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La politique française en Afrique entre gestion des conflits et démocratisation impossible

D 10 février 2013     H 21:20     A Régis Marzin     C 0 messages


L’alternance politique en France a créé une attente de progrès dans la politique étrangère africaine. L’usure de la Françafrique encourageait une mutation plus affirmée. Des perspectives s’ouvraient en termes de soutien de la démocratisation du continent africain. Le déclenchement du conflit malien a redéplacé les enjeux sur la gestion des conflits, entrainant de fortes incertitudes sur les choix stratégiques du nouveau gouvernement. Si le voile ne s’est pas levé, l’intervention militaire au Mali permet de commencer à mieux cerner les orientations de la politique française, au regard des réalités. La gestion politique du conflit malien révèle beaucoup plus qu’un sommet de la Francophonie, teinté de théâtralité diplomatique. L’actualité africaine permet de former l’image d’un président pour la communauté internationale, et pour les citoyens français. Surtout, à l’épreuve du feu, le président Hollande donne des indications à l’ensemble de ses partenaires politiques qui attendaient des éléments pour interagir.

Une priorité du nouveau gouvernement, l’armée française

Le Parti Socialiste et, dans une moindre mesure, son allié écologiste, savent qu’ils n’auront pas droit aux erreurs et aux approximations du Mitterrandisme. Ils récupèrent une armée compromise par plus de 50 ans de néocolonialisme et de collaboration quotidienne avec les dictatures. Cette armée est républicaine en France, mais ne l’ai pas vraiment sur son terrain principal d’action, en Afrique. Elle forme et conseille des armées de maintien au pouvoir, mal équipées pour éviter les coups d’états. La Françafrique et ses détournements de moyens de l’état aux profits d’intérêts privés, surtout par les paroxysmes des années 90 post-guerre froide, ont accentué l’écart entre l’armée française et les valeurs acceptables en démocratie, et peu de choses ont été faites depuis pour corriger les pratiques et signifier leur abandon. Le renouvellement des cadres se fait lentement, au fur et à mesure des mises au placard et des départs en retraites. Les discussions sur une Europe de la défense, longtemps retardée, ne peuvent plus être repoussées, du fait du retard pris sur d’autres domaines d’intégrations et du fait des enjeux économiques et géostratégiques. Le regard des partenaires européens scrute le bilan français, là où cela fait mal. L’intervention au Rwanda et l’accusation de complicité de génocide ont laissé un traumatisme. Depuis 19 ans, la justice et la vérité ont été sciemment retardées sur la participation au génocide pour repousser l’arrivée d’un scandale en forme de tsunami. Depuis 2008, et encore plus depuis 2012, cette vérité progresse de plus en plus vite, en particulier avec les investigations du juge Trévidic sur l’accident de l’avion d’Habyarimana. Début 2013, le rôle de Paul Barril apparaît au grand jour[1]. Les négationnistes commencent à devoir se cacher de peur que les accusations liées à l’implication ne se doublent d’accusations d’entrave à la justice. D’autres plaintes contre des militaires français, retardées au maximum devront être traitées dans les 5 ans à venir sans qu’il soit, comme avant, possible pour le gouvernement de les bloquer, et d’éviter les interactions avec l’apparition de la vérité par plusieurs canaux. Le déblocage du dossier rwandais qui s’annonce fait que l’armée française est menacée d’un écroulement de son image que l’état anticipe.

