L’impérialisme russe, un « acteur du bien » ? Des paroles en l’air qui retombent en poisons sur certaines terres
20 octobre 2022 04:30 0 messages
Bamako (Mali), le 13 mai 2022, de jeunes manifestants brandissent le drapeau russe. Ils soutiennent la junte militaire au pouvoir dirigée par le colonel Assimi Goïta, lequel a officialisé la présence active dans le pays de la société militaire privée russe Wagner et la coopération avec la Fédération de Russie. Le groupe Wagner, propriété de l’oligarque russe Evgeni Prigojine, unité corsaire de Vladimir Poutine, s’est déjà illustré sur divers théâtres d’opérations, de la Syrie à la Lybie et notamment en République Centre-Africaine ou ils ont massacré, violé et surtout pillé, tristes activités largement documentées par les organisations non gouvernementales et par le Groupe de travail des experts indépendants du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, se rendant coupable des violations systématiques et graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, notamment des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions sommaires, un phénomène qui se poursuit sans relâche et en toute impunité. Ils vont maintenant s’illustrer au Mali, sans arrêter la progression en tache d’huile des djihadistes qu’ils sont censé combattre.
Loin de Bamako ou de la Centre-Afrique, le 22 septembre à New York, Serguei Lavrov a prononcé un discours devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. Le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie depuis bientôt 19 ans, y explique doctement que c’est son pays qui défend la Charte des Nations Unies, qui se bat pour le droit à la vie, la liberté d’expression et de conscience et doit faire face une opération militaire de Kiev, un Etat totalitaire qui développe la théorie et le pratique du nazisme. Que le massacre (perpétré par les forces russes) de Boutcha est une mise en scène pour bloquer un « processus de négociation » et que dans les villes (bombardée pourtant systématiquement par l’artillerie des agresseurs russes), les forces ukrainiennes et bataillons nazis utilisent des boucliers humains - là il a copié sur son collège israélien qui utilise le même argument chaque fois que Tsahal bombarde les « terroristes » à Gaza. Bien sûr, cette logorrhée ne convainc personne, même pas les Etats indulgents vis-à-vis de la Russie. Mais Lavrov parle bien au-delà de l’enceinte onusienne, il s’adresse à diverses composantes de l’opinion mondiale, y compris ces jeunes de Bamako…
Le pensum Lavrovien est un préliminaire, il va être suivi par le discours solennel de Vladimir Poutine le 1er octobre, pour célébrer le « retour » dans la « mère patrie » des oblast de Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Louhansk « conforme » à « l’article 1 de la Charte des Nations unies, qui énonce directement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples » nous a expliqué l’inénarrable Vladimir, après une agression et une annexion qui sont explicitement contraires à la dite charte, et ont été condamnés ou critiqués comme telles par presque tous les Etat du monde.
Mais notre néo-tsar justifie sa politique puisqu’il s’agit de reconquérir la « Novorossiya » (Nouvelle Russie) où Catherine la Grande et Grigory Potemkin ont fondé de nouvelles villes - dont remarquons le Marioupol que les forces poutiniennes viennent de détruire. Remarquons aussi que la population d’origine Tatare et plus généralement musulmane de ces régions a été très largement « éradiquée » par les politiques tsaristes et stalinienne.
