MACRON, MBEMBE : RÉFORMER LA FRANÇAFRIQUE DANS LE CARCAN NEOLIBERAL
7 décembre 2024 05:00 0 messages
Introduction
Le 8 octobre 2021, s’était déroulée à Montpellier en France, une dite 28ème édition du Sommet France-Afrique (reportée une fois pour cause de Covid-19), renommée à l’occasion Sommet Afrique-France. Qui, en fait, n’en était pas un, eu égard à son intitulé traditionnel de Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, car s’étant tenu sans les chefs d’État africains, mais avec des représentant.e.s supposé.e.s de la société civile africaine. Celles/ceux-ci avaient été sélectionné.e.s par un « Comité des Dialogues » de 13 « personnalités africaines et de la diaspora dont ni la renommée, ni l’indépendance d’esprit ne souffraient d’aucune contestation1 », dit aussi « comité Mbembe », car dirigé par l’historien et politologue camerounais Achille Mbembe.
Le dit Comité ayant reçu mission du chef de l’État français, Emmanuel Macron, en février 20212, de préparer ledit sommet en Afrique et dans sa « diaspora »3 (en France hexagonale, s’entend), avec production d’un rapport, incluant des propositions qui aboutiraient à, entre autres, pas moins que la nécessité d’« une nouvelle charte politique, aussi bien avec les États et gouvernements africains qu’avec les forces vives du continent et les nouveaux acteurs du changement (sociétés civiles, entrepreneurs, cadets sociaux, artistes et créateurs, femmes et jeunes, etc.) »4. Alors qu’Achille Mbembe était jusqu’alors souvent considéré comme un critique sévère des relations supposées assez singulières entre la France et ses anciennes colonies africaines dites péjorativement Françafrique, un réseau néocolonial de connivences entre d’une part les classes dirigeante et dominante françaises, d’autre part les classes dirigeantes et certaines fractions des classes dominantes des anciennes colonies françaises d’Afrique (celle dite subsaharienne essentiellement). Celles-ci étant, en principe, en position subalterne5. Il s’agissait ainsi d’une énième expression de l’intérêt particulier affiché pour l’histoire franco-africaine par le chef de l’État français, dans la perspective de « refonder les relations entre l’Afrique et la France e ».
Car « la “Françafrique” est devenue un dispendieux fardeau dont il convient de programmer méthodiquement la fin », est-il écrit dans le rapport de mission, remis la veille dudit sommet – à moins d’un an de la fin du premier mandat de Macron, paraissant alors certain d’en obtenir un second. « Rapport » de nature assez particulière, car ne se limitant pas à exprimer l’esprit des rencontres, débats organisés par le « comité Mbembe » avec ladite société civile africaine, entre mars et juillet 2021, avec 3600 participant·e·s dans douze pays africains – de la Tunisie à l’Afrique du Sud, en passant par l’Angola, le Kenya, le Mali – et dans la « diaspora » africaine en France6. Un rapport annoncé par Mbembe lui-même comme étant « lucide et honnête […]très critique 7 », permettant ainsi, en le complétant par le déroulement de l’événement et ses lendemains, de dégager l’esprit de la « refondation », d’évaluer la nature du changement envisagé, de l’agriculture à l’enseignement, en passant par la monnaie, la présence aussi bien militaire que des entreprises françaises, l’innovation. Voire d’apprécier la réalisation déjà en cours de certaines propositions dudit rapport, trois années après. Emmanuel Macron ayant en effet obtenu, de l’électorat français, un second mandat présidentiel (24 avril 2022), Il s’est offert par la suite deux mini tournées (juillet 2022 et mars 2023) dans quelques pays africains, avec Achille Mbembe dans sa délégation au Cameroun. L’appréciation ci-dessous de la « refondation » ne va pas cependant se limiter au rapport de la France avec son précarré, car cette relation n’est pas imperméable au contexte global, qui lui donne sens. C’est aussi comme une tentative, non réussie peut-être, de déprovincialiser la critique de la Françafrique …8
Macron : affichage de bonnes intentions et, « en même temps », du mépris pour ses supposés pairs
Depuis sa première élection en 2017, le chef de l’État français, auquel ne peut être dénié un sens poussé de la communication, a multiplié les initiatives concernant la « relation de la France avec l’Afrique » en général, particulièrement avec ses anciennes colonies d’Afrique dite subsaharienne constituées en « pré carré ». « Relation » dont la nature inégalitaire, néo-coloniale (bénéficiant aussi aux classes dirigeantes de celles-ci) est exprimée par le mot-valise Françafrique, avec laquelle le chef de l’État français prétend être déterminé à rompre. Après les promesses faites à propos, mais sans lendemain, voire les espérances prétendument “déçues” – sans surprise, en fait – par ses plus récents prédécesseurs. La « rupture » promise, de façon surprenante, par Nicolas Sarkozy – élevé politiquement dans le sérail françafricain – a plutôt été une continuation consolidée de la Françafrique.
Quant à François Hollande, apparemment étranger, avant son élection, aux réseaux françafricains, il avait, pendant la campagne électorale, aisément promis aussi la « rupture ». Son discours lors de son premier voyage présidentiel en Afrique, à Dakar (12 octobre 2012), était revenu sur les changements à opérer dans la dite « relation de la France avec l’Afrique ». Mais finalement son quinquennat n’a fait que confirmer la nature structurelle, la solidité, de la « relation » françafricaine (comme il a conforté le pouvoir du capital financier ou de la « finance » pourtant déclarée pendant la campagne électorale du candidat Hollande comme étant son « ennemie »)9. Par exemple, en léguant, entre autres, à son successeur (Emmanuel Macron) une énième intervention militaire française dans un État dit souverain, certes sur la “demande” de l’autorité malienne et avalisée par le Conseil de sécurité de l’ONU : l’opération Serval au Mali (2013-2014), relayée par l’Opération Barkhane (2014-2022). Ou en cautionnant, ici et là, quelque tripatouillage constitutionnel pour un troisième mandat présidentiel ou/et l’illimitation de mandats envisagée par quelque autocrate africain.
Ainsi, l’intention de rupture sous la présidence Macron se voulait promise à une concrétisation, à partir d’une série d’actes : la mise en place, dès les lendemains de sa première élection, d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA par la suite, composé d’Africain.e.s – une originaire de l’Afrique anglophone incluse –, de Français.es et d’Afro-Français·es, généralement lié·e·s au monde des affaires) chargé d’éclairer le chef de l’État français sur la politique africaine de la France.
Ce CPA étant censé faire oublier la traditionnelle et tristement célèbre « cellule africaine de l’Élysée » (exprimant du népotisme sous François Mitterrand, vétéran du néocolonialisme français et étant aussi allé le plus loin10), tout en conservant la tradition faisant relever la politique africaine du domaine réservé du président de la République ; le discours du 28 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou (n’ayant presque pas fait des vagues, contrairement à celui, imprégné de suffisance et d’ignorance, de l’alors président français Nicolas Sarkozy, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2007), dans lequel Emmanuel Macron a, par exemple, cité Thomas Sankara, et affirmé – sans l’attitude d’équilibriste de Nicolas Sarkozy à Dakar11 – que « les crimes de la colonisation sont incontestables » ; l’initiative du projet Digital Africa, d’accompagnement de la croissance des « start-up africaines [identifiées] comme les plus prometteuses » (2018), un coup de pouce supposé à l’ entrepreneuriat africain ; la mise en place d’une commission, dirigée par la Française Bénédicte Savoy et le Sénégalais Felwine Sarr, sur la restitution des oeuvres d’art volées par l’administration coloniale (2018) ; l’échange d’Emmanuel Macron, en compagnie de son homologue ghanéen, Nana Akufo-Addo, avec des membres (autour de 400) de la « diaspora » africaine, à l’Élysée, en juillet 2019 ; la commission dirigée par l’historien français Vincent Duclert (spécialiste du génocide des Arméniens dans l’Empire Ottoman, 1915, dont la métropole était l’actuelle Turquie), sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda (2019-2021)12 ; la Saison des cultures africaines en France /Saison Africa 2020 – annoncée pendant le discours de Ouagadougou (novembre 2017), puis en 2018, lors de sa virée nocturne à Lagos, au Shrine (la célèbre boîte de nuit, reconstruite par ses enfants, du musicien, activiste panafricaniste, Fela Anikulapo Kuti, 1938-1997, mais phallocrate avéré avec ses 27 épouses, au nom de la tradition africaine, yoruba en l’occurrence)13 – avec pour Commissaire générale l’architecte sénégalo-française Ngoné Fall (2019-2021) ; la commission dirigée par l’historien français, un pied-noir (Français de l’Algérie coloniale), Benjamin Stora, sur la colonisation et la guerre d’indépendance de l’Algérie (2020-2021)14 – de cette colonisation, le candidat Macron avait déclaré en Algérie (février 2017) qu’il s’agissait d’un crime contre l’humanité ; ses plaidoyers médiatiques sur le fardeau de la dette africaine au début de la lutte contre la Covid-19 (2020) et pour un ‘New Deal africain’ (2021). Le sommet de Montpellier peut donc être considéré aussi comme avoir été préparé par ces initiatives, car censé porter sur la globalité de « la relation entre la France et l’Afrique », sur la redéfinition partagée de ses supposés « fondamentaux ». Ce qui, selon Achille Mbembe, était un « projet nécessaire, raisonnable [dans lequel] l’Afrique devrait pouvoir […] trouver son intérêt 15 ». Appréciation somme toute logique de l’historien et politologue camerounais missionné par Macron, mais dont la collaboration avec le Chef de l’État français n’a pas bénéficié d’un large soutien au sein de l’“élite” africaine16. Sans parler, évidemment, des critiques réputé·e·s de la Françafrique.
Par exemple, pour l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop (entre autres, co-auteur de L’Afrique répond à Sarkozy 17) qui n’est pas, en général, un laudateur des dirigeant·e·s africain·e·s – à l’exception, apparemment, du rwandais Paul Kagamé –, il y avait « tant de mépris dans la démarche » du chef de l’État français, en écartant les chefs d’État africains et en missionnant Mbembe auprès de la société civile africaine, que cela ressemblait à « une mauvaise plaisanterie »18. En effet, quoi que l’on puisse penser des dirigeants des États africains, des êtres malsains en général, la démarche était bel et bien méprisante à leur égard (un mépris différent certes de celui qu’ils suscitent chez leurs concitoyen·ne·s partisan·e·s du respect des droits et libertés humaines ainsi que de la justice sociale), quoique pour Mbembe ledit Sommet « n’était cependant pas dirigé contre eux », a t-il précisé quelques jours après sa tenue19. En décidant, d’abord de changer le programme de cette édition du sommet – devant à l’origine porter sur la « ville durable » –, puis de les en écarter, afin de le consacrer à un « dialogue », préparé par le « comité Mbembe », du chef de l’État français avec la « société civile » africaine (presque annoncé, très maladroitement, dans le discours de Ouagadougou, en 2017, en termes de « la France ne se privera pas d’un lien direct avec la jeunesse, les universités, les ONG, les entrepreneurs [d’Afrique] pour avec eux construire l’avenir » ; autrement dit : elle s’autorisera, dans des États dits souverains), prévu au départ en marge du sommet traditionnel. En bon suzerain de la Françafrique, le chef de l’État français a ainsi traité ses supposés pairs sans un minimum de bonnes manières, comme des satrapes qu’il retrouvera plus tard, selon sa volonté (incarnation de la France puissance), plutôt que comme des partenaires supposés égaux en tant que chefs d’États dits souverains. Un affichage public de l’attachement français à la relation inégalitaire, subalternisante. Comme si pour « refonder les relations », reconnues comme traditionnellement néfastes pour les peuples africains (sans l’être pour les classes dirigeantes africaines), arriver à un nouveau partenariat, censé devenir égalitaire, entre États, il fallait passer par une telle humiliation.
Ce que ne pouvait couvrir le passage de la dénomination “Sommet France-Afrique” à “Sommet Afrique-France” (apparemment selon l’ordre alphabétique plutôt que par abandon supposé de la préséance de la France dans la relation). Au mieux, du supposé symbolique, sans plus. Retrouvera t-on tous ces humiliés – c’est très androcratique la chefferie d’État en Afrique –, tout fiers dans leurs souliers et costume-cravate, sur la photo du prochain Sommet Afrique-France, en France ou quelque part en Afrique ?
Du “comité Mbembe” ou de la séduction macronienne.
Cette manifestation de mépris à l’égard de ses supposés pairs a été aussi – en même temps, comme dirait Macron – une opération de séduction réussie à l’endroit de certains membres de l’“élite” africaine, francophone en l’occurrence, ainsi que d’une partie, dite « néo-impériale 20 », de la société civile africaine. Par exemple, quelques années après le discours de Ouagadougou (dans lequel le président français ne s’était pas départi de l’apparemment indécrottable paternalisme officiel français21 dans le déroulé de ses supposées bonnes actions à venir – de l’agriculture au sport, en passant par l’enseignement supérieur –, fait de « je veux », « ce sera pour moi l’opportunité de réunir les chefs d’État et les gouvernements », « j’ai décidé » … non seulement pour la France mais aussi pour le Burkina Faso, pour l’Afrique), Achille Mbembe avait été l’un des intellectuel·le·s africain·e·s à se prononcer, de manière critique, sur la prestation du Chef de l’État français, en y relevant une « Flagrante absence d’imagination historique en effet. Aucune parole politique de poids. Pas un seul concept. À parcourir rapidement ces pages, l’on en ressort avec la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent 22 ». L’ancien assistant éditorial du renommé philosophe français Paul Ricoeur, Macron, n’était pas, en quelque sorte, essentiellement différent du néolibéral avéré Nicolas Sarkozy, sans afficher certes le mélange d’indécence et d’ignorance du Discours de Dakar de celui-ci.
Mais, moins d’un semestre plus tard, à la suite d’un déjeuner au palais de l’Élysée, Mbembe va changer son appréciation du président français, ayant apparemment, dans l’entretemps, accompli des progrès, une métamorphose : « C’est un esprit brillant. C’est quelqu’un avec lequel on a plaisir à dialoguer. Il est très attentif ... Nous étions cinq ou six et j’étais assis à sa droite. Il prenait des notes, il écoutait ... C’est quelqu’un qui prend des risques, apparemment, qui aime la contradiction, en fait. Je dirais qu’il aime être contredit et il aime le débat chaud 23 ». Passons sur le « j’étais assis à sa droite » précisé par l’ancien activiste de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), qui par ailleurs, espérons-le, n’exprime pas un positionnement politique. Ainsi, le président français s’apprécierait pertinemment au moment d’un repas, dans une certaine tradition au sein de l’intelligentsia française, comme le disait un intellectuel français à propos de certains ex-révolutionnaires des années 1960-1970, ses ex-camarades, s’étant retrouvés, à la fin des années 1970-début 1980, d’abord convives du président français Valéry Giscard d’Estaing, ensuite convives puis collaborateurs du président François Mitterrand, la décennie suivante : « Déjeuner avec le Président-Prince est le signe distinctif, la décoration de l’intellectuel. Mitterrand usera et abusera de ce privilège de cour »24. Le repas chez Macron paraît avoir effacé la « Flagrante absence d’imagination historique en effet. [… de] parole politique de poids. […de] concept » de son discours de Ouagadougou. Voire les actes publics où se manifestaient pourtant autre chose que de l’humanisme, mais paraissant ne pas intéresser l’humaniste Mbembe : le mépris des “gens de rien”, des classes populaires, surtout celles/ceux “issu·e·s de l’immigration” extra-européenne (coloniale, post-coloniale) et de confession musulmane (ou « musulman·e d’apparence », comme dirait un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy) vivant dans les « quartiers » (« difficiles » s’entend) ; la volonté de restreindre les libertés et d’accroître la surveillance (Par exemple, selon la magistrate Evelyne Sire-Marin, « Nous avons vécu depuis 2015 en État d’urgence quasi permanent : un État d’urgence anti-terroriste, de novembre 2015 à novembre 2017, puis un État d’urgence sanitaire depuis la loi du 23 mars 2020, prolongé jusqu’au 31 juillet 2022. Evidemment, cette situation a généré des atteintes considérables aux libertés publiques et individuelles, mais elle ne fait qu’entériner et accentuer une tendance profonde de ces 20 dernières années. Liberté de circulation, liberté de manifestation, liberté d’expression, liberté d’association, ce sont surtout ces respirations essentielles de la démocratie qui se recroquevillent dans une société de contrôle et de surveillance. En outre, depuis 30 ans, 31 lois “sécuritaires” ont donné davantage de pouvoirs à la police et au parquet et ont diminué les compétences des juges indépendants. »)25 ; la xénophobie, aussi en patronnant, pendant ce premier mandat, la guerre (par amour de la contradiction, probablement) contre des théories critiques (décoloniale, postcoloniale, intersectionnelle…) – quoi que puissent en être les limites – de certaines discriminations ethniques/raciales, de genre, effectives dans la société française, métropolitaine comme ultramarine…
Dès lors, nombre de celles et ceux qui portaient aux nues le théoricien de l’afropolitanisme (dans l’acception de Mbembe26 : une sorte de cosmopolitisme africain, critique de la négritude, du “panafricanisme”, bref de la fixation rigide sur une supposée « identité africaine », en fait « négro-africaine » – l’africanité étant, en l’occurrence, plus connotée racialement que géographiquement, même l’Afrique dite subsaharienne n’a pas que des peuples noirs), le critique de l’existence persistante du « pré carré » africain de la France, le contempteur des dirigeants des postcolonies africaines en général, principalement ceux ubuesques des ex-colonies françaises en Afrique centrale, ont, avec d’autres, vu, dans ce changement d’appréciation du suzerain français, sa métamorphose en missionnaire de Macron, en « complimenteur effervescent 27 » de Macron, sa figuration en bonne place dans un bottin des retournements de veste.
Son “semi-compatriote”, l’écrivain camerounais-français Gaston Kelman (rendu célèbre par son Je suis noir, mais je n’aime pas le manioc28), a considéré que la constitution du « comité Mbembe », cet aréopage, était une initiative de « remplace[ment] de la Françafrique politique par la Françafrique intellectuelle »29, ou le lancement du « chantier de la Françafrique intellectuelle ». Cependant si la formule exprime la particulière implication publique actuelle des intellectuel·le·s africain·e·s de la trempe d’Achille Mbembe, Chimamanda Ngozi Adichie, Souleymane Bachir Diagne, Leyla Dakhly, elle manifeste aussi, malheureusement, une conception mutilée de la Françafrique.
Celle-ci n’est pas ainsi considérée comme un phénomène global, bien que centrée sur ou motivée principalement par l’économique, derrière le politique, le culturel. Malgré la centralité de l’économique, il n’est même pas mentionné par Kelman qui, par ailleurs, considère que le néocolonialisme n’existe pas, étant une « fiction ». Malgré la Françafrique ? Apparemment, lui a échappé le sens du préfixe « néo », ne signifiant pourtant pas renouvellement de la colonisation, comme l’avait pourtant précisé Kwame Nkrumah (bien d’autres aussi, en d’autres termes) dans sa définition, assez limpide, de ce phénomène non exclusif à l’Afrique : « L’essence du néocolonialisme, c’est que l’État qui y est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan international. Mais en réalité, son économie, et par conséquent sa politique, sont manipulés de l’extérieur. Cette manipulation peut revêtir des aspects divers[…]Plus fréquemment pourtant le contrôle est exercé par des moyens économiques et monétaires […]par le contrôle monétaire exercé sur les changes, grâce à un système bancaire contrôlé par la puissance impérialiste […]Si petit que soit le pouvoir dont peut jouir un État néo-colonial, il doit disposer du fait même de son indépendance nominale, d’un certain champ de manoeuvre. Il n’est peut-être pas capable de subsister sans son maître néo-colonialiste, mais il peut toujours changer de maître 30 ». Définition qui pourrait être mise à jour, compte tenu de certaines transformations des mécanismes de la domination, des rapports de force, à l’échelle internationale/mondiale, etc. Kelman adoptant plutôt l’air du temps.
En effet, dans le contexte actuel, considéré par certains comme post-idéologique, si colonie demeure une notion d’un usage académique courant (supposé neutre, objectif, etc.), ce n’est pas, ou plus, le cas de néocolonialisme, que l’on dirait proscrit chez les historien·ne·s, politologues, car considéré comme “idéologique”, sentant le temps dit des idéologies, à la différence de post-colonie, censé aussi neutre que colonie, voire de colonialité (malgré tout)… Autrement dit, pour Kelman, releveraient de la fiction la domination des sous-zones du franc CFA par la France, le stationnement permanent de l’armée française dans certaines ex-colonies, six décennies, après la fin de la colonisation ou l’acquisition de « tous les insignes de la souveraineté sur le plan international ». Le Camerouno-Français ayant apparemment fait une fixation sur le « certain champ de manoeuvre » conféré par « l’indépendance nominale » (Nkrumah). Pourtant la « Françafrique intellectuelle » est loin d’être une nouveauté, sinon l’on penserait que l’intelligentsia des ex-colonies françaises d’Afrique, en l’occurrence d’Afrique équatoriale, occidentale, orientale (Djibouti) et de l’océan Indien (Comores, Madagascar), s’est caractérisée pendant six décennies par une critique (en sciences sociales, en littérature …) de la France néocoloniale et de ses complices africains …
La Françafrique intellectuelle a été incarnée par le « père de l’indépendance » du Sénégal, le poète et co-initiateur du mouvement culturel de la négritude, Léopold Sédar Senghor, au brillant pedigree en la matière : il a été, pendant quelques mois, en même temps président du Sénégal indépendant et membre du gouvernement français, puis co-initiateur de l’institution Francophonie avec ses pairs, les présidents nigérien Hamani Diori et tunisien Habib Bourguiba, un francophile littéraire et politique avéré pendant ses vingt et un ans de présidence du Sénégal. Autrement dit, dès le début de la Françafrique, comme phénomène post-colonial/néocolonial, participe l’une des principales figures intellectuelles africaines, voire la principale, des ex-colonies françaises d’Afrique dite subsaharienne.
Sa négritude étant en même temps particulièrement rattachée à la « francité »31, à la défense de la francophonie, de la France (les États-Unis d’Amérique considérant cela, malgré le « socialisme africain » du président sénégalais, positivement, comme un positionnement clair dans la guerre dite froide, la « pierre angulaire de la stratégie occidentale en Afrique »32). Combien d’écrivain·e·s (romancier·e·s, poètes/poétesses, nouvellistes) de sa génération, dans ces ex-colonies, certes dans le contexte généralement du monopartisme (censé endiguer le tribalisme, favoriser la construction de la nation, mais en fait a favorisé, entre autres, une accumulation de richesses, ici et là33), ont fait de la relation néo-coloniale un de leurs thèmes, au-delà du champ culturel, la « Culture Africaine » (le principe de la “coopération” néocoloniale pouvait alors s’énoncer grosso modo : “Occupez-vous de la culture, nous nous occupons de votre économie”, ainsi les conseillers économiques de la métropole coloniale orientaient les choix économiques des nouveaux États, dits indépendants/décolonisés).
Par ailleurs, l’écrivain Gaston Kelman, connaisseur supposé de l’importance de la langue, semble oublier la participation de nombre d’intellectuel·le·s africain·e·s, aux grands-messes de la Francophonie (l’institution), pilotée principalement par la France. Ainsi, en d’autres temps, dans un texte (rappelant par ailleurs le sens de la francophonie chez l’inventeur du terme à la fin du 19ème siècle34, le géographe français Onésime Réclus, cet idéologue de la « France “générale”, la France mondiale, la France majeure qui est américaine, africaine, asiatique, océanienne », aussi par sa langue, incitateur de la colonisation française en Afrique – auteur aussi de, entre autres, Lâchons l’Asie, Prenons l’Afrique, Où renaître ? Comment durer ? 35), Achille Mbembe la considérait lucidement, en compagnie d’Alain Mabanckou (un membre du “comité Mbembe”), comme un « appareil idéologique à part entière de l’impérialisme français » (dans ses anciennes colonies africaines, “subsahariennes” en l’occurrence ; la Belgique francophone, le Canada/Québec francophone, le Luxembourg francophone, la Suisse francophone, membres de la Francophonie, n’étant pas, évidemment, considérées comme des victimes de cet impérialisme, mais en profitant plutôt de quelque façon). Langue française, plaidaient-ils, qu’il fallait dénationaliser36.
Dans son discours à l’Université de Ouagadougou (juillet 2017), Macron a, quant à lui, rappelé que la francophonie est aussi « un instrument au service de l’intégration économique », sans préciser. Son mentor de la fin des années 2000, l’économiste Jacques Attali, avait dirigé un rapport au président François Hollande (2014), considérant que la francophonie était « un moteur négligé de croissance et de développement » et qu’il fallait ainsi promouvoir une « francophilophonie économique » en utilisant « l’outil de la langue française et de la culture dont elle est porteuse en tant que levier de croissance et d’influence […] Les pays francophones et francophiles produisent aujourd’hui [en 2014] 16 % du PIB mondial et possèdent 14 % des réserves mondiales de ressources naturelles37 ».
Une intégration économique hiérarchisée, évidemment, ayant pour leader la métropole néocoloniale, la France (accompagnée de la Belgique, du Canada, du Luxembourg, de la Suisse). La « Françafrique intellectuelle » ne pouvant pas manquer d’intérêt pour cette intégration. D’autant plus que n’y foisonnent pas particulièrement des critiques de l’intégration économique à la mondialisation néolibérale, il y est plutôt souhaitée une bonne intégration à cette (phase de la) mondialisation. La « francophilophonie » (non économique) est plus portée par des auteurs de fictions, généralement supposées “non politiques” ou “politiquement neutres”, des littéraires ne faisant pas, en l’occurrence, allusion à l’existence de la Françafrique – certes, qu’il ne s’agit pas de confondre oeuvres littéraires et pamphlets politiques, l’esthétique et la politique. Quant aux africanistes africain.e.s (celles et ceux qui ne font pas dans les études postcoloniales francophones) elles/ils évitent, généralement, la critique de la Françafrique, ignorent son existence, dans leurs analyses dites scientifiques (sciences sociales) de la situation des anciens territoires coloniaux de la France, voire positivant ou transfigurant des clichés de l’ethnologie coloniale, des mises à jour de la transfiguration francophone originaire, par la négritude senghorienne (les essentialisations du “Négro-Africain”/de la Négro-Africaine), concernant l’Afrique dite subsaharienne, aux populations surtout noires. Cette option, par des auteur·e·s de fiction ainsi que des auteur·e·s de sciences sociales, est évidemment gratifiante38. Y compris pour celles et ceux, bien rares, qui s’avèrent critiques de l’héritage colonial franco-africain, mais dans la posture de « critique latérale qui voit plusieurs choses avec beaucoup de franchise et de justesse, mais en se plaçant de côté », ressemblant, selon le situationniste français Guy Debord « au fac simile d’une arme célèbre, où manque seulement le percuteur »39.
