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FRANÇAFRIQUE ET NÉOCOLONIALISME

D 10 mai 2022     H 05:30     A     C 0 messages


Pour la 2e indépendance des pays africains
 Abolition du néocolonialisme francophone 
 Une nouvelle séquence historique sur l’axe Sud-Nord

Les événements se succèdent dans de nombreux pays d’Afrique francophone : relations Rwanda-France relancées après la remise du rapport Duclert [1] pointant les lourdes responsabilités de l’Etat français dans le génocide des Tutsis en 1994 [2], 
deux coups de force militaires au Mali en un an, sanctionnés par Paris et l’Union africaine notamment au nom de la « guerre contre le terrorisme » [3], coups d’Etat suivis selon le cas de régimes de transition en Guinée, au Burkina-Faso, en Guinée Bissau, exécution au Tchad d’Idriss Déby dans une sorte de révolution de palais validée dans ce cas par l’Elysée [4], retour de l’ancien président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire après dix ans d’exil et d’emprisonnement arbitraire à la CPI [5], mobilisations populaires contre les troisièmes mandats présidentiels anticonstitutionnels en Côte d’Ivoire, au Sénégal, Etats généraux de l’Eco tenus à l’université de Lomé en 2021, qui préconisent d’acter la rupture avec le franc CFA [6]….

Quelles que soient les contradictions et les limites de ces évènements, l’ensemble est marqué par des amorces de déblocages d’envergure, suite à une longue période d’immobilismes institutionnels dont sont responsables les exécutifs françafricains, la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne. En témoignent, au moins au niveau de l’affichage et parfois avec des suites concrètes en matière de réparations, l’annonce du président français E Macron concernant l’avenir monétaire (en décembre 2020), l’arrêt de l’opération Barkhane sous sa forme actuelle (en juin 2021), la reconnaissance de responsabilités françaises dans le génocide rwandais [7], celle des préjudices sanitaires causés à la population polynésienne dans le cadre des essais nucléaires [8], celle du quasi-abandon de la communauté harki après la guerre d’Algérie [9], celle du massacre criminel d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris [10].….

L’ouverture de ce blog d’Intercoll s’inscrit dans cette nouvelle séquence historique qui, avec le concours durable et concerté des mobilisations populaires, de militants et d’intellectuels, sonnera le glas du néocolonialisme francophone. Cette perspective d’émancipation des peuples du Sud et des communautés autochtones n’est pas limitée à la sphère d’influence française. A l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Congo, le 30 juin 2020, le roi des Belges, Philippe, a exprimé ses regrets au président de la République Démocratique du Congo Félix Tshisekedi concernant la période coloniale, un prélude à des excuses officielles. Une commission d’enquête parlementaire devrait voir le jour ; le CADTM en appelle à des réparations effectives. [11]

Dans la même période, l’Allemagne a reconnu la responsabilité du 2e Reich dans le génocide des Herreros et des Namas en Namibie [12]. Les Etats-Unis ont commémoré le centenaire du massacre de Tulsa (dans l’Oklahoma), faussement dénommé jusqu’alors émeute raciale [13]. Le Canada enquête sur les massacres et mauvais traitements d’enfants amérindiens, métis et Inuits, perpétrés dans le cadre de l’éducation catholique [14]. L’éviction de l’équipe suprématiste de D Trump aux USA s’est effectuée avec l’aide des minorités ethniques et d’organisations telles Black Lives matter, suite à l’assassinat de George Floyd à Minneapolis.

Ce sont autant d’éléments d’envergure, a minima au niveau symbolique pour certains, qui restent à analyser et à faire fructifier.

La France au cœur de la tourmente néocoloniale et intercommunautaire

En France, épicentre de conflits internationaux sur l’axe Nord-Sud (Europe-Afrique-Moyen orient), la montée des tensions intercommunautaires, singulièrement à l’actif de l’extrême droite et des droites au motif de la lutte contre le terrorisme islamiste, atteint un niveau record dans la même période.

La surenchère dite sécuritaire, alimentée par les pouvoirs publics et des médias complaisants, consacre la dérive autoritaire de l’appareil d’Etat : lettres ouvertes de gradés de l’armée qui en appellent à un retour à l’ordre musclé dans les quartiers populaires ; à l’Université et dans l’Education nationale, cabales ministérielles pour éradiquer les ferments « séparatistes » des études post-coloniales et de l’« islamogauchisme ».

