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Les graves dérives des ambassades françaises en Afrique

D 10 octobre 2022     H 12:12     A Nicolas Beau     C 0 messages


Michael Pauron, un journaliste spécialiste de l’Afrique et un des initiateurs de l’excellent site d’information Afrique XXI, publie « Les Ambassades de la Françafrique, l‘héritage colonial de la diplomatie française » ( Édition « Survie », Collection « Dossier noir », 232 pages). Paru le 22 septembre 2022

Dans les années 1960, les colonies françaises d’Afrique subsaharienne accédaient officiellement à leur indépendance. Les palais des gouverneurs étaient investis par les nouveaux présidents et la France construisait des ambassades. Histoire pour Paris de normaliser ses relations avec des pays souverains, d’égal à égal. Or, soixante ans plus tard, le faste des résidences de France, les frasques des diplomates et l’inertie de nombreux diplomates qui songent avant tout à une reconversion lucrative dansle privé donnent une tout autre image des relations entre la France et l’Afrique. L’auteur de cet excellent ouvrage évoque « l’héritage colonial » à l’origine de bon nombre des dérives. Les ambassadeurs auraient-ils oublié de tourner la page de la Françafrique ? Ce livre bourré de témoignages et d’anecdotes le démontre avec brio.

Sexe et trafics à Bangui
Un des passages les plus convaincants du livre concerne la Centrafrique, ce pays qui sous l’emprise d’un Président médiocre sombre dans la corruption, la violence et une coopération avec les mercenaires russes de la société privée Wagner. Autant dire que les conditions de l’intervention armée de la France en 2013 sous la présidence de François Hollande et les frasques des diplomates français qui n’ont jamais cessé expliquent en partie ces dérives dans un pays qui fut longtemps sous influence française.

Ainsi peut-on lire ce témoignage dans « les Ambassades de la Françafrique ». « C’est le premier conseiller de l’ambassade de France à Bangui, en Centrafrique. Sur une photo prise en soirée, il est entouré de trois jeunes femmes habillées de robes noires. Lui porte une chemise à carreaux bleus et blancs. Tous tirent la langue face à l’objectif : c’est la fête. Autre soirée, autre cliché : il pose, un gros cigare entre les dents, avec une jeune femme vêtue d’une petite brassière rose. Il est manifestement fatigué. Sur une troisième image, assis à une table couverte de verres à moitié vides et de bouteilles de bière, il embrasse le ventre nu d’une femme. Ce diplomate en poste dans la capitale centrafricaine au milieu des années 2010 était un habitué de ces soirées, toujours entouré de ses « tigresses » ou de ses « panthères », comme il appelait ses « amies » banguissoises, selon l’un de ses collègues. Il vit aujourd’hui en région parisienne ».

Et l’auteur de ce livre fort instructif, Michael Pauron, de conclure : « Il ne s’agit pas de juger cet homme et ses soirées privées. Mais un diplomate peut-il s’exposer ainsi sans risque ? ». Mais surtout comment le Quai d’Orsay a-t-il pu laisser se produire de telels dérives sans intervenir ? Et surtout pourquoi a-t-l tout fait pour enterrer le scandale du trafic de visas en 2016 couvert par l’Ambassade de France et enterré par le ministre des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian ? Dès 2018 (voir l’article ci dessous), Mondafrique avait dénoncé le rôle trouble joué par l’ambassadeur de France en poste. « Charles Malinas, l’ambassadeur alors en poste, et Romain Vuillaume, son premier conseiller, tous deux soupçonnés d’irrégularités dans la délivrance de près de 800 visas alors que le pays sombrait dans la guerre civile, écrit Michael Pauron, ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire. Une inspection a été dépêchée dans la capitale centrafricaine du 28 octobre au 1er novembre 2016. Elle avait constaté des « dysfonctionnements graves au « sein du poste de Bangui », ainsi que la « délivrance de visas en situation de conflit d’intérêts ».