Cette posture ayant été favorisée par l’influence de la métropole néocoloniale (lieu de formation d’une bonne partie de l’élite du versant africain et de reconnaissance/consécration intellectuelle), surtout à partir de la France mitterrandienne (années 1980 et suivantes), période de propagation de la théorie postmoderne, de propagande de la « fin des grands récits », du relookage de l’idéologie de la « fin des idéologies », de la « fin de l’histoire », etc.40. La critique radicale n’étant pas assez enracinée, développée dans l’élite du versant africain de la Françafrique. Ainsi, avec le « comité Mbembe », ne s’est pas opéré quelque « remplace[ment] de la Françafrique politique par la Françafrique intellectuelle ». Celle-ci était déjà là, s’articulant diversement à celle-là.
C’est avec des mots différents que l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop mentionne le phénomène de la « critique latérale » chez Mbembe qu’il ne considère pas, malgré une certaine réputation, comme un « farouche contempteur de la Françafrique », car ses « rares critiques [sont] au demeurant très générales contre la politique africaine de la France ou les déséquilibres entre le Nord et le Sud, le tout dans une langue parfois traversée par de magnifiques éclairs mais le plus souvent obscure, que l’on sent travaillée et retravaillée pour n’être comprise de personne […]Bref, pour le dire familièrement, les attaques de Mbembe contre la France ça ne mange pas de pain41 ». De « magnifiques éclairs » pouvant être considérés comme le vrai en tant que moment du faux, selon le renversement par G. Debord d’une formule du philosophe allemand Hegel (« le faux est un moment du vrai »)42. Appréciation opposée, évidemment, à celle de celles et ceux qui, ébloui·e·s par les « magnifiques éclairs » dans ses textes, le portaient aux nues avant d’en être déçu·e·s43. Macron l’avait bien perçu et, de son côté, ne semble pas déçu par un Mbembe assumant de façon inflexible (face aux critiques) sa mission, au-delà de l’événement de Montpellier (le « comité Mbembe » assure le suivi de la mise en oeuvre des propositions dites refondatrices).
Cette collaboration du renommé intellectuel africain et quelques pairs apparaît comme une énième illustration du constat concernant certain·e·s intellectuel·le·s très médiatisé·e·s pour leur supposé engagement humaniste : « La société de masse (c’est-à-dire ceux qu’elle a intégralement formés, quelles que soient leurs illusions là-dessus) ne pose jamais les problèmes qu’elle prétend ‘gérer’ que dans les termes qui font de son maintien une condition sine qua non […] Tel est le sens véritable de tous ces appels à une ‘humanité’ abstraite […]même si ceux qui les lancent, forts de leur expérience dans l’Université, l’industrie ou l’expertise (c’est, comme on s’en félicite, la même chose), sont pour la plupart mus par des ambitions moins élevées et rêvent seulement d’être nommés à la tête d’institutions ad hoc44 ».
L’« humanité abstraite » étant remplaçable, en l’occurrence, par l’Afrique abstraite. Pour le « maintien » régénéré de la Françafrique, quoi que s’en défende son dirigeant, affirmant par exemple que « la personne qui va me manipuler, elle n’est pas encore née 45 », « Pour proférer ce genre d’accusations, il faut ou ne pas me connaître, ou être idiot ou les deux !46 » ou que « Toute réponse affirmative à une sollicitation de ce type n’est pas nécessairement mue par un désir de compromission. Répondre, c’est aussi prendre à témoin, et, au besoin, prendre date 47 » (pour quelle finalité ?). La pertinence, ou non, d’une telle auto-appréciation, antérieure puis postérieure à la publication du rapport et au dit Sommet de refondation, ne pourra être prouvée que par la confrontation au rapport ainsi qu’à l’événement, voire à ses antécédents, ainsi qu’à l’après-Montpellier.
Macron et Mbembe : des affinités électives
En fait, plutôt que de manipulation – conception qui tend généralement à dé-responsabiliser, priver de conscience claire de leurs intérêts personnels, les Africain·e·s concerné·e·s –, ou de compromission, en l’occurrence, il conviendrait de parler d’atomes crochus ou d’affinités électives entre Achille Mbembe et Emmanuel Macron. Ainsi, comme dans presque tous les rapports sur la place de la France en Afrique commandités par les gouvernements successifs et le parlement français, surtout à partir des années 2010 (sous la présidence de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron), et malgré l’existence du CPA, Mbembe avait, avant d’être missionné par Macron, “constaté”, sur un ton de déploration, « la perte d’influence de la France en Afrique » – principalement dans ses anciennes colonies48 –, s’interrogeant publiquement si Emmanuel Macron a « mieux qu’eux [ses prédécesseurs], pris l’exacte mesure de ce qui se joue effectivement, à savoir la vertigineuse perte d’influence de la France en Afrique depuis le milieu des années 1990 ? 49 ».
Ce qui avait tout l’air d’un appel à prendre des mesures devant au moins y mettre un terme, restauratrices de la dite « influence française en Afrique ». C’était, quelques semaines avant sa mise en mission, cette expression de la conscience par Macron de la dite « perte d’influence » à laquelle il fallait rémédier – la réciproque, c’est-à-dire une influence de l’Afrique sur la France, n’étant pas évidemment envisageable. « La France doit se reconnecter avec les nouvelles générations africaines » – France officielle, s’entend –, a affirmé Mbembe quelques jours avant le sommet50. Ce qui, d’une part, paraît plus qu’une suggestion : « la France doit », autrement dit, il s’agit d’un devoir, mais envers qui ? Envers elle-même ? Envers l’“Afrique” ? D’autre part, ces « nouvelles générations africaines », avec lesquelles la connexion était considérée comme nécessaire, sont-elles socialement, politiquement homogènes, exprimant, alors, toutes un désir « d’influence française » ?
Autrement dit de soumission à la puissance française ? « L’influence [étant] l’autre nom de la puissance », a clairement rappelé la diplomatie française macronienne51. C’est comme si, pour l’historien-politologue réputé critique, plaidant, est-il supposé, la cause de l’Afrique, ladite « influence française en Afrique » avait été bénéfique aux « générations africaines » d’avant-hier et d’hier, qui, par ailleurs, l’auraient acceptée unanimement. Comme si Mbembe avait oublié que dans la deuxième moitié des années 1950, d’un colonialisme réformé ou, a posteriori, de transition au néocolonialisme (Loi-cadre dite Defferre en 1956, Communauté française en 1958), la connexion entre l’État colonial français et un Léopold Sédar Senghor (et autres satrapes : les Félix Houphouët-Boigny – Côte d’Ivoire –, Léon Mba – Gabon –, Ahmadou Ahidjo – Cameroun –, Philibert Tsiranana – Madagascar –, Fulbert Youlou – Congo-Brazzaville, etc.) affirmant, par exemple, que « La France n’a jamais été raciste [et qu’elle est] la moins “colonialiste” des puissances coloniales52 », plaidant même chrétiennement sa cause : « Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père »53, n’était aucunement partagée, dans une partie des acteurs/actrices de la vie politique africaine.
Par exemple, par les Mohammed Boudiaf et les indépendantistes du Front de libération nationale algérien (FLN), Osende Afana et les indépendantistes de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), Cheikh Anta Diop et nombre de dirigeant·e·s de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire française/FEANF (de Solange Faladé à Amady Aly Dieng), étant solidaires alors de la lutte de libération du FLN et de l’UPC contre l’armée coloniale française, tous/toutes ces activistes de l’indépendance des colonies. Que pendant les deux premières décennies post-coloniales/néocoloniales, l’anti-néocolonialisme se faisait entendre dans certains campus universitaires, voire certains lycées, de l’ex-empire colonial français d’Afrique54 (comme dans d’ex-colonies britanniques), de façon bien plus construite, apparemment, que l’actuel dit « sentiment anti-français »55 (apparemment efficient), certes dans un contexte international bien différent (celui de la guerre dite froide, avec ses foyers dans le Tiers-Monde, en Afrique en l’occurrence).
Un oubli de la part de Mbembe, pouvant être considéré comme exprimant une version soft du « rôle positif de la présence française outre-mer » dont l’enseignement dans les écoles françaises était recommandé par le législateur français (sous la présidence de Jacques Chirac)56, mais étendue ici au néocolonialisme, qu’il a assez clairement servie au lendemain dudit sommet : « Ce n’est tout simplement pas vrai que l’ensemble de notre passé commun a été inutile et n’a servi à rien 57 ». Faisant ainsi penser à un retour du discours sur les « “réalisations”, maladies guéries […] kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer … », la scolarisation, etc., évoqués par des pro-colonialistes, en guise de bienfaits de la colonisation Discours, qu’en son temps, Aimé Césaire avait considéré comme un argument indécent. Comme si ces prétendus bienfaits n’étaient pas plutôt dictés par les intérêts du système colonial, pour sa reproduction plus rentable, parfois payée en perte de nombreuses vies humaines indigènes. Comme il l’a d’ailleurs rappelé, à propos de ladite loi : « Mais comment peut-on ? […] Cet article 4 […]est une infamie qui écrase les massacres, les expropriations, les atteintes à la dignité et donc à l’humanité. Pour valoriser quoi ? […] Les routes. Les hôpitaux, la mise en culture des terres, les technologies ? Alors quoi, on met en balance ma dignité d’homme et un camion benne ? Mais de qui se moque t-on ? » 58. Le président Macron a néanmoins persisté et signé : « Il y a eu des combats, il y a eu des fautes et des crimes, il y a eu des grandes choses et des histoires heureuses » (Discours à l’université de Ouagadougou)59. L’on pourrait se demander, tout simplement, « Heureuses » pour qui ? Qu’il y ait eu aussi, en plus des méfaits, forfaits coloniaux, des amitiés entre individus (indigènes des colonies et métropolitain·e·s français·es), des relations amoureuses (mutatis mutandis, les tondues60 n’ont-elles pas vécu « des histoires heureuses » avec des occupants allemands ? est-ce pour autant que l’on dirait du nazisme…) produisant le métissage cher à Senghor, par exemple, ne peut décemment faire du colonialisme et du néocolonialisme l’« histoire d’amour » voulue par le président français Macron61. Le principe ou le fait colonial étant en soi malsain. Ou, pour retrouver Mbembe, le colonialisme et le néocolonialisme sont-ils à considérer comme des situations utiles ? Pour qui, si ce n’est pour les colons et leurs alliés indigènes.
Certes, ce qui s’avère inutile, inutilement tragique même, peut servir de leçon – quand bien même, pour parler comme le philosophe Hegel, savoir tirer des leçons de l’histoire afin d’éviter des drames, pour le bien des peuples, en l’occurrence, demeure exceptionnelle dans l’histoire humaine. Par ailleurs, la critique de la Françafrique est fondée sur l’irréfutabilité de la profitabilité de ce « passé commun », son utilité donc. D’une part, aux intérêts françafricains métropolitains : capitalistes français pilleurs du sous-sol africain, sur-exploiteurs de la force de travail africaine, et praticiens chevronnés de la fuite des capitaux, partis de gouvernement français recevant des valises d’argent, des djembés pleins de CFA, de la part des palais présidentiels des ex-colonies françaises d’Afrique – ainsi la Françafrique est, en l’occurrence, un « dispendieux fardeau » (Rapport Mbembe , p. 8 ) pour ces États africains généreux, des satrapies, dont certains sont classées comme « pays pauvres », en flagrant déficit de salles de classe, de médicaments dans les centres de santé des quartiers populaires, etc. (quelle moralité attribuer aux dirigeants politiques français réceptionnaires de ces djembés ?), etc.. D’autre part, utile aux intérêts de leurs alliées subordonnées que sont les classes dirigeantes de ces ex-colonies/néocolonies (postcolonies, dans la terminologie de Mbembe), prédatrices, kleptocrates pour l’accumulation initiale du capital et sa reproduction, ainsi principal vivier des bourgeoisies locales. C’est à certaines fractions actuelles de ces classes dirigeantes et exploiteuses, dominées par le capital extra-africain, français, en l’occurrence, que semble renvoyer, en fait, le « notre » de Mbembe.
Les uns et les autres constituant une mise à jour post-coloniale du « circuit de bons services et de complicités » qu’Aimé Césaire avait déjà considéré comme « établi au détriment des peuples » (Discours sur le colonialisme, 1955). « Des grandes choses et des histoires heureuses » pour ces réseaux politico-économiques françafricains, évidemment.
Mbembe et le désir d’une influence par les « valeurs de la France »
Comme cela apparaît déjà dans certaines lignes ci-dessus, le désir mbembéen de restauration de « l’influence française en Afrique » exprime aussi une certaine idéalisation de la métropole françafricaine – une caractéristique du Rapport Mbembe comme il en sera question plus loin. Par exemple, dans ces réponses concernant l’enjeu du sommet supposé refondateur de Montpellier : « [question :] Ce sont donc les valeurs qui sont en jeu ? [réponse :] Je crois que c’est le cas. Un nouvel esprit de défiance est en voie de cristallisation. Si l’on veut défataliser l’avenir, il faut revenir à ce qu’Emmanuel Macron appelle les fondamentaux. [question :] Quels sont ces fondamentaux ? [réponse : ] Ce sont les valeurs, finalement. Sans elles, l’Afrique et la France n’ont rien à partager, ni rien à faire ensemble au service de l’avenir. Faire des affaires, comme nous les ferions avec les Chinois, les Turcs, les Russes et d’autres, n’est pas un idéal. Je parle des valeurs, c’est-à-dire des idées, des choses impérissables comme la protection de la vie, le souci de la liberté, la démocratie, les droits humains fondamentaux. En l’absence de ces valeurs, il n’y a pas de lien digne de ce nom à réparer 62 ».
Gageons, sans vraiment y croire néanmoins, que l’égalité et la justice sociale ne sont pas mentionnées parce que incluses dans les « droits humains fondamentaux », même si elles n’ont pas les faveurs du néolibéralisme que pratique Macron. Même si dans la Charte internationale des droits humains de l’ONU, il existe aussi, en plus de la Déclaration universelle des droits humains (1948), entre autres, un Pacte international sur les droits sociaux, économiques et culturels (adopté en 1966 par l’Assemblée générale de l’Onu et entré en vigueur en 1976), auquel il n’est pas souvent fait référence dans la « communauté internationale » des exploiteurs/exploiteuses, des dominant·e·s et leurs affidé·e·s, et pour cause… Ainsi celui qui, il y a une décennie, conseillait, avec un accent fanonien, « aux Africains qui cherchent à réinventer leur futur [qu’ils] gagneraient à oublier la France » (alors sous la présidence de Sarkozy, certes)63 – n’ayant pas alors ces mêmes valeurs ? – et qui, quelques mois avant son élection par Macron comme missionnaire pour la refondation de la « relation entre l’Afrique et la France », avait « la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent 64.
À prôner qu’« il faut revenir » à son « idéal », aux « valeurs », oubliant, plutôt qu’ignorant, que la France de Macron adhère à la consécration de l’argent (justifiant la vente du matériel de guerre à l’Arabie Saoudite bombardant le Yemen depuis quelques années), son accumulation, comme étant la Valeur. Comme si des valeurs autres que le profit, animant la géopolitique, avaient prédominé avant « la vertigineuse perte d’influence de la France en Afrique depuis le milieu des années 1990 », des décennies de colonisation (avec les surexploiteuses compagnies concessionnaires et consorts65) aux premières décennies post-coloniales/néocoloniales (avec les surexploiteuses extractivistes Elf, Cogema, etc. ; un parachutage franco-marocain, pro-Mobutu, de la légion étrangère francaise pour protéger la zone minière de Kolweizi…). Comme si avant l’argent de Kadhafi à Sarkozy, il n’y avait pas, à titre de rappel, la tradition des mallettes et djembés bourrés d’argent, allant des palais CFA aux dirigeants républicains français, l’offre généreuse de diamants à Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française, par l’empereur Bokassa, au temps où l’on pouvait déjà affirmer : « En Afrique comme à Paris : de la corruption comme mode de gouvernement 66 ». Alors qu’à Ouagadougou le président français avait fait preuve d’une certaine honnêteté (accompagnée d’une promesse irréalisable sans changement fondamental préalable de la nature de l’État français et des États africains), à propos des valeurs ayant historiquement marqué la relation entre la métropole coloniale puis néocoloniale et ses anciennes colonies, le versant africain de la Françafrique, en envisageant « quelque chose d’inédit, un chemin que jamais jusqu’alors nous n’avons emprunté ensemble, celui d’une émancipation en partage ».
Il ne peut ainsi être question de réparer quelque chose qui aurait existé et aurait été perdu, sinon dans l’imagination de Mbembe. Les « fondamentaux » évoqués par Mbembe au gogo d’interviewer relèvent donc de la nostalgie uchronique, favorisée par quelque postmodernisme (rapport relâché aux faits, à la possibilité d’une connaissance objective des sociétés ou à la vérité historique, en l’occurrence …) de cet historien et politologue.
À titre de rappel, la posture de “missionnaire civilisatrice” de la France coloniale a été à l’égard des indigènes des colonies, celle d’un État de police plus que de droit67, un État de droit policier. Généralement volonté du plus fort érigée en norme, le droit n’est pas à considérer comme étant toujours juste, égalitaire ; celui du conquérant exprime sa volonté, le rapport hiérarchique, subalternisant qu’il a établi, généralement par une violence meurtrière et culturelle, en l’occurrence. De L’“État de droit”, peut être rappelé que l’État sud-africain pendant l’apartheid en était aussi un, avec des élections pluripartites exclusives, un droit de l’inégalité raciale entre les Blancs/Blanches et tous/toutes les autres, principalement les Noir·e·s, exclu·e·s, par exemple, de la compétition électorale ; aux États-Unis d’Amérique, auto-proclamé champion mondial de la “démocratie”, une imposture académiquement validée en général, l’égalité des droits civiques n’a été acquise par les Noir·e·s qu’en 1964-1965, après presque deux siècles d’“État de droit”, des années de mobilisation, souvent réprimée par l’État s’accommodant encore, de nos jours, d’un racisme structurel, en guise de coutume. L’“État de droit” peut ainsi être racialement inégalitaire, raciste.
Sur le tard, à partir de l’après Seconde Guerre mondiale, la Constitution de la IVe République, 1946, avait institué, par la création de l’Union française, la participation d’une partie des “élites” indigènes/colonisées aux institutions de la République, à la gouvernance coloniale, afin de mieux la perpétuer. La mission civilisatrice demeurait concrètement basée sur le principe de l’inégalité humaine entre les métropolitain·e·s (Blancs/Blanches) et les colonisé·e·s (Arabes, Noir·e·s). Ce sera, comme en moindre mal, un respect à géométrie trop variable des droits humains universels fondamentaux (proclamés par l’alors jeune Organisation des Nations unies, en 1948, un siècle et demi après la française et phallocratique Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), selon d’ailleurs le degré d’expression revendicative par les colonisé·e·s du respect desdits droits universels dans l’empire du “pays des droits de l’Homme”. Ainsi, à la veille de l’indépendance massive de 1960, voire, dans quelques cas, au même moment et après, la France co-créatrice de l’ONU, ayant ratifié ses textes sur les droits humains, continuait la pratique de la torture, l’assassinat d’anticolonialistes, dans le cadre de la « guerre contre-révolutionnaire »68 (pour la préservation de la domination coloniale), en Algérie comme au Cameroun. Cette violation des supposées « valeurs » de la République est une constante dans l’histoire ultramarine de la France. Ayant, par exemple, fait dire, assez complaisamment, au très francophile Senghor : « la France […] dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques » (« Prière de paix »).
En ce temps-ci de concurrences mono-identitaires, au cours duquel des tenants de l’absolutisation de l’identité raciale tendent à considérer généralement, implicitement, le capitalisme comme l’horizon socio-économique, en marginalisant l’identité de classe sociale, avec les luttes qui lui étaient, lui sont liéées69, il est utile de rappeler que la fréquentation régulière des « sentiers obliques » par la France républicaine ne s’explique pas que par le racisme, n’a pas concerné que les colonies et les départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM). Certes, par exemple, qu’en fin mai 1967, dans le département-colonie de Guadeloupe, l’État républicain français, réputé de droit (dirigé par le général De Gaulle), ayant pris parti pour le patronat local (blanc) en conflit avec la population “noire” des classes populaires, a, pendant trois jours, fait tirer l’armée républicaine sur des membres de celle-ci, avec un nombre de morts allant, selon les sources, de sept à quatre-vingt-sept70. Cependant, l’État français l’a aussi fait dans la France hexagonale : plusieurs fois dans son histoire, la troupe a tiré sur des prolétaires insurgé·e·s, les « classes dangereuses », y revendiquant, après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, des droits, luttant pour la concrétisation de la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » Il est même arrivé que ce soient les mêmes généraux et maréchaux, actifs tour à tour dans la conquête coloniale et dans la répression d’autres Français·e·s en métropole, dits péjorativement (en référence aux autochtones algériens) les « Bédouins de la métropole »71.
La répression meurtrière des ennemi·e·s de classe est aussi ainsi une caractéristique de la France post-1789, celle d’un État au service surtout des intérêts de la bourgeoisie française – l’État français étant de nature capitaliste, la République étant bourgeoise –, à dimension raciale aussi dans les colonies (départements et territoires d’outre-mer, cette France « entièrement à part », compris)72. Ce qu’il convient toujours de rappeler, surtout en ces temps-ci de falsification plus intensifiée de l’histoire, d’accentuation d’une considération idéalisée de la République, sans les violences régulières des 3e, 4e et 5e Républiques (les deux premières ayant plutôt été des balbutiements), cachant mal une adhésion à l’idée de la « fin de l’histoire ». La France n’ayant pour horizon que la République, les violences assez régulières des dernières décennies de la 5e République, accentuées sous le régime de Macron sont présentées comme des dévoiements plutôt que son adaptation, sa mise à jour néolibérale.
Ainsi, le premier quinquennat de Macron, supposé guidé par les valeurs indiquées par Mbembe, s’est caractérisé par, non seulement des attaques législatives (au nom de la continuation des « réformes structurelles », d’adaptation au néolibéralisme, commencées dans les années 1980, sous la présidence de François Mitterrand) contre des droits et libertés73 – héritage de ces luttes menées, pendant les 19ème et 20ème siècles, par les classes populaires françaises organisées, au prix de très nombreuses vies humaines, enfants compris –, mais aussi par la multiplication des violences physiques (de la force dite publique, supposée républicaine) contre des manifestant·e·s, défendant leurs droits agressés, le président de la République exerçant ainsi la violence contre une partie du peuple dit souverain. Avec un grand nombre de blessé·e·s dont certains rendus manchots, d’autres éborgnés74, jusqu’à une morte, cette non manifestante, octogénaire (“musulmane d’apparence”, selon la trouvaille classificatoire de l’ancien ministre de l’Intérieur, devenu Chef de l’État, alors en quête d’un second mandat, Nicolas Sarkozy), prise comme cible, à son balcon, d’un tir policier de grenade lacrymogène l’ayant atteinte au visage et morte le lendemain sur la table d’opération, par arrêt cardiaque75 …
Certes, le pire du régime macronien s’est produit après le Sommet de Montpellier, au cours de son second mandat présidentiel, au cours de laquelle le régime de Macron paraît se lâcher en matière de répression, des milliers de grenades lacrymogènes et de désencerclement ont, par exemple, été utilisés par la troupe républicaine contre des manifestant·e·s (Les Soulèvements de la terre, un activisme écologique contre le grand capital agraire) en moins de deux heures, à Sainte-Soline (mars 2023), faisant deux comateux, deux centaines de blessé·e·s et des arrestations. On se croirait en Amérique dite latine ou en Afrique (où pourra être importé le savoir-faire répressif français, aussi exhibé à cette occasion en guise de pub …), voire aux États-Unis d’Amérique : « J’ai vu à Sainte-Soline un gouvernement paramilitaire lançant des grenades sur ses citoyens […]la brutalité policière aux États-Unis discrimine et se déploie avec toute sa violence en particulier contre les jeunes hommes racisés. Et même là, ils n’utilisent pas de grenade », a affirmé, à propos Kristin Ross, une historienne états-unienne spécialiste des mouvements populaires et de leur répression76. Qui dirait, prouverait que depuis son premier quinquennat le régime de Macron a plus fait progresser des droits et libertés, autres que ceux/celles profitant essentiellement au Capital ou ne gênant pas sa reproduction ? Ce régime s’avère plutôt un bulldozer contre les résistances des classes populaires aux réformes néolibérales, dont l’imposition, est entreprise depuis quatre décennies, des années Mitterrand au mandat de François Hollande, aux dépens de droits et libertés chèrement acquises, en guise d’issues aux luttes. Comme s’il voulait s’affirmer pire que celui de Nicolas Sarkozy, au bonheur du grand capital français, européen et mondial.
Cette dynamique relativement liberticide n’empêche pas que Mbembe (historien n’ignorant aucunement ces pages de l’histoire française, contredisant concrètement les dites « valeurs » proclamées de la France) espère de l’État français, dirigé par ce même Macron, une relation « répar[ée] » avec l’Afrique sur la base de ces « valeurs » pourtant si souvent violées au cours de l’histoire de la République française – les vraies « valeurs » de celle-ci ne seraient-ce pas celles pratiquées, plutôt que celles proclamées ? –, y compris dans le soutien à des régimes post-coloniaux autoritaires du « pré carré ». Rappelons que la réparation est généralement définie comme la remise en bon état, antérieur à un dommage, ou la compensation d’un dommage. Ce qui ne peut l’être concernant celles et ceux qui ont été tué·e·s (contrairement à la revendication indécente, devenue courante, de réparation, sur la base d’une évaluation monétaire des millions de mort·e·s, de la traite négrière transatlantique, de la conquête coloniale, du premier génocide du 20ème siècle dans le “Sud-Ouest africain”, etc. Évaluation monétaire de ce qui relève de l’irréparable, entreprise par des individus, communautés et États, qui exprime bel et bien la victoire des valeurs du capital en expansion : tout pouvant être monétarisé77).
