L’Afrique face au complexe militaro-industriel d’Israël
29 octobre 2023 14:49 0 messages
Israel est devenu une puissance en Afrique, tant en raison d’une diplomatie discrète liée aux affaires que d’un déploiement de technologies militaires, déjà testées, qui sont présentées ci-dessous.
Une enquête d’Olivier Vallée
La surprise de l’armée israélienne, le 7 octobre 2023, tient à la confiance qu’elle avait mise dans les capacités du géant militaro-industriel Elbit Systems. Ce groupe, où dominent des anciens du Mossad et de Tsahal, a saisi assez vite les nouvelles menaces des guerres urbaines et asymétriques. Si les États-Unis d’Amérique et les Européens fournissent à Tel Aviv les équipements militaires comme les avions et les chars. destinés aux guerres conventionnelles, les Israéliens ont développé un savoir-faire particulier en matière de murs, de surveillance électronique, de munitions et d’espionnage électronique.
Elbit Systems à la manoeuvre
Le gouvernement américain a reconnu l’expertise d’Elbit Systems et lui a signé un contrat de 145 millions USD pour l’installation de « tourelles de surveillance » sur la frontière mexicaine. Ce montant venait d’être augmenté à 239 millions USD en octobre 2022. Ces tourelles, qui sont des postes automatiques de détection, constituaient la nervure de la muraille de fer autour de Gaza, achevée en 2021. Elbit a fourni les capteurs, les radars, les caméras et les autres technologies de détection et d’alarme automatiques « d’Iron Wall ». Ce sont ces tourelles qui ont été défaillantes car les drones du Hamas, achetés sur le marché du matériel civil, étaient trop légers pour être perçus par les radars des tourelles. Les capteurs terrestres doivent être nettoyés par des hommes et régulièrement, ainsi de suite, et les promesses d’une guerre par les robots sont difficiles à tenir.
L’Union européenne n’est pas en reste car elle a signé avec Elbit un contrat de fourniture de drones qui patrouillent pour le compte de Frontex : objectif contrer les arrivées de migrants africains. Elbit ne fournit pas uniquement des drones d’observation mais semble apprécié pour son terrible SkyStriker. Ce type de drone de haute précision « peut localiser les cibles spécifiques et les attaquer avec une ogive pouvant peser jusqu’à 10 kg ». « Équipé d’un moteur électrique, le SkyStriker permet des opérations secrètes allant jusqu’à deux heures et une portée allant jusqu’à 100 kilomètres ». Ce type de drone est appelé « drone suicide » en Israël. L’entreprise Elbit fournit à l’armée israélienne environ 85% de ses drones, qu’elle utilise pour la surveillance quotidienne et les attaques régulières, ainsi que des munitions et tous les composants des avions israéliens. Les bénéfices de l’entreprise ont considérablement augmenté après que ses équipements ont été utilisés dans la guerre israélienne contre la Bande de Gaza en 2014, ce qui l’a aidée à conclure des contrats avec des armées du monde entier.
Parmi les actionnaires d’Elbit, beaucoup d’Allemands, dont Deutsche Bank. Il est fort possible qu’Elbit ait conclu un contrat demeuré secret avec un pays européen. « Une société de sécurité israélienne a annoncé, lundi, la vente de drones de combat d’une valeur de 95 millions de dollars à un pays européen. La société israélienne Elbit Systems (basée au Royaume-Uni) n’a pas donné de plus amples détails sur le pays avec qui elle a conclu ce contrat pour l’achat de ce type de drone. Dans une déclaration écrite parvenue à Anadolu, la société israélienne a affirmé avoir remporté un contrat d’une valeur de 95 millions de dollars pour la fourniture de drones de type SkyStriker à un pays européen, sans toutefois le nommer. »
Un fournisseur de confiance
Devant l’incapacité de la France de lui fournir des drones le royaume marocain envisagerait leur construction sur son territoire avec Elbit Systems. « La société israélienne Elbit Systems pourrait installer deux usines d’équipements militaires sur le sol marocain, selon Shay Cohen, responsable de la communication de la société à Rabat. Bien qu’aucun détail supplémentaire sur les usines de production n’ait été révélé, Cohen a précisé que l’une d’entre elles serait implantée dans la région de Casablanca. L’annonce de la société israélienne renforce sa présence au Maroc après plusieurs transactions commerciales avec le Royaume. Elbit Systems a fourni aux Forces Armées Royales des drones Hermes-900 et le système de lancement de roquettes d’artillerie PULS, déjà opérationnel dans la structure militaire. »
Bien entendu l’implantation de telles fabriques et le recours, dans des espaces voisins, aux outils d’Elbit, inquiète l’Algérie. « Trois sociétés israéliennes spécialisées dans les domaines de la défense et des télécommunications vont s’implanter au Mali. C’est ce que rapporte le site Africa Intelligence qui indique qu’« à force de lobbying, les géants israéliens IAI, Elbit et Mer ont réussi à décrocher le contrat de protection périmétrique de la Minusma, au Mali ». Ces sociétés « visent désormais les quelque quarante bases de maintien de la paix onusiennes dans le monde, dont certaines sont situées au Proche-Orient », précise Africa Intelligence. On connait la suite : la MINUSMA fut chassée du Mali en raison de son inefficacité après 10 ans de présence mais sa tentative d’installer à la frontière algérienne ce type de surveillance israélienne était intolérable.