Bien que Sarkozy ait semblé proche de l’armée, comme la plupart des conservateurs ou libéraux, son bilan apparaît avec le recul contestable par l’armée elle-même. Focalisé sur d’autres priorités, comme le rapprochement avec l’OTAN, il a négligé de moderniser les objectifs et le fonctionnement de cette armée pour accompagner l’affaiblissement du néocolonialisme. La mission en Afghanistan, sous commandement de l’OTAN, de 2001 à fin 2012, a été mal vécue, avec 88 soldats tués à la mi-2012, presque tous entre 2008 et 2012. En Afrique, l’intervention au profit d’Idriss Déby en 2008 est associée à une trouble et secrète improvisation politique. Le conflit de Côte d’Ivoire a permis de reprendre le dessus en termes d’image mais l’analyse des objectifs montre trop d’ambigüités sur les questions électorales, un renouvellement de méthodes françafricaines, un ‘lien’ avec des crimes de militaires français, et un risque d’enlisement. La guerre en Libye a été trop improvisée et trop liée aux intérêts personnels du président, sa relation avec Khadafi, pour satisfaire l’armée française. L’accélération avec Alain Juppé a fait prendre des risques diplomatiques et militaires dans des opérations, fermes médiatiquement mais peu maîtrisées, comme le prouve l’origine libyenne de la guerre au Mali. Sarkozy semble avoir ralenti une possible modernisation de l’armée à cause de ses liens avec les dictateurs africains, ou de mystérieux intérêts financiers dans le monde arabe. Sarkozy et Juppé ont réussi à commencer revaloriser l’image de l’armée auprès d’une opinion qui ne rentre pas dans les détails, mais le bilan du dernier quinquennat et du président UMP, qui préférait la police à l’armée, ne sera sans doute pas défendu par les militaires eux-mêmes. L’action du pouvoir exécutif n’était pas à la hauteur des enjeux à plus long termes. En conséquence, pour Hollande et son gouvernement, ce qui se joue, ce sont les relations état-partis politiques-armée, observées par les citoyens, une « normalisation » de ces relations, et la modernisation des objectifs pour s’adapter aux nouveaux enjeux internationaux. Dès le 14 juillet 2012, Hollande annonçait la création sur le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale »[2]. Ce livre blanc est actuellement en discussion[3]. En période de difficultés économiques, cela ira avec le resserrement des budgets, l’adaptation des moyens, la sauvegarde les emplois dans l’armement, sachant que le marché de l’armement est très sensible aux aléas politiques et que la corruption type ‘affaire Karachi’ semble avoir eu des effets secondaires.

Fin du néocolonialisme et transformation des objectifs de l’armée

L’opération française au Mali permet au gouvernement français de coller à des objectifs opérationnels réfléchis, en lien avec une politique officielle maintenant bien assumable, même si elle est contestable ou approximative par certains aspects. L’intervention anti-terroriste officielle, qui associe des objectifs secondaires peu définis, permet de replacer la politique française dans un espace où les détracteurs de la Françafrique aux aguets ont peu de prises, le pragmatisme opérationnel l’emportant face à cette crise sur l’idéalisme teinté d’idéologie. Le conflit malien met en évidence la nécessité de mettre en œuvre plusieurs politiques cohérentes, militairement, et au niveau développement et politique, puisqu’il est question, sans censure, des institutions, des effets de la corruption sur la démocratie, de la nécessité d’un développement rapide, de la gestion des conflits ethniques, et des budgets des états possédants des ressources naturelles. Ce qui est ainsi mis en évidence, c’est exactement ce que l’état français n’a pas fait ailleurs, quand, jusqu’à présent, il n’a soutenu ni le développement sans retour financier en France à court terme, ni la démocratisation. S’il devait rester cohérent et marquer une transformation par rapport au néocolonialisme, le gouvernement se devrait de modifier les objectifs de l’armée, dans tous les pays, et, concrètement, d’arrêter les coopérations militaires et policières avec les dictatures. La liste des dictateurs avec qui collabore l’armée française est connue et ce qui leurs est reproché est tout aussi connu[4]. Continuer de faire semblant de ne pas connaître ces réalités serait vouloir jouer les illusionnistes à la mode françafricaine. Ce qui se joue c’est la possibilité pour l’armée française de se transformer pendant la disparition progressive de la Françafrique et du néocolonialisme, dont elle est partie prenante et élément structurant. L’armée française a conservé une place essentielle dans le réseau étoilé des dictatures selon la volonté des politiques soucieux depuis 50 ans de l’indépendance énergétique et de l’approvisionnement en ressources naturelles. Elle a été utilisée par les politiques pour autre chose que des objectifs républicains. L’institution militaire a profité des avantages de cette position stratégique, et beaucoup ont fait carrière sur cette logique. Cette partie de l’état est la dernière à s’adapter aux données géopolitiques de l’après guerre-froide, mais, cela ne peut que se faire que concomitamment à une transformation politique et économique supplémentaire. Pour compenser l’absence ou la faiblesse du discours sur la démocratie entre mi-2012 la fin de la phase la plus active du conflit malien en 2013, le gouvernement français pourrait être obligé de faire des actions plus visibles. Mais, si le discours et les actions passaient bientôt du militaire au développement dans une conception humanitaire, en faisant l’impasse sur la démocratie, pour respecter des logiques militaires ou attendre une intégration européenne hasardeuse, cela renverrait, pour quelques années encore, à l’obsolescence des anciennes stratégies, dans une relance d’une Françafrique, sous une nouvelle forme, sans sortir de l’impasse.