Certes, cette accentuation des attaques contre des droits et libertés, des violences n’est pas une particularité française, mais un penchant actuellement très prononcé des États du capitalisme développé, dont Mbembe avait exprimé la conscience, il y a quelques années, en disant (après avoir mentionné l’assassinat policier constant des Noirs et leur incarcération massive aux États-Unis d’Amérique) que « L’Europe va continuer sa lente descente vers le libéralisme autoritaire ou ce que le théoricien de la culture Stuart Hall nomme populisme autoritaire 78 ». Le théoricien marxiste britannique d’origine, entre autres, jamaïcaine, Stuart Hall, se référait surtout au régime de la Première ministre britannique Margaret Thatcher (1979-1990), à laquelle certains critiques de Macron l’ont assimilé pendant son premier mandat (jusqu’à parler, dans le post-Montpellier, de « Margaret Macron », concernant son inflexibilité, entre autres, face au mouvement social, populaire, contre le recul de l’âge de départ à la retraite, de 2023). La politique économico-sociale de Thatcher, considérée comme pionnière du néolibéralisme en Europe, n’ayant été possible que par l’autoritarisme qu’elle a pratiqué, lui ayant ainsi valu le sobriquet de « dame de fer » : pour son implacabilité face aux syndicats des salarié·e·s en général, en particulier celui des mineurs en grève, en 198579, sa gestion policière de la diversité raciale (supposée faire courir à l’Angleterre le risque d’une submersion par ces « gens ayant une culture différente »80, généralement issu·e·s de l’empire colonial – la dite invasion ou “théorie du grand remplacement” –, ayant été importé·e·s en métropole pendant sa reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, pour « occuper les emplois dont ne voulaient pas les Britanniques 81 », mais devenant en partie, en des temps difficiles, postérieures aux prétendues Trente Glorieuses – grosso modo de 1945 à 1975 –, en période post-coloniale, une population considérée comme superflue82). Autoritarisme accompagné du racisme (structurel ici et différemment configuré) caractérisant aussi la présidence des États-Unis d’Amérique par Ronald Reagan (1981-1989), considéré comme alter-ego de Thatcher, concernant les débuts du néolibéralisme dans le monde capitaliste développé (en omettant généralement l’impulsion donnée par la présidence de Jimmy Carter, 1977-1981) : avant Thatcher, il a été intraitable face aux contrôleurs du ciel en grève, licenciant sans état d’âme, la première année de son premier mandat, les onze milliers de grévistes. Il a aussi, entre autres, accusé des femmes noires recevant des allocations familiales (un acquis desdites Trente Glorieuses/Welfare State qu’il fallait démanteler), de vivre en « welfare queens »/« reines des allocations sociales » (ce qui ne pouvait pas continuer …).
Toutefois, si la personnalité de l’une et de l’autre ne doit pas être niée, ce n’est pas la principale clef explicative des politiques menées par ces deux pionnier·e·s du néolibéralisme dans le monde capitaliste développé, de démocratie représentative. Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont fait preuve d’esprit politique conséquent, car la néolibéralisation exige une part d’autoritarisme, au cas où l’État ou le régime ne l’est pas déjà : « pour reprendre le titre d’un livre publié dans les années 1980 sur Margaret Thatcher […]il faut un “État fort” pour une “économie libre” », un libéralisme autoritaire83.
Depuis, à la faveur aussi de la fin de la guerre dite froide, le libéralisme autoritaire s’est progressivement installé dans le monde capitaliste développé, rythmé social-historiquement, par les rapports de force (économiques, sociaux, politiques) locaux de chaque pays, articulés au contexte international (de l’Union européenne, par exemple, pour les pays membres). En France, de la présidence de François Mitterrand à celle de François Hollande, l’attaque frontale n’a pas été généralement la règle, à l’exception relativement de la présidence de Nicolas Sarkozy, zélé activiste du néolibéralisme (ne se privant pas néanmoins de critiquer ses supposés excès, de demander la moralisation du « capitalisme financier »84). Margaret Macron se veut plus déterminé, autant aussi que le permet le présidentialisme de la Constitution française de la Ve République. Présidentialisme, faisant élire le président au suffrage universel direct, ayant été sévèrement critiqué pendant le débat précédant le référendum (1962), par l’alors président du Sénat, Gaston Monnerville (ayant pourtant contribué au retour de De Gaulle au pouvoir en 1958) considérant qu’il ne « fera que créer la confusion des pouvoirs, et au profit d’un seul.
Elle donnera naissance à un pouvoir personnel, omnipotent, incontrôlable, et en même temps – paradoxe insensé – irresponsable […] Réunir en une seule main, sur une seule tête, tous les pouvoirs, sans nul contrepoids, c’est proprement abolir la démocratie85 » – selon le « récit ‘libéral-occidental’ dominant sur la démocratie »86. Taillé sur mesure pour le général De Gaulle, son rival puis lointain successeur François Mitterrand s’y était tellement adapté qu’il avait été, le long de sa présidence, tout simplement surnommé “Dieu”, par l’hebdomadaire satirique français Le Canard enchaîné. Au soixantième anniversaire de ladite constitution, un ex-apologiste de Macron, déçu par son premier mandat, a comme procédé à une mise à jour de la critique faite par Monnerville : « Fort du suffrage des citoyens, il s’est cru au-dessus de la mêlée et a finalement revêtu, analysent de nombreux commentateurs de la vie politique, les habits de [l’empereur]Bonaparte, assumant un pouvoir jupitérien, tout en verticalité », après avoir promis en 2017 « un élargissement de la démocratie, une orientation vers plus d’horizontalité dans les processus de décision, sa pratique de la fonction présidentielle nous a même fait sortir de l’esprit de la Ve République[…] Avec Macron, l’Élysée a concentré tous les pouvoirs et transformé les députés de l’Assemblée nationale en porteurs d’eau et les députés LREM [La République en Marche, son parti]en godillots »87, des citoyen·ne·s étant quant à elles/eux soumis·es à un traitement policier. Les valeurs de la France ou de la République devant s’adapter à ce présidentialisme néolibéral, non perceptible apparemment par Mbembe.
La France et ses valeurs en Afrique à la veille du sommet de Montpellier
Mineurs, paraissent avoir été considérés par le « comité Mbembe » des actes posés par le président français concernant la « relation entre l’Afrique et la France », en pleine mission pour sa prétendue refondation. En effet, ledit comité a manifesté une certaine indifférence à l’égard du non respect desdites « valeurs » par le chef de l’État français et de la Françafrique cautionnant, en avril 2021, la succession dynastique à la présidence du Tchad, du fils d’Idriss Déby, suite à la mort de son père. Comme l’avaient fait en leur temps, les Françafricains avérés Jacques Chirac pour Faure Gnassingbé, entre février et mai 2005, suite à la mort, en février, de son paternel de président (Gnassingbé Eyadema) et un simulacre d’élection présidentielle libre (tumultueuse et meurtrière), puis Nicolas Sarkozy pour Ali Bongo, entre juin et septembre 2009, suite à la mort, en juin 2009, d’Omar Bongo, puis frauduleusement élu selon même des diplomates français et états-unien. La succession lignagère tchadienne étant, évidemment, en violation flagrante de la constitution, ayant été, par conséquent, suspendue.
Malgré la quasi-certitude, assez partagée alors, que, eu égard déjà au mode d’accès au pouvoir, l’héritier Déby allait continuer la tradition anti-démocratique, violente, criminelle, de l’État tchadien, surtout face aux activistes des droits humains, à l’opposition politique. Ni le meurtre des activistes manifestant contre ce mépris pour la constitution tchadienne, ni la lettre adressée à Mbembe par des personnalités tchadiennes et africaines, le 24 mai 202188 – concernant la crise créée par Déby fils et sa junte, ayant « bénéficié du soutien actif du président français Emmanuel Macron » –, condamnant l’« imposture en flagrante violation de la Constitution tchadienne [… la] sanglante répression de Tchadiens descendus pacifiquement dans la rue pour réclamer une transition civile » au nom des « valeurs universelles que vous [Mbembe] défendez » (si celles-ci ne sont pas rappelées dans la lettre, il ne peut s’agir que de la « protection de la vie, le souci de la liberté, la démocratie, les droits humains fondamentaux » mentionnés par Mbembe moins de trois semaines auparavant89), paraissent n’avoir pas affecté la mission dudit comité90. Comme si cette crise a été considérée par celui-ci comme un « détail », négligeable par rapport à l’oeuvre grandiose de refondation des « relations entre l’Afrique et la France ». Fort probablement, eu égard aussi au statut du Tchad, abritant l’état-major de l’opération militaire française Barkhane au Mali.
À moins que la lettre du collectif de personnalités tchadiennes et africaines ait été considérée comme inspirée par « des affirmations péremptoires mais surannées » supposées courantes dans la critique de la Françafrique à visée non réformatrice91.
Ainsi, fort du soutien tacite du suzerain de la Françafrique, le régime de N’Djamena a, pendant la mission du « comité Mbembe », poursuivi sa répression des manifestations populaires pro-“démocratie” (entre avril 2021 et octobre 2021, au moins dix personnes ont été tuées, d’autres blessées, d’autres encore, beaucoup plus nombreuses, incarcérées)92. Sans troubler le processus de consultation et de réflexion sur comment « refonder les relations entre l’Afrique et la France », aucune de ces « personnalités africaines et de la diaspora dont ni la renommée, ni l’indépendance d’esprit ne souffraient d’aucune contestation », n’a démissionné dudit comité par respect pour les victimes de la violation des droits humains, jusqu’à l’assassinat, ayant suivi le putsch et sa légitimation par la France – dont le président s’est rendu, avec son ministre des Affaires étrangères et les quatre chefs d’État du G5 Sahel, à N’Djamena pour les obsèques d’Idriss Déby, en guise aussi d’adoubement du fils93, avec quelque fausse tergiversation –, ni émis quelque critique publique. Pourquoi d’ailleurs, vu que comme l’a affirmé, en intitulé d’un entretien au même hebdomadaire panafricain parisien (assez fidèle à lui-même depuis des décennies94) – publié quelques jours après la forfaiture du fils Déby et consorts soutenus par le chef de l’État français, soit quatre mois avant la remise du Rapport Mbembe , du Sommet de Montpellier – le philosophe sénégalais, ancien conseiller du président françafricain Abdou Diouf, Souleymane Bachir Diagne : « La Françafrique, c’est fini 95 ». Une fin alors, évidemment, imaginaire, qu’avaient même déjà annoncée les candidats à la présidence, Nicolas Sarkozy en terme de « rupture »96, puis François Hollande affirmant que « Le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous […] la “Françafrique” doit disparaître 97 », avec des suites, bien néocoloniales, francafricaines, que l’on connaît. Le titre de l’article de S. Bachir Diagne peut laisser penser que la mission dudit comité était de fleurir la tombe d’une Françafrique déjà defunte, plutôt que de contribuer à en « programmer méthodiquement la fin », selon pourtant le Rapport Mbembe (p. 8) remis en octobre 2021. Ainsi après le projet de réparation de quelque chose n’ayant jamais existé98, c’est d’un phénomène inexistant, n’existant plus, dont il faut néanmoins programmer la fin. Comprenne qui pourra, le rapport de ces deux intellectuels à la réalité historique…
Un autre des actes posés pendant la mission du « comité Mbembe » et allant en direction opposée de l’intention affichée de “refondation” ou de redéfinition, a été l’accaparement impérial /néocolonial par la France, en juin 2021, aux dépens de Madagascar, de l’archipel des Glorieuses “disputé” par les deux États (la France étant aussi, par conservatisme colonial et bizarrerie du “droit international”, par qui l’on sait, un État de l’océan Indien, avec ses départements de La Réunion, Mayotte, etc.), en l’érigeant en « réserve naturelle nationale » (juin 202199), française s’entend, en faisant prévaloir la force (l’occupation a été précédée de quelques semaines par une exhibition de muscles dissuasive : un impressionnant exercice de l’armée française dans cette partie africaine de l’océan Indien, en mai 2021) sur le “droit international”. La motivation écologique cachant mal l’intérêt pour les réserves supposées de pétrole, de gaz naturel et autres minéraux – en ces temps-ci de crise écologique, assez évidente, le Capital est néanmoins déterminé à exploiter davantage les mers – ainsi que l’intérêt militaire, géostratégique100.
Ce en dépit des résolutions onusiennes dont la seconde, la 35/123 (décembre 1980) porte, limpidement, sur la « Question des îles malgaches Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas de India »101 – c’est bien écrit « îles malgaches ». Une évidence pourtant, mais que l’État colonial/néocolonial français ne semble pas en mesure de comprendre. Même la pourtant complaisante Union africaine considère qu’il s’agit de « vestiges du colonialisme en Afrique »102. En attendant la mise en marche de la “refondation” de la « relation entre l’Afrique et la France », sur laquelle planchait alors le « comité Mbembe », s’est ainsi manifestée « la détermination de l’État français à assumer le néocolonialisme qui caractérise ses relations avec Madagascar », selon un communiqué des organisations de cette sous-région africaine (malgaches, mauriciennes, voire réunionnaises)103. En cette matière ces « personnalités africaines et de la diaspora dont ni la renommée, ni l’indépendance d’esprit ne souffraient d’aucune contestation » ont préféré le silence. Sur un sujet très à propos, comme cette occupation, « Qui ne dit mot consent » ?
Ainsi, au Tchad et à Madagascar ont été exhibées des valeurs impérialistes, néocoloniales manifestant la continuation de la duplicité de l’État français, en dépit de la supposée intention de Refondation motivée, entre autres, apparemment, par la « nouvelle ruée » sur l’Afrique menée par les puissances capitalistes dites émergentes, la Chine principalement.
De la Chine, puissance capitaliste en Afrique, et des « valeurs de la France »
En effet, néolibéralisme aidant, ont émergé, depuis la fin du 20e siècle, de nouvelles puissances capitalistes, issues aussi de ce qui était considéré comme le Tiers-Monde, ou le Sud, aussi bien que d’autres régions du monde (Brésil, Chine, Inde, Malaisie, Russie, Turquie, etc.). La Chine étant celle ayant connu l’essor le plus important, suscitant ainsi une certaine sinophilie, au-delà des milieux anciennement maoïstes, très portés sur l’existence d’un Sud global, opposé au Nord, ne tenant pas compte du revirement capitaliste accompli, sinon le considérant comme une étape vers le communisme, le parti au pouvoir en Chine, se proclamant toujours communiste. À tel point que, par exemple, il y a moins d’une décennie, Achille Mbembe, par exemple, dépourvu d’un quelconque passé maoïste, voire de quelque fibre tiers-mondiste, affirmait qu’« il nous faut réfléchir comment inclure les Chinois parmi nous et les autres… j’appelle à la formation de nouvelles diasporas. Les Chinois sont en train d’arriver. Il faut les recevoir 104 ». Leur réception, déjà effective alors par plusieurs États africains, voire la majorité, est considérée comme perturbatrice de l’ordre traditionnel de la domination post-guerre dite froide.
Alors dit unipolaire, la victoire du capitalisme étant aussi celle des puissances occidentales, sous hégémonie des États-Unis d’Amérique. Mais l’essor de ces nouvelles puissances capitalistes, principalement de la Chine impose une restructuration de la domination mondiale, un nouveau partage des marchés, quasi monopolisés auparavant, de conquêtes de parts d’un côté, de réduction des parts de l’autre, en Afrique en l’occurrence (il sera brièvement question plus loin de l’Amérique dite latine, considérée comme « arrière-cour » par les États-Unis d’Amérique, comme les pays de la Françafrique sont pour la France son « pré carré »).
Ainsi, en ce 21e siècle, la Chine est devenue une menace pour les puissances économiques traditionnelles en Afrique, présentée donc depuis la deuxième décennie surtout, dans les principes journaux d’Occident, voire dans certaines revues académiques dites spécialisées sur l’Afrique, comme une partenaire surtout nocive pour les États africains, les économies, les finances africaines105. Achille Mbembe qui appelait à accueillir les Chinois, s’est mis à cautionner le discours sinophobe ambiant dans les cercles attachés à la domination mondiale des puissances occidentales, en considérant la Chine comme un « impérialisme froidement prédateur 106 », en comparaison aux « valeurs » supposées portées par la France. Telle est la suite de la phrase citée plus haut sur l’impression d’une France devenue motivée par la cupidité en Afrique : « la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent. Mieux, faire de l’argent à la manière de la Chine et de son impérialisme froidement prédateur » (passons sur l’inversion historique : le business chinois aurait précédé le français, serait source d’inspiration de l’action capitaliste française, de sa cupidité en Afrique – plutôt une « ferme impression » qu’un fait historique établi –, comme si Mbembe adhérait au mensonge d’une colonisation française, ou autre, ailleurs, motivée par quelque « mission civilisatrice »).
Exprimant ainsi, peut-on induire logiquement, sans vraiment forcer, qu’un “impérialisme chaleureusement prédateur’ aurait sa préférence, si seulement il pouvait admettre que la France avec laquelle il s’apprêtait à collaborer, (cet article sur la perte d’influence de la France pouvant même être considérée comme un appel du pied, de sa part) est un impérialisme107. Il y aurait ainsi à choisir entre un “Impérialisme chaleureux” et un “impérialisme froid” ; le prédicat devenant apparemment plus important que le sujet. En son temps, Senghor parlait de la France comme « la moins “colonialiste” des puissances coloniales 108 ».
C’est à peine si Mbembe n’accuse pas les puissances capitalistes émergentes, l’ogre chinois surtout, d’être responsables de la supposée érosion de l’« influence française » en Afrique. Alors qu’elle est supposée dater d’à partir du « milieu des années 1990 », dans une Afrique ayant subi, subissant les affres économico-sociales des programmes d’ajustement structurel néolibéral, face à laquelle la « coopération » française ne pouvait servir de bouclier comme pendant la phase antérieure de néocolonialisme post-colonial. Les institutions de Bretton Woods veillaient au passage à une sorte de néocolonialisme néolibéralisé, collectif, non plus de monopole, qui ne pouvait laisser à la France la décision de dévaluer – mesure majeure de l’ajustement structurel néolibéral – ou non le Franc CFA, un des piliers de la Françafrique. La France l’ayant retardée dans la mesure du possible, redoutant une déstabilisation du « pré carré », vu que, par ailleurs, soufflait sur l’Afrique dite subsaharienne le vent de la « démocratisation ». Comme l’a dit un spécialiste de la politique africaine de la France, quelqu’un du giron déjà cité plus haut (universitaire, ancien ambassadeur de France, ancien conseiller d’Abdou Diouf, président du Sénégal) : pendant l’ajustement structurel néolibéral (résultant aussi du néocolonialisme françafricain des deux premières décennies post-coloniales, ayant par ailleurs favorisé un endettement public extérieur très mal géré, entre autres facteurs de la crise de la dette, dont il sera question plus bas), « Confrontée à cette normalisation sournoise, la France n’a offert qu’une résistance molle, s’alignant en 1993, avec la “doctrine d’Abidjan” (dite aussi “doctrine Balladur”) sur la pensée d’inspiration libérale qui avait été formalisée dans le “consensus de Washington”, boîte à outils pour pays en crise des institutions de Bretton Woods. S’inscrivant dans cette logique, la dévaluation du franc CFA en 1994 a constitué une rupture brutale 109 ».
Certes qu’au début des années 1990, la Chine affichait déjà un taux de croissance du PIB à deux chiffres, étant, entre autres, l’atelier de surexploitation de la force de travail chinoise, par des capitaux impérialistes délocalisés (dont des français, états-uniens, etc.) 110. Mais elle ne comptait alors parmi ses principaux “partenaires” économiques francophones d’Afrique que l’Algérie (dont les langues constitutionnelles sont plutôt l’arabe et le tamazight/berbère). Son expansion africaine daterait à proprement parler de la fin de la décennie 1990, du début de la décennie 2000. Elle avait besoin de matières premières d’Afrique, plus que de marchés d’exportation, et disposait aussi de l’argent pour la construction en Afrique des infrastructures et procéder à d’autres prêts considérés comme concessionnels.
Remontée en puissance, menaçante, d’une Chine, dont les premières traces de contact avec l’Afrique datent du 8ème siècle111, et qui, peut-on rappeler, s’est considérée jusqu’aux premières décennies du 19ème siècle comme l’Empire du Milieu ou Empire céleste, centre du monde, civilisation se considérant comme inégalable, ayant colonisé des territoires voisins, vassalisé des pays de la sous-région, considérant comme barbares les peuples plus éloignés112, ceux d’Europe occidentale inclus, et dont certaines inventions d’avant les temps modernes, déjà, ont grandement impacté l’Occident, influencé l’histoire de l’humanité113. La Chine d’avant la « grande divergence » (Kenneth Pomeranz) des trajectoires économiques avec l’Angleterre (première puissance européenne au 19ème siècle), dont les facteurs ont ainsi été énoncés très sommairement par Pomeranz : « pour comprendre le “miracle européen” (qui date bien du XIXe siècle et non du siècle précédent), il faut rouvrir certains dossiers jadis étudiés par l’historiographie : le charbon, l’empire, l’exceptionnalisme anglais, ou la discontinuité de la révolution industrielle, pour les ré-examiner au miroir de la Chine114 ». Mais, cette puissance coloniale, impériale, va être transformée en semi-colonie, blessée dans son narcissisme, de la deuxième moitié du 19ème siècle aux quatre premières décennies du siècle suivant, avant sa révolution de 1949 (déplorée alors par l’establishment états-unien, dirigé par Harry Truman, en ce début de la guerre dite froide, en termes de « Nous avons perdu la Chine », comme semi-colonie dirigée alors par le Guomindang de Tchang Kai-chek).
D’une part, par les puissances capitalistes occidentales (Grande-Bretagne, France, États-Unis d’Amérique) contrôlant alors environ les ¾ de l’économie en Chine. La Grande-Bretagne et la France s’étant illustrées comme barbares colonialistes, entre autres en pillant, en 1860, le Palais d’Été de Pékin, en imposant à la Chine (en Chine, évidemment) deux guerres dites de l’opium – d’abord par la Grande-Bretagne : 1839-1842 ; puis avec la France et les États-Unis d’Amérique : 1856-1860. Ce produit, alors importé de l’Inde britannique (après l’interdiction de la culture du pavot par la monarchie chinoise, en réaction à la toxicomanie développée dans la société chinoise par la Grande-Bretagne), s’avérait intéressant, financièrement parlant, très lucratif pour ces puissances impérialistes, supposées en mission civilisatrice, qui n’entreprenaient pas en même temps d’en développer autant la consommation dans leurs propres sociétés, même si elles n’ignoraient pas, certes, les voyages vers les « paradis artificiels », comme disait le poète115. Du narco-impérialisme qui se manifestera aussi au 20ème siècle … D’autre part, par le Japon116 et un moment par la Russie tsariste, qui s’était aussi impliquée dans la seconde guerre de l’opium117. Un passé sur lequel aussi la Chine, État asiatique, fonde sa supposée solidarité avec les États partenaires africains : leurs peuples ayant en commun d’avoir subi l’impérialisme, le colonialisme capitaliste des puissances, principalement celles occidentales, se considérant comme porteuses de la civilisation supérieure, de la Civilisation.
Le “réveil” chinois prend ainsi la forme d’un conflit des “civilisations” entre puissances capitalistes : du point de vue narcissique “occidental”, il y aurait un supposé bon capitalisme occidental, face à un supposé mauvais capitalisme oriental/chinois ; négation ainsi de sa riche civilisation à laquelle l’“Occident” n’avait pas manqué d’emprunter, comme l’a rappelé J. Needham, par exemple. Le « capitalisme aux caractéristiques chinoises » dit-on, par exemple, avec péjoration, du côté de l’un des principaux think tanks de l’establishment états-unien, la Brookings Institute (Mbembe y avait été stagiaire), avec insinuation au passé maoïste/dit “communiste” dont les « caractéristiques chinoises » (la Chine officielle, deuxième puissance capitaliste, se présente comme construisant un « socialisme aux caractéristiques chinoises ») seraient au moins des relents – en n’indiquant pas que l’une des caractéristiques de ce capitalisme chinois a été son attractivité pour les capitaux occidentaux (force de travail à très bas prix, droits très restreints des travailleurs/travailleuses salarié·e·s, liberté de polluer…) depuis les années 1980. Comme s’il existait quelque part un capitalisme idéal-typique sans caractéristiques nationales/locales.
Celui des États-Unis d’Amérique, par exemple, conserve encore l’empreinte de son origine coloniale, génocidaire et esclavagiste (les Natives dit·e·s Indien·ne·s étant encore cantonné·e·s dans des « réserves » (ayant inspiré en son temps les bantoustans sud-africains) ne manquant pas d’activités économiques capitalistes, subissant encore avec les Noir·e·s, surtout pauvres, un racisme structurel dont l’incompatibité avec la défense des droits humains, des libertés partout ailleurs dans le monde, est généralement minorée, malgré la critique assez permanente, très minoritaire certes, qui en est faite aussi bien localement que d’ailleurs (par ironie, la Chine se permet de publier régulièrement un état des droits humains aux États-Unis d’Amérique). Certain·e·s le classent comme relevant du « capitalisme anglo-saxon » – un capitalisme aux caractéristiques « anglo-saxonnes », donc – auquel est même assimilé … le néolibéralisme, dont le colloque théoriquement fondateur, faut-il le rappeler, s’était tenu à Paris (août 1938), sans distinction entre « Anglo-Saxons » et « Latins » ou autres… Malgré la référence à l’États-Unien Walter Lippmann, principalement animé alors par la restauration du libéralisme économique, celle d’un taux de profit très élevé, que par quelque supposée identité ethnique/nationale dudit libéralisme. Comme si, par ailleurs, l’extractivisme chinois (halieutique, minier, pétrolier, sylvestre) était essentiellement différentde celui historiquement pratiqué par les capitaux occidentaux, voire plus intense, du fait d’une coopération avec des États africains dépourvue (sous prétexte du principe de non ingérence dans leur politique intérieure) de conditionnalité sur le respect des droits humains, des libertés politiques.
Alors que l’expansion des capitaux occidentaux serait, au contraire, attentive, car relevant, est-il sous-entendu, d’un supposé “impérialisme chaleureusement prédateur”, pourquoi pas humaniste. À l’instar de celui décrit dans cette tradition, concernant la France, allant de la dépossession foncière en Algérie nouvellement conquise (à partir de 1830)118 aux guerres néocoloniales françafricaines en passant par ce que relatent le Rapport Brazza. Mission d’enquête du Congo (1905-1907)119, Albert Londres dans Terre d’ébène : la traite des Noirs (Paris, Albin Michel, 1929).