Complicités africaines anciennes
En aout 2023, Abuja a retenu la société israélienne Ebony Enterprises pour fournir les munitions dont le coût devrait excéder 100 millions d’euros. Implantée à Herzliya, elle est détenue par Niso Bezalel qui s’appuie sur un puissant réseau en tant que président de la chambre de commerce Israël-Afrique. Si Ebony se présente comme une société spécialisée en logistique, services informatiques et chaîne d’approvisionnement, elle ne fait aucune publicité de ses activités dans le domaine de la défense. Elle a pourtant pris contact avec des fournisseurs pour équiper les avions Leonardo du Nigéria. Agissant en tant que distributeur au profit de son compatriote israélien Elbit Systems, qui n’est pas actif au Nigeria, Ebony pourrait livrer à Abuja des bombes guidées laser Lizard ainsi que des unités de MPR 500. Le courtier israélien a fait appel aux services de l’Israel Foreign Trade Risks Insurance Co (ASHRA), l’agence publique d’aide à l’export, pour financer ce matériel. Par ailleurs, Ebony est en contact avec la filiale belge du géant français Thales, dans l’optique d’équiper les avions de lance-roquettes de type LAU-51. Pour compléter cet arsenal, la firme israélienne pourrait aussi jeter son dévolu sur les canons automatiques M621 de Nexter, autre poids lourd français qui fournirait des munitions de 20 mm.
Difficile pour les États africains d’avoir une position diplomatique ferme vis-à-vis de Tel-Aviv, malgré souvent la composante musulmane de la population. L’offre complète de services et d’équipements d’Israël en fait un partenaire décisif au nom de la guerre au terrorisme sur le continent que Saoudiens et Américains mènent dans l’alliance globale.
Seuls Djibouti, les Comores, la Somalie, le Mali et le Niger ont exprimés clairement leur refus vis-à-vis des positions d’Israël sur la Palestine et ne sont pas impliqués (pour l’instant) dans la politique étrangère parallèle du complexe militaro-industriel hébreu. Parmi les pays qui ont choisi d’exprimer un soutien net à Israël on compte : le Kenya, la République démocratique du Congo (le Zaïre fût l’un des premiers États à rétablir des liens avec Israël en 1982 avec Mobutu qui aimait les parachutistes israéliens) et l’actuel président Tshisekedi a annoncé l’ouverture d’une ambassade à Tel Aviv avec une section économique à Jérusalem en 2020. La plupart des pays ayant des relations militaires et partageant le renseignement et la contre-insurrection avec Israël n’osent pas l’avouer clairement et se font discrets quand il faut voter une résolution en faveur de la Palestine. Ainsi en 2012, c’est le vote de la résolution 67/19 octroyant à la Palestine le statut d’observateur non-membre auprès de l’ONU qui a révélé le peu de soutien des Africains pour Israël. 47 États africains ont voté pour l’adoption de la résolution alors qu’aucun n’a voté contre et que seuls le Cameroun, la RDC, et quelques autres se sont abstenus.