L’été 2012, l’armée française sortait, discrètement et symboliquement, à Libreville, pour protéger les manifestants à l’arrivée du leader de l’opposition Mba Obame, ce qui a embarrassé un Ali Bongo en pleine dégringolade à Paris. Le gouvernement français décidera de compromis et de phases pour faire évoluer l’armée française. Le débat sur sa présence continue en Afrique a pris de l’importance en raison de sa place dans le système néocolonial. Cependant, plus de 20 ans après la guerre froide, étant donné la géopolitique africaine actuelle, ce débat se déplacera sans doute rapidement sur les objectifs, et la relation entre forces armées et pouvoirs exécutif et judiciaire français. Il s’agit de sortir enfin d’une glaciation faite de honte et de suspicion, alors que l’armée française restait trop seule face à son bilan, engluée depuis l’époque où elle s’était laissée emportée par la défense d’intérêts d’acteurs non démocratiques, et par l’implication dans le dernier génocide du siècle.

Etat français et Union européenne

L’intégration européenne, enjeu mondial à long terme, se réalise lentement, sur plusieurs décennies, ralentie par des négociations complexes. La crise financière débutant en 2008 a remis l’accent sur la solidarité, la nécessité de partager des stratégies communes. L’organisation de l’Union européenne reflète l’avancement des processus d’intégration. Actuellement, les questions africaines dépendent du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) dirigé par Catherine Ashton et de la Commission au développement dirigée par Andris Piebalgs. La politique étrangère étant toujours été de la responsabilité principale des gouvernements des états membres, l’organisation européenne souffre d’un sous-dimensionnement des services concernés, d’une absence de définition d’objectifs, d’une dépendance aux actions des états, d’un décalage entre moyens à dispositions et absence de maîtrise des objectifs, d’une impossibilité de corriger une stratégie pour réagir aux résultats des actions. Sur le terrain africain, faute de mieux, la politique a souvent été dirigée depuis Paris, et, si ce n’est plus le cas, le changement n’a pas permis la définition d’une politique européenne commune, ce qui laisse la possibilité à l’état français de continuer à peser lourdement. Les interactions entre Commission et Parlement complexifient le fonctionnement. Le découpage des responsabilités entre commission au développement et Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) aide au débat mais ne clarifie pas les processus. Personne n’est tout à fait responsable des points sensibles. Les attentes d’efficacité sont facilement renvoyées aux actions à long terme et aux mécanismes répétitifs qui ne demandent pas de multiplicité et de rapidité de décisions. La politique de soutien à la démocratie est définie de manière théorique sans tenir compte des surprises du terrain, qui demanderait des décisions spécifiques avec des effets à court terme. Le parlement européen constatant l’absence de politique effective au regard du ‘printemps arabe’ s’était empressé de proposer des évolutions pour associer démocratisation et développement[5], dont les effets tardent à intervenir.