En fait, la Chine, redevenue une puissance, bien capitaliste désormais, ne fait que, à son tour, « manipul[er] sans vergogne les mécanismes les plus brutaux du capitalisme 120 » historiquement prouvés et éprouvés. Néanmoins, jusqu’à présent, cela se passe beaucoup plus sur le territoire chinois même qu’à l’extérieur. En Afrique, derrière le discours de la solidarité Sud-Sud, une certaine générosité sous forme de prêts concessionnels, d’annulations de dettes, d’offre de bourses d’études, de dons en médicaments, etc., il y a évidemment la conquête capitaliste (capitaux publics et privés) des marchés africains – en concurrence, voire en alliance, avec les puissances capitalistes traditionnelles, les transnationales qui en sont originaires, à l’instar du co-actionnariat de TotalEnergies et la China National Offshore Oil Company en Ouganda et en Tanzanie, si décrié par des populations soutenues par des activistes des droits humains, écologistes ; après le projet de partenariat tripartite Croissance partagée entre l’Afrique, la Chine et l’Europe (Croissance PEACE)121 – favorisée effectivement par l’absence de la conditionnalité de respect des droits humains et des libertés, brandie hypocritement ou à géométrie variable par les États dits occidentaux. La France se voilant les yeux, se bouchant les oreilles concernant les forfaits de TotalEnergies.
Par ailleurs, par sa croissance capitaliste considérée comme extraordinaire (du fait aussi de la massive délocalisation des capitaux privés du traditionnel centre du capitalisme, attirés principalement par le très faible coût de la force de travail chinoise, donc d’une plus importante extorsion de la survaleur/plus-value, d’un meilleur taux de profit), l’ayant propulsée en quelques décennies au second rang de l’économie mondiale (capitaliste), y ayant ainsi aussi développé le consumérisme, sous la direction du parti unique (“communiste” autoritaire ayant changé de base en tournant capitaliste autoritaire), la Chine, rappelle aussi le mensonge des discours, médiatiques comme académiques, en France comme ailleurs, sur la consubstantialité du capitalisme et du respect des droits humains et des libertés (identifié, par ruse de la raison bourgeoise, à la démocratie).
À moins de considérer que malgré aussi bien la dynamique réelle de son économie, la dynamique des capitaux, en interne comme à l’international, que ses capitalistes privés milliardaires et la multitude des millionnaires en dollars états-uniens au sein du comité central du parti communiste chinois (PCC), la Chine (deuxième économie capitaliste mondiale) ayant investi, investissant partout dans le monde, extorquant de la survaleur, etc., n’est pas encore capitaliste, parce que non respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales dans leur intégralité, supposément à la différence des États occidentaux. Qu’elle serait encore “communiste”/“socialiste”, comme ne s’empêchent pas de le soutenir encore certain·e·s de ses critiques ainsi que des admirateurs/admiratrices de gauche, admettant l’idéologie officielle d’un « socialisme de marché », une étape vers la société communiste122.
Considérations basées sur, entre autres, le fait que le développement astronomique du capital privé coexiste avec celui du capital d’État et que le parti dirigeant l’État garde un certain contrôle sur la classe capitaliste (dont certains membres sont au comité central du PCC), ainsi interdite de posture d’indépendance à l’égard de la ligne économique de l’État, sous peine de répression économico-politique. Avec, surtout, à son actif, pour sa propagande, une éradication officiellement affirmée de l’extrême pauvreté, mais s’accompagnant toutefois d’une croissance des inégalités, portée en fait par le « rêve chinois 123 », s’inspirant du « rêve américain », mais avec, évidemment, des « caractéristiques chinoises » …
C’est sans aucun doute sous pression de la concurrence du « nouvel impérialisme émergé » chinois124 en Afrique, porteur aussi d’un discours sur la coopération Sud-Sud, que la France et l’Union européenne prônent ces dernières années l’instauration du principe d’égalité dans le partenariat avec l’Afrique, ne relevant encore que de l’ordre du discours plutôt que de la pratique, et risque d’en rester là, faute de changements fondamentaux dans les pays africains, dont les classes dirigeantes sont foncièrement allergiques à toute égalité, ne pouvant en assumer les implications aussi bien en interne qu’à l’international. D’ailleurs l’Union européenne censée vouloir un partenariat égalitaire avec l’Afrique – envisagé aussi par le Rapport Mbembe («
Le moment est venu d’une reconfiguration des rapports entre la France, l’Afrique et l’Europe, dans le cadre d’un partenariat équilibré fondé sur un dialogue d’égal à égal, sur la codécision, la cogestion, et la coresponsabilité », p. 6-7125) – ne se caractérise pas, dans les faits, par une égalité concrète entre membres de l’Union, selon l’alors Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki (battu aux élections d’octobre 2023) : « En son sein, l’égalité des États individuels est de nature déclarative. La pratique politique montre que les voix allemande et française ont une importance prépondérante. Nous avons donc affaire à une démocratie formelle et à une oligarchie de fait au sein de laquelle le pouvoir est détenu par les plus forts 126 » (comme au sein des États de démocratie représentative, couramment présentés comme des démocraties). Rappel public d’une situation non réfutée par la suite, involontairement, par le chancelier allemand Olof Scholz, la réitérant en termes de « l’avenir, au même titre que le passé, repose sur la coopération de nos deux pays [Allemagne et France] • comme locomotive d’une Europe unie », de « moteur franco-allemand » de l’Union européenne, etc.127.
À son tour, le président français a préféré parler – dans la commémoration du passé (la réconciliation franco-allemande après les guerres de 1914-1918 et 1939-1945, pour s’en tenir au 20ème siècle), le présent de l’Union européenne et son futur – de ces « deux âmes dans une même poitrine » que sont l’Allemagne et la France, de « pionnières »128, c’est-à-dire celles qui fraient le chemin que les autres membres de l’Union emprunteront, à leur suite. L’inégalité concrète permanente donc, assumée par la France, est caractéristique de l’Union européenne, cadre capitaliste, structurellement inégalitaire, posé comme horizon indépassable 129 impose. Néanmoins le Rapport Mbembe en attend une « relation plus égalitaire », bien qu’inscrivant quasiment toutes ses propositions, de l’agriculture à l’enseignement, en passant par l’écologie, dans la dynamique française en cours, en principe inscrite dans celle de l’Union européenne, dans la dynamique néolibérale.
LE RAPPORT MBEMBE OU L’ART DE LA RÉFORME NÉOCOLONIALE NÉOLIBÉRALE
Le Rapport Mbembe, (auquel n’est pas, malheureusement, jointe la lettre de mission qui aurait permis de bien apprécier les termes de la dite mission), présente une situation de l’Afrique concernant la problématique de la « durabilité écologique » (état des sols, cours d’eau, climat, biodiversité, « actifs naturels » (sic), etc.), les dynamiques économiques (ressources, finances, agriculture et accaparement des terres, « aide au développement », crédits aux entrepreneurs, partenariat public-privé, dettes, numérisation, etc.), sociales (démographie, migration, éducation scolaire, santé publique, rapports sociaux de genre, transferts d’argent aux familles par les migrant·e·s, etc.), culturelles, politiques (kleptocratie, déficit démocratique, anti-démocratie, lumpen-radicalisme, etc.) s’articulant de diverses façons, selon aussi les réalités social-historiques d’une Afrique plurielle.
Ce aussi dans ses rapports avec l’extra-africain, quasi exclusivement avec une France, apparemment hantée par le spectre de l’expansion de la Chine – sa « partenaire stratégique globale », pourtant – perturbatrice, dans le contexte de la mondialisation néolibéralisée, de ce qu’un siècle de colonialisme et de post-colonialisme/néocolonialisme avait établi dans ces anciennes colonies. Il ne s’agit pas dans cette partie de procéder à un commentaire de toutes les questions traitées par ledit rapport – certaines ayant déjà été évoquées en filigrane ci-dessus, d’autres le seront ultérieurement –, mais juste d’en présenter, de discuter de quelques unes considérées, par choix (subjectif, non dépourvu d’arbitraire, évidemment) comme assez expressives de la nature dudit projet.
Ainsi, quand bien « la relation » y est présentée comme marquée par des « malentendus », de « l’ignorance », des « désaccords », etc., que les termes supposés politiquement incorrects comme “impérialisme”, “néocolonialisme” n’y figurent pas130, “capitalisme” et “capitalistes” n’y apparaissant que trois fois, il est néanmoins affirmé ou reconnu, en résumant les critiques traditionnelles de ladite « relation », que des « profondes asymétries persistent », héritées de la colonisation, des modalités de la décolonisation, en faveur de la France. À la différence du Rapport Védrine (2013), par exemple, n’ayant consacré qu’un encadré (sur 170 pages) à la « “Françafrique” […] aujourd’hui un terme à la fois vague et péjoratif […] Les membres de la commission ont considéré qu’il ne leur appartenait pas d’analyser à fond cette question historiquement et politiquement. Ils ont laissé derrière eux le passé et se sont tournés vers l’avenir, vers l’Afrique d’aujourd’hui et de demain » (p. 81). Une position partagée, par exemple, par le Rapport Gaymard (2019) qui, se référant au Rapport Védrine, affirme que le terme lui « apparaît donc inopérant : moins qu’un concept, la Françafrique est désormais largement un mythe, et un mythe franco-français » (p. 25), les Africain·e·s n’en disant rien, ou leur avis ne comptant pas, semble t-il.
Alors qu’en toute logique, le Rapport Mbembe, (la mission du « comité Mbembe » s’inscrivant dans la programmation de la fin méthodique d’une Françafrique devenue un « fardeau » selon le président français), ne procède pas – quoi qu’en ait dit Souleymane Bachir Diagne – au dépôt d’une gerbe de fleurs sur la tombe de la Françafrique, mais confirme plutôt son existence, sa persistance : la « “Françafrique” entendue à la fois comme système idéologique, modèle de coopération subie plutôt que consentie, et mécanisme visant la poursuite de la domination française en Afrique longtemps après les indépendances […] Elle est le nom que beaucoup d’acteurs africains donnent à une longue histoire d’iniquités liées, à l’origine, à la conquête et à l’exploitation coloniale. Depuis cette époque, la France aurait mis en place une structure d’accaparements des richesses africaines qui dépendrait pour sa reproduction sur la durée de plusieurs leviers » : militaire, monétaire, culturel (p. 7)131. Le conditionnel dans la dernière phrase semble exprimer une distanciation à l’égard de cette interprétation, soit l’évitement d’une critique radicale de la Françafrique (rappelons en ce temps-ci où, par exemple, est souvent considérée comme radicale une gauche ne s’affirmant pas anticapitaliste – en France, comme ailleurs ; l’Afrique étant quasiment invisible sur la mappemonde de la gauche radicale –, que la radicalité est une attitude consistant à comprendre un phénomène à partir de ses racines, puis à vouloir les extirper : la racine ici c’est la dynamique du Capital dont la colonisation de l’Afrique, puis sa néocolonialité, entre autres, sont des manifestations). Ce qu’affirme, assume d’une certaine façon le rapport dont les « propositions […] tournent le dos aussi bien à l’angélisme qu’au cynisme. Rejetant toute naïveté, elles reposent sur une analyse aussi lucide que possible des grands enjeux présents et à venir. Elles s’inscrivent dans la longue tradition de la pensée réformiste entre l’Afrique et la France. Elles cherchent cependant à la dépasser » (p. 4).
Cependant, dépasser cette « longue tradition de la pensée réformiste », entre la France et ses ex-colonies d’Afrique, ne serait-ce pas en sortir, effectuer ainsi un saut qualitatif, passer de la « pensée réformiste » à un au-delà du prétendu réformisme, à autre chose que l’on pourrait nommer “rupture”, voire “rupture radicale” (la connaissance des racines déterminant fondamentalement la résolution du problème, son déracinement, « dechoukaj » comme l’on dirait en créole martiniquais/guadeloupéen), si tant est que l’acquisition des indépendances n’a été qu’une étape dudit réformisme ? (Vers quoi, alors ?) Ce n’est pas ce qui se donne à lire dans le rapport, dépourvu de quelques « éclairs » (Boubacar Boris Diop), bien que très informé sur les effets de la crise globale multidimensionnelle en Afrique, en général, de l’espace françafricain en particulier. Mais en évitant, avec une certaine cohérence, d’aller à la racine des choses, de réellement articuler les différentes dimensions…
Ainsi, comme dans les rapports antérieurs (y compris celui, peu économe dans l’usage du terme Françafrique, du groupe de travail sénatorial français sur la présence de la France dans une Afrique convoitée, dirigé par MM. Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, L’Afrique est notre avenir, octobre 2013), la Françafrique est, en effet, presque présentée comme un phénomène fondamentalement sui generis. Comme si toute l’histoire des sociétés humaines, de leurs relations, n’était pas généralement faite d’identité et de particularités social-historiques, surtout pendant la période capitaliste, avec sa dynamique substantielle de mondialisation hiérarchisée, de domination. La tendance, dans le discours sur la Françafrique, étant, en effet, à se focaliser sur des phénomènes, telles les relations personnelles (avec comme en implicite – au delà du paternalisme séant à la domination – le cliché ethnologique, essentialiste, en l’occurrence, sur l’importance des relations familiales chez les Africain·e·s), d’en particulariser d’autres tels les réseaux dits parallèles, informels, etc., plutôt que de les considérer comme des épiphénomènes132 du structurel qu’est en l’occurrence le rapport historique néocolonial, la domination impérialiste, de nature capitaliste, aucunement exclusive à la France. Comme il en sera question vers la fin de ce texte-ci, concernant les États-Unis d’Amérique et l’Amérique dite latine.
Le Rapport Mbembe, est, en effet, un document porteur de l’intention (macronienne) de refonder la relation post-coloniale entre la France et ses ex-colonies, dite Françafrique. Comme il a été dit plus haut, l’existence, passée et présente, de la Françafrique n’est pas niée. Mais elle est présentée comme un dévoiement, un « tableau des comptes négatifs » (p. 91-92) d’une relation ayant aussi, implicitement, des comptes positifs, renvoyant probablement aux réformes du colonialisme et des mécanismes de la dépendance post-coloniale (« aide publique au développement », Francophonie, etc., ayant remplacé l’évocation des kilométrages de routes, de voies ferrées, etc., à laquelle avait réagi Césaire) ou autres supposées évidences, apparemment considérées comme inutiles à rappeler. Et que va continuer, enrichir, la nouvelle réforme envisagée de la « relation de l’Afrique avec la France ».
Une réforme de la relation post-coloniale qui intègre aussi, en toute logique, l’appartenance de la France à l’Union européenne. Ainsi, la déploration de cette supposée lacune traînée depuis la décolonisation par la construction de l’Europe (capitaliste/bourgeoise, est-il omis de préciser) : « Au lendemain de la décolonisation, l’on se serait attendu à ce que l’Europe développe une véritable “stratégie globale avec l’Afrique”. Aujourd’hui encore, tel n’est toujours pas le cas » (Rapport Mbembe, p. 107) – en version Mbembe, hors rapport et concernant la dernière période, post-guerre dite froide : « Au sortir de la guerre froide, l’on se serait attendu à ce que l’Europe développe une véritable stratégie globale avec l’Afrique, tel n’est pas encore le cas »133. Soit l’arrimage des deux continents, voire un arrimage « de l’Europe à l’Afrique », censé ne pas être à confondre avec la vieille idée, coloniale134, de l’Eurafrique, ravivée alors autour de la création de la Commission économique européenne (CEE, 1957).
Idée à laquelle étaient très attachés des co-fondateurs africains de la Françafrique, en position de subalternes et couramment dits « pères de l’indépendance », à l’instar de Félix Houphouët-Boigny (alors ministre délégué à la présidence du Conseil, membre de la délégation française négociant la construction de l’Europe communautaire à Bruxelles), et surtout de Léopold Sédar Senghor (chantre de la négritude certes, mais aussi de la francité des territoires d’outre mer, « défenseur le plus acharné du concept » d’Eurafrique135). Qui, même au lendemain de l’indépendance, s’y intéressaient plus qu’au projet d’une union de l’Afrique (s’étant limitée à la création de l’Organisation de l’unité africaine, en 1963, subséquemment à la mauvaise volonté de la plupart des “pères de l’indépendance”, aussi bien parmi ceux des nouvellement ex-colonies françaises que des ex-colonies britanniques). Leur activisme à propos n’est pas mentionné par le Rapport Mbembe dans le rappel historique sur le projet eurafricain136. Comme s’il s’agissait, de la part de l’équipe du cosmopolite Achille Mbembe, d’une occultation, d’une non assomption de l’incontestable filiation, dans cette intention de mise à jour macronienne du projet de l’Eurafrique.
Par ailleurs, produit d’une mission officielle, le Rapport Mbembe se caractérise par, entre autres, une indéniable, évidente adhésion – partagée avec le commanditaire – au paradigme socio-économique mondialement dominant, le capitalisme, dans lequel est née et a grandi la Françafrique. Capitalisme ayant certes évolué, devenu néolibéral depuis presque cinq décennies, comme un retour de l’orthodoxie capitaliste, mis à jour (“néo”), après les trois décennies d’hétérodoxie, dite (fordo-)keynésienne137 (lesdites “Trente Glorieuses” post-Deuxième Guerre mondiale). Ce que l’on essaie de faire ressortir dans la critique non exhaustive ci-dessous du Rapport Mbembe. Rapport dans lequel la France, l’Union européenne sont, quasi explicitement, toujours posées comme guides, modèles ou références. Autrement dit une comparaison bien asymétrique entre d’un côté l’Afrique “concrète”, de l’autre, une France, une Europe idéelles, alimentant ainsi l’européocentrisme, l’européonarcissisme.
À propos des piliers du néocolonialisme français
La visibilité post-coloniale ou néocoloniale, de la présence française dans ses ex-colonies d’Afrique ce sont les grandes entreprises privées, « au coeur du contentieux franco-africain », à propos desquelles a coulé, coule encore beaucoup d’encre. Comme pour la situer dans la « mission civilisatrice », a prévalu l’idée, académiquement promue, selon laquelle les colonies en général n’avaient pas été rentables pour les métropoles, ainsi « personne n’ose soutenir que l’Occident avait besoin du tiers monde pour se développer »138. Propos ne relevant pas de l’ignorance, vu son énormité : les crimes commis pendant des siècles contre les peuples d’Afrique, d’Amérique – y compris les autochtones d’Amérique du Nord, avant et après la dissidence intra-coloniale ayant donné naissance aux États-Unis d’Amérique, au 18e siècle – d’Asie, d’Océanie, étant ainsi considérés comme n’ayant nullement (articulés, bien sûr, aux politiques, de dépossession, d’exploitation, d’oppression internes aux sociétés européennes) contribué à la naissance et au développement du capitalisme. De la cruauté rien que pour la cruauté ? Ou plutôt, une colonisation par générosité ? Un mensonge, eu égard rien qu’à la durabilité, car certains capitaux métropolitains ont même persévéré, dans les ex-colonies, jusque dans les années 1970-1980 – par esprit de sacrifice ?.
Le Rapport Mbembe rappelle la « remarquable continuité » du capitalisme français « tout au long de la période coloniale », sa « concentration. À titre d’exemple, jusqu’à la veille de la décolonisation, deux entreprises, la S.C.O.A. (Société commerciale de l’ouest-africain) et la C.F.A.O. (Compagnie française de l’Afrique occidentale) détenaient, à elles deux, 27,6 % du capital investi dans les sociétés commerciales. Une douzaine de maisons se partageaient les deux-tiers restants » (p. 90). D’autres se sont ajoutées, parmi les plus grandes du capitalisme français, de la place boursière de Paris (CAC40) dont le tiers est actif dans les différentes sous-régions de l’Afrique. Les programmes d’ajustement structurel néolibéral, par leurs volets privatisation des entreprises étatiques et libéralisation des marchés (auparavant monopolisées par des entreprises d’État) ont été profitables à ces entreprises, entre autres, voire principalement. Elles sont par ailleurs accusées aussi bien « de bénéficier de contrats léonins et de cession des matières premières à des prix excessivement bas […], d’évaporation fiscale », de surexploitation des ouvriers (« Des ouvriers seraient payés à la journée, à des cadences éreintantes et en dessous du seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale (1,62 euro par jour).
Certains d’entre eux travailleraient au milieu des vapeurs chimiques, parfois sans protection ». p. 91) que d’accélération de la déforestation (idem), voire d’avoir enflammé certains pays, pour la sauvegarde de leur monopole françafricain (« Le rapport d’information [parlementaire] de Marie-Hélène Aubert, Pierre Barna et Roland Blum […]montre que l’ombre de la défunte compagnie Elf plane sur la tragédie congolaise des années de guerre civile [1993-1997]. Il apparaît, selon le apport, qu’un lien direct existe entre la rente pétrolière, nombre de guerres civiles africaines et la destruction environnementale dans les pays où l’exploitation est en cours » (p. 92)). De l’impérialisme néocolonial classique, en quelque sorte. Malgré le spectre chinois, il y aurait quelque exagération concernant la situation actuelle des entreprises françaises dans le « pré carré », à en croire le Rapport Gaymard139 ayant affirmé, par exemple, concernant les marchés que « Les entreprises françaises sont en recul relatif sur des marchés en croissance mais, n’ont, en valeur absolue, jamais été aussi présentes sur le continent africain […]Sur longue période, le niveau des parts de marché de la France en Afrique converge donc vers le niveau des parts de marché de la France dans le monde, qui se situe autour de 4 % » ; qu’il y a en « parts de marché » un « déclin relatif dans certains secteurs et en Afrique francophone ». Quant aux investissements : « les stocks d’IDE français sur le continent ont été multipliés par huit en deux décennies […] cette évolution s’observe à la fois en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne [avec] en Afrique du Nord, une diversification réelle [vers]le secteur financier [et]vers le secteur manufacturier [Par ailleurs], il n’y a aucun retrait, mais au contraire une explosion de nos IDE vers l’Afrique centrale et vers l’Afrique de l’Ouest. Entre 2000 et 2017, nos IDE vers l’Afrique centrale et de l’Ouest (y compris anglophone) ont respectivement augmenté de 1780% et 1550 % » (p. 20-21). Ainsi « Au regard des statistiques disponibles, il convient donc de rejeter le narratif décliniste qui pourrait tenter une partie des acteurs français – et parfois africains » (p. 22). En même temps qu’elles continuent d’étendre leur champ d’investissements hors du « pré carré » post-colonial.
Ce qui n’a pas commencé avec Macron. Sans remonter à l’Égypte du 19ème siècle et à la période coloniale, on peut au moins rappeler la présence continue du capital français en Égypte ; l’implication française, très intéressée, dans la crise au Congo-Léopoldville, y compris comme membre de la CEE ; les intérêts français au Nigéria, avec, par exemple, aussi bien l’implication française dans la guerre du Biafra, région pétrolifère, que par la chaîne de montage de Peugeot pour l’Afrique de l’Ouest anglophone (avec volant à droite) pendant les années 1970-1980 ; les bonnes affaires du capital français avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, surtout à partir de la présidence gaullienne ; la présence de Total au Soudan à partir de 1980 (suspendue de 1984 à 2008 par la guerre), etc. De nos jours, elles sont confrontées à la concurrence, non seulement chinoise mais aussi d’autres puissances capitalistes dites émergentes, évoquée plus haut, généralement situées dans le prétendu Sud Global. Et, à titre de rappel, dans quelque pays dudit « pré carré », c’est l’européenne Allemagne qui s’est mise à damer le pion à la France.
La visibilité néocoloniale française, c’est aussi, autre sujet très médiatisé ces dernières années, avec une bibliographie assez fournie, le maintien de l’ancien franc des colonies françaises d’Afrique (FCFA, devenu franc de la communauté française d’Afrique, suite à la métamorphose référendaire, plus nominale, des colonies en membres de la Communauté 1958-1960) dans treize ex-colonies (certaines ex-colonies l’ayant quittée à l’instar de la Guinée, de la Mauritanie, de Madagascar et s’y sont ajoutées une ex-colonie espagnole, la Guinée équatoriale, en 1985, et une ex-colonie portugaise, la Guinée-Bissau, en 1997, “enclavées” l’une dans la sous-zone monétaire CFA d’Afrique centrale, l’autre dans sa soeur jumelle ouest-africaine). Zone(s) monétaire, critiquée(s), à juste titre, comme un instrument de contrôle des économies de ces ex-colonies et associées, de leur « répression monétaire » par la France140 qui les co-gère, co-administre, en position dominante, avec les États membres – suzeraineté moderne, néocolonialisme évident.
Évidemment, bénéfique pour la tutrice française et ses entreprises, en transférant librement leurs profits en métropole, dans la même monnaie, comme l’affirmait en son temps Joseph Tchundjang Pouémi, « le Franc CFA, c’est une chimère : ce qui circule à Abidjan, à Dakar comme à Lomé, c’est bien le franc français à cent pour cent 141 ». Les économies du FCFA subissant les fluctuations de la monnaie mère, le Franc, sans avoir voix au chapitre concernant la politique dudit Franc. Cette relation, néocoloniale, de subordination du FCFA, des économies de la zone CFA, fait dire à certains critiques qu’il s’agit de pas moins qu’un obstacle au développement de l’Afrique, au-delà donc de la Zone du FCFA. Un simplisme, certes, à moins de penser qu’elle explique l’inexistence de quelque autre union monétaire de quelque autre sous-région d’Afrique. Signalons cependant que ce FCFA, aujourd’hui arrimé à l’euro, devise forte, avec un taux de change fixe, est aussi bénéfique pour les kleptocrates africains, voire des capitalistes indigènes, desdites zones ou sous-zones, habiles en transferts du fruit de leurs forfaits. Tchundjang Pouémi, parlait, à propos, « des appétits de ceux que la situation actuelle arrange »142. Dont aussi certaines petites-bourgeoisies extérieures, voisines de la Zone FCFA, appréciant cette devise, pour sa stabilité, sa convertibilité fixe avec l’euro, à l’instar des businessmen/businesswomen du Ghana, pays n’ayant pour voisinage immédiat que des pays de l’UEMOA.
Franc CFA s’adaptant évidemment au contexte économique international, à l’instar de la restructuration de la mondialisation capitaliste, sa néolibéralisation en l’occurrence, en prétextant du sur-endettement des États d’Afrique, d’Amérique dite latine et d’Asie, pour leur imposer le programme d’ajustement structurel néolibéral comprenant, entre autres mesures, une dévaluation monétaire supervisée par le FMI, comme il a été dit plus haut.