Faure Eyadéma, dans la continuité de son père, qui comme le maréchal Mobutu, appréciait les capacités militaires et policières d’Israël, a conservé des relations diplomatiques intenses avec Tel-Aviv. Plus que son père, il a installé Elbit à Lomé avec des écoutes et des mercenaires qui ne se cachent pas à l’hôtel Sarakawa de Lomé. « Une rencontre aussi décisive que fortuite entre Gaby Peretz, grand courtier de l’armement israélien, et l’ambassadeur du Togo en Israël permet de propulser la société au cœur des affaires en Afrique de l’Ouest. Car c’est en 1987 justement que le Togo renoue officiellement ses relations diplomatiques avec Israël, étant l’un des premiers pays africains à adopter cette mesure sous l’impulsion du président Gnassingbé Eyadéma, père de Faure Gnassingbé, l’actuel chef de l’État togolais. » « Le courtier irrigue la quasi-totalité des pays d’Afrique francophone, de la Mauritanie au Gabon, en passant par la Côte d’Ivoire et le Congo. Et ce sans omettre le Sénégal, l’un des plus solides bastions détenus à ce jour par Gaby Peretz en raison des rapports particulièrement étroits qu’il a su créer avec Macky Sall avant son accession à la présidence. Tout récemment, AD Con s’est d’ailleurs positionné à Dakar sur un vaste marché incluant un package d’équipements de sécurité – véhicules blindés et équipements de communication – d’une valeur de 100 millions d’euros. En outre, Gaby Peretz a largement assis son influence au Burundi en occupant les fonctions de consul honoraire du pays en Israël. »
Madagascar et Predator
Les consuls honoraires de Tel Aviv en Afrique sont à cheval sur la diplomatie conventionnelle et les affaires militaires et de renseignement. C’est le cas du consul honoraire d’Israel à Madagascar, Benjamin Memmi, qui aime rappeler que son pays a entretenu des liens de fraternité avec Madagascar depuis la Première République. Certes, mais le président Tsiranana, inspiré par la SFIO française, appréciait l’expérience agricole d’Israël, plus que ses prouesses en matière d’armement.
Benjamin Memmi déclarait, le 10 juin 2023 : « Nous comptons renforcer ces relations bilatérales à travers cette Chambre de Commerce. L’ouverture d’une ligne aérienne directe entre les deux pays est également envisagée pour développer le tourisme. En effet, nombreux sont les Israéliens qui s’intéressent à découvrir la nature cinq étoiles de la Grande île, tandis que de nombreux voyages organisés sont réalisés depuis ces dernières années pour permettre aux Malgaches d’effectuer un pèlerinage en Israël. Ils raffolent également de vanille, de litchi et des épices de Madagascar ». Depuis il est devenu public qu’il est l’intermédiaire de l’achat de l’application Predator par le gouvernement malgache. Predator est un produit de Cytrox lié à Elbit Systems. Cette firme par l’intermédiaire de sa filiale Cyberbit a fourni un logiciel d’espionnage électronique des opposants éthiopiens aux États-Unis et en Grande Bretagne jusqu’en 2020. Gaby Peretz n’a pas franchi les obstacles du marché nigérian malgré les besoins de géolocaliser Boko Haram. En 2016, Gaby Peretz et ses équipes ont pourtant essayé de négocier, directement avec Muhammadu Buhari, pour lui fournir un systèmes israélien. Ces tractations ont cependant été vigoureusement dénoncées par le conseiller à la sécurité nationale – National Security Advisor (NSA) – Babagana Monguno, l’homme fort des questions de défense à Abuja. Mais avec Tinubu et l’équipement des avions Leonardo, Elbit Systems devrait pouvoir entrainer dans son sillage de nombreux opérateurs israéliens.
Électronique et morale
Elbit Systems, depuis sa fondation en 1967, à Haïfa, a absorbé nombre de constructeurs d’armes, collabore avec la française Thalès et possède 80 filiales. En mai 2015, Elbit a acquis les activités de renseignements et de défenses numériques de Nice Systems pour 157,9 millions USD. En mars 2018, elle opère une OPA pour 523 millions USD sur IMI Systems, fabricant israélien d’armes légères, notamment du Uzi. La firme était précédemment détenue par l’État d’Israël qui, par cette opération, a privatisé cette dernière entreprise d’armement. Cette extension d’Elbit et ses partenariats lui permettent de rentrer en contact avec des États africains qui ont encore quelques pudeurs à traiter ouvertement avec un groupe dont le produit d’appel est « Iron Wall ».
Les derniers événements en Israël démontre cependant qu’il n’y pas d’électronique incontournable. L’entretien du matériel et le dépouillement des informations sont une lourde charge démontrant que Robocop ne peut assurer la sécurité sans l’homme. Se pose la question, en Afrique en particulier, de la validité, de l’efficacité et peut-être de la moralité des inventeurs « d’Iron Wall ».
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