L’ONU, arrivée au Togo après les massacres de 2005, s’est embourbée au Togo, l’Union européenne aussi. Ce pays est exemplaire. L’action de l’Union européenne a tourné au désastre en 2010 dans ce pays, quand le travail de la mission d’observation a été récupéré par le régime dictatorial, soutenu par les actions de Louis Michel, rendant l’Union européenne complice d’un ‘maintien’ de la dictature. En 2013, du budget est gaspillé pour des missions d’observations inutiles type ‘domestique’[6], pour pouvoir dire que l’UE ne fait pas rien pour les législatives, alors qu’elle ne dénonce même pas l’absence d’application de ses propres recommandations. Face aux nombreuses dictatures, l’échec de la méthode européenne est visible. Cette méthode de soutien à la démocratisation progressive, par pression au niveau droits humains et budgets d’aide au développement, a atteint ses limites il y a plusieurs années déjà. Partout, elle se confronte à l’obstacle final et aux stratégies associées : les acteurs au pouvoir, impliqués dans des crimes ou dans le détournement des richesses du pays, refusent de quitter d’eux-mêmes le pouvoir, de peur de la justice. Ils s’amusent à faire durer une démocratie factice, en lâchant du lest le plus lentement possible. Piégé par son organisation inadaptée et son manque de définition, la politique européenne est instrumentalisée. Malgré le sursaut de mi-2011 grâce au parlement, la politique européenne en Afrique est donc en panne. Les modalités de sa réforme dépendent des pays européens, occupés à d’autres priorités. Si pendant le conflit malien en 2013, la démocratisation en Afrique est provisoirement sacrifiée, si les efforts après 2011 pour associer démocratisation et développement sont oubliés, c’est que les enjeux internes européens prennent le dessus. Les efforts actuellement au Sahel, même s’ils sont critiqués, sont nouveaux. Ils surviennent suite aux progrès dans l’organisation collective dans la lutte contre la piraterie en Somalie. La priorité de l’Europe se révèle être dans la construction d’une politique Européenne de défense, plus consensuelle parce qu’elle rassemble conservateurs et sociaux-démocrates et autres tendances, autour des questions de sécurité, et, parce qu’elle peut avoir des retombées économiques, en terme d’emploi ou de commerce extérieur.

Suite au remplacement du ministère de la coopération par un ministère du développement, l’organisation du gouvernement français reproduit maintenant la dénomination européenne, avec division des taches entre développement et affaire étrangères. Comme au niveau européen, personne ne semble responsable de la question de la démocratisation. Laurent Fabius n’a montré aucun désir de travailler sur la démocratisation du continent africain, et le ministre délégué au développement, Pascal Canfin, ne semble pas autorisé à avancer sur un domaine plus ou moins réservé à ses deux supérieurs. Le néocolonialisme français a permis aux dictateurs de s’installer durablement d’accumuler des fortunes qui permettent de lessiver les démocrates. La Françafrique recule et résiste et personne ne s’occupe d’en tirer les conséquences en termes de pouvoir et de construction des états de droit. La passivité européenne est utile aux politiciens français qui ont peur de cette Françafrique et de son passé, et ne souhaitent pas aller au bout des raisonnements, parce que l’intégration européenne demandera du temps, de l’énergie qui cacheront l’inaction. L’organisation reprise de l’Europe est compatible avec le projet de laisser faire en improvisant au coup par coup. Au pire, une conception humanitaire et dépolitisée du développement, commune entre Etat français et Union européenne, faisant hypocritement l’impasse sur les questions de pouvoir, relaierait la politique militaire autour des crises, là encore permettant aux dictatures et au système néocolonial de perdurer dans une forme réduite.

La démocratie en Afrique oubliée

En raison de l’historique du néocolonialisme appuyé sur son réseau de dictateurs, l’état français a une responsabilité dans l’impossibilité pour la démocratie de vaincre la dictature. Le soutien le plus direct de l’état français aux régimes en cause a diminué. Une alternance en France implique des modifications d’un système de relation d’états à états. Le Parti Socialiste et François Hollande n’avait rien proposé de concret dans son programme électoral sur la politique africaine. Le président français a attendu le sommet de la Francophonie à Kinshasa pour se lancer : « Les temps ont changé, la France est maintenant désireuse à la fois de respecter tous ses interlocuteurs, mais aussi de leur dire la vérité. Cette vérité n’est pas celle de la France, c’est celle des droits fondamentaux, des libertés essentielles et de la démocratie. .. C’est une nouvelle politique qui est en train de se définir, c’est-à-dire que nous avons du respect, nous avons de la considération, mais en même temps on se dit les choses et on aide. .. C’est un message envoyé à tous les chefs d’Etat africains. Je les considère, je suis conscient, lorsqu’ils ont été élus par un processus démocratique, qu’ils représentent pleinement leur pays. Quand ils n’ont pas été élus par cette procédure, je fais en sorte d’avoir de bonnes relations d’Etat à Etat, mais je reconnais aussi les opposants dès lors qu’ils s’inscrivent dans la démocratie, qu’ils veulent, concourir sans violence à ce que ce soit les urnes qui décident en Afrique comme partout ailleurs. »[7] C’est un message fort en soi mais qui demanderait approfondissement et mise en pratique pour juger de la volonté réelle. Le flou diplomatique laisse la possibilité aux acteurs en cause d’interpréter. Ainsi, ils seront accueillis à Paris et il leur est signalé que cela ne sera pas un gage de soutien. Les opposants seront accueillis aussi, mais rien n’est proposé concrètement pour aider la démocratie à progresser.