Ainsi a t-il obtenu de la France, en 1994, après quelque résistance françafricaine, l’imposition aux États africains de la Zone Franc d’une dévaluation de 50 % du FCFA (33 % pour l’autre monnaie africaine de la Zone Franc, le franc comorien) par rapport à la monnaie mère, le franc français. Par la suite, avec la disparition du franc français, subséquemment à l’entrée en vigueur de la monnaie de l’Union européenne, l’euro (janvier 1999), les FCFA et comorien ont été arrimés, sous la tutelle de la France, à l’euro. Le zone franc a conservé sa fonction néocoloniale : « maintenir un “pré carré” français, à réserver des marchés captifs à des entreprises françaises et à garantir à l’État français des sources fiables d’approvisionnement en matières premières bon marché qu’il peut payer dans sa propre monnaie. Le tout avec la complicité plus ou moins active d’élites africaines parvenues au pouvoir et s’y maintenant avec le soutien de l’Élysée. L’anachronisme franc CFA survit ainsi parce qu’il satisfait à la fois les intérêts français et ceux des classes dirigeantes africaines 143 ».
La critique du FCFA comme mécanisme monétaire de la dépendance néocoloniale (par exemple, en 1969, le président nigérien, Diori Hamani, avait demandé à Samir Amin une étude sur la réforme possible du franc CFA144) a plus d’une fois poussé la France à procéder à quelques réformes – « la tradition du réformisme » dont parle le Rapport Mbembe. Ainsi, en 1972-1973, par exemple, il y a eu réduction de Français membres du conseil d’administration des deux banques centrales (de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest), ayant alors leurs sièges à Paris, qui seront rapatriées de Paris à Yaoundé et Dakar, en 1977-1978. La dernière en date, a été annoncée en décembre 2019, à Abidjan, par les chefs d’États français, Emmanuel Macron, et ivoirien, Alassane Ouattara, concernant le FCFA ouest africain (annulation de quelques unes des expressions les plus flagrantes de la domination néocoloniale), après une amplification de la critique du FCFA, non seulement par des intellectuel·le·s, mais aussi populaire, dans les rues de certaines capitales ouest-africaines.
Des chefs d’État comme Abdoulaye Wade, voire Idriss Déby avaient, la décennie précédente, timidement critiqué certains aspects du fonctionnement de cette monnaie, en l’occurrence, les pourcentages considérés comme trop élevés des réserves des États des deux sous-zones, déposés dans des comptes d’opérations au Trésor français, puis à la Banque de France … A été aussi annoncé le passage du FCFA ouest-africain à l’Eco. Une mutation dont l’annonce faite sans la participation des autres chefs d’État de la sous-zone – à la différence de la dévaluation de 1994, annoncée à l’issue d’une rencontre, à Dakar à laquelle avait été invité, a participé l’ensemble des chefs d’État/gouvernements de la Zone CFA – exprimerait plus leur incapacité à assumer publiquement cette réformette, ne pouvant avoir été préparée que par la Banque de France et l’institution du FCFA ouest-africain. Alassane Ouattara étant non seulement le président de la 1ère économie de cette sous zone, mais aussi un ancien directeur adjoint du FMI, cette « sorte d’institution monétaire coloniale ou para-coloniale collective de l’impérialisme collectif » (Samir Amin)145.
Par ailleurs, la dénomination Eco ayant déjà été retenue, annoncée des années auparavant, pour la future monnaie de la Communauté économique et douanière des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), comprenant aussi bien ceux du FCFA ouest-africain que ceux aux monnaies nationales, plus anglophones, sa supposée substitution au FCFA ouest-africain, finalement inaboutie, ressemble bien à une tentative d’obstruction néocoloniale au processus de la CEDEAO, une « farce de mauvais goût de Macron et Ouattara »146(celui-ci, dont on connaît les circonstances francafricaines d’accès au pouvoir en 2011, a ainsi exprimé son héritage du complexe d’Houphouët-Boigny à l’égard du géant ouest-africain, le Nigeria, leader de la CEDEAO) que n’a pas relevé le Rapport Mbembe, et pour cause. Il s’est contenté de souligner qu’avec l’abolition de certains aspects, parmi les plus expressifs du néocolonialisme, par la réforme de décembre 2019, « des pas […]ont été accomplis en ce qui concerne le franc CFA... 147 », mais « l’évolution n’a pas conduit à une rupture ». Celle-ci ne pouvait être l’intention de ces réformateurs françafricains.
Même s’il est presque évident que cette partie du rapport porte l’empreinte de l’économiste togolais, membre du « comité Mbembe », Kako Nubukpo, reputé critique acerbe du FCFA, un des nouveaux chantres (après Nicolas Agbohou et Mamadou Koulibaly, à partir des années 1990148) de la fin du FCFA149 (sans la dimension critique spectaculaire d’un Kemi Seba, par exemple, brûlant en public un billet de 5000 frs CFA, soit un demi-sac de riz), il semble aussi que l’économiste togolais a concédé à Mbembe un arrondissement des angles. En effet après mention de « trois manières de liquider le franc CFA » (p. 82) et de l’hypothèse d’une position de la question monétaire africaine « au-delà du cas CFA, non plus dans le cadre d’un tête-à-tête avec la France, mais dans la perspective d’une refondation d’un axe afro-européen » (p. 83), pour ne pas dire … eurafricain, « Au final, c’est aux États concernés d’opérer les arbitrages entre croissance et stabilité [à titre de rappel, cette stabilité monétaire, est considérée comme un des aspects positifs de la zone FCFA]en définissant les mandats et les instruments adéquats. La responsabilité politique d’une éventuelle reforme incombe en premier aux États africains » (Rapport Mbembe, p. 84) – la décision de passer à l’Eco de la CEDEAO ne serait pas une réforme, mais une abolition du FCFA ouest-africain. Fait mineur, probablement : Kako Nubukpo a été, au cours de la mission du « comité Mbembe », nommé un des commissaires de la Commission de l’institution sous-régionale du FCFA, l’UEMOA (avril 2021150).
Mais, après le Sommet de Montpellier, Mbembe semble avoir changé d’avis – retourné sa veste, une fois de plus, pourrait-on dire, afin sans doute d’entretenir, de restaurer son image de critique de la Françafrique, déchirée par sa collaboration publique avec le chef de l’État français, le Françafricain en chef – en martelant par exemple, juste dix jours après ledit sommet, que « Le FCFA n’a en effet plus d’avenir en Afrique. Il s’agit d’une monnaie qui porte désormais le masque du mort. Le moment est propice pour une floraison d’idées et de propositions »151. À titre de rappel, le Rapport Mbembe s’était abstenu d’en faire une, le sujet étant ainsi à considérer comme ne faisant pas partie « des défis concrets et urgents identifiés lors des Dialogues » dont les propositions sont des réponses directes et qui « s’inscrivent, toutes, dans l’esprit des initiatives entreprises depuis 2017 qu’elles s’efforcent d’amplifier » (p. 113) – au mépris ainsi de l’énergie dépensée par les participant·e·s aux Dialogues, à moins que les discours du président français leur ait été proposés, par le « comité Mbembe » comme base de leurs réflexions. C’est à ce propos post-rapport qu’il semble néanmoins se référer, en déplorant au cours de la crise entre le Niger et la France, provoquée par le putsch militaire du 26 juillet 2023, que « le franc CFA n’a toujours pas été aboli »152. Certes l’abolition, avait été mentionnée par le Rapport Mbembe, mais l’idée majeure concernant l’avenir du FCFA était plutôt que « La responsabilité politique d’une éventuelle réforme incombe en premier aux États africains » (p. 84) (réformer, n’est pas abolir). Ce qui n’a pas été le cas concernant le FCFA d’Afrique de l’Ouest : la réformette du passage à l’Eco bis ou françafricain – pas encore concretisé – l’a été, apparemment, sous la responsabilité du tandem françafricain Macron-Ouattara.
D’autre part, il y a la présence militaire française, plus ancienne que le FCFA, ayant aussi une bibliographie assez fournie et très médiatisée, l’armée ayant été l’institution déterminante dans la conquête des colonies, puis pour leur conservation, comme celle du « pré carré » post-colonial. Des accords militaires, de nature diverse, avaient été signés au moment de l’indépendance (les chefs d’État ou « pères de l’indépendance » ayant été préalablement sélectionnés par la France). Ainsi, l’existence permanente et des missions ou opérations circonstancielles des troupes françaises dans des États dits souverains – du soutien apporté par la base militaire française du Sénégal au président Senghor confronté à son Premier ministre, Mamadou Dia, en 1962, à l’opération Serval au Mali en janvier 2013 (qui deviendra Barkhane en 2014), en passant par l’opération Barracuda ayant renversé l’empereur Bokassa de Centrafrique en 1979 (devenu un encombrant fardeau pour la Françafrique), la mission Khor-Angar à Djibouti, en 1999, l’opération Licorne de renfort à l’armée française stationnée et relativement partisane dans la crise, en Côte d’Ivoire, de 2002 au renversement de Laurent Gbgabo en 2011.
Par quelque ironie de l’histoire, pendant les premières années post-coloniales des anciennes colonies françaises d’Afrique, l’État français, dirigé par le général Charles de Gaulle, considérait, surtout après l’explosion de la première bombe atomique française (février 1960, en Algérie), sa souveraineté comme restreinte par la présence de l’armée états-unienne sur son territoire hexagonal, en hégémon de l’OTAN, une expression de la subalternisation des autres États membres de cette alliance militaire. Fort, non seulement de la supposée menace que représentait l’Union soviétique, à la tête de son bloc dit communiste, en guerre dite froide avec l’Occident capitaliste, mais aussi de la supposée reconnaissance que les autres États membres de l’OTAN devaient aux États-Unis d’Amérique ayant contribué à leur reconstruction économique post-Seconde Guerre mondiale avec l’European Recovery Program dit Plan Marshall (1948-1952), facteur principal, non entièrement accidentel, de l’hégémonie états-unienne subséquente. Une asymétrie s’était ainsi instaurée entre l’Europe occidentale et les États-Unis d’Amérique, superpuissance économique et militaire, protectrice de l’Occident, du monde capitaliste, dit démocratique. Hors micros, C. de Gaulle parlait d’« impérialisme américain » – de nécessité d’acquérir l’indépendance à l’égard des États-Unis d’Amérique (« Le grand problème maintenant que l’affaire d’Algérie est réglée, c’est l’impérialisme américain. Le problème est en nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il est dans nos têtes », 9 janvier 1963153), après avoir néanmoins affirmé en octobre 1962, pendant la crise des fusées, installées par l’URSS à Cuba, soit en face ou au dessous des États-Unis d’Amérique : « Si c’est la guerre, nous la ferons aux côtés des Américains » (idem, p. 610). Après de vaines propositions de réformes non admises par l’hégémon de l’OTAN154 (les États-Unis d’Amérique n’étant pas traditionnellement portés au respect d’un partenariat égalitaire), la France va la quitter (afin « de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel » en « cess[ant] sa participation aux commandements “intégrés” et de ne plus mettre ses forces à la disposition de l’OTAN »155), faisant, par conséquent, partir de son territoire hexagonal, l’année suivante (mars 1967), l’armée états-unienne (personnel militaire et civil de 60 milliers de personnes, repartis dans 30 bases).
Il semble que, comme par schizophrénie, assez caractéristique des seigneurs impérialistes, ne lui traversait pas l’esprit quelque similitude avec le caractère asymétrique des accords militaires signés par la France avec ces nouveaux États indépendants africains, des néocolonies, en fait, dirigés par des ex-satrapes de la Communauté (1958-1960), dans un rapport beaucoup plus déséquilibré, en faveur de l’ex-puissance coloniale, que celui entre les États-Unis d’Amérique et la France. Des accords qui, par ailleurs, se sont adaptés aux circonstances, aussi bien internes aux sociétés (contradictions entre fractions des classes dirigeantes, insurrections populaires…) que des contextes internationaux (évolution de la guerre dite froide, anciennes puis nouvelles rivalités inter-impérialistes, “terrorisme”, puissances capitalistes émergentes…). Ainsi le nombre de bases militaires a été réduit, ou le statut de leur présence métamorphosé (par exemple en passant de base militaire à “éléments français au… ”) ; la présence supposée circonstancielle étant démultipliée, non sans quelque pérennisation dans certains cas. Les interventions officielles ayant aussi été historiquement accompagnées de l’activation de “mercenaires”, « bras armé et clandestin de la France » 156. Y compris au-delà des ex-colonies françaises, de la guerre de sécession katangaise au Congo-Léopoldville, à peine indépendant (1960), à la Libye, en soulèvement populaire (2011), en passant par la guerre de sécession du Biafra, (Nigeria, 1967-1970 ), au Rwanda où le régime ami de la France a fini génocidaire de sa population tutsi, massacreur des démocrates hutu, avec l’aide de la France. Un interventionnisme néocolonial, ayant parfois bénéficié d’un aval onusien mais avec des desseins françafricains mal voilés (opération Serval, au Mali). Ce qui est facteur, avec le FCFA, du développement, ces dernières années, d’un « sentiment anti-Françafrique » – plutôt que d’un « sentiment anti-français »157 (cette expression-ci, censée émaner des « plus hautes sphères de l’État français »158, inaptes au discernement, voire pratiquant habilement l’amalgame, nêst pas considérée comme pertinente au sein de l’intelligentsia africaine francophone, car il ne s’agit pas de xénophobie à l’égard des Français·es, mais d’un rejet des réseaux français de la Françafrique, de la reproduction de la domination française dans le « pré carré ») – exprimé de façon assez populaire dans quelques pays de la zone FCFA. L’expression récurrente dudit « sentiment » accompagne l’intention réformatrice affichée par le chef de l’État français, se prétendant à l’écoute de la jeunesse du « pré carré ».
Toutefois dans ce contexte de manifestations anti-françafricaines, alimentées par, entre autres, une “inefficacité” (presque décennale) de l’opération française Barkhane (avec participation britannique, danoise, estonienne, suédoise, tchèque et soutien états-unien en matière de renseignement ; installée dans trois autres pays de la sous-région, avec quartier général au Tchad, État d’Afrique centrale, en partie sahélien) contre les groupes islamistes armés, un “échec”, officiellement dénié certes, mais considéré comme suspect par une partie de l’opinion publique malienne. Voire au-delà (ignorant probablement l’“inefficacité”, pendant quasiment deux décennies, d’octobre 2001 à août 2021, de l’armée états-unienne et sa quarantaine d’armées alliées – dont les allemande, britannique, canadienne, danoise, espagnole, française, italienne – et d’entreprises de mercenariat, face aux talibans d’Afghanistan159). Concernant ces manifestations anti-françafricaines au cours desquelles est toujours scandé « France dégage ! », le Rapport Mbembe – censé, malgré tout, s’appuyer sur les « Dialogues » avec des « sociétés civiles » des douze pays visités (dont la grande majorité n’était pas, certes, des lieux de telles manifestations) – exprime plutôt un attachement à la logique réformatrice.
En penchant non pas pour celles/ceux qui s’opposent à la présence militaire française dans ses ex-colonies, la « catégorie de critiques [qui] prône la fermeture des bases et, in fine le désengagement » mais pour la catégorie dont « la question n’est pas de savoir si elle [la France]peut ou si elle doit entretenir des dispositifs militaires en Afrique ou intervenir dans les crises africaines, mais à quelles conditions, sous quelles formes et dans quels buts, questions déjà abordées dans de nombreux travaux » (p. 87-88) – en exemple de ces « nombreux travaux » est cité … un rapport sénatorial français. Ainsi, l’accent est mis sur le multilatéralisme, la « multilatéralisation de la présence militaire française en Afrique », une « multilatéralisation planifiée et […]une renégociation des termes de sa présence et de ses interventions militaires sur le continent », valable aussi pour « toute présence militaire étrangère en Afrique ».
Cette présence étrangère devant servir « avant toute chose, à renforcer les capacités africaines de maintien de la paix […]soutenir les décisions africaines et accompagner les organisations régionales africaines dans leur effort pour mieux gérer leurs crises doit être la raison de toute coopération en matière de défense et de sécurité ». Ce qui colle à la position de l’Union Africaine, telle qu’exprimée par son organe spécialisé, le Conseil de paix et de sécurité, en 2019 : « que tout soutien extérieur à la paix et à la sécurité en Afrique soit bien coordonné et orienté vers la réalisation des objectifs et les priorités de l’UA et doivent être prévus dans le cadre des instruments pertinents de l’UA »160 – dont le projet d’une force panafricaine, dite Force africaine en attente, peine à se concrétiser depuis deux décennies. Cette subordination du soutien extérieur à l’agenda de l’Union Africaine n’est respectée ni par la France, ni par l’Union européenne, l’une et l’autre étant attachées à leur statut de puissance, ne pouvant ainsi n’avoir que des rapports asymétriques avec l’Union Africaine, en matière de paix et de sécurité aussi : « La paix et la sécurité (P&S) constituent un axe essentiel des relations entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE). Dans ce domaine, l’UE est, après les Nations unies (ONU), le second partenaire financier », cependant « Même si dans les discours, l’“Afrique se lève et il s’agit de “partenariat entre égaux”, les relations UE-Afrique restent asymétriques alors que l’UE et ses États membres continuent d’imposer des formes et des modalités spécifiques de relations à leurs pairs africains. Ces asymétries sont déterminantes en matière de P&S »161. Ce qui nêst que logique, vu la nature de l’Union européenne.
Cette présence militaire étrangère devrait, par ailleurs, être rentable pour les armées nationales, non seulement « Toutes les infrastructures devraient être mises à la disposition des forces armées locales qui, en retour, accorderaient de larges facilités aux forces françaises » (Rapport Mbembe, p. 88) et étrangères, mais aussi « un loyer devrait, néanmoins, dans chaque cas, être versé ainsi que des taxes sur les mouvements des avions » (idem.). Ce qui, d’une certaine façon, fait penser à la réalité djiboutienne : à la base militaire de l’ancienne puissance coloniale (jusqu’en 1977), la France, devenue locataire, se sont ajoutées comme locataires, les États-Unis d’Amérique (2001), le Japon (2011), l’Italie (2013). La base chinoise, en fonction à partir de 2017, n’est pas louée, présentée comme participant de la coopération économique et militaire djibouto-chinoise. En plus, des bases militaires et assimilées françaises dans certains pays du « pré carré », d’Afrique Centrale et de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal ; Benin, Cameroun et Togo), des troupes états- uniennes (en 2019, on comptait 29 sites dans 15 pays africains – du Botswana au Niger, en passant par le Kenya, le Sénégal –, sans compter la grande base de Diego Garcia, car installée dans l’archipel des Chagos, un territoire colonial britannique en cours de restitution, mais sans précision sur le sort de la base états-unienne). Un an environ avant le Sommet de Montpellier, un article informait sur le dispositif militaire britannique dans le monde, 145 sites dans 42 pays, avec une présence des troupes britanniques dans 7 pays africains : quatre ex-colonies (Kenya, Malawi, Nigeria, Sierra Leone), deux francophones (Djibouti et Mali) et la Somalie (formée d’une ex-colonie italienne et d’une ex-colonie britannique)162. Le site le plus important, en Afrique, étant celui de la British Army Training Unit Kenya.
Ainsi une vingtaine d’États africains font un grand pied de nez à leur propre organisation commune (UA), s’étant pourtant déclarée hostile à la démultiplication des bases militaires étrangères en Afrique. Ce qui explique, par exemple, que les États-Unis d’Amérique n’avaient pu obtenir, en 2007-2008, un pays d’hébergement du quartier général de leur commandement militaire pour l’Afrique (Africom), finalement installé en Allemagne (hébergeant déjà le plus de bases et de troupes états-uniennes à l’étranger, derrière le Japon et devant la Corée du Sud). Ainsi, le Rapport Mbembe a, dans la conclusion, envisagé – parmi les 13 propositions, aucune ne concerne la présence militaire française ou autre étrangère – réitéré l’idée de la réorganisation de cette présence militaire : « Les interventions militaires se dérouleront dans un cadre juridique transparent, en soutien aux actions décidées par les Africains eux-mêmes, au sein de leurs organisations régionales, et surtout dans le cadre du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine d’où elles tireront leur légitimité » (p. 125). Ce qui relève en fait du voeu pieux.
Quant à demander la fin de la présence militaire française – tout comme celles d’autres armées étrangères –, cela déborderait le cadre réformateur de la mission confiée par le chef d’État français au « comité Mbembe », voire la conception de Mbembe. Le Rapport Mbembe a comme envisagé non seulement la poursuite des interventions militaires françaises, mais aussi une présence permanente des troupes françaises en Afrique : « La durée de chaque opération extérieure [!] devrait être négociée au cas par cas et aucune ne devrait se transformer en pré-positionnement de fait, comme ont fini par le devenir les opérations Licorne en Côte d’Ivoire et Épervier au Tchad. Le total des effectifs permanents en Afrique devrait faire l’objet d’une négociation tous les dix ans, dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité » (p. 66). Si, presque deux ans après le Sommet de Montpellier, le putsch militaire du Niger, en exigeant, après ceux du Mali et du Burkina Faso, le départ de l’armée française, semble avoir sorti Mbembe de son sommeil réformateur, il n’a pas, néanmoins, rejoint, catégoriquement, celles/ceux exigeant ce départ, même s’il le considère comme probable : « La plupart des outils militaires, monétaires ou culturels qu’elle utilise pour maintenir sa présence et sauvegarder ses intérêts en Afrique sont dorénavant désuets ou manquent désormais de légitimité. Veaux d’or dispendieux que rien, ou très peu, désormais ne justifie, le temps est peut-être venu de s’en débarrasser, et en bon ordre »163 – comme le disait en son temps, concernant les missionnaires catholiques, le philosophe-théologien camerounais Fabien Eboussi Boulaga164. Ce qui, on ne peut que le souligner, est toutefois assez éloigné du Mbembe d’un célèbre entretien sur TV5 (3 avril 2021), en pleine mission du « comité Mbembe », au cours duquel « il n’a [eu] aucun avis sur les questions concrètes au coeur de la Françafrique telles que le franc CFA, l’opération Barkhane ou les très nombreuses interventions françaises en Afrique 165 ». Peut-être que, très prochaînement, affirmera t-il que « le temps est venu de s’en débarrasser, et en bon ordre »…
Des chaînes de la « transformation agro-industrielle »
Cette attitude réformatrice concernant ces deux piliers de la Françafrique, dans le rapport Mbembe, s’accompagne d’un appel à la réforme aussi dans les autres secteurs de la « coopération » (de l’agriculture à l’École, en passant par le partenariat économique) entre la France et l’Afrique, au-delà des ex-colonies françaises, entre l’Union européenne et l’Afrique.
L’agriculture est non seulement principalement vitale universellement, mais est aussi la principale activité au sein de la population africaine, en occupant près d’un milliard de personnes sur le milliard trois cents millions de sa population. Une activité dont le rapport présente les atouts. À l’instar du fait qu’elle existe surtout, est-il dit, sous la forme de « petites exploitations familiales impliquées dans la production locale ou dans l’agriculture de subsistance. À travers ces exploitations, les dimensions économiques, environnementales et sociales du développement sont réconciliées, des systèmes alimentaires durables mis sur pied, et des circuits d’approvisionnement courts garantis » (p. 23). Mais aussi des problèmes auxquels elle est confrontée ou le sera dans un avenir proche : « dégradation des sols » évidemment nocive au rendement, « perte des terres fertiles » (facteur de conflits d’accès aux terres fertiles restantes, en cas de raréfaction), « déforestation » (impactant fortement le climat et la biodiversité) due à « l’expansion des zones agricoles » (souvent pour la monoculture d’exportation, héritage persistant de l’agriculture coloniale), voire « des expulsions et des déplacements de populations, souvent sans dédommagement » comme conséquence « d’importants investissements étrangers, des infrastructures de grande envergure et d’importants projets financés par les institutions multilatérales, notamment dans les domaines de l’agro-industrie et des mines » (p. 22) – avec une participation certaine des « élites politiques et administratives » locales sous l’emprise de la fièvre de l’enrichissement personnel/privé, en ce temps néolibéral davantage de porosité entre le licite et l’illicite. Une mutation de l’agriculture en Afrique est ainsi en cours, suscitant des questions, à l’instar de celle que pose le Rapport Mbembe concernant les rapports pouvant, à la lumière des dernières décennies, être problématiques : « Faut-il favoriser une expansion de la superficie des terres arables, maximiser les rendements par hectare, au risque de contribuer à la détérioration environnementale ? Ou plutôt utiliser la biodiversité fonctionnelle et mettre à profit les interactions biologiques au service de l’agrosystème ? » (p. 23-24).
Si la réponse semble évidente, en cas d’option pour le principe de « durabilité écologique et sociale » (p. 20), fixée comme « horizon commun », dans le cadre de la « transition écologique » – sans s’arrêter sur la problématicité de celle-ci –, elle cesse de le paraître, confrontée, par exemple, à cette affirmation, bien que présentée comme une supposition : « À supposer que les agrocarburants en particulier constituent un nouvel enjeu du développement » (p. 24). Supposition dont la formulation – comment peut-on se passer d’un « enjeu du développement » ? (le “développement” ne paraissant pas historiquement problématique ; par ailleurs non encombré du cache-sexe “durable”) – cache mal l’orientation optée par le Rapport Mbembe.
En effet, fort de la connaissance, affichée, des problèmes auxquels est déjà confrontée l’agriculture africaine, et ceux probablement à venir (eu égard à l’histoire des autres continents), le Rapport Mbembe propose, en 2021, pour le futur, une « alliance agricole » entre l’Afrique et l’Europe, afin d’aider l’Afrique à résoudre ses problèmes agricoles et alimentaires. Ce qui, eu égard à l’option agricole de l’Union européenne, à l’agriculture qu’elle encourage, ne peut, en effet, être qu’une « alliance technologique et industrielle » : « L’Union européenne peut accompagner le continent dans ce processus d’industrialisation. La transformation agro-industrielle représente de ce point de vue le point de départ privilégié puisqu’elle relie en un même faisceau les enjeux politiques, économiques et environnementaux » (Rapport Mbembe, p. 109). Autrement dit, il s’agit de faire partager à l’Afrique le modèle d’agriculture pratiqué et promu par l’Union européenne, à travers la Politique agricole commune (PAC) instaurée en 1957166, très marquée par l’idéologie du progrès, de la croissance capitaliste, de la période capitaliste hétérodoxe des Trente Glorieuses (1945-1975) à nos jours, dits de capitalisme néolibéral – une mise à jour de l’orthodoxie capitaliste, du capitalisme libéral. Une agriculture en rupture avec l’agriculture familiale paysanne (marginalisée en France, en Europe, au fil des décennies du 20ème siècle), que l’on a dite conventionnelle capitaliste, c’est-à-dire productiviste, industrialisée (engrais, semences, compris) intensive, mécanisée, de nos jours davantage technologisée – des exploitations familiales aussi l’ont adoptée –, avec davantage de grandes exploitations.