Le plus grave dans ces dérives est la quasi impunité dont ont profité les deux diplomates. « Fin 2017, poursuit Michael Pauron, Malinas est finalement mis à la retraite d’office après avoir brièvement occupé le poste d’ambassadeur à Prague. Une décision confirmée à l’automne 2019 par le Conseil d’État. De son côté, à son retour de Bangui fin 2016, Romain Vuillaume est nommé porte-parole adjoint du service Afrique à Paris. Et en octobre 2018, la décision tombe : il est suspendu six mois. Mais dans les faits, il ne le sera jamais (1) ».

« Guerres de palais »
Plus généralement, les diplomates français s’intéressent peu à l’Afrique. Ce manque d’intérêt s’explique pour beaucoup, selon l’auteur, par la prise de pouvoir de « la diplomatie militaire française » sur le pré carré africain. Hollande et Macron ont remis les clés de l’Afrique au ministère français de la Défense.

Le Mali est un bon exemple de cette hérésie. C’est ainsi qu’un ancien gendarme très apprécié par les militaires, Gilles Huberson, sera nommé à la tète de la mission interministérielle « Mali Sahel » avant d’obtenir le poste d’ambassadeur à Bamako en avril 2013 très peu de temps après la décision de François Hollande de lancer l’opération Serval.Son prédécesseur et ancien préfet, Christian Rouyer, longuement interrogé dans ce livre, était jugé « trop frileux » par les militaires, c’est à dire trop respectueux des autorités de transition maliennes.

Un même sort sera réservé à Évelyne Decorps, ambassadrice à Bamako de 2016 à 2018, qui déplaira à certains hauts gradés pour son respect jugé excessif des protocoles passés avec les autorités maliennes. « Aujourd’hui au Sahel confie un diplomate, l’aspect sécuritaire l’emporte sur tout, les militaires sont devenus des interlocuteurs jugés essentiels par les responsables politiques. Leurs analyses priment sur les nôtres ».

Longtemps ambassadeur à Dakar avant de devenir directeur Afrique, Christophe Bigot a vu sa carrière s’accélérer après un passage boulevard Mortier à la DGSE, les services secrets français qui dépendent du ministère de la Défense.

Dernier exemple en date de cette prééminence des militaires, le général de corps d’armée Thierry Marchand, est attendu au début de ce mois d’octobre à Yaoundé. En quoi ce militaire qui fut longtemps à la tête de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) au sein du ministère des Affaires étrangères est compétent pour devenir un bon ambassadeur ? La réponse est simple. La lutte contre le terrorisme dont on a vu les limites au Mali et en Centrafrique tient lieu désormais de politique africaine de la France.

Éxamen de conscience
L’arrogance française, vilipendée par de nombreux diplomates étrangers, l’exploitation des employés locaux, la familiarité entre élites françaises et africaines, l’ingérence de la France dans les affaires intérieures de ses anciennes colonies, la certitude des patrons « Afrique » du Quai d’Orsay de faire le bonheur des peuples africains et d’être les seuls détenteurs de la vérité : autant de dérives hélas trop courantes de nos chers ambassadeurs en Afrique qui expliquent la puissante montée du sentiment anti français porté par des activistes virulents.

Ce qui est grave dans les accusations portées par la junte militaire malienne contre les tentatives de déstabilisation qui auraient été fomentées par les militaires français, c’est que, même sans aucune preuve, cette propagande a été jugée crédible par un grand nombre de Maliens., compte tenu de l’intrusion française décomplexée dans les affaires intérieures africaines.

L’influence de Paris dans son pré carré africain passe d’abord, à en croire le livre de Michael Pauron, par un sérieux examen de conscience de nos diplomates.

(1) Romain Vuillaume rejoindra le comité d’organisation du Sommet Afrique-France en tant que numéro deux. Il fait néanmoins appel, mais le Conseil d’État confirme la décision en octobre 2019 et lui refuse l’indemnité de 5 000 euros qu’il demande.


Voir en ligne : Mondafrique