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Le crépuscule de la démocratie en Afrique de l’Ouest

D 15 décembre 2021     H 09:14     A Francis Sahel     C 0 messages


Alors qu’elle a été citée aux débuts des années 2000 comme une des sous-régions africaines qui a enregistré le plus de progrès en matière de libertés, l’Afrique de l’Ouest connaît aujourd’hui un grave recul démocratique. Entre coups d’Etats militaires et élections truquées. Et avec des groupes terroristes en embuscade.
Qui l’eût cru il y a seulement quelques années ! Deux opposants béninois, Joël Aivo et Reckya Madougou, ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Leur crime : avoir osé se porter candidats à la présidentielle de mars dernier contre le président sortant Patrice Talon.
À lui seul, cet événement politico-judiciaire est un indicateur de la santé de la démocratie en Afrique de l’Ouest. La condamnation des opposants au pouvoir pour des raisons politiques est partout une grave entorse à la démocratie. Elle prend encore plus de sens au Bénin, pays qui fut à l’avant-garde de la conquête de la démocratie en Afrique de l’Ouest avec la première Conférence nationale souveraine du continent en 1990.

Le Bénin fut également la terre d’une des toutes premières alternances pacifiques continentales lorsque le président Mathieu Kérékou battu dans les urnes accepta de céder en 1991 son fauteuil à Nicéphore Soglo le vainqueur du scrutin. Depuis lors, la démocratie a connu une trajectoire ascendante au Bénin, entre alternances pacifiques, presse plurielle et indépendante ainsi que des élections libres et transparentes. La décision du président Yayi Boni de respecter la limitation du nombre de mandats présidentiels et de quitter ses fonctions en 2016 avait achevé de consolider les fondations de la démocratie béninoise.

Et pourtant, il aura suffi d’un quinquennat au successeur de Yayi Boni pour que l’édifice démocratique béninois soit menacé d’écroulement. Nul ne peut désormais prédire dans état Patrice Talon laisserait la démocratie béninoise lorsqu’il aura décidé de rendre les clés du palais de la Marina en 2026.

Régression contagieuse

Autre pays de la sous-région, même énorme bon en arrière de la démocratie. Le Mali est entré par la grande porte dans la démocratisation en 1991 lorsque des manifestants aux mains nues ont obligé le général Amadou Toumani Touré (ATT) à renverser Moussa Traoré. Après une courte transition militaire, le printemps démocratique malien avait débouché sur l’élection d’Alpha Oumar Konaré à la tête du Mali. Au terme de ses deux mandats de cinq ans, Konaré choisit de rendre le pouvoir à son successeur le même ATT désigné cette fois-ci démocratiquement par le peuple malien.

En 2012, le président ATT s’apprêtait à quitter le pouvoir à l’issue d’une présidentielle libre et transparente lorsqu’il fut renversé par le capitaine Amadou Haya Sanogo. En réalité, la démocratie malienne n’a plus jamais retrouvé ses repères après ce déraillement.

Le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) est élu en 2013 pour un premier quinquennat dans des conditions contestées par l’opposition mais avalisées par la communauté internationale et surtout par la France de François Hollande qui vient d’intervenir militairement. L’ère IBK marquée par un respect formel des procédures démocratiques n’aura finalement été qu’une courte parenthèse, vite refermée par le coup d’Etat militaire du mois d’août 2020 perpétré par la junte militaire dirigée par le colonel Assimi Goïta.

Et comme pour ajouter à la descente aux enfers de la démocratie malienne, les mêmes militaires maliens ont procédé à un coup d’Etat dans le coup d’Etat en mai dernier, achevant ainsi d’installer le pays dans une zone grise. Entre transition et dictature.

Deux figures importantes de la vie politique malienne Issa Kaou Djim et Dr Oumar Mariko ont appris à leurs dépens ces derniers jours qu’il ne fait pas d’être opposants sous la transition. Chose inimaginable il n’y a pas si longtemps au Mali : les deux figures politiques ont été jetées en prison pour avoir critiqué vertement le Premier ministre Choguel Maïga.

Niger, la culture du coup d’Etat

Bien qu’elle soit partie sur une base solide après la conférence nationale souveraine, qui avait duré de juillet à novembre 2011, la démocratie nigérienne a connu, de son côté, sa première sortie de route en janvier 2016, lorsque le général Ibrahim Baré Maïnassara renversa le premier président démocratiquement élu du pays, Mahamane Ousmane. Après trois années de gouvernance chaotique, le président Baré est évincé, à son tour, du pouvoir en avril 1999 lors d’un putsch qui finit par lui coûter la vie.

À la suite de deux mandats du président Mamadou Tandja (1999-2009), le pays va encore renouer avec la tradition de coups d’Etat avec l’arrivée au pouvoir du général Salou Djibo en février 2010. Les dix années de pouvoir du président Mahamadou Issoufou (2011-2021) n’ont pas suffi, à vrai dire, à arrêter la pente descendante de la démocratie nigérienne. Le pays est aujourd’hui dans une sorte d’entre deux : ni démocratie, ni dictature, mais les deux à la fois. Ce que certains ont appelé « démocrature ».

Le président Alassane Ouattara aura finalement été élu en 2020, à l’issue d’une présidentielle marquée par des violences politiques grâce à l’appui tacite de la France
Elections tropicalisées

Lorsqu’ils ne connaissent pas de lourdes condamnations d’opposants comme au Bénin ou de coups d’Etats à répétition comme au Mali et au Niger, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest s’abonnent aux élections truquées ou violentes. C’est le cas au Togo où le président Faure Gnassingbé, après avoir succédé à son père Eyadema Gnassingbé en 2005, a toujours gagné haut la main toutes les élections présidentielles.

En Côte d’Ivoire, non loin, le président Alassane Ouattara aura finalement été élu en 2020, à l’issue d’une présidentielle marquée par des violences politiques qui ont fait près de 84 morts et entraîné l’emprisonnement des dizaines de personnes.

La Guinée achève ce palmarès du recul de la démocratie en Afrique de l’Ouest avec la violation de la limitation du nombre de mandats présidentiels par Alpha Condé en 2020 suivi d’un hold-up électoral et d’un coup d’Etat militaire en septembre dernier. Mais le plus inquiétant pour la sous-région n’est pas tant le retour des coups d’Etat militaires que la conjugaison entre le saccage de la démocratie et la montée en puissance de la menace terroriste qui, après avoir conquis presque tout le Sahel, arrive aux portes des pays du golfe de Guinée.

C’est la rencontre entre un recul démocratique général et des menaces djihadistes grandissantes qui constituent un cocktail explosif pour l’Afrique de l’Ouest.


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