La PAC étant conçue dans cette optique inégalitaire, privilégiant les grandes exploitations agricoles167. Elle ne se caractérise pas par un ancrage écologique – « au moins à la marge », pensent certain·e·s168. C’est le modèle d’agriculture, à l’opposé de ce qui prédomine en Afrique rurale et rurbaine, dont la nocivité sur le climat a été rappelée, en 2019, par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC dont les rapports ne sont publiés que par consensus, après scrutation à la loupe politique du travail des scientifiques par les expert·e·s des différents gouvernements – généralement acquis aux intérêts des classes dominantes, des secteurs les plus écocidaires, en l’occurrence – n’arrivant pas, toutefois, à supprimer certaines “évidences”) dans son rapport sur « le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire »169, en convergence avec son équivalente en matière de biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques dans son premier rapport global170.
La poursuite de ce modèle agricole ne pouvant que contribuer à la précocité du franchissement du seuil qui serait catastrophique pour l’espèce naturelle humaine, pour toutes les autres espèces naturelles aussi, écologiquement parlant. Écocidaire donc.. Même l’officielle Cour des comptes de l’UE (aucunement infiltrée par des activistes européen·ne·s du réseau altermondialiste paysan, La Via Campesina, ou autre) s’est alarmée, l’année du Rapport Mbembe, de la nature anti-écologique de la PAC, en des termes non équivoques : « Les émissions dues aux engrais chimiques et aux effluents, qui représentent près d’un tiers des émissions agricoles ont augmenté entre 2010 et 2018 […] La PAC soutient les agriculteurs qui cultivent les tourbières asséchées, lesquelles émettent 20 % des gaz à effet de serre d’origine agricole dans l’EU-27[…]Malgré la révision à la hausse des ambitions climatiques, les règles de la conditionnalité et les mesures de développement rural ont peu évolué par rapport à la période précédente. Par conséquent, ces régimes n’ont pas incité les agriculteurs à adopter des mesures d’atténuation du changement qui soient efficaces171 ». Sur ces différents aspects, il est relevé que les « pratiques d’atténuation efficaces » ne bénéficient pas d’un soutien effectif de la PAC. Ce qui est en cohérence avec son inscription dans et de sa promotion de la logique capitaliste, néolibérale, de course à plus de croissance – avec du vert en vernis, ladite « croissance verte » –, à plus de profits possibles, pour l’accumulation, qui est « la loi, la parole de Moïse et des Prophètes » (K. Marx, Le Capital) dans l’économie capitaliste.
Quand bien même, en ces temps de sensibilité écologique supposée en expansion, en fait de sa grotesque mise en spectacle universelle, peut être insérée, dans des textes officiels de l’UE et des États membres, quelque clause de style écologique, évoquant la durabilité, voire peut être adopté un dénommé Pacte vert comme programme. Ce que, évidemment, ne pouvait ignorer l’auteur du Rapport Mbembe, ayant pourtant posé « la durabilité écologique et sociale » comme « le plus urgent et le plus décisif de tous les défis auxquels fait face le continent ». Mais qui paraît, toutefois, s’être donné comme objectif de la reforme des « relations entre la France et l’Afrique », comme futur pour l’Afrique, le « présent optimisé 172 ». L’optimisation à venir en Afrique du présent de la France, championne agricole – l’agriculture, industrialisée, y est, après les transports, la deuxième source d’émission des gaz à effet de serre – de l’Union européenne, au prix, entre autres, d’un mal-être certain au sein de la petite agriculture familiale, de ce qui survit d’agriculture paysanne. Un mal-être s’avèrant suicidogène (au moins un suicide de petit agriculteur par jour en France, ces dernières années, a t-il été affirmé), rapprochant ainsi, en la matière, le monde agricole de ceux des vétérinaires, de la santé et de la police. La transformation industrielle de l’agriculture à partir de la période post-Seconde Guerre mondiale, surtout avec la PAC en permanence davantage capitaliste, ayant aussi induit une certaine transformation des rapports sociaux en milieu rural, n’est pas pour rien dans ces suicides en série173, comme c’est aussi le cas en Inde, cette scène bien tragique de la révolution verte et de quelques uns de ses avatars. Il semble que l’Afrique n’a pas encore un taux de suicide élevé (à la différence de l’Inde aussi), avec son agriculture dont la “modernisation” s’avère assez lente, une agriculture très faiblement industrialisée. Un retard à rattraper à en croire le Rapport Mbembe.
Une « révolution verte » pour l’Afrique ?
En fait, le Rapport Mbembe remet, d’une certaine façon, à l’ordre du jour le processus déjà initié entre l’Union européenne et l’Afrique avec, par exemple, l’Agenda Afrique-Europe pour la Transformation Rurale (2019). Produit (pour l’alors prochain sommet Union européenne – Union Africaine, finalement reporté aussi pour cause de Covid-19) par la Task Force Afrique Rurale nommée par la Commission européenne en 2018 (des expert·e·s africain·e·s et européen·ne·s, mais en très grande majorité des Européen·ne·s), ce rapport (Rapport Task Force Afrique Rurale, dans la suite) manifestant une certaine lucidité sur les « effets néfastes sur l’environnement » du « Paquet de la Révolution verte », « sa nature non durable due à une utilisation excessive des combustibles fossiles et de ressources, l’accès à des intrants et des technologies coûteux, le manque d’aide et l’efficacité limitée des engrais dans certains contextes de dégradation des sols » (p. 44-45), avait opté pour ce qui pourrait paraître comme un compromis entre, d’un côté, ce qui est établi, promu et, de l’autre, ce qui se veut alternatif.
Ainsi, est-il par exemple aussi question, de « différentes approches fondées sur diverses options et positions techniques, socio-économiques et politiques comme l’agriculture climato-intelligente ou l’agro-écologie », d’« un “modèle éco-technique” qui consisterait à combiner une utilisation rationnelle de la biotechnologie et un faible recours à des intrants externes, l’irrigation et une mécanisation compatible avec les cycles écologiques » (p. 45). Cette diversité, comme cette combinaison, devant s’inscrire dans le cadre de l’agriculture capitaliste pratiquée et promue par l’Union européenne en Afrique, au titre de la coopération au développement – à titre de rappel : quand le président états-unien Truman avait mis en circulation, en 1949, le discours sur le sous-développement, il s’agissait de développement capitaliste (« les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées »), non pas de quelque chose censé neutre à l’égard du capitalisme et du communisme (celui-ci étant alors incarné par l’URSS, redevenue principale puissance politico-économique rivale, après l’alliance circonstancielle vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, contre l’Allemagne nazie).
Ledit rapport est en fait une apologie de la PAC, de la modernisation de l’agriculture dont il est affirmé que « même s’il est contesté, le “paquet de la Révolution verte” reste la référence et le modèle “classique” de la modernisation, à savoir l’intensification fondée sur des semences améliorées, des intrants chimiques (engrais, lutte contre les organismes nuisibles et désherbage) et la mécanisation. Ce paquet a donné lieu à une forte hausse de la productivité et de la production, mais est également associée à des effets néfastes sur l’environnement » (p. 44-45). Contre ses aspects néfastes, dont la non durabilité, « Il est essentiel de définir des modèles adaptés d’intensification durable de l’agriculture » (idem), autrement dit un productivisme durable – l’art de l’oxymore étant caractéristique, entre autres, de la pseudo-écologie des expert·e·s et de certains partis dits écologistes. C’est à juste titre que des organisations de la société civile (européenne) ont affirmé, modérément, en réaction au dit Rapport Task Force Afrique Rurale, qu’ « Il y a malheureusement un décalage regrettable entre le contenu du rapport, priorisant les solutions et acteurs locaux, et ses recommandations qui préconisent des solutions importées d’Europe. Ces recommandations risquent de donner un pouvoir excessif aux acteurs européens dans la définition des politiques africaines et de contourner les institutions démocratiques et les processus participatifs préexistant 174 ».
Sans prétendre à quelque expertise agricole, et en beaucoup moins de pages, le Rapport Mbembe a proposé, grosso modo, la même orientation. Une optimisation du présent, non seulement européen, mais aussi, partiellement, africain, déjà impulsé par les géants mondiaux de l’agribusiness : de la Fondation Gates (dont la fortune s’origine de Microsoft, géant du numérique, multi-actionnaire, y compris dans l’armement militaire, actionnaire de la transnationale Monsanto, acquise ensuite par sa concurrente Bayer 175) à Yara International (transnationale norvégienne – détenue à 43 % par l’État norvégien,–, numéro un mondial de l’engrais industriel, à base de pétrole, nocive pour le climat, par ailleurs très active en écoblanchiment, ainsi elle est en même temps – toute honte bue – promotrice de la prétendue « agriculture intelligente face au climat »176, de la réalisation des Objectifs du développement durable, ce programme onusien de diversion – des Objectifs de diversion durable, en fait –, et très active, en co-initiatrice, financeur, participante, dans différentes initiatives de l’agribusiness en Afrique, dans les politiques agricoles panafricaines, avec le soutien de « la coopération néerlandaise et de l’USAID »177), en passant par ChemChina, ex-Syngenta (transnationale semencière, d’origine suisse, acquise en 2016 par la China National Chemical Corporation).
Ces entreprises étant relayées ou soutenues non seulement idéologiquement par la Banque mondiale, des agences onusiennes (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture/FAO178, Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement/CNUCED… ), l’Union européenne, la Banque africaine de développement, l’Union Africaine, certaines ONG, etc. Sous le prétexte d’être préoccupés par la situation alimentaire en Afrique (il y a toujours pour des Européen·ne·s/, des Occidentaux/Occidentales quelque « mission » à accomplir en Afrique, pour ces pauvres Africain·e·s : un persistant héritage colonial), caractérisée par des pénuries, des famines, récurrentes dans certaines sous-régions ou pays, malgré une disponibilité de 60 % de terres arables, avec la deuxième population mondiale (après l’Asie), dont bien plus que 60 % de la population active s’adonnant à l’agriculture, celle d’exportation dominant celle vivrière. Un héritage colonial ayant transformé l’Afrique en importatrice de denrées alimentaires, situation à laquelle le Rapport Mbembe envisage de mettre un terme, apparemment.
L’« alliance agricole » proposée par le Rapport Mbembe va s’ajouter à, entre autres, l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique179 (AGRA, son acronyme en anglais), créée en 2006, par la Fondation Bill et Melinda Gates/FBMG (numéro 1 mondial du philanthrocapitalisme – la philanthropie à rentabilité capitaliste –, co-financeure de, entre autres, l’OMS, du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique/NEPAD, devenu en 2018 l’agence de développement de l’Union Africaine/AU-NEPAD), et la Fondation Rockefeller (une des pionnières de la philanthropie états-unienne sur tous les continents – issue de la fortune de l’un des « barons voleurs » états-uniens du début du 20ème siècle –, philanthrocapitaliste, multi-actionnaire plurisectoriel, initiatrice de la « révolution verte » au Mexique, puis en Inde180, et de son extension ailleurs, vieille partenaire de l’USAID…), avec co-financement de Yara, Monsanto, etc. L’idée aurait été émise par Koffi Annan, Secrétaire général de l’ONU(1997-2005), un apôtre du « suprématisme du capital privé »181, devenu en 2007 le premier président du conseil d’administration de l’AGRA. Qui est promotrice d’une agriculture industrielle high-tech (semences génétiquement modifiées, numérisation, etc.) écocidaire et socialement très injuste (hétéronomisant les petit·e·s agriculteurs/agricultrices, voire les paupérisant), s’inscrivant ainsi dans la dynamique de la « nouvelle révolution verte »182. Il y a aussi d’autres initiatives, à l’instar du programme GROW Africa, initié, en 2011, par le Forum économique mondial (organe faîtière du capital international, se retrouvant avec ses partenaires non économiques divers, des chefs d’État, y compris le chinois, jusqu’à certaines grosses ONG, à l’occasion du Forum annuel de Davos, la grande fête médiatique du Grand Capital), avec Yara international (très active pendant le Forum de Davos, pour la défense de l’agro-industrie ; co-initiatrice avec l’AGRA, en 2010, du Forum pour une révolution verte en Afrique), la Commission de l’Union Africaine et le NEPAD (d’avant 2018).
Côté “africain”, il y a aussi la Banque africaine de développement (BAD) dont il faut préciser d’abord qu’elle compte parmi ses 20 premiers actionnaires, sur 80, des États de l’Union européenne comme l’Allemagne, la France, l’Italie, la Suède ; les États-Unis d’Amérique étant le deuxième actionnaire après le Nigéria. Ces États extra-africains jouissant, évidemment, ensemble d’un pouvoir d’influence dans les organes dirigeants de la Banque dite panafricaine, mais, en fait, une institution néocoloniale particulière. Ensuite que son président depuis 2015, Akinwumi Adesina, a été boursier de la Fondation Rockefeller, puis a travaillé à la direction de la Fondation Rockefeller, de 1999 à 2008 – comme directeur régional en Afrique australe, de 1999 à 2003 –, il a été, par la suite, vice-président de l’AGRA, puis ministre de l’Agriculture et du développement du Nigeria avant de passer à la BAD. Il a déclaré l’agriculture comme une priorité de la BAD (dont Achille Mbembe a été l’un des conférencier·e·s invité·e·s). Ce profil a contribué à en faire le lauréat du Yara Prize en 2007, du World Food Prize/ex-Yara Prize, en 2017).
Presque au même moment que la création de l’AGRA, la BAD a lancé son programme Nourrir l’Afrique : Stratégie pour la transformation de l’agriculture en Afrique pour la période 2016-2025 (mai 2016), dans lequel s’inscrit Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique. Ce programme est un concentré de tout ce que le capitalisme propose de nos jours comme modernisation de l’agriculture, aux effets nocifs sur la petite paysannerie agricole et sur les sols, la biodiversité, le climat, etc. Les États de l’Union européenne – 8, en plus des 4 cités ci-dessus – co-actionnaires de cette banque dite panafricaine sont ainsi bien impliqués dans ce programme.
Prétendument motivées par la résolution du problème de l’insécurité alimentaire en Afrique, l’amélioration des conditions de vie de la petite paysannerie agricole africaine – comme c’était déjà la promesse lors de la première « révolution verte » au Mexique, en Inde et ailleurs, depuis les années 1950 : « Dans la plupart des pays où elle a été initiée – en Inde, au Bangladesh, en Indonésie, en Amérique centrale, au Brésil ou en Afrique du Sud –, cette croisade verte, qualifiée parfois de “modernisation conservatrice”, a plutôt contribué à renforcer les inégalités dans les campagnes, creusant davantage le fossé entre fermiers riches ou grands propriétaires terriens, reconvertis en entrepreneurs agricoles, et la grande masse de petits producteurs, incapables de supporter le coût élevé du “paquet technologique” (semences, engrais, pesticides, etc.). beaucoup se sont endettés et appauvris, certains ont perdu leurs terres, tandis qu’une minorité de fermiers-entrepreneurs ont poursuivi leur dynamique d’expansion et de concentration aux dépens des premiers, selon une logique d’“appropriation par dépossession” 183 ». Comme si le problème de la faim dans le monde s’expliquait par une faible productivité de l’agriculture, africaine en l’occurrence – produire quoi ? pour quoi ? pour qui ? Les différentes initiatives ou programmes relèvent dans les faits d’un projet/processus de soumission de la petite agriculture paysanne africaine aux intérêts des transnationales de l’agribusiness, au profit de la bourgeoisie agraire, des institutions financières internationales (Banque mondiale – à travers sa filiale, la Société financière internationale – et consorts)184, aux dépens de cette petite paysannerie, voire de la moyenne paysannerie. Une mise à jour de ce qui s’est passé, se passe encore, presque partout, du début des temps modernes européens à nos jours. C’est ainsi que cette modernisation actuelle de l’agriculture en Afrique se caractérise, entre autres, par le phénomène de nouvel accaparement des terres africaines (achat ou location), dont bien plus de la moitié est arable, et considérée comme disponible, appelée à être “mise en valeur” par le capital.
À titre de rappel, le Rapport Mbembe parle « des expulsions et des déplacements de populations, souvent sans dédommagement » comme conséquence « d’importants investissements étrangers, des infrastructures de grande envergure et d’importants projets financés par les institutions multilatérales, notamment dans les domaines de l’agro-industrie et des mines » (p. 22). Il ne s’agit pas que des étrangers, car, au Sénégal, par exemple, »« Le problème d’accaparement des terres n’est pas seulement le fait d’investisseurs étrangers, ce sont aussi des fonctionnaires sénégalais, des gros bonnets, des religieux qui font main basse sur les terres aux abords de Dakar notamment, pour spéculer 185 ».
La France et le nouvel accaparement des terres en Afrique
C’est une mise à jour du phénomène d’origine féodale, proto-capitaliste européenne, dit des « enclosures » : appropriation privée par les dominants d’alors, en les clôturant, des terres communales (y compris les forêts et les cours d’eau), d’usage collectif (des « communs », pour utiliser un terme ayant refait surface dans le discours sur la justice sociale), en Angleterre, surtout à partir du 16ème siècle, s’étendant par la suite dans d’autres sociétés européennes186 ; une privation des terres à cultiver pour des familles de la petite paysannerie vivant jusque-là de ce droit d’usage collectif. Avec des cas d’expulsion des terres sur lesquelles elles vivaient. Y compris en rasant des villages entiers, transformés en « pâturages à moutons » – pour la production de la laine, matière première de la manufacture textile, très rentable alors –, avec, dans certains cas, décimation de la population humaine : une « longue kyrielle d’actes de pillage, d’atrocités et de souffrances endurées par le peuple entre le dernier tiers du XVe siècle et la fin du XVIIIe siècle », en Angleterre, puis Grande-Bretagne ; au XIXe siècle, selon Karl Marx187. La duchesse de Sutherland, par exemple, transforma le comté écossais, « dont la population par l’effet de processus antérieurs analogues, avait déjà fondu à 15 000 habitants, en pâturages à moutons. Entre 1814 et 1820, ces 15 000 habitants, soit environ 3000 familles, furent systématiquement chassés et décimés. Tous leurs villages furent détruits et brûlés, tous leurs champs transformés en pâturages ».
Et en conclusion de la dizaine de pages consacrée à « l’expropriation de la population rurale » (enclosures) : « Pillage des biens d’Église, aliénation frauduleuse des domaines de l’État, vol de la propriété communale, transformation usurpatoire de la propriété féodale et de la propriété du clan en propriété privée moderne, menée à son terme avec un terrorisme impitoyable : autant de méthodes idylliques de l’accumulation ». Ainsi « Au XIXe siècle on a naturellement perdu jusqu’au souvenir du lien qui unissait le laboureur et la propriété communale ». L’une des revendications du peuple rural au début de la révolution de 1789 en France c’était la récupération des communaux accaparés par la seigneurie féodale. Cette appropriation des terres communes a, entre autres, favorisé une migration, non seulement des conquérants appartenant aux couches sociales dominantes de sociétés européennes, mais aussi d’ancien·ne·s petit·e·s paysan·ne·s européen·ne·s, pour échapper au vagabondage, à la misère, vers le « Nouveau Monde », voué à la colonisation de peuplement, « une annexe qui a accueilli l’excédent de l’Europe » dira le philosophe allemand Hegel188.
Dans le prétendu « Nouveau Monde » – n’ayant pas attendu l’expansion européenne, la très barbare colonisation européenne, pour être habité, par une diversité de peuples –, par la suite dénommé Amériques, l’accaparement des terres s’est accompli, pendant au moins quatre siècles (du 16ème siècle au 19ème, voire au 20ème, concernant les États-Unis d’Amérique) aux dépens des populations autochtones/indigènes dites indiennes, avec une forte dimension génocidaire, génocide inaugural des temps modernes (que l’industrie cinématographique hollywoodienne a réussi à faire applaudir, pendant des décennies, presque partout dans le monde : les « Indiens » étant les méchants, contre les Blancs). Le territoire des États-Unis d’Amérique actuels pouvant ainsi être considéré comme le lieu du plus long et cruel accaparement des terres, par les colons européens. Dont, triste ironie, ceux qui avaient dû migrer à cause des enclosures en Europe, y ayant produit massivement des pauvres sans-terre, vagabonds et autres damné·e·s de la terre. Qui avaient commencé par y devenir des « indentured servants »/« serviteurs sous contrat »/« servantes sous contrat »/« engagé·e·s » des quasi-esclaves, mais à durée déterminée (statut qu’avaient aussi d’ailleurs les premier·e·s Négro-Africain·e·s arrivé·e·s en Virginie, quasiment au même moment, avant l’essor de la traite négrière transatlantique vers cette partie de ce qui sera nommé Amérique). Celles et ceux ayant survécu à cet asservissement, entre Européen·ne·s, devenaient ensuite des colons ordinaires, puis des citoyen·ne·s états-unien·ne·s au lendemain de la guerre d’indépendance, à l’égard de la métropole, des 13 colonies britanniques ayant donné naissance aux États-Unis d’Amérique (1775-1783).
Dans ce nouvel État-nation, attirant toujours une immigration européenne importante, l’accaparement des terres indigènes, accompagné de déplacement des populations indigènes, de destruction des vies humaines indigènes (y compris des enfants et des vieillard·e·s), a continué. Par exemple, en Ohio « les troupes régulières envoyées […]étaient systématiquement repoussées par la résistance indigène. [Le premier président des États-Unis d’Amérique, George]Washington se résolut à envoyer des tueurs sanguinaires terroriser la région et annexer des terres qui seraient vendues aux colons. La vente des terres confisquées était la source première des revenus du nouveau gouvernement »189 de ce pays dit Pays de la Liberté »190 (aussi bien par une sorte d’amnésie narcissiquement motivée que par une admiration niaise, courante chez des non États-Unien·ne·s, de ses infrastructures et images éblouissantes, de son auto-récit officiel/para-officiel…)
Accaparement des terres ayant aussi accompagné l’expansion européenne en Afrique, celui des terres considérées comme terrae nullius – supposées sans maîtres, ne relevant d’aucune autorité, ou non mises en valeur/non rentabilisées –, des terres collectives/communautaires, dans la tradition coloniale de la « lutte contre l’économie naturelle »191.
Par exemple, en Algérie, « la destruction et le partage de la propriété collective, voilà le but et le pôle d’orientation de la politique coloniale française pendant un demi-siècle […] la ruine de la propriété collective était la condition préalable à la domination économique du pays conquis ; il fallait arracher aux Arabes les terres qu’ils possédaient depuis un millénaire pour les confier aux mains des capitalistes français ». Ce qui fut accompli, entre 1830 et 1880, malgré les résistances arabe et kabyle, à un rythme plus intense de 1871 à 1880192. À son tour, le roi des Belges, Léopold II, à l’issue de la Conférence de Berlin, en mai 1885, est devenu propriétaire privé du vaste territoire, plus de 75 fois la Belgique qu’il a nommé État indépendant du Congo (devenu par la suite colonie de l’État belge, en 1908)193, territoire où étaient massacrés les éléphants pour la rentabilité de l’ivoire, puis récolté le caoutchouc (pour les roues des bicyclettes, fabrication nouvelle alors), au prix aussi des mains coupées des indigènes-force de travail (enfants comme adultes) affichant quelque indocilité ou une productivité considérée comme insuffisante, par les agents de son altesse royale belge, propriétaire du Congo, Léopold II.
Au Congo français (future Afrique équatoriale française), de vastes étendues de terres avaient été accaparées par l’administration coloniale, données en concessions à des capitaux français (les grandes compagnies concessionnaires), sur lesquelles, par exemple, « la C.F.S.O (Compagnie forestière Sangha-Oubangui) qui avec son monopole de caoutchouc et avec la complicité de l’administration locale, réduit tous les indigènes à un dur esclavage »194. La concession s’étendant ainsi, en pratique, aux corps des indigènes, à leur vie. Il y a eu d’autres accaparements en Afrique, à l’instar des terres concédées, au temps des automobiles et deux-roues, à l’entreprise états-unienne, productrice de caoutchouc, Firestone Natural Rubber Company au Libéria, ayant imposé les termes de la concession à l’État libérien (dont l’entière liberté pour Firestone de choisir des terres sur l’ensemble du territoire libérien, la fixation du prix du loyer par l’entreprise locataire…), avec un soutien certain du gouvernement états-unien, selon W. B. Du Bois195.
Des populations “libériennes autochtones” avaient été, évidemment, expulsées des terres choisies et acquises en location (bail) par Firestone (toujours présente de nos jours au Libéria, et ailleurs en Afrique196) pour approvisionner l’essor de l’industrie automobile se développant ailleurs (apparemment, à suivre J. Marseille et consorts, soit l’industrie automobile a été mineure dans le développement de l’Occident, soit elle s’est développée sans les plantations d’hévéa – même la Guyane, colonie française, terre d’hévéa aussi, est en Amérique dite latine). Dans les colonies de peuplement britanniques d’Afrique australe et orientale, des communautés paysannes ont subi tout le long de la période coloniale un « accaparement britannique des terres » (« British landgrab 197 »), contre lequel, par exemple, s’est formée au Kenya, en 1952, la rébellion armée paysanne des Kikuyu, dite péjorativement Mau Mau, ayant duré jusqu’en 1960, férocement réprimée, évidemment, par la soldatesque de la Grande-Bretagne, question de les “civiliser”.
De nouveau, depuis les années 2000 surtout, ici et là, des communautés rurales198 africaines subissent la nouvelle vague d’accaparement des terres/« new enclosures 199 » – désormais pour les agrocarburants (comme pseudo-solution productiviste à l’émission de carbone climaticide par les carburants fossiles) et autres marchandises capitalistes. La production agricole n’étant pas généralement suivie de création d’unités de transformation locale, l’accaparement ne peut se prévaloir d’une création d’emplois au-delà de la main d’oeuvre surexploitée dans les plantations, après avoir été dans nombre de cas dépossédée, privée de la possibilité de travailler sur des terres communautaires/collectives. L’Afrique est considérée comme étant le premier terrain mondial de ces nouvelles enclosures, avec l’Asie à ses côtés : achat, concession ou location des terres par des entreprises du complexe capitaliste, du bloc néocolonial néolibéral : des transnationales, de l’agribusiness surtout200, aux capitalistes locaux (gouvernants compris), en passant par des institutions financières multilatérales, des fonds de pension, le G8201, voire de prestigieuses universités privées états-uniennes202, avec l’appui des agences gouvernementales dites de développement, à l’instar de l’Agence française de développement/AFD, celle états-unienne, Agence des États-Unis pour le développement international/USAID). Du Mozambique au Mali, en passant par le Cameroun, le Liberia et le Sénégal, des groupes/capitaux français (Coopérative agricole Tereos. Compagnie fruitière, Société de Cultures Légumières, Somdiaa/Castel, Agro-énergie Développement, Groupe Bolloré, etc.) sont impliqués dans cette vague d’accaparement. Aux dépens généralement des communautés rurales, dont certaines sont déguerpies.