Dans les faits, si le voyage d’Ali Bongo en juin 2012 s’est retourné contre lui, et si la relation entre états français et gabonais s’est détériorée, c’est le résultat de l’activisme des sociétés civiles gabonaise et française qui a pris par surprise les appareils d’états. Dans les faits, si, en venant à Paris en décembre, Idriss Déby n’a pas connu les mêmes déboires, c’est que les résistants contre son oppression n’avaient pas la force des résistants gabonais, parce que la dictature tchadienne écrase bien plus fort que la dictature gabonaise. Par défaut, les autorités françaises sont concentrées sur des intérêts français, comme la participation tchadienne à l’intervention au Mali. Elles sont silencieusement diplomatiques et, désespérantes pour les démocrates africains. Le gouvernement français est passif sur les questions de démocratie et de dictatures, en début de contradiction avec les propos du voyage au sommet de la Francophonie. Les faits parlent plus que les discours. Certains présidents africains en profitent au maximum. Ils sont donc en train d’essayer d’entrainer le nouvel exécutif français dans les rouages d’une Françafrique recomposée suite à l’alternance en France. L’exécutif français est le centre du réseau principal et son changement implique une reconstruction et adaptation relationnelle. Chaque dictateur a sa méthode. Les présidents illégitimes dévoilent progressivement leurs intentions. Pour le Cameroun, les intérêts économiques du syndicat des patrons, le MEDEF, ont suffit à Paul Biya pour rencontrer Hollande avant des législatives type ‘mascarade’. Le soutien militaire au Mali, avec en prime la publicité pour ses soldats, est une grande réussite pour Idriss Déby qui ne vaut guère mieux que les ‘forces du mal’ du désert sahélien. Les gesticulations pour créer des processus secondaires dans les négociations autour du conflit malien, permet à Blaise Compaoré de s’en sortir avec mention. Faure Gnassingbé, le fébrile, doit lui redoubler de duplicité pour atteindre des résultats en développant son jeu de dupe sur le processus de démocratisation, et en procédant à un échange de soldats contre le silence sur l’écrasement momentané de l’opposition. A Djibouti, Ismail Omar Guelleh, qui n’est pas le bienvenu à Paris depuis les révélations sur l’assassinat du juge Borrel utilise la position de plus en plus stratégique de son pays de bivouacs de tous les militaires du monde, situé près de la lutte contre la piraterie en Somalie, terrain d’essais pour une défense commune européenne. En Mauritanie, Aziz se fait oublier et se contente de gérer la question malienne. Ali Bongo, amuseur comme son père, se contente d’envoyer son ambassadeur visiter la Corrèze. Sassou N’Guesso, lui, n’a pas besoin de bouger le petit doigt tant ses réserves de pétrole sont grandes. Un candidat potentiel au titre de dictateur, Alpha Condé, se débat, quant à lui, avec l’Organisation Internationale de la Francophonie, étrange partenaire d’un processus électoral bâclé.

Pour tous ces présidents familiers de la Françafrique, qui cherchent à tous prix à garder le pouvoir, la technique semble être, indirectement, de compromettre le nouveau pouvoir français en cherchant à optimiser des leviers de pressions futurs. Le cas togolais montre la complexification de la relation : il utilise le manque de définition et la médiocrité de la politique étrangère européenne qui permet de faciles manipulations pour entrainer l’état français dans un jeu de négociations lentes et bourrées de trompe-l’œil. En parallèle il continue ses activités favorites, désorganiser l’opposition et l’empêcher de gagner la bataille de l’image à l’international. Une des raisons de l’arrestation de l’ancien premier ministre Agbéyomé Kodjo réside dans ses efforts pour montrer, à Paris, la qualité de l’opposition démocratique face à la dictature et sa capacité à assurer une alternance, alors que la stratégie du pouvoir depuis 2010 était de casser l’image de l’opposition pour faire peur aux occidentaux. Les efforts des dictateurs réussissent actuellement parce que le gouvernement français n’a pas posé de limite, et n’a pas de discours sur la démocratisation. La méthode qui consisterait, soi-disant, à entrer dans des dialogues constructifs pays par pays sera très rapidement dépassée. Elle ne permet souvent que la mise en évidence des impasses des pays. Manifestement les vieux amis dictateurs souhaitent profiter de l’inexpérience du pouvoir de François Hollande et de ses équipes, de leur mauvaise compréhension, qui, certes, ne durera pas, des indécisions et de la désorganisation qui en découlent, à la recherche de création de point de compromission, objet de continuation de chantages historiques.

