« Le Consensus de Dakar » n’est pas une rupture vers le Développement
6 janvier 2020 06:00 0 messages
Les chefs d’États de 6 pays africains ont plaidé, lors de la conférence sur « L’Endettement et le Développement Durable » qui s’est tenue à Dakar le 2 Décembre 2019, la nécessité de s’endetter pour se développer, mais à travers, selon eux, de nouvelles règles : ce qui a été appelé le consensus de DAKAR.
En effet, pour une fois, les dirigeants africains ont semblé mettre le doigt sur l’iniquité des règles auxquelles nos pays ont été longtemps assujetties, dans le cadre des relations internationales. Parmi les 7 axes soulevés comme fondement de ce consensus, trois au moins caractérisent la situation économique et sont, entre autres, des causes de l’endettement de nos pays depuis les indépendances.
La persistance de l’échange inégal qui empêche le développement de chaînes de valeurs par la transformation des matières premières, la production de plus-value grâce à la transformation des matières premières dont les cours sont artificiellement maintenus bas contre des produits manufacturés fabriqués en Occident ou aux USA cédés au prix fort.
De même, l’absence d’une gouvernance financière mondiale plus équitable au sens où tous les États seraient traités de la même manière au sein des institutions de Bretton Woods.
Enfin le fait que nous n’utilisons pas nos moyens à cause d’une faible mobilisation de nos propres ressources internes fiscales et non fiscales pour financer le développement.
Nous serions tentés d’applaudir, cependant tout porte à croire que ce sont des déclarations de bonne intention qui cachent la soumission aux institutions de Bretton Woods et aux bailleurs de fonds bilatéraux notamment les pays européens.
Le « consensus de Dakar » ne rompt pas avec la dépendance de l’extérieur, car comme dit l’adage « celui qui te donne des yeux t’indique l’endroit à regarder »
En effet, nous sommes dubitatifs au sens où il n’est nullement prouvé que le développement passe par l’endettement, l’histoire récente des annulations de dette avec les initiatives PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) dans les années fin 2000 (2006 pour le Sénégal), montre que les pays éligibles qui ont connu des annulations partielles ou totales de leurs dettes ont reconstitué le stock de la dette dans des proportions plus importantes. Le Sénégal, dont la dette tourne autour (projection pour fin décembre 2019) de 51,5 % du PIB soit 7364 milliards de francs CFA, a connu un ré-endettement dépassant le niveau qui lui avait valu d’être retenu dans l’initiative PPTE. Il faut rappeler que ce programme est né après les échecs des politiques d’ajustement structurel qui ont ruiné nos pays et les ont mis dans une récession permanente.
Ainsi que faut-il attendre du consensus de Dakar ? D’abord, le dogme qui énonce que l’encours de la dette, pour être soutenable et solvable, ne doit pas dépasser 70 % du PIB, ne tient pas compte de la fluctuation des taux d’intérêt qui du jour au lendemain peuvent changer et ainsi renverser la soutenabilité d’une dette. Par ailleurs, cette limite ne prend pas en compte l’impact du service de la dette qui, dans la loi de Finances de 2019, était estimé à 863,17 milliards contre des investissements et un budget de fonctionnement affectés aux politiques sociales de base : éducation, santé, accès à l’eau potable, assainissement… de 531 milliards. C’est dire que les ressources consacrées en 2019 au remboursement de la dette auraient permis une amélioration qualitative de la vie des populations notamment en termes d’accès aux soins de qualité, à plus d’hygiène avec l’assainissement, la fin des abris provisoires, le soutien des ménages pauvres, etc.
Ce qui explique que le « consensus de Dakar » ne rompt pas avec la dépendance de l’extérieur, car comme dit l’adage « celui qui te donne des yeux t’indique l’endroit à regarder ». Certes, il faut recourir aux ressources internes, mais il faut prendre en main notre destin avec une monnaie propre, privilégier une solidarité entre États africains, développer les échanges dans nos marchés intérieurs et rationaliser les dépenses publiques pour sortir de l’endettement. Par ailleurs, il faudrait mettre en œuvre un audit citoyen de la dette, car depuis les indépendances, il y a un processus d’endettement mais la destination et l’origine de ces emprunts, n’ont jamais fait l’objet d’investigations par des structures indépendantes déléguées par les populations.
Au total, la dette ne développe pas et le consensus de Dakar doit être le commencement d’une rupture avec les modalités d’octroi de ces prêts qui assujettissent et tuent les économies de nos pays. Ce consensus doit avoir comme préalable l’abandon des accords de partenariat économique (APE), le recours à une monnaie propre avec des taux de change utilisés comme levier pour l’Afrique de financement de son économie.
Le 12 Décembre 2019
CADTM SENEGAL
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