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Françafrique et Francehollande

D 17 novembre 2012     H 05:00     A Bertold de Ryon     C 0 messages


A aucun prix, il ne voulait ressembler – ou pas trop – à son
prédécesseur. Avant sa première visite en tant que
président en Afrique, François Hollande est donc allé
s’entretenir, lundi 8 octobre, avec des intellectuels africains. La
préparation était destinée à l’aider à ne pas apparaître comme
aussi pénible, creux et pompeux en même temps qu’arrogant et
inculte, que son illustre prédécesseur Nicolas Sarkozy. Le
discours de Dakar de ce dernier, prononcé le 26 juillet 2007 à
l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, est, pour ainsi dire,
entré dans l’histoire... comme triste exemple d’un alignement de
contre-vérités historiques, à prétention pseudo-scientifique. La
plus célèbre phrase de ce pénible exercice restera : « Le drame
de l’Afrique est que l’homme africain n’est pas assez entré dans
l’histoire. »

François Hollande a cherché à s’en démarquer. Dans son
discours, prononcé le 12 octobre devant le parlement
sénégalais, il a donc convoqué l’histoire. Il aura évoqué « le
sang africain versé pour la liberté du monde », en allusion aux
soldats tombés pour libérer le continent européen du nazisme.
Mentionné aussi le rôle du Sénégal aux débuts de la Révolution
française, lorsque la ville de Saint-Louis présenta ses cahiers de
doléance au roi ; à l’époque, les habitants de quatre villes de
l’actuel Sénégal – dont Dakar et Saint-Louis – avaient la pleine
citoyenneté française. Le président de la République française
n’aura pas oublier, non plus, de traiter le Sénégal en « exemple
pour l’Afrique ». Ceci dans la mesure où l’alternance a pu avoir
lieu en mars 2012, puisque l’ancien président Abdoulaye Wade
reconnut sa défaite électorale. et que la France, contrairement à
d’autres pays tel que le Gabon en 2009, ne soutenait pas les
aspirations dictatoriales d’un candidat décidé à s’accrocher au
pouvoir.

Précisément, le Gabon et son président, le fameux Ali Bongo
(entouré des quarante voleurs), parlons-en. Il devrait être
considéré comme l’un des pires des autocrates encore en place
en Afrique. Soi-disant « élu » lors d’une farce de scrutin, fin
août 2009, Ali Bongo a succédé à son père, qui a occupé le
palais présidentiel pendant pas moins de quarante-deux ans (de
1967 à sa mort en 2009). Logiquement, les gouvernements
français, tout à leurs discours sur le « soutien à la
démocratisation » africaine, devraient donc rejeter son pouvoir. Et
bien, non ! Non seulement le Gabon fut l’une des destinations où
se rendit en février 2012 un certain Laurent Fabius, alors conseiller
du candidat François Hollande, devenu depuis son ministre des
Affaires étrangères. Fabius quitta Libreville le 13 février au soir,
après avoir été reçu par Bongo et exprimé son souhait que les
relations bilatérales (« excellentes ») « se développent dans le
futur ». Certes, le prétexte officiel de la visite fabiusienne était
alors « une conférence sur les pays émergents », purement
apolitique bien sûr…

Son patron lui-même, Hollande, ouvrit à son tour la porte, à
l’Élysée, à l’illustre visiteur, Ali Bongo himself, le 5 juillet. Notons, à
la décharge du locataire de l’Élysée, que François Hollande aura
tout de même attendu un peu plus que son prédécesseur, pour
recevoir le premier représentant de la richissime autocratie
pétrolière : Sarkozy, lui aussi élu le premier dimanche de mai
(comme Hollande en 2012), avait reçu le père Omar Bongo dès le
25 mai 2007. Pour François Hollande, « le changement », c’était…
« de ne pas le faire maintenant », tout de suite après l’élection,
mais de laisser un petit délai de décence. Tout de même. – Il est
vrai aussi, par ailleurs, que devant la presse réunie à l’Élysée,
François Hollande prononçait plusieurs fois les mots « démocratie »
et « bonne gouvernance » devant son visiteur, dont les oreilles
devaient un tout petit peu siffler.

Les chemins de l’Afrique centrale étant cependant impénétrables,
François Hollande allait rechigner quelque peu, trois mois plus tard,
à se rendre au sommet de la francophonie les 12, 13 et 14 octobre
à Kinshasa. Sacré dilemme. Être absent de Kinshasa, pratiquer
donc « la politique de la chaise vide », cela aurait pu être mal
perçu par toute une brochette de dictateurs (et quelques
présidents élus) « amis de la France ». Il fallait, quand même,
leur montrer qu’on sait encore, à l’Élysée, ce qu’est la fidélité…
et les intérêts stratégiques. D’un autre côté, la République
démocratique du Congo, pays hôte, est un État où tout ne va
pas au mieux. Des centaines de milliers de personnes y ont été
massacrées, violées, chassées de leurs terres ces dernières
années. Certes, le pouvoir en place n’en est qu’un des
responsables parmi d’autres, à côté de diverses milices, mais
aussi de certains États voisins convoitant les trop grandes
richesses de « l’homme malade de l’Afrique ».

François Hollande pensait avoir trouvé la solution. Avant de
partir à Kinshasa, il prononça plusieurs phrases critiques à
l’égard du pouvoir, perçues comme plus ou moins scandaleuses
par celui-ci. Le 9 octobre, il déclara ainsi que la situation des
droits de l’homme était « inacceptable ». (Ce à quoi le
gouvernement de la RDC répondait que c’était aux Congolais de
voir ce qu’ils acceptaient ou non ; ce qui est juste, même si
malheureusement, les autorités ne doivent pas trop souvent
leur demander leur avis, non plus.) Le 11 octobre, il récidiva
avec une remarque sur les « règles démocratiques ». Enfin, sur
place, le 13 octobre, il inaugura un département du centre culturel
français à Kinshasa qui portera le nom de Floribert Chebaya,
défenseur des droits humains assassiné en juin 2010. Concernant
le procès des policiers l’ayant probablement tué, le gouvernement
congolais avait d’ailleurs promis sa tenue juste avant le sommet…
avant d’en reporter la date. Il aura finalement lieu après le départ
des participants. La même remarque pouvant être faite pour la
réforme de la Commission électorale, elle aussi promise « avant le
sommet », avant d’être réexpédiée… pour après. On peut ainsi
parler d’un jeu de dupes.

Il était, cependant, d’autant plus facile pour François Hollande de
critiquer les choses « inacceptables » en RDC, que ce pays
n’appartient pas au noyau historique de la « Françafrique ».
Ancienne colonie belge, il connaît, certes, une certaine influence
politique et économique de la France ; mais elle ne domine pas
seule, devant partager avec les États-Unis, la Chine…

En attendant, la vraie « rupture avec la Françafrique »— promise
jusqu’ici par tous les nouveaux présidents arrivant à l’Élysée depuis
Valéry Giscard d’Estaing (1974), mais toujours remise à plus tard –
se fait attendre. Le changement, ce n’est pas encore maintenant.

Bertold Du Ryon