Pendant qu’une majorité d’approbations de l’action française sur le Mali s’exprime, le processus général de démocratisation dans les ex-colonies française est globalement enrayé. A l’Union africaine, les régimes non démocratiques gardent leurs positions tout en étant contraint de s’adapter à une modernisation, ce qui mène là-aussi, fautes de volonté, à des négociations interminables sur des modalités et des points secondaires, comme le procès Habré sans évoquer Déby équivalent en gravité. Contrecoup du renvoie des responsabilités sur les institutions africaines, en théorie positif, la politique française retombe dans un cercle vicieux, en se confrontant à des acteurs qu’elle a longtemps soutenus. Si la politique française ne devient rapidement créative et plus engagée, ce processus général, qui a pris déjà presque un an de retard en raison du conflit malien, devrait continuer d’être grandement freiné. La logique militaire a actuellement pris le dessus. Le plus frappant est de voir comment se multiplient les prises de positions sur le Sahel de nombreuses personnalités qui ne s’expriment jamais sur le poids des dictatures. Le parlement français, où la droite décomplexée pèse encore lourd dans les commissions, est sorti de la nullité de la précédente législature, pour suivre la logique militaire et montrer qu’il comprend tout de même quand on lui explique, piètre performance, mieux que rien.

Le 31 août 2011, devant ses ambassadeurs, sans doute pour prévenir l’écroulement, Nicolas Sarkozy avait oralement osé : « « Cette Afrique en mouvement, la France veut être à ses côtés. Elle veut l’accompagner dans sa marche vers la démocratie et le développement. Elle veut construire avec elle un partenariat équilibré et moderne. .. Ce qui est nouveau, après des décennies pendant lesquelles la stabilité des régimes en place primait, à l’Est comme au Sud de l’Europe, c’est la volonté de la France d’accompagner avec détermination le mouvement des peuples vers la démocratie. »[8] L’année suivante, François Hollande dit à ses ambassadeurs : « Il y a des lignes qui bougent et des dictateurs qui tombent. En cela, le monde évolue dans un sens qui est celui du progrès. .. Le partenariat de Deauville, qui est une bonne initiative, peut nous permettre d’accompagner au mieux le développement des pays en transition politique. .. Avec l’Afrique, je veux établir une nouvelle donne. La France maintiendra ses engagements vis-à-vis de ce continent plein de promesses. Toutes les puissances du monde y sont, essayent de développer leur influence et les Africains eux-mêmes ne souhaitent pas que la France se désengage. Mais notre politique doit être différente du passé. Elle doit être fondée sur la transparence dans nos relations commerciales et économiques. Elle doit être fondée sur la vigilance dans l’application des règles démocratiques et le respect aussi des choix souverains. .. Un continent où la démocratie progresse, où l’environnement et l’énergie sont autant de sujets majeurs. » La détermination a été remplacée par une espèce d’observation consciencieuse. La crise de Centrafrique illustre le changement de discours : le gouvernement français n’a pas évoqué la qualité démocratique ou non du régime mais a parlé de paix, et ce sont finalement les acteurs centrafricains seuls qui ont signalé le lien entre la nature du régime et le conflit armé, avec la nécessité de réorganiser des élections qui ne soient pas au niveau de la mascarade de janvier 2011. Ailleurs, signe de désengagement, la diplomatie française en refusant la confrontation avec des régimes sans légitimité, par de simple rappel sur les droits humains et la démocratie, semble aussi vouloir entrer dans des discussions avec des acteurs qui, eux, ne négocient jamais rien.