Le Groupe Bolloré, actif concernant aussi le secteur agricole (palmiers à huile, hévéa, etc.), dans neuf pays africains (du centre et de l’ouest), est le plus médiatisé, du fait des conflits depuis une décennie avec les communautés dépossédées, ainsi que les riverain·e·s des plantations se considérant comme avoir été grugées – par exemple, des promesses d’infrastructures sociales n’ont pas été réalisées, la nocivité des activités. Des paysan·ne·s portent plainte contre ledit groupe, car se considérant comme spolié·e·s203. En réaction, ledit Groupe ne se prive pas de recourir à certaines méthodes de gangster : « À plusieurs reprises, après avoir perdu leurs terres au profit de l’entreprise de production d’huile de palme et de caoutchouc [Socfin dont Bolloré est l’actionnaire principal, à hauteur de 39 %] les communautés locales en Afrique et en Asie ont été victimes de violence, d’intimidation et de grave détresse 204 ». La complicité entre les accapareurs et des autorités administratives/politiques locales – la néolibéralisation ayant davantage donné libre cours à la conversion publique des fruits de leurs larcins, des privilèges auto-octroyés, en investissements privés – favorise généralement le recours à la force dite publique contre les paysan·ne·s indociles, résistant à cette dépossession – comme pendant les enclosures d’antan205 –, pouvant être arbitrairement emprisonné·e·s, auxquel·le·s il sera imposé le silence ou s’imposera l’exode rural.
Ce phénomène caractéristique de l’Europe en industrialisation, au 19ème siècle, ayant été re-accentué, concernant la France, par exemple, pendant les Trente Glorieuses (post-Seconde Guerre mondiale), de mécanisation, d’industrialisation, de l’agriculture. Voire, pour les paysan·ne·s privé·e·s de terre, soit la migration vers les pays voisins (l’idée émise par Mbembe, à une autre occasion, que « le continent […]doit être transformé en un vaste espace de libre circulation », n’est à ce jour qu’une promesse de la Zone de libre-échange continentale africaine/ZLECAF206) soit la migration informelle et très risquée (à la différence de la migration, en son temps, des futur·e·s « indentured servant·e·s » vers l’Amérique, demandeuse de main d’oeuvre allochtone, de peuplement colonial) vers, principalement, les rives méditerranéennes de l’Union européenne, la traversée de La Manche.
Par ailleurs, les plantations, comme lieux de travail, se caractérisent par la violation des droits humains, des droits sociaux, des travailleurs/travailleuses207. Des petits chefs, africains généralement, y manifestent aussi leur phallocratie, s’accordant un certain « droit de cuissage », en entreprenant de soumettre des employées, subalternes, à un « double travail »208 – service sexuel imposé, en plus de l’activité salariée – sans s’exposer à quelque sanction. D’autres femmes, dont le chemin borde ces plantations, sont harcelées, sont victimes de viol par les vigiles des plantations.
Après les premiers rapports alarmants sur le phénomène, publiés par des collectifs, à l’instar de Grain (une organisation internationale travaillant, sans but lucratif, avec les paysannerie agricole, pour la souveraineté alimentaire et la préservation de la biodiversité), le gouvernement français, paraissant se soucier des régions victimes, dont l’Afrique (considérée comme le premier terrain mondial de ces nouvelles enclosures), avait, en 2010, confié une mission à son Centre d’analyse stratégique dont le rapport (sur « Les cessions d’actifs agricoles à des investisseurs étrangers dans les pays en développement » ; « cessions d’actifs », non pas accaparement209) recommandait principalement (5 recommandations sur 7) que « 1. Les acteurs français et européens doivent inscrire leur action dans les cadres généraux des organisations internationales [Banque mondiale, CNUCED, FAO, FIDA, Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, OCDE210] 2. Les investissements responsables dans le secteur agricole doivent être encouragés 3. La France et l’Union européenne pourraient proposer des accords bilatéraux aux pays d’accueil des investisseurs européens 4. La mise en place de politiques foncières alternatives doit être encouragée 5. L’investisseur doit s’engager dans une démarche responsable [« À cette fin, l’Union européenne et la France pourraient créer un label “Agro Investissement Responsable” qui pourrait être attribuée par l’UE ou la FAO à des industriels respectant les principes de responsabilité évoqués ci-dessus (“cadres généraux internationaux ” et “normes internationales de responsabilité sociale” »] ».
L’essentiel à faire relèverait ainsi de la responsabilité des entreprises, de leur respect d’un supposé code de conduite. Ce qui relève soit de la surestimation de la moralité des capitalistes, soit de la diversion. Aucunement de l’expression de quelque détermination à contrecarrer ce processus dans lequel sont impliqués des capitaux français et de l’Union européenne. Le contraire aurait, en fait, surpris. Concernant l’Afrique, une journaliste parisienne avait, avec pertinence, intitulé son article sur ledit rapport : « La France entend gérer l’attribution des terres agricoles en Afrique »211.
L’accaparement des terres, d’Afrique comme d’ailleurs, n’échappant pas, évidemment, à la convoitise concurrentielle entre les différents acteurs de la mondialisation, prédatrice par nature, plutôt qu’éthique. Ainsi, quelques années plus tard, Grain constatait qu’avec le prétendu principe de la responsabilité, un attrape-nigaud en fait, l’« investissement agricole responsable, les efforts visant à réglementer les accaparements de terres ne font qu’empirer la situation », proposant ainsi d’y mettre un terme, car « On n’essaie pas de réglementer l’esclavage. Il est mis hors la loi […]Nous n’avons pas besoin d’investissements agricoles responsables mais de “désinvestissements”[…] il faudrait stopper et annuler ces transactions [négociées avec les gouvernements] en restituant les terres aux communautés qui en tirent leur subsistance »212.
Paternalisme intéressé certes de l’État francais, mais apparente hypermétropie aussi de la part de son Centre d’analyse stratégique, comme par différentialisme essentialisé entre la périphérie et le centre du capitalisme, cette expression épistémologique du colonialisme et du néocolonialisme (ce que l’on fait subir à ces “gens-là” de la périphérie du système capitaliste, ne peut l’être à des communautés de “citoyen·ne·s” du centre). En effet, le phénomène ne concernait pas alors que les régions périphériques du capitalisme, dites en développement, comme l’Afrique, mais aussi des régions du capitalisme central. En effet, n’était pas alors épargnée l’Union européenne, en l’occurrence, la France incluse, selon, par exemple, une recherche initiée en 2012 par le Transnational Institute et la Via Campesina, dont les résultats ont été publiés en 2013 : Land concentration, land grabbing and people’s struggle in Europe213. Postériorité de cette enquête certes, mais portant sur un phénomène contemporain de celui de l’étude du Centre d’analyse stratégique français. Des institutions officielles s’y intéresseront aussi par la suite214, partageant le constat d’une concentration croissante des terres, d’une dramatique réduction de l’agriculture familiale paysanne, des petites fermes, mais, généralement, sans considérer le phénomène comme favorisé par, entre autres, la PAC215.
Cependant il n’y a pas eu, par la suite, quelque régression, recul, du phénomène d’accaparement, malgré une décennie de dénonciation publique (antérieurement aussi au sommet de Montpellier). Comme le prouvent les rapports les plus récents216. En France, a été adoptée (certes après le sommet de Montpellier), en décembre 2021, une loi devant contribuer à la lutte « contre la concentration excessive des terres et leur accaparement », dite Loi Sempastous217, après que le Conseil constitutionnel eut « censuré » en 2017 une précédente loi, ayant « jugé que le maintien du contrôle du marché foncier serait attentatoire à la propriété privée et à la liberté d’entreprendre ». Ce qui est assez logique dans une société si capitaliste, de surcroît néolibéralisée. Alors que pratiquement l’existence supposée dudit contrôle – par les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural/SAFER – n’avait pas empêché le développement du phénomène d’accaparement des terres dans la France rurale, la réduction phénoménale du nombre de Français·es actifs/actives et de fermes dans l’agriculture familiale paysanne. Mais, en ce temps néolibéral, il faut veiller à ce que législativement « l’entreprise et la propriété individuelle priment sur le bien commun »218, bien pire qu’auparavant. La proposition de loi, adoptée en 2021, avait néanmoins été critiquée comme présentant « un risque élevé d’une efficacité très limitée et même potentiellement contreproductive 219 », pouvant « se révéler être un remède pire que le mal »220 et la loi est considérée comme « inopérante […] tant sa portée semble limitée […] La loi Sempastous n’empêchera pas la concentration de terres, contraire aux besoins de relève agricole 221 », elle « créera “une autoroute” à l’agrandissement » et « les nombreuses dérogations énumérées dans le texte le rendront contre-productif pour lutter contre la concentration des terres »222. Au cas où, il viendrait à quelque État françafricain, ou autre africain, de légiférer contre l’extension de l’accaparement des terres, il est très probable qu’il s’inspirera de cette loi, avec plus de limites, d’autant plus que des dirigeants politiques africains, par ailleurs entrepreneurs économiques, investissent dans l’agriculture intensive, faut-il insister. À ce propos, le Rapport Mbembe, apparemment préoccupé du sort subséquent de ces communautés dépossédées, prône « le respect du consentement libre, informé et préalable des populations locales affectées par les plantations et autres exploitations [qui] doit être garanti, ainsi que les respect des droits humains, en particulier le droit des travailleurs et les droits coutumiers fonciers.
Des mécanismes effectifs de résolution des conflits doivent être chaque fois mis en place. Ceux-ci doivent inclure des compensations et des restitutions de terres le cas échéant. Le droit des associations de défense des droits humains et de l’environnement d’agir doit être étendu, et l’engagement de la responsabilité des personnes morales devant les tribunaux doit être encouragé » (p. 94). Ce qui, dans ces sociétés africaines dont les gouvernants s’avèrent si attachés à la violation de leurs propres lois (en fonction de leurs intérêts personnels et ceux de leurs partenaires/complices de l’heure), risquerait de rester lettre morte, quand ce n’est pas déjà leur formulation qui serait retorse.
Autrement dit les mesures proposées concernant l’accaparement des terres dans les « pays en développement » en général, ceux d’Afrique en l’occurrence, expriment plutôt la volonté constante de ne pas résoudre ce problème, de ne pas s’opposer, au niveau local (français) comme à l’international, à une dynamique bien capitaliste, vu qu’elle contribue à la Sainte Croissance (beaucoup plus importante, surtout en Afrique, que quelque droit des citoyen·ne˙s à une alimentation saine). En ces temps-ci de néolibéralisation tous azimuts, la terre ne peut pas, ne doit pas faire exception. Comme le manifeste, par ailleurs, emblématiquement, Bill Gates, étant non seulement l’une des premières fortunes mondiales, le co-initiateur de la « révolution verte en Afrique », mais aussi un grand investisseur dans l’accaparement des terres. Ainsi est-il le premier propriétaire privé ou accapareur de terres agricoles (presque 100 000 ha/10 000 000 m2) dans son propre pays, les États-Unis d’Amérique223, leader mondial du néolibéralisme, avec une longue et forte tradition agricole (faite d’accaparements, y compris meurtriers/génocidaires, depuis la conquête européenne de l’Amérique, a t-il déjà été dit plus haut).
Il est presque certain que la « transformation agro-industrielle » de l’Afrique, envisagée par le Rapport Mbembe, avec la France, l’Union européenne, comme accompagnatrices, ou plutôt comme guides, et promue, par exemple, en permanence et avec force, par la Banque africaine de développement, ne pourra, comme c’est le cas ailleurs, se réaliser sans consolider le processus de dépossession des petit·e·s paysannes, des communautés rurales, vivant, travaillant sur des terres intéressant des investisseurs-accapareurs. Les privant ainsi d’espaces pour la pratique de leur petite agriculture, extensive plutôt qu’intensive, et leur imposant les ingrédients de l’agriculture industrielle, évidemment des marchandises subordonnantes, au profit des producteurs/marchands, généralement des transnationales.
De la promotion des engrais de synthèse en Afrique
L’agression militaire russe de l’Ukraine a exposé médiatiquement, avec ampleur, l’état actuel du processus de mise en dépendance d’une partie de l’agriculture africaine aux engrais industriels/engrais de synthèse, dont l’usage est souvent présenté comme une condition sine qua non de la forte productivité agricole devant garantir la sécurité alimentaire en Afrique. À l’image du boom agricole des États-Unis d’Amérique, et de l’Europe pendant le 20ème siècle (l’usage des engrais de synthèse ne se serait largement répandu qu’au début du 20ème siècle), ayant même été utilisé comme moyen de séduction des économies dites sous-développées pendant la guerre dite froide (la première “révolution verte” promue du Mexique au Nigeria – souvent oublié224 –, en passant par les Philippines et l’Inde 225). Ainsi, l’élite africaine est-elle fascinée par ces supposées réussites, aussi sous l’influence des fondations philanthropiques très intéressées économiquement (à la réputation échappant souvent à la critique, expression de leur pouvoir au niveau international, laboratoires universitaires compris), des transnationales de l’agribusiness ainsi que des banques de développement, des agences d’aide au développement des Etats dits du Nord, dont il a déjà été question plus haut, ainsi que des institutions de recherche internationales sous le contrôle de celles-là, dans les faits, leur étant généralement acoquinées.
Affichant ainsi une certaine surdité à la critique des impacts sociaux populaires et environnementaux de la « révolution verte » émise depuis des décennies sur le cas emblématique indien. Surdité de cette élite africaine, relevant de ce que le célèbre prisonnier négro-étasunien, Mumia Abu-Jamal nomme l’« imbécillité idéologiquement motivée 226 » (non seulement « idéologiquement », peut-on dire). À l’instar de celle exprimée par l’Union Africaine dans le communiqué final d’un Sommet spécial des Chefs d’États et de gouvernements (juin 2006), intitulé « Déclaration d’Abuja sur les engrais pour une Révolution verte africaine », ayant recommandé, entre autres, le passage des « pratiques agricoles extensives à faible rendement à des pratiques plus intensives à haut rendement, avec une plus forte utilisation des semences améliorées, des engrais et de l’irrigation » et décidé que « les États membres de l’Union Africaine s’engagent à augmenter le niveau d’utilisation d’engrais de la moyenne annuelle actuelle de 8 kilogrammes d’éléments nutritifs par hectare à au moins 50 kilogrammes par hectare d’ici à 2015 ». Comme l’indique l’intitulé du communiqué, l’Union Africaine s’est déclarée à cette occasion « prête pour une Révolution verte ». Un détail : « The Rockefeller Foundation was the main sponsor 227 » de ce sommet (de 54 États africains dits souverains, gouvernant 1,3 milliard de personnes), tenu environ trois mois avant le lancement de l’AGRA, cette marque de l’ Africa’s Turn : A New Green Revolution for the 21st Century (Le Tour de l’Afrique/Tournant africain : Une Nouvelle Révolution Verte pour le 21ème siècle, ouvrage publié par la Foundation en juillet 2006). Une illustration du fait néocolonial, toujours à rappeler, que la souveraineté des dirigeants africains sur les peuples (non pas la souveraineté des peuples) s’accompagne souvent, si ce n’est en principe, d’une certaine subalternité à l’égard des seigneurs du capital international, en se conformant, en l’occurrence, aux projets, comme la « nouvelle révolution verte » (en Afrique), que ceux-ci avaient dans les cartons depuis la fin des années 1990228.
La Déclaration d’Abuja est une promesse africaine de consumérisme faite à l’industrie des engrais de synthèse, pour lequel devait être établi « d’ici 2007 un Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais » (MAFDE), sous la houlette de « La Banque Africaine de Développement avec l’appui de la Commission Economique pour l’Afrique et la Commission de l’Union Africaine ». Avec organisation d’une Conférence annuelle sur les engrais (Argus Africa Fertilizer Conference229), faisant l’état des lieux et dégageant de nouvelles perspectives. Certes, la promesse n’a pas encore été réalisée : dans la sous-région dite subsaharienne, la consommation se situe encore à « 22 kg d’engrais par hectare contre 148 kg en moyenne dans le monde et jusqu’à 400 kg en Chine ou au Chili 230 ». Ce qui ressemble bien à l’expression d’un flagrant manque de quelque imagination, de quelque projet d’émancipation africaine, assez logique de la part de ces institutions.
Cet objectif de l’Union Africaine demeure inébranlé231, malgré la critique scientifique des engrais de synthèse/industriels, de leurs effets sur les sols, de pollution des eaux, sur le climat (émission de gaz à puissant effet de serre), sur la biodiversité, etc.. Comme dit plus haut, les engrais azotés ne s’étant répandus que depuis le début du 20ème siècle (dans la dynamique de croissance de l’industrie chimique, intensifiée dans l’après Seconde Guerre mondiale232, après avoir fait ses preuves funestes, de la Première Guerre mondiale à Auschwitz et Hiroshima/Nagasaki), la pratique de la fertilisation organique des sols étant antérieure, démonstration est de plus en plus faite qu’il est possible, malgré la croissance démographique (un phénomène social contrôlable, lié à d’autres facteurs comme le progrès dans l’éducation scolaire, dans l’emploi féminin hors économie dite informelle…), de produire suffisamment pour nourrir l’humanité en se passant de ces engrais de synthèse, émettant des gaz à effet de serre climaticides (protoxyde d’azote/N2O, dioxyde de carbone/CO2)233.
L’Union Africaine ne l’ignore pas234, mais est prisonnière de sa dépendance néocoloniale, pro-capitaliste (classes dirigeantes, généralement, et classes dominantes étant des adeptes du système capitaliste – qu’il ne faudrait d’ailleurs plus nommer comme tel, par déférence à son hégémonie).
La dite panafricaine Banque africaine de développement, si investie dans la promotion de la consommation des engrais de synthèse/industriels, faut-il le rappeler, a comme co-actionnaires des États de l’Union européenne pro-engrais de synthèse à l’instar de la France, première puissance agricole de l’Union européenne, deuxième consommatrice mondiale des engrais azotés, derrière les États-Unis d’Amérique. Que peut-elle conseiller à l’Afrique, sa partenaire subalterne ? Les engrais industriels consommés en Afrique ne viennent pas que de la Russie (11 % des importations africaines ; mais des pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali, la Sierra Leone dépendent à plus de 90 % de potasse russe et biélorusse – Yara s’approvisionne aussi en Bielorussie) et l’Ukraine, mais aussi de l’Union européenne (traditionnellement, une co-financeure majeure de l’Union Africaine, comme il a été déjà dit plus haut) dont est originaire, par exemple, le numéro 1 mondial des engrais de synthèse, Yara International. Co-actionnaire de la Banque africaine de développement, l’État de Norvège est, à titre de rappel, détenteur de 43 % des actions de cette transnationale235 très active dans tout ce qui concerne la « révolution verte en Afrique », faisant partie des cinq leaders du marché des fertilisants industriels en Afrique, implantée dans certains pays africains (Afrique du Sud, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Malawi, Mozambique, Tanzanie Zambie).
À la veille du Sommet Dakar 2 sur l’alimentation en Afrique (« Nourrir l’Afrique : Souveraineté alimentaire et résilience »), l’Agence norvégienne de coopération au développement (NORAD) a apporté 10,15 millions $ au MAFDE, « pour que 850 000 petits exploitants agricoles [au Kenya, au Mozambique et en Ouganda] soient mieux approvisionnés en engrais […]Quand les petits exploitants agricoles du continent auront accès à des engrais de qualité en temps voulu, il sera possible de doubler la productivité agricole et les revenus des petits producteurs de denrées alimentaires 236 ». De la philanthropie ? Il est question, dans l’article de la BAD, « des garanties de crédit qui courent sur une période pouvant aller jusqu’à 36 mois », « des financements et des garanties de crédit pour l’approvisionnement à grande échelle des fournisseurs en engrais, de faire en sorte que les agro-commerçants accèdent aux engrais à crédit ».
Ce qui ressemble aussi bien à la constitution d’une clientèle qu’au premier acte d’un enchaînement par la dette, rentable, évidemment, pour l’institution créancière. Des prêts pour acheter l’engrais de synthèse russe ? Ou, plus logiquement, celui de Yara ? Par ailleurs, au programme de Dakar 2, selon la fiche de présentation de la rencontre alors à venir, publiée sur le site de la BAD, il y avait aussi en bonne place la promotion des « systèmes agricoles intelligents face au climat », des « technologies intelligentes face au climat », « de technologies agricoles résilientes au climat ». Or, l’« agriculture intelligente face au climat » est aussi une question d’engrais de synthèse et Yara est un acteur central de l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat (GACSA, son acronyme en anglais) – la France et la Norvège en sont membres, avec six autres États de l’Union européenne – dont « L’objectif […] était de défendre l’agriculture industrielle face aux réglementations environnementales 237 ». C’est la lutte du profit capitaliste contre la protection de l’environnement, aussi par la mise en dépendance de la petite paysannerie à l’égard des transnationales de l’engrais de synthèse. Lutte à laquelle participent aussi, aux côtés de celles-ci, nos champions africains que sont l’Office chérifien des phosphates (Maroc), champion mondial des engrais phosphatés, ainsi que la Dangote Fertilizer Plant, du capitaliste africain n° 1.
Ainsi, en matière de fertilisation des sols, ni la France, où, par exemple, Yara possède trois sites de production d’engrais, ni l’Union européenne, où elle en possède aussi dans d’autres pays (Allemagne, Belgique, Chypre, Espagne, Finlande, Hollande, Italie, Suède …), animées que par le profit capitaliste, ne peuvent accompagner l’Afrique que vers plus de contribution à l’écocide (multidimensionnel), par la consommation préférentielle des engrais de synthèse, une des caractéristiques de l’industrialisation de l’agriculture, souhaitée pour l’Afrique par le Rapport Mbembe.
De la promotion des semences génétiquement modifiées en Afrique
Il en est autant concernant les semences. Celles traditionnelles dites aussi paysannes, utilisées depuis des siècles, conservées, sélectionnées par les paysan·ne·s, ont, en France, comme dans l’Union européenne, subi quasiment le même déclin que leurs usager·e·s (en France, « il ne reste aujourd’hui que l’équivalent de 8 % du nombre d’agriculteur·ices qui travaillaient en 1950 »238 – ce qui est bien pire comparé à ce qu’elles/ils étaient au début du 20ème siècle, dans une France encore à forte population rurale, malgré tout : 59 % de la population soit 23 millions sur 39, en 1911239). Les semences traditionnelles y ont été supplantées par les semences industrielles. Voire, leur circulation commerciale a été mise hors-la-loi. Cependant elles ont été piratées (certifiées, brevetées) par l’industrie semencière, transformées ainsi de biens communs en propriétés privées240. À cet effet, des États fondateurs de la future Union européenne, dont la France (championne agricole de la construction européenne), ont, en 1961, initié l’Union pour la protection des « obtentions végétales » (UPOV) dont la Convention internationale, protège les intérêts des entreprises ayant certifié ou breveté des semences (droits sur l’obtention végétale) relevant jusque-là des biens communs, interdisant ainsi aux agriculteurs des États adhérents de partager lesdites semences. Même quand elles proviendraient de leur propre récolte/production241, en violation, de nos jours, des dispositions onusiennes, à l’instar de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·ne·s et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (décembre 2018)242. La petite paysannerie est ainsi programmée à devenir une cliente permanente de l’industrie semencière, contrôlée à 50 % au moins par trois transnationales. D’autant plus que les semences industrielles (des semences dites hybrides aux semences génétiquement modifiées/OGM) ont, en bonnes marchandises industrielles, généralement une obsolescence programmée, devenant stériles après le premier semis. Le mal accompli localement (France, Union européenne) doit être exporté, pour sa rentabilité capitaliste.
L’Union Africaine est disposée à y contribuer avec l’élaboration du protocole sur les droits de propriété intellectuelle dans sa Zone de libre échange continentale. La nature de celle-ci ne pouvant pourtant qu’aggraver les inégalités, les injustices, laisse généralement indifférent·e·s celles et ceux se proclamant militant·e·s panafricanistes quand elles/ils ne célèbrent pas niaisement la concrétisation à venir de ladite zone243. Manifestation du panafricanisme néolibéral, devenant d’ailleurs dominant.
Néanmoins dans cette région du monde à forte majorité paysanne encore (environ 60-70 % de la population africaine), son agriculture n’est pas (encore ?) très dépendante de l’industrie semencière. Ainsi, en guise de volonté de rattrapage de ce supposé retard en la matière, celle-ci en a fait une cible particulière : « Une raison principale de l’inefficacité [de la petite agriculture africaine] est que les semences utilisées dans la grande majorité des petites exploitations ne sont pas des variétés à haut rendement couramment utilisées sur les autres continents », affirmait catégoriquement la Fondation Rockefeller dans la pré-annonce, alors, de sa prochaine bonne action, en faveur de la pauvre petite exploitation agricole africaine, la « nouvelle révolution verte » 244.
Dans cette offensive, l’industrie semencière s’appuie aussi bien sur les États occidentaux, des organisations multilatérales (Banque mondiale, Organisation mondiale du Commerce/OMC, agences onusiennes, à l’instar de la FAO, etc.) acquises à la cause de l’agribusiness, que sur des États africains au sein desquels soit des fractions dirigeantes ont des intérêts dans l’agribusiness, soit des autorités politico-administratives se laissent corrompre, le goût du lucre étant accentué sous le néolibéralisme, quelles qu’en soient les conséquences, pour la petite paysannerie en l’occurrence. La situation sociale classes populaires n’étant pas d’ordinaire leur préoccupation – ces autorités savent-elles si elles ne pourront pas échapper pas aux conséquences de leur cupidité ? Ainsi, des États de l’UPOV en position dominante, dont ceux de l’Union européenne (elle en est aussi membre, distinctement de ses États), poussent, au cours de la négociation des accords commerciaux bilatéraux, leurs supposés partenaires, d’Afrique en l’occurrence, à y adhérer, afin, au delà du prétexte mensonger sur la sécurité alimentaire pour ceux-ci245, que soient respectés, protégés les intérêts (certificats, brevets, etc.) de leurs transnationales semencières (françaises, par exemple).