En amont, un arsenal législatif –antiterroriste, anti-migrants, anticasseurs, antiséparatiste…-s’est constitué au fil des derniers mandats présidentiels. Dans cette gestion assez exclusivement répressive, sont exclues les responsabilités de l’Etat français dans les causes des violences incriminées, en premier lieu terroristes. Ainsi, les pays du Sahel subissent une occupation militaire sans perspectives de réduction effective du terrorisme et de paix civile depuis 2013, les autres pays francophones vivent, sauf exceptions, sous dictature [15], d’autres peuples subissent le talon de fer du fait d’une politique d’armements tous azimuts (à destination de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, du Qatar…) [16], les populations des Outremers (Antilles françaises, Nouvelle Calédonie…) résistent à une gestion centralisée et méprisante, en particulier en temps de crise pandémique, le troisième référendum d’indépendance de la Nouvelle Calédonie a été sabordé en l’absence de négociation avec la composante kanak (décembre 2021), les quartiers populaires comptent leurs morts issus de bavures policières, au nom d’une laïcité intégriste, les musulmans deviennent les nouveaux boucs-émissaires de la République, les migrants vivent dans une précarité chronique et sont pourchassés impitoyablement, la censure reste de mise dans les médias publics relativement à l’actualité Afrique-France, la chaîne France O (Outremers), qui la relayait entre autres programmes axés sur les Suds, a été déprogrammée…

Pour la création d’un front anti-autoritaire et internationaliste

Cette dérive autoritaire en métropole renforce de facto la prise de pouvoir progressive du pays par l’extrême droite, via son programme et ses nombreux mandats d’élus. La campagne électorale de 2022 est marquée par la médiatisation décomplexée de candidats nostalgiques du régime de Vichy, et dont certains ont été condamnés par la justice pour racisme et appel à la haine.

Dans ce contexte, le mouvement social français peine à trouver la parade [17]. « Négation du racisme comme modalité de gestion du rapport de classe, persistance d’une vision idéaliste de la République et de la Nation et faiblesse de l’anti-impérialisme sont les trois mamelles politiques nourrissant la faiblesse de la résistance antifasciste aujourd’hui. » [18]

C’est de l’inversion du débat sur les causes et les effets des passifs Sud-Nord, que dépend en grande partie l’efficacité des résistances et des alternatives. De même que du renforcement des alliances avec les représentations progressistes des pays néo-colonisés, des Outremers et des quartiers populaires multi-ethniques, et de l’inclusion de leurs expertises et éléments de programme spécifiques. Toutes ces tâches analytiques et stratégiques contribuent à décoloniser les mentalités, à faire refluer les racismes et à responsabiliser les différents acteurs à l’égard de la politique internationale et de ses répercussions en interne. Cela dans le contexte de crise du système néolibéral, tant au niveau géo-politique, socio-économique, écologique, sanitaire.

Concernant l’Afrique francophone, l’annulation des dettes illégitimes fait partie de ce programme alternatif, de même que l’abolition du franc CFA, l’arrêt des opérations militaires extérieures et des Accords de partenariat économique (APE), la relocalisation des économies, la restitution des biens culturels spoliés, la création d’un impôt spécial pour les multinationales françaises installées en Afrique dont une partie irait en dédommagement des passifs néocoloniaux [19], l’annulation des sommets néo-coloniaux Afrique-France [20]...

C’est sur ces bases que s’organisent souvent les sociétés civiles, dont les femmes sont des protagonistes, les diasporas installées en Europe, ainsi que les mouvements sociaux nationaux.

Source : https://intercoll.net/Francafrique-et-neocolonialisme

Notes :

[1] https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994

[2] https://information.tv5monde.com/afrique/relations-franco-rwandaises-un-rapprochement-pas-pas-27-ans-apres-le-genocide-des-tutsis

[3] https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/guerre-au-mali/mali-ce-que-l-on-sait-du-nouveau-coup-de-force-des-militaires-qui-ont-arrete-le-president-de-la-republique-et-le-premier-ministre_4637053.html

[4] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/04/20/deces-du-president-de-la-republique-du-tchad-idriss-deby-itno

[5] https://www.jeuneafrique.com/1189274/politique/retour-de-laurent-gbagbo-pour-ses-partisans-lespoir-dune-fete-et-dune-vraie-reconciliation/
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/06/15/apres-dix-ans-d-absence-laurent-gbagbo-de-retour-jeudi-en-cote-d-ivoire_6084195_3212.html

[6] https://information.tv5monde.com/video/togo-ouverture-des-etats-generaux-de-l-eco

[7] https://www.letemps.ch/monde/emmanuel-macron-rwanda-une-reconnaissance-responsabilite-france-dexcuses

