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LE CENTENAIRE D’AIMÉ CESAIRE : NÉGRITUDE OU NÉGRIPUB ?

D 15 août 2013     H 05:54     A Mariam Seri Sidibe     C 0 messages


Il y a longtemps de cela, un jeune Martiniquais montait dans un tramway à Paris. Il s’assoit face à une jeune femme effrayée par la vision de ce Nègre. S’ensuivra une discussion au cours de laquelle le jeune impétrant lui clouera le bac en lui disant « Oui Madame, je suis un Nègre et le Nègre, il vous emmerde… » C’était en 1934 et Aimé Césaire venait d’entrer dans l’histoire.
France 2013. Nous sommes le 10 mai au jardin du Luxembourg. La commémoration de l’abolition de l’esclavage bat son plein. Un soleil éclatant, un auditoire métissé, attentif, écoute et applaudit le discours de François Hollande. On se croirait sous les tropiques. Tout paraît normal, le discours est humaniste, rien à voir avec ceux de Sarkozy. On se dit qu’enfin l’homme africain est entré dans l’histoire. Qu’enfin il sera question des réparations, de la réappropriation et de la répartition des terres...

Et puis paf... Comme à son habitude, Hollande se prend les pieds dans le tapis. Il nous fait une pirouette. « Les réparations, mais vous n’y pensez pas mon brave garçon... Même le grand Césaire était contre.... » Sauf que Césaire avait tout bonnement déclaré que les réparations financières ne suffiraient jamais assez, car la réparation dont il s’agit doit être à la hauteur du crime commis... Imprescriptible... Incommensurable.

Et puis 2013, année de l’intervention de l’armée française au Mali. Hollande dit son admiration pour Césaire tout en jouant les Sarkozy de gauche et en interdisant l’accès au territoire français à l’ancienne ministre de la Culture, Aminata Traoré, du seul fait qu’elle est opposée à cette intervention qu’elle juge coloniale.

Et puis, tant qu’on y est, puisqu’on interdit à une ex-ministre malienne de poser le pied en France, qu’on expulse encore plus d’immigrés, interdisons (l)également la présence de militants nègres venus signifier à l’État Français qu’aujourd’hui encore la négrophobie n’est pas un vain mot mais un comportement raciste légalisé. Le maître ne saurait tolérer de contestation dans sa propre maison.

Et pourtant, visite présidentielle « normale » oblige, il y avait là un cordon de CRS. Ah ! Mais c’est qu’il y a des Nègres à mater, de ceux qui ne s’en laissent pas conter. Trois membres de la brigade anti-négrophobie en ont subi les conséquences. Pourtant munis d’une invitation officielle, Franco Lollia, Joel Ardes et Alamamy Mam Kanouté (conseiller municipal de Fresnes) ont été interdits de cérémonie, mais surtout menottés et encerclés par les forces de l’ordre vallsiennes... Tabassés dans les règles de l’art – Almamay sera même maintenu à terre par plusieurs CRS, ils sont placés direct en garde à vue pour 24 heures, ce qui est totalement injustifié et inhabituel pour ce type d’arrestation.

Joël Ardes et Franco Lollia, apprennent qu’ils sont convoqués devant le substitut du procureur le 28 mai. « Ils vont avoir droit à un rappel à la loi, en gros on va leur dire : “c’est mal ce que vous avez fait, il ne faut pas recommencer” », explique Me Bourdon, l’avocat de Joël et Franco. Alamamy est, quant à lui, convoqué devant la 28e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Il lui est reproché d’avoir résisté avec violence à son arrestation et d’avoir bousculé un policier, entraînant sa chute. Ce dernier s’est vu signifier quatre jours d’ITT, le pauvre...

Du côté de la préfecture de police, on réserve les détails des preuves pour l’audience. Le service presse lit les quelques lignes « qu’il y a sur la fiche » : « Vendredi 10 mai, en fin de matinée, un petit groupe portant des tee-shirts de la brigade anti-négrophobie a tenté de passer en force. Deux personnes sur les trois n’avaient pas d’invitation. » Ce qui se révèle faux. Pour Me Maati, « ils tentent de justifier l’injustifiable ». Son client risque un an de prison et une amende. « Il n’aura sans doute pas de prison ferme mais l’idée, dans ce procès, c’est de plaider la relaxe. » Almamay Kanouté annonce, par ailleurs, qu’il souhaite porter plainte « dans un premier temps contre le ministère de l’Intérieur »[1].

Au moment de l’arrestation – puis de la libération – d’un néo-nazi, de l’indulgence accordée à Serge Ayoub, « Batskin » pour les intimes, mais surtout leader de la mouvance skinhead, impliqué dans la mort de Clément Méric, on ne peut donc s’empêcher de penser qu’on assiste à la criminalisation des militants antiracistes.

On se doutait déjà qu’il ne fallait pas être jeune, noir ou arabe/musulman et croiser un bataillon de keufs. On sait maintenant qu’il ne faut pas, en plus, perturber une cérémonie officielle ou le maître vous joue la Ultima Cena... Grand Seigneur, il vous offre le couvert, faut quand même pas abuser de sa générosité.

D’autant plus que le Grand Césaire doit faire des bonds dans sa tombe. Lui qui en 1950 éclaira le monde avec son discours sur le colonialisme et affirma dans sa fameuse lettre à Maurice Thorez que le paternalisme ça suffisait, se trouve écartelé aujourd’hui par la récupération hypocrite et misérable d’un Delanoë ou d’une Voynet. Tout juste s’ils ne sont pas tous des Nègres... Tous bientôt vont nous sortir leur amour pour la négritude en même temps que s’installe une négrophobie banalisée, étatique.

Alors 2013, année du centenaire de Césaire ? Année de la négritude ou année de la négripub ? Avec le PS, en tout cas, on connaît la réponse... Et c’est pas un Harlem Désir qui nous fera changer d’avis.

Mariam Seri Sidibe

[1] Le 5 juillet 2013, le procès d’Almamy Kanouté est annulé pour vice de procédure. Le matin même, coup de théâtre. A peine arrivé dans la salle Me Maati demande l’annulation du procès pour vice de procédure : les forces de l’ordre n’ont pas notifié à l’accusé le droit de garder le silence.
Fait plutôt rare, le parquet se range du côté de la défense. Le juge décide donc d’annuler la procédure. En cinq minutes à peine, l’affaire est pliée. « Il ne faut pas tout de suite fanfaronner, tempère l’avocat. Ils ont dix jours pour faire appel. » A ce jour, 19 juillet, le parquet n’a toujours pas fait appel.

Source : http://www.afriquesenlutte.org/notre-bulletin/article/bulletin-afriques-en-lutte-no23