La série des législatives en Afrique francophone qui suit la vague de présidentielles précédente continue, Djibouti le 23 février, Togo, Guinée Conakry, Cameroun dans les mois qui suivront. Dans tous les pays où un espoir renaît autour de la préparation d’un scrutin, la réaction française est attendue. Cette réaction a de l’effet sur l’ensemble des pays, où l’état et les intérêts français restent très présents. Le silence français, s’il continue, pèsera dans les échecs prévisibles, et pèsera globalement. La focalisation sur le conflit malien ne peut justifier l’inaction. L’échec des conférences nationales initiées par François Mitterrand sans aucun moyen pour en assurer les réussites, ne peut expliquer l’absence d’engagement. Les questions d’organisation de scrutins sont techniques et politiques. Les aspects techniques des scrutins impliquent un effort technique et financier aux enjeux adaptés, la mise en œuvre aux normes internationales est accessible, pour peu que soit pris en compte le fait que les dictateurs ne veulent pas de la démocratie et qu’elle doit leur être presque imposée. Les peuples africains ont conscience de la responsabilité française historique dans la paralysie présente. La série de législatives sur laquelle le gouvernement français n’a pas encore bougé risque d’être un test minimal, qui pourrait rapidement démontrer un désintérêt pour l’avenir des populations africaines.

Toujours pas de politique africaine définie

Le premier constat à l’arrivée des socialistes au pouvoir en France était le faible niveau de compétence sur la politique africaine, du parti et de son réseau d’intellectuels. Le Mitterrandisme avait éloigné les penseurs des domaines à scandales. Les socialistes se sont concentrés sur l’Europe et l’Afrique du Nord. Le nouveau gouvernement apprend en avançant, utilisent les moyens de l’état pour acquérir les connaissances nécessaires. Cela n’a pas encore permis de définir une politique. L’improvisation et la focalisation sur les sujets où l’état à des compétences fortes semble donc la méthode par défaut. Les experts militaires ont la possibilité d’influencer, et de compenser leur bilan historiquement négatif. La répartition des conseillers dans des domaines pour lesquels ils sont porteurs d’intérêts corporatistes fausse la capacité à aborder la politique africaine de manière saine et réaliste. Les contacts avec les intellectuels et des démocrates africains ne permettent pas de limiter la force d’un appareil d’état fort de ses moyens mais avançant sans direction et visibilité. Si les objectifs avaient été travaillés et clarifiés correctement en interne, ils seraient énoncés et publiés officiellement sans que des déséquilibres fondamentaux, comme l’absence de discours sur la démocratie, n’apparaissent. Ils associeraient les intérêts français, européens et africains. Au lieu de cela, un piètre marchandage avec les régimes criminels est en train de se mettre en place, venant gâter les espoirs de progrès suite à l’alternance en France.

Régis Marzin, pour Tribune d’Afrique du 5 février 2013.

Source : https://regardexcentrique.wordpress.com


[1] Rwanda-EXCLUSIF : Un autre document implique Paris dans le génocide des Tutsis : http://afrikarabia.blogspirit.com/archive/2013/01/25/rwanda-exclusif-un-autre-document-implique-paris-dans-le-gen.html

[2] http://www.gouvernement.fr/gouvernement/livre-blanc-sur-la-defense-et-la-securite-nationale-0

[3] Document préparatoire à l’actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale : http://unacat.org/sites/default/files/Prep%20Livre%20Blanc%20LBDSN_2012-2%5B1%5D.pdf

[4] Relation Afrique-France : démocratisation et indépendance réelle, esquisse de classement des régimes des ex-colonies françaises : http://regardexcentrique.wordpress.com/2012/08/06/relation-afrique-france-democratisation-et-independance-reelle/

[5] Démocratisation de l’Afrique vue par l’Union Européenne : https://regardexcentrique.wordpress.com/2012/04/30/afrique-et-democratisation-le-parlement-europeen-et-la-commission-europeenne-en-2011/

[6] Mission de l’institut de Gorée (Sénégal) au Togo en 2013 prévue pour les législatives de 2013, pour un coût de 1Ms d’Euros

[7] 11 octobre 2012, François Hollande, interview par France24, TV5Monde et RFI : http://www.rfi.fr/afrique/20121011-francois-hollande-afrique-francophonie-sommet-interview-nouvelle-page

[8] XIXe Conférence des Ambassadeurs – Allocution du président de la République (31 août 2011), http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/evenements-et-actualites-du/conference-des-ambassadeurs/xixe-conference-des-ambassadeurs/article/xixe-conference-des-ambassadeurs