[8] https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/28/essais-nucleaires-en-polynesie-macron-reconnait-une-dette-mais-ne-presente-pas-d-excuses-au-nom-de-la-france_6089777_823448.html

[9] https://www.liberation.fr/societe/harkis-entre-excuses-et-repentance-macron-choisit-le-pardon-20210920_YMSTAGDYXJDFLLMQ7EMPT6ND4Q/

[10] https://www.la-croix.com/17-octobre-1961-Macron-apprete-reconnaitre-une-verite-incontestable-2021-10-15-1301180838

[11] Eric Toussaint, « Réponse à la lettre de Philippe, roi des Belges, sur les responsabilités de la Belgique dans l’exploitation du peuple congolais », site du CADTM, 2 juillet 2020.

[12] https://www.lepoint.fr/afrique/l-allemagne-reconnait-le-genocide-des-hereros-et-des-namas-28-05-2021-2428529_3826.php

[13] https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210601-%C3%A9tats-unis-joe-biden-%C3%A0-tulsa-pour-rompre-le-silence-sur-le-massacre-d-afro-am%C3%A9ricains
Suite à une situation de ségrégation contestée pacifiquement, c’est un massacre de masse, à l’encontre de la population afro-américaine, qui se déroula dans le quartier de Greenwood à Tulsa dans l’Oklahoma entre le 31 mai et le 1ᵉʳ juin 1921.

[14] https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210529-au-canada-les-restes-de-215-enfants-autochtones-retrouv%C3%A9s-sur-le-site-d-un-ancien-pensionnat

[15] Les nuisances de la françafrique concernent également les pays du Maghreb, comme le montre l’enlisement du mouvement démocratique en Algérie :
Karim Tabbou, « Tous les complices de l’ère d’Abdelaziz Bouteflika sont de retour » : « Personnellement, je le dis et je l’assume, la France officielle est et reste l’un des obstacles à la mise en place d’un processus démocratique en Algérie »
https://www.tsa-algerie.com/karim-tabbou-tous-les-complices-de-lere-bouteflika-sont-de-retour/

[16] Saïd Bouamama (FUIQP), « Crise de l’Impérialisme français en Afrique et processus de fascisation dans l’hexagone » https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/06/17/crise-de-limperialisme-francais-en-afrique-et-processus-de-fascisation-dans-lhexagone/
« Un autre axe essentiel du livre blanc de la défense de 2013 est le renforcement de la production d’armement présentée comme un des atouts importants des capacités de défense française. Cette production, rappelons-le, a besoin de guerres pour se maintenir. Dans les salons où se négocient les contrats de vente d’armements entre États, l’industrie française peut mettre en avant comme arguments de vente des produits des expérimentations pratiques en Afrique. Les profits faramineux de l’industrie d’armement ont besoin de guerres réelles pour se réaliser. La France est ainsi en 2020 le troisième exportateur d’armes dans le monde avec 8,2% des exportations mondiales. »

[17] En complément de l’expertise de l’association Survie, des médias d’investigation comme Mediapart relayent l’information dans la dernière période, sur ce secret d’Etat ou secret Défense, qu’est « la politique africaine de la France ».
Rejoignons-nous : « Pour en finir avec la Françafrique, le militarisme et l’impérialisme français » (2021) https://www.rejoignons-nous.org/textes/pour-en-finir-avec-la-francafrique-le-militarisme-et-limperialisme-francais/

[18] Saïd Bouamama, article cité.

[19] artine Boudet (coord), Résistances africaines à la domination néo-coloniale (Le Croquant, 2021)https://editions-croquant.org/actualite-politique-et-sociale/710-resistances-africaines.html
Liste des auteurs : Jacques Berthelot Conseil scientifique d’Attac France et réseau SOL, Saïd Bouamama FUIQP, Martine Boudet (coordination) CS d’Attac France, Thierry Brugvin CS d’Attac France, CADTM Afrique, Esmathe Gandi ancien président d’Attac Togo, Claude Layalle Attac France, Gus Massiah représentant du CRID au Conseil international du FSM, Marie-Paule Murail Commission internationale Attac France, Kako Nubukpo ancien ministre de la Prospective au Togo, Ndongo Samba Sylla chargé de programmes à la Fondation Rosa Luxemburg, Aminata Traoré ancienne ministre malienne de la Culture et du Tourisme.

[20] Colloque de Montpellier pour l’annulation des sommets France-Afrique (le 02 10 2021) https://annulation-sommet-afrique-france.fr/category/communications.html