dette africaine n’ a cessé d’augmenter ces dernières années, passant de 790 milliards de dollars en 2020 a 1140 milliards de dollars en 2022. Il a souligné que 45 % de la dette extérieure publique est détenue actuellement par des créanciers privés. Selon lui, le nombre de pays africains dont le ratio dette/PIB dépasse 60 %, est passé de 6 en 2013 à 27 en 2023. Le pourcentage du service de la dette par rapport aux dépenses publiques a éaglement triplé au cours des 15 dernières années, passant de 4% en 2009 à plus de 12% en 2024. Le service de la dette dépasse de très loin le budget de la santé publique au Maroc (par 9 fois), en Égypte (par 7 fois) et en Tunisie (par 4 fois).

Comme solutions, ont été préconisées la nécessité d’exhorter les pays à auditer leurs dettes avec la participation des citoyens pour récuperer les parties jugées odieuses et illégales de celles-ci, reprendre le contrôle sur la monnaie et le commerce extérieur, protéger les petites entreprises, réformer la filière café-cacao pour améliorer les conditions de vie des petits paysans et leur redonner le contrôle de leur production mais aussi mettre en place la création d’une banque du Sud.

Le fardeau de la dette écologique

La dette écologique et environmentale et l’exigence de réparations ont été également au centre des discussions de cette première journée d’Université d’été : « L’afrique n’est responsable que de 4 % des émissions à effet de serres sur la planète, mais 7 pays africains sont considérés comme les plus vulnérables à la crise climatique mondiale. Si on assiste à des résistances et des mobilisations populaires sur le continent, on assiste dans le même temps à une offensive capitaliste très forte des institutions internationales. Il faut réfléchir ensemble pour recréer un rapport de force contre elles et poursuivre le combat qui a été initié par des militants assassinés, à l’image de Patrice Lumumba ou Thomas Sankara ou encore Mehdi Ben Barka. Il faut s’efforcer d’analyser les mécanismes de nécolonialisme actuel et tisser des solidarités Nord/Sud », a précisé Omar Aziki.

La situation d’endetemment de la Côte d’Ivoire a également été abordée avec la formulation de revendications d’annulation de la suppresion des subventions destinées au produits alimentaires, aux carburants et au secteur de l’électricité, imposé par le FMI aux gouvernements africains. En effet, le FMI demande au gouvernement ivoirien la suppression d’une subvention annuelle de 63 milliards de dollars allouée à l’énergie et de 10 milliards destinée à l’importation de blé dans le pays.

Dettes privées et femmes africaines dans les mailles du capitalisme et du patriarcat

Sous l’impulsion de la MMF, un groupe de militante a fait un tour des pratiques de la microfinance et des résistances qui s’organisent contre ces pratiques. Lors de cet éhcange, Justine Adjovi Somabé, animatrice sociale togolaise a souligné que les femmes, en particulier celles issues du secteur informel, sont les plus touchées par l’endettement privé. A titre d’exemple, les femmes au Togo s’endettent massivement en recourant aux micro-crédits, à des taux très élevés, le plus souvent pour subvenir aux besoins de leurs familles. L’anaphabétisme et les facilités d’accès aux micro-crédits sont les ressorts utilisés par le capitalisme pour piéger les femmes. « Au Togo par exemple, une marchande ambulante qui n’a pas d’acte de naissance ne pourra pas aller voir une banque, mais un organisme de micro crédits ne lui demandera aucun papiers pour contracter un prêt », ajoute-t-elle.

Pour échapper aux mailles du filet capitaliste des organismes de micro-crédits, les femmes qui ont partagés leurs expérience ont souligné la nécessité de lutter pour conserver un système de tontine traditionnel et encourager la transformation de ces tontines en coopérative d’épargne et de crédit autogéré à taux zéro. Largement méconnue dans les pays du Nord, la tontine, association collective d’épargne, a un role central et traditionnel dans les pays du Sud où elle autonomise une part importante du secteur financier informel et alimente une économie parallèle, garantissant l’indépendance financière de populations entières et en particulier des femmes.

A titre d’exemple de réussite, au Sénégal, des femmes productrices de charbon sont parvenues à imposer avec succès un modèle de tontine et de prêt à taux zéro. Des tentatives d’entraver ces luttes féministes contre la micro finance et pour l’autonomie financière ont été citées, comme c’est le cas au Bénin, où le président Patrick Talon a stoppé l’activité et les initiatives de femmes sous prétexte qu’elles ne possédaient pas d’agréments officiels de l’Etat. « Les structures où les femmes s’organisent elles-mêmes, font peur et sont toujours problématiques pour l’Etat », a rappelé Solange Koné, représentante de la MMF en Cote d’Ivoire. Ces échanges fructueux initiés par la MMF ont permis de mettre en évidence la nécessité de « rééduquer la societé pour refuser le capitalisme et le patriarcat » en rappelant également « que l’Afrique n’a jamais été une societé patriarcale, et que le patriarcat est arrivé avec les colons ».

Défendre ensemble les bases de la souveraineté alimentaire

Lors du débat sur la souveraineté alimentaire en Afrique, les participantes ont exprimé leur colère face à ce qui se passe actuellement au Soudan et à Gaza, où les populations sont affamées. « La faim est une arme de guerre contre l’humanité et nous avons une illustration monstrueuse dans ces deux pays de ce que peut être l’absence de la souveraineté alimentaire », a souligné Leila Riahi, chercheuse et activiste en Tunisie, membre de Working Group for Sovereignety. Les participantes ont rappelé également que l’Afrique, doit se préparer à être touchée de plein fouet par tous les phénomènes et impacts liés au changement climatiques (sécheresse, salinasation, montée des eaux, exode de populations, etc). « Pour promouvoir et défendre la souveraineté alimentaire sur notre continent, il y a trois conditions : il est nécessaire de cultiver des semences de bonnes qualités, naturelles, de préférence autochtones et paysannes c’est-à-dire reporductibles et appartenant a la communauté, à savoir des semences qui s’adaptent au changement climatique. Il est également vital pour les populations de disposer et d’avoir accès à la terre et l’eau. », a développé Leila Riahi.

Les problèmes de surexploitation des nappes phréatiques suite à la cultivation intensive de produits et denrées alimentaires destinées à l’exportation ont également été pointées du doigt. Selon Leila Riahi, an Tunisie, la souveraineté alimentaire n’existe plus, la paysannerie locale ne disposant plus de ses ressources ni des moyens de production, le pays s’est ainsi orienté vers la sécurité alimentaire, une conception capitaliste qui pousse les pays à se spécialiser dans l’exportation massice avec des produits dans lesquel il ont des avantages comparatifs sur le marché international. Pour la Tunisie, les oranges, les dates, l’huile d’olive qui ne sont pas des produits de première nécessité sont destinées à l’exportation dans les pays du Nord et se voit allouer l’essentiel des lignes de financement depuis les années 1970. De son côté, Souad Mahmoud de la Marche mondiale des femmes en Tunise, a rappelé que les femmes, sont les véritables forces détentrices de la souveraineté alimentaire sur le continent africain. Elles produisent 70 à 80 pourcent des denrées alimentaires destinées à la consommation des ménages. Elle a également dénoncé l’impact social mortifière de ces politiques d’exportation sur les femmes, qui nécessisent une utilisation intensive d’intrants et produits chimiques et affectent la santé des populations rurales. Ellea rappelé que ces politiques imposent également une mécanisation systématique de l’agriculture et de la petite paysannerie, un facteur responsable de la montée du chômage et de la pauvreté en Tunisie.

Thérèse Di Campo

Source : https://www.cadtm.org/