Vous êtes ici : Accueil » Communiqués / luttes et débats » Livres Etudes Débats » Le rapport BRAZZA : Crimes coloniaux et secrets d’État

Le rapport BRAZZA : Crimes coloniaux et secrets d’État

D 5 juin 2014     H 05:20     A Gisèle Felhendler     C 0 messages


Le 5 avril 1905, l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza embarque à Marseille pour sa dernière mission en Afrique, envoyé du gouvernement français pour mener une urgente mission d’inspection « extraordinaire » au Congo. Des « instructions strictement confidentielles » du ministre des Colonies laissent entendre qu’il y eut des excès, euphémisme pour crimes coloniaux. Brazza est chargé de démontrer que contrairement à son voisin belge, le Congo français est quant à lui exempt de reproches. L’inspection dure six mois, compilant témoignages et rapports malgré les obstacles. A l’issue de sa mission, Brazza, rentrant en métropole, meurt à Dakar le 14 septembre 1905.

Sa disparition facilite l’enterrement de première classe du « rapport Brazza » par le gouvernement français : « La décision finale fut donc d’enterrer le rapport ; l’affaire en resta là. Le 7 mai 1907, sur proposition du directeur des Affaires d’Afrique, Louis Binger, il fut décidé d’en imprimer « 10 exemplaires numérotés et destinés à demeurer confidentiels » sur le budget général du Congo français. On prévit d’en remettre un exemplaire au ministre (…) et d’enfermer les neuf autres dans le coffre-fort du ministère ». (Catherine Coquery-Vidrovitch, auteure de la préface).

Le rapport Brazza, très dérangeant pour la France coloniale, qu’il accuse de crimes contre l’humanité. n’a jamais jusqu’à ce jour été publié et a même été occulté au sein des archives du Ministère des Colonies, puis du Ministère des Affaires Étrangères.

Plus de cent ans après, il est enfin rendu public. Sortir du Colonialisme, une association d’éducation populaire s’est associée à la coédition de cet ouvrage car elle est le prolongement de notre combat anticolonial. La lutte pour l’ouverture des archives est une exigence constante contre la pratique du secret par le pouvoir colonial .

Cet ouvrage expose de l’intérieur de l’appareil d’État colonial des pratiques qui se sont étendues durant tout le temps de la colonisation et sur tous les territoires. A la mort de Brazza, le « parti colonial », lui organise des obsèques solennelles.

Le rapport Brazza, véritable Livre Noir de la colonisation, démonte le roman national fantasmé d’un temps béni des colonies, mettant à jour l’extrême brutalité de cette idéologie et la constitution d’un état d’exception permanent : massacres de masse, tortures, enfumages, travail forcé, exécutions sommaires. Déshumanisation et humiliation, telle est la violente réalité de la colonisation.

Lutter contre le révisionnisme, le négationnisme colonial et la réécriture d’une histoire officielle fait partie du travail de mémoire des anticolonialistes, notamment depuis la loi du 23 février 2005 qui tenta d’intégrer le mensonge d’État d’une colonisation dite « positive » aux manuels scolaires. Ce combat est terriblement contemporain, car à l ’effondrement de l’Empire colonial succéda le néo, voir le ré-colonialisme. C’est l’avènement d’un système financier, économique, politique, militaire, diplomatique et surtout mafieux connu sous le nom de Françafrique.

Bolloré, Areva ou encore Total sont toujours présents à Libreville, Brazzaville ou Lomé, souvent protégés par des contingents de l’armée française qui a conservé sur place ses bases militaires. Des élites locales corrompues ont co-géré le pillage des ressources. Les massacres ont également continué. Exemple criant, Le Gabon de Bongo père et fils qui a alimenté les caisses noires des partis politiques français et réprimé les révoltes populaires. L’imposture d’une mission humanitaire et démocratique a remplacé celle d’une mission civilisatrice, et elle est menée par les gouvernements français de droite comme de gauche. Le but est toujours le même : servir aujourd’hui comme hier les intérêts de la France des financiers et des industriels. Le rapport Brazza met ainsi dans une lumière crue le lien indissoluble entre capitalisme et oppression des peuples, et le poids de l’histoire coloniale dans l’identité des sociétés occidentales.
Le combat anticolonial est un combat anticapitaliste et émancipateur.

Gisèle Felhendler

Crimes coloniaux, secrets d’État : Aux origines de la Françafrique ; Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907)
Préface de Catherine Coquery-Vidrovitch, postface de Pierre Farbiaz - Éditions Le passager clandestin, mars 2014, 19 euros.