Il développe surtout un thème que son fidèle Lavrov n’avait qu’esquissé. Si la guerre a été déclenchée » nous dit-il, par le régime de Kiev en 2014, elle est d’abord le fait de « l’Occident ». Cet Occident « prêt à franchir toutes les limites pour préserver le système néocolonial qui lui permet de vivre aux crochets du monde, de le piller grâce à la domination du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité, d’extraire sa principale source de prospérité imméritée, la rente versée à l’hégémon. Dit par un autre que le sinistre potentat du Kremlin en cours « d’opération spéciale » impérialiste en Ukraine cela mériterait évidemment discussion. Le système néolibéral, d’origine occidentale, domine effectivement le monde – et à ce système d’ailleurs l’oligarchie russe a pleinement participé. Bien entendu les politiques des Etats Unis, et certaines puissances dites occidentales de moindre importance militaires –dont la France, ont toujours des attitudes hégémoniques, voire néocoloniales, plus ou moins affirmées dans plusieurs régions du monde, qui se heurtent parfois aux intérêts et aux activités d’autres puissances capitalistes (Chine, Inde, Turquie…et Russie) partenaires ou/et adversaires. Mais là n’est pas le sujet. Vladimir veut s’affirmer comme un héritier : Notre pays ait pris la tête du mouvement anticolonial, qui a ouvert à de nombreux peuples du monde entier la possibilité de progresser, de réduire la pauvreté et les inégalités, de vaincre la faim et la maladie. Il parle évidemment de l’URSS qu’il s’abstient de nommer, car il critique par ailleurs avec virulence ses fondateurs, à commencer par Lénine, pour avoir reconnu les droits des peuples au sein même de l’Union soviétique naissante et tenté une politique de décolonisation interne – qui sera pervertie puis liquidée par Staline. Quant à la tête (soviétique) du mouvement anticolonial, il y aurait beaucoup à dire, car comme le soulignait Che Guevara dans son célèbre discours d’Alger de février 1965 les pays socialistes de l’époque et notamment l’URSS, avaient des rapports de domination vis-à-vis des pays du tiers-monde.
Doctement, après s’être réjouit de ses annexions –même si elles sont loin de se concrétiser sur le terrain, Vladimir Vladimirovitch qui aimerait bien régner sur « toutes les Russies » s’adresse au monde et à « son » peuple. Car les occidentaux n’ont que faire du droit naturel de milliards de personnes, la majorité de l’humanité, à la liberté et à la justice, du droit de déterminer leur propre avenir. Ils sont déjà passés à la négation radicale des valeurs morales, religieuses et familiales.
Et précise-t-il à l’attention de tous les citoyens de Russie : voulons-nous avoir ici, dans notre pays, en Russie, « le parent numéro un, le parent numéro deux et le parent numéro trois » (ils ont complètement perdu la tête !) au lieu de la mère et du père ? Voulons-nous que nos écoles imposent à nos enfants, dès leurs premiers jours d’école, des perversions qui mènent à la dégradation et à l’extinction ? Voulons-nous leur enfoncer dans le crâne l’idée que certains autres genres existent à côté des femmes et des hommes et leur proposer des opérations de réassignation sexuelle ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et nos enfants ? Tout cela est inacceptable pour nous. Nous avons un autre avenir à nous. La vérité est avec nous, et derrière nous, il y a la Russie !
Ces paroles n’ont guère d’effets pour la plupart d’entre nous. Mais elles sont relayées systématiquement par des trolls sur les réseaux sociaux et donnent à certains l’impression que l’impérialisme russe est un « acteur du bien » face à des populations dont la société a été déstructurée par la gestion néolibérale globalisée du monde, par la faillite d’élite corrompues qui participent à ce système, par la négation permanente des communs, par l’humiliation constante (toutes choses d’ailleurs qui concernent aussi bien des Russes eux-mêmes), des populations qui trouvent refuge dans des idéologies obscurantistes de diverses colorations nationalistes, religieuses, complotistes ou autres et imaginent le néo-tsar noir en chevalier blanc.
Tandis que l’on est informé d’exactions du groupe Wagner au Mali, et que l’efficacité, déjà médiocre, de cette troupe est diminuée par la nécessite d’envoyer les meilleurs éléments en Ukraine, Evgeni Prigojine lui-même fait de la retape dans les prisons russes pour les remplacer…
1er octobre 2022, Ouagadougou (Burkina Faso), alors que le capitaine Ibrahim Traoré a renversé le lieutenant–colonel Damiba accusé d’être incapable de lutter contre les djihadistes, des jeunes ont attaqué l’ambassade de France en brandissant des drapeaux russes.
Bernard Dreano
Du centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale CEDETIM
et de l’Assemblée européenne des citoyens AEC.HCA/France
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