Créée en 1977, à Bangui (République Centrafricaine), regroupant dix-sept États d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest (quinze francophones, un hispanophone et un lusophone) l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) n’a pas, dans son Accord de Bangui inclus, pendant deux décennies, la protection des obtentions végétales. Ce qu’elle n’a fait qu’en 1999, suite à une pression exercée par, entre autres, la France, préférant s’inspirer de l’UPOV que du projet alors en élaboration de l’Organisation de l’unité africaine (prédécesseure de l’Union Africaine) dont l’un des « principes fondamentaux » était « la reconnaissance des variétés paysannes, du droit d’utiliser, de conserver, d’échanger et de vendre librement les semences de ferme et le matériel de multiplication. Du droit de participer au processus décisionnel et du droit d’obtenir un partage équitable, des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques végétales, etc, »246.
Ce qui devrait être, en effet, en phase avec la pratique établie, car ordinairement « Les communautés paysannes disposent d’innombrables variétés de semences adaptées pour toutes les espèces végétales de leurs systèmes agricoles et alimentaires ; les semences paysannes sont des semences reproductibles. Les communautés paysannes renouvellent leurs semences à partir de leurs recoltes 247 ». Ainsi, bien que « l’adhésion d’un pays à l’UPOV empêche le développement de semences paysannes traditionnelles de ses paysans et donc leur conservation […], en 2014, sous la pression des gros industriels, 17 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre […]par le biais de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) sont devenus membres de l’UPOV 248 », s’ajoutant ainsi à quatre États africains les ayant précédés249, auxquels se joindront par la suite trois autres. Soit, des dirigeants de près de la moitié des États africains, assument un choix pro-agribusiness, contre la petite paysannerie donc, alors que ce secteur agricole occupe entre 40 et plus de 80 % de la population active dans plus de la moitié des pays africains.
Certains de ces États africains, se voulant plus “modernes” que les autres ou croyant ingénument – voire de façon intéressée pour certains membres des classes dirigeantes – au discours dominant, à dimension technosolutionniste aussi250, sur la sécurité alimentaire en Afrique , autorisent les semences génétiquement modifiés (OGM)251 – dont la culture nécessite le recours aux engrais industriels/de synthèse, une sorte de chaîne –, en dépit d’alertes assez permanentes sur leur nocivité252, devant, en cas de bon sens non capitaliste, induire le choix du principe de précaution253. Certes, sur cette question des OGM, il semble ne pas y avoir de pression directe de la France et de l’Union européenne en faveur de la culture des OGM en Afrique, vu qu’il n’existe pas, dans celles-là, de consensus favorable en la matière. La reglémentation étant sans cesse discutée : concernant le dernier projet (2023), il existe un désaccord public entre la Commission européenne (organe exécutif de ladite union, considéré comme ayant plus de pouvoir que le parlement élu, dans la bonne tradition de la démocratie représentative) et une bonne dizaine d’États membres, quelques autres comme la France étant passés du soutien à la position complaisante de la Commission à l’égard des OGM au silence, lors du dernier épisode (mars 2023). Ainsi, il n’existe, officiellement, que deux États (Espagne et Portugal) à cultiver des OGM. Ce qui n’empêche que les États de l’Union européenne co-actionnaires de la Banque africaine de développement participent à la promotion de la culture des OGM en Afrique, portée, par exemple, par le volet Technologies pour la transformation agricole de l’Afrique (TTAA, TAAT en anglais) du programme (de la BAD) Nourrir l’Afrique : Stratégie pour la transformation de l’agriculture en Afrique pour la période 2016-2025. Cette adhésion à la promotion des pseudo-solutions technologiques était ainsi exprimée dans une édition récente de l’une de ses publications annuelles : « Soutenir les petits agriculteurs africains peut déclencher une révolution agricole susceptible de nourrir l’Afrique, en particulier dans les zones urbaines.
Il est impératif que les pays africains offrent aux agriculteurs un large accès à des financements abordables, à des technologies de production alimentaire améliorées, notamment des semences certifiées et adaptées à des conditions climatiques extrêmes, à des services de vulgarisation systématique à grande échelle et à des services de mécanisation, afin de stimuler la production alimentaire. »254. Comme s’il ne s’agissait pas, a contrario, à la lumière de l’expérience historique, plutôt de participation au programme d’« amenuisement des capacités de préservation, mais aussi de renouvellement du patrimoine semencier [qui] a pour conséquence l’éloignement des perspectives de souveraineté ́ agroalimentaire » qui devrait, par quelque lucidité du Rapport Mbembe (p. 23), être évité. Mais ne pouvant logiquement l’être, vu que la politique de la “panafricaine” BAD est co-structurée par des puissances aux passé et présent impérialistes indiscutables, dont les intérêts ne convergent pas du tout avec ceux des « petits agriculteurs africains » que la BAD prétend paradoxalement, plutôt démagogiquement, appeller à soutenir.
En même temps des co-actionnaires de la BAD agissent aussi à travers leurs agences de développement, fondations, instituts de recherche, think tanks, etc. Ces États étant, indiscutablement, influencés par des transnationales, dont les marchands d’OGM, qui, de quelque façon, leur sont liées. Dans le classement 2021 de Access to Seeds Index, parmi les dix premières entreprises marchandes de semences en Afrique de l’Ouest et du Centre figurent quatre européennes : l’allemande Bayer, mondialement numéro 1, ayant absorbé sa concurrente états-unienne Monsanto (productrice emblématique des semences génétiquement modifiées …), la française Novalliance/Technisem, en 3ème position, la hollandaise Rijk Zwaan, 6ème, la française Limagrain, 10ème mais co-actionnaire de la zimbabwéenne Seeds Co, 7ème – l’anciennement Suisse Syngenta, 8ème, déjà absorbée alors par ChemChina255 – ne s’interdisant pas de vendre des OGM. Car, comme l’affirme péremptoirement Limagrain sur son site : les études globales « montrent qu’après 20 ans de recul, au global, et malgré certaines situations […]les OGM ont démontré leur potentiel et ont eu et ont toujours un impact positif »256.
Pourtant, l’écrasante majorité (une vingtaine) des États de l’Union européenne s’est exclue de l’autorisation de cultiver des OGM, au moins par principe de précaution (par exemple, la non contamination des cultures non OGM n’étant pas maîtrisée). Ce qui n’empêche pas que des semenciers européens en produisent pour l’exportation. Ce ne serait pas la première fois que la France ou l’Union européenne exporte ce qu’elle produit, mais dont l’usage est interdit sur son propre territoire. Du cynisme coutumier pour le profit. Par exemple, vers des pays africains qui en permettent la consommation, la culture en l’occurrence. Où d’ailleurs, pense t-on à la Coalition (ouest-africaine) pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN, membre de l’AFSA, qui n’est pas, apparemment, le genre d’organisation de la société civile africaine que le « comité Mbembe » a consultée), « En fait […] les OGM ne profiteront qu’à une minorité oligarchique [locale] qui se partagera les dividendes avec les multinationales, sur le dos des pauvres paysans »257.
Mais cette petite paysannerie résiste encore massivement à l’entreprise de capture menée par la Banque africaine de développement, l’AGRA et consorts, à coups de corruption des gouvernant·e·s, parlementaires et chercheur·e·s, et de millions de dollars de crédits en semences à disposition de cette pauvre petite paysannerie, ainsi exposée à se transformer par la suite en cliente chronique, voire aussi en endettée chronique, asphyxiée258. Au Burkina Faso, l’un des pays exhibés comme ouverts au progrès technologique, pour son adoption popularisée (à partir de 2009) de la semence de coton génétiquement modifiée Bt, au pesticide intégré, produite par Monsanto, la paysannerie a fini par l’abondonner (2016-2017), aussi pour la qualité inférieure du coton produit. Une escroquerie en quelque sorte. Ce qui n’est pas, certes, en mesure de mettre fin au mimétisme de classe, des dirigeants africains. Alors que le Burkina Faso venait d’abandonner le coton génétiquement modifié, un État voisin, le Bénin, reputé aussi cotonculteur, penchait vers son adoption, comme par inaptitude à tirer quelque leçon.
Envisager l’« industrialisation, [la] transformation agro-industrielle » de l’Afrique, avec la France, l’Union européenne, comme accompagnatrices ou guides, revient à accepter non seulement l’accaparement des terres, la consommation abondante des engrais industriels de synthèse, les semences dites améliorées de l’agribusiness, mais aussi les pesticides qui vont avec, quand ils ne sont pas intégrés dans des semences génétiquement modifiées, avec une nocivité établie sur les humains, une toxicité s’avérant durable des sols259. En cette matière-ci, la France censée guider ses supposés partenaires africains est un mauvais exemple, car déjà elle s’avère incapable de respecter les objectifs qu’elle avait fixés concernant sa propre réduction de leur consommation : « La Cour constate, pour sa part, que les effets des plans Écophyto demeurent très en deçà des objetif fixés. Ainsi, l’objectif initial de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques de 50 % en dix ans, reporté en 2016 à l’échéance 2025 et confirmé en avril 2019, assorti d’un objectif intermédiaire de - 25 % en 2020, est loin d’être atteint : l’utilisation des produits mesurée par l’indicateur NODU7 a, au contraire, progressé de 12 % entre 2009 et 2016260 ». Quelques années plus tard la situation ne s’est pas améliorée261.
Par ailleurs, elle compte parmi les quatre principaux États de l’Union européenne exportateurs de pesticides qui y sont interdits262, pour leur coefficient de toxicité beaucoup plus élevé que d’ordinaire (déjà toxique), pouvant même être meurtrière. Ce que, pourtant, n’ignore pas le Rapport Mbembe, parlant à juste titre de « substances dangereuses interdites sur le territoire européen, mais exportées vers les pays africains » (p. 23) – ailleurs aussi, dans des pays dits du Sud –, car s’il faut s’en débarrasser, que ce soit, de préférence, de façon rentable, car produites comme marchandises263. La motivation pécuniaire ou finalité lucrative, de la production et de la consommation des intrants (engrais, semences hybriques et autres, pesticides) étant déterminante en politique agricole de la France, de l’Union européenne. À l’opposé de l’agroécologie dont, en principe, « Les “intrants” du système [agroécologique] sont les processus naturels eux-mêmes, ce pourquoi l’agroécologie est qualifiée d“agriculture de processus” 264 ».
« Intensification agroécologique » vs Agroécologie ? La récupération
Certes, la France, l’Union européenne, paraissent préoccupées par certains aspects de l’agriculture conventionnelle, à l’instar des conséquences de cet usage des pesticides. Jusqu’à afficher quelque intérêt pour l’agroécologie, dont la promotion a débuté, surtout en Amérique dite latine, à partir des années 1990. Une conception de l’agriculture considérée, en principe, comme une alternative à cette agriculture industrielle ou intensive souhaitée aussi pour l’Afrique par le Rapport Mbembe : « « L’agroécologie est une alternative à une agriculture intensive basée sur l’artificialisation des cultures par l’usage d’intrants de synthèse (engrais, pesticides ...) et d’énergies fossiles. Elle promeut des systèmes de production agricole valorisant la diversité biologique et les processus naturels (cycles de l’azote, du carbone, de l’eau, équilibres biologiques entre organismes ravageurs et auxiliaires des cultures...)[…]
L’agroécologie est portée dans la sphère publique par des mouvements sociaux défendant la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne. 265 ». Bien que praticienne avérée, en leader, de l’agriculture industrielle promue par la PAC, le gouvernement français élaborant en 2013-2014, son projet pour l’agriculture française, a néanmoins intégré le principe d’une transition agroécologique, en fonction d’une définition de l’agro-écologie comme « Application de la science écologique à l’étude, à la conception et à la gestion d’agrosystèmes durables » et « Ensemble de pratiques agricoles privilégiant les interactions biologiques et visant à une utilisation optimale des possibilités offertes par les agrosystèmes. Note : L’agro-écologie tend notamment à combiner une production agricole compétitive avec une exploitation raisonnée des ressources naturelles »266. Une orientation qui s’inscrivait dans l’« ambition de développer le potentiel et la diversité de notre agriculture et de combiner compétitivité et préservation de l’environnement »267. Une variante de l’agroécologie, pouvant être considérée, au mieux, comme « faible », du fait que, demeurant attachée par exemple à la sacro-sainte « compétitivité », elle n’en retient que certains aspects, comme l’affirmait un ancien agriculteur, par ailleurs consultant du Cirad (Centre français de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, ayant relativement subi l’influence de la pratique agroécologique dans ses terres de mission du Sud, principalement en Amérique dite latine) : « Le Cirad et l’AFD[Agence française de développement] ont utilisé le terme “agroécologie” pour désigner une technique particulière, les SCV [semis sous couvert végétal]qui sont une forme d’agriculture de conservation des sols reposant sur des bases agronomiques intéressantes mais nécessitant souvent beaucoup d’intrants chimiques »268 – intrants chimiques proscrits par l’agroécologie.
Quand même, selon une dirigeante de l’AFD (active aussi à propos, depuis une décennie, dans les pays dits du Sud ou en développement, ceux d’Afrique compris) : « Pendant longtemps l’AFD a associé le terme d’agroécologie à une technique particulière d’agriculture de conservation que sont les SCV, même si on menait parallèlement des actions d’appui à l’agroforesterie, d’intégration agriculture-élevage, etc. Aujourd’hui, nous avons une approche plus large de l’agroécologie, dont les SCV ne sont qu’une composante » (idem), il n’en demeure pas que depuis le supposé tournant pris par le gouvernement français, « le recours au terme “agroécologie” semble avoir été dans une certaine mesure opportuniste […] Les deux valeurs principales mises en avant y sont le respect de l’environnement d’une part et la compétitivité économique, individuelle et collective d’autre part »269, soit une « appropriation insidieuse de l’agroécologie pour perfectionner le système alimentaire industriel »270, y compris en considérant que « la robotique est, et sera, l’un des leviers de l’agroécologie 271 », les biotechnologies feront bon menage avec celle-ci, etc. 272. Une opération de récupération (dans l’acception de Jaime Semprun, mentionnée plus haut), une opération alchimique, ici dépréciative, de transformation de l’or en plomb ; une pratique courante du Capital qu’illustre aussi l’oxymore
« intensification agroécologique 273 », mis en circulation par des activistes de cette récupération, à l’instar de l’AFD et complétant le stock d’escroqueries terminologiques que sait produire l’idéologie capitaliste : “croissance durable”, “capitalisme vert”, etc.). Selon le principal concepteur de l’« agriculture écologiquement intensive » (AEI), Michel Griffon, il s’agit de « concilier le productivisme et l’environnementalisme 274 ». Autrement dit « le recours à des intrants reste possible mais ne doit pas compromettre l’aptitude de l’agrosystème à produire ses propres services. L’AEI n’exclut pas non plus le recours à l’amélioration génétique ni aux organismes génétiquement modifiés 275 ».
Ce qui avait été recusé au début de l’opération de récupération, par des promoteurs historiques de l’agroécologie : ceux qui « s’efforcent de coopter l’agroécologie, en avançant qu’elle est une option conciliable avec d’autres approches comme les cultures transgéniques, l’agriculture de conservation, le microdosage des engrais et des herbicides, et les méthodes de gestion intégrée des parasites. Dans cette approche, le terme “agroécologie” devient un concept vide de sens, comme celui d’“agriculture durable”, car il est dissocié de la réalité sociale des agriculteurs et de la dimension politique de la production alimentaire et de l’environnement […]L’agroécologie n’a pas besoin d’être combinée avec d’autres approches. C’est sans intrants agrochimiques et hybrides qu’elle s’est toujours révélée capable d’augmenter durablement la productivité et la résilience des systèmes agricoles 276 ».
Des technocrates africains ont exprimé leur adhésion à cette énième escroquerie, à l’instar du membre du « comité Mbembe », Kako Nubukpo (accroché aux institutions de la Françafrique : Francophonie, Union économique et monétaire de l’Ouest africain, ainsi est-il actuellement commissaire du Togo en charge du département de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’UEMOA)277. Une opération de recupération de l’agroécologie, de promotion de l’« écologie bidon » à laquelle contribuent de grands acteurs de l’agribusiness, du Capital : du Forum économique mondial à Yara International, en passant par la Banque mondiale, le G7, ChemChina, Nestlé, AGRA, Unilever …278 Ainsi, exprimant souvent l’influence des lobbies de ces transnationales (plus souverains en fait que les électeurs/électrices relevant pourtant du souverain premier ) ou des syndicats patronaux – de l’agro-industrie, en l’occurrence – ou l’oligarchisme des États capitalistes développés, des incohérences sont facilement relevées au sein de textes officiels prétendument pro-écologie/pro-agro-écologie, et entre ceux-ci et d’autres dépourvus de tout vernis écologiste279.
Des incohérences assez logiques, car dans tout le discours officiel (France, Union européenne, avec leurs organismes comme le Cirad), il n’est aucunement question de mettre l’agriculture écologique ou l’agroécologie de plain-pied avec l’agriculture intensive/industrielle (capitaliste), ni surtout d’abandonner celle-ci280. Comme, par exemple, pour les pesticides, déjà évoqués plus haut, dont il ne s’agit pas d’éradiquer l’usage, mais de « parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable », selon une directive de l’Union européenne281. Même quand il est question de « transition agro-écologique » (France) : la transition n’est pas envisagée comme devant mener à un remplacement de l’agriculture intensive productiviste par l’agroécologie, mais il s’agit de les faire coexister inégalement dans un cadre structuré par et surtout pour celle-là, d’ajuster l’agroécologie au lit de Procuste – Capital ; le système capitaliste se voulant dorénavant sans extérieur, intégralement intégrateur, incluant/inclusif, globalisant. Alors que le culte du profit, caractéristique du capitalisme, est – au delà de l’accaparement des terres rendant « difficile par ailleurs la transition agroécologique » (Rapport Mbembe, p. 23) – incompatible avec l’agroécologie, quand celle-ci n’est pas réduite à quelques techniques/pratiques agricoles prétendument guidées par le principe de préservation du vivant, comme définie plus haut (par l’AFD), mais qu’elle est comprise comme relevant d’une philosophie de la vie sociale, un mode de vie.
Une agroécologie qui, n’étant pas une pure reproduction du monde paysan précapitaliste, du monde agricole d’avant l’industrialisation de l’agriculture, s’oppose ainsi au monde actuel caractérisé par des inégalités (de classes sociales, entre les genres282, etc.), en croissance, monde socialement injuste et écocidaire, parce que rythmé par le profit-roi, « qui ne profite en effet qu’à une poignée d’individus, au détriment de la population, majoritairement paysanne »283. Une agroécologie considérée comme « un système centré sur le peuple [people-centric], d’agriculture durable et un mouvement pour la justice sociale »284.
Ainsi, l’on pourrait se demander si le « comité Mbembe » ou Mbembe, était bien conscient des conséquences de l’« alliance agricole », de l’« industrialisation, transformation agro-industrielle » qu’il souhaitait : une répétition historique qui ne sera pas du tout comique, mais plus tragique que ce qui a été produit la première fois, surtout à partir des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, en Occident et ailleurs, au profit de l’agribusiness et aux dépens des petites paysanneries ainsi que de la nature. La réponse est “oui”, vu, par exemple, rien qu’a s’en tenir à l’évitement de quelque insistance sur l’agroécologie (deux occurrences dans les trois pages consacrées à l’agriculture) ainsi que le sens écologique réduit à l’évocation, vers la fin du rapport, d’une « une agriculture respectueuse de l’environnement » (Rapport Mbembe, p. 97-98), en compatibilité, sous-entendue, avec la « transformation agro-industrielle ». Un choix bien conscient, donc, partagé avec les géants de l’agribusiness français et d’ailleurs, l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le NEPAD-Union Africaine, etc., ou s’en inspirant285, et inscrit d’une certaine façon dans l’idéologie du “rattrapage”, dans le « le discours colonial selon lequel l’agriculture africaine ne peut être modernisée qu’en adoptant les pratiques du Nord 286 », quelles qu’en soient les conséquences prévisibles donc. Un choix qui s’avère ainsi à contre-courant d’une certaine dynamique pro-agroécologie paysanne dans le monde associatif africain de la petite, voire de la moyenne agriculture (assez informé sur la nocivité de la voie française, européenne et d’ailleurs)287, ne participant pas de la société civile « néo-impériale ». Un choix qui est aussi en grand écart avec la nécessaire « transition écologique », dont la conception officielle relève aussi de la contrefaçon, comme d’habitude, du fait du consumérisme des marchandises de la technologie industrielle/machinerie industrielle, en permanence innovées, qu’elle implique (par exemple : obsolescence programmée pour le court terme et intensité de l’extractivisme), qu’exige la dite « transformation agro-industrielle » préconisée par le Rapport Mbembe.
Fétichisme numérique : de l’agriculture à la surveillance
Cette offensive sur l’agriculture africaine, en ce temps caractérisé par, entre autres, le technosolutionnisme (le fait de ne proposer que des solutions technologiques à des problèmes dont la technologie n’est que l’une des dimensions), porte aussi sur sa numérisation/informatisation. Elle est promue par l’AGRA, le TAAT, etc. À Ouagadougou, le chef de l’État français (précédemment ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique) l’avait évoquée en parlant du « sens du programme Digital Africa qui permettra d’identifier les start-up africaines les plus prometteuses et accompagnera leur croissance ; mais aussi dans l’agriculture dont l’Afrique a profondément besoin. C’est plus que 60 % de la population active, c’est le secteur dans lequel nous allons continuer et nous devons investir, et cette initiative financera des PME africaines qui accéléront la transformation de l’agriculture africaine. Partout nous devons par cette initiative et l’aide que nous apportons accélérer ces transformations et ces transitions » (ce qui ne pourra que rapporter des centaines de millions, au moins, à se partager avec ces néo-capitalistes africain·e·s…). Et la numérisation est considérée par l’Union européenne, pour ses relations avec l’Afrique dans les prochaines années, comme l’un des « cinq partenariats thématiques : la transition verte et l’accès à l’énergie ; la transformation numérique ; la croissance et les emplois durables ; la paix et la gouvernance ; les migrations et mobilités » (Rapport Mbembe, p. 107-108).
Ainsi, l’agriculture africaine n’y échappera pas dans le cadre de « l’alliance agricole », de l’« industrialisation, transformation agro-industrielle » souhaitée par le Rapport Mbembe – le numérique étant désormais présenté comme une technologie incontournable. Même si le rapport s’est gardé de développer sur le sujet, le mentionnant juste en passant (« Même s’ils connaissent une croissance rapide, le commerce en ligne et l’utilisation des réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, restent faibles. Des innovations se multiplient cependant dans des domaines tels que la santé, l’éducation, l’agriculture, et l’on recense à ce jour plus de 600 pôles technologiques actifs sur l’ensemble du continent. », p. 37). La numérisation de l’agriculture africaine est soutenue par les principaux acteurs panafricains que sont la Banque africaine de développement, avec son TAAT, et l’Union Africaine, par exemple, dans l’agenda de son “partenariat” avec l’Union européenne. En effet, le Rapport Task Force Afrique Rurale, mentionne l’existence d’« Une Task Force UE-UA sur l’économie numérique lancée en décembre 2018 dans le cadre de la nouvelle alliance Afrique-Europe ». Et « Par l’intermédiaire de ses délégations en Afrique, l’UE intervient afin d’améliorer la “numérisation pour une agriculture durable” (Digitalisation for Sustainable Agriculture – D4SA) […] L’UE a massivement investi dans la numérisation de l’agriculture en Afrique en finançant, dans le cadre du FED [Fonds européen de développement] le centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) […] L’UE considère que la numérisation devrait être un tremplin pour transformer les petites exploitations agricoles en Afrique : en améliorant la productivité, la rentabilité et la résilience du système agroalimentaire et en permettant aux jeunes et aux femmes de se lancer d’une manière rentable dans l’agriculture et l’agro-industrie » (p. 31). Ce qui participe de l’« industrialisation, [la] transformation agro-industrielle » dont le Rapport Mbembe envisage en fait l’accélération ou intensification.
Mais vu qu’il s’agit en fait d’un programme de l’Union européenne pour l’agriculture africaine, à larguer (avec la caution de l’UA) sur les petit·e·s agriculteurs/agricultrices africain·e·s, qui leur est étranger, étrange aussi fort probablement, plutôt que d’un projet qu’elles/ils auraient élaboré, le CTA a déploré dans son Rapport sur la numérisation de l’agriculture africaine (2019) que « malgré la croissance la D4Ag [ou D4SA] peine à atteindre les petits agriculteurs à qui l’Afrique doit 80 % de sa production agricole. Il y a pourtant une occasion à saisir. On estime que l’agriculture représentera un marché de 3 billions de dollars d’ici 2030 288 ».
Dans cette perspective, dont la motivation par l’appât du gain, la cupidité, est clairement exprimée, la difficulté à soumettre la petite paysannerie (une très grande partie ne peut être usagère du numérique, non seulement parce que pauvre, mais aussi constituée généralement de victimes des systèmes scolaires injustes, poussant à la déscolarisation massive, dès l’enseignement primaire289, surtout dans les couches sociales pauvres et le genre féminin, surtout en milieu rural 290) est envisagée surmontable par la préparation d’« une nouvelle génération d’“agripreneurs” [entrepreneurs en agriculture] spécialisés dans les TIC ». Avec une initiation minimale pour les moins instruit·e·s291, voire, selon le logiciel néolibéral de la formation pour l’employabilité, l’offre « des possibilités d’apprentissage et de développement des compétences tout au long de la vie », et par un appui aux « plateformes numériques visant à inclure davantage de femmes chefs d’entreprise dans les chaines de valeur agricoles 292 » – la posture “féministe” du Capital paraissant désormais inévitable. Il s’agit selon l’OCDE et l’UA d’opérer une « transition digitale »293, signifiant logiquement un processus de numérisation de tout ce qui peut l’être, à partir d’une diffusion « de la transformation digitale » bien « au delà de ces ilôts de réussite » que sont les « plus de 640 technopoles et incubateurs actifs au sein du continent, contre 314 en 2016 », afin d’« atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 » de l’UA (CUA [Commission de l’Union Africaine]/OCDE, p. 27) – ledit Agenda dont le niveau de conscience écologiste laisse à désirer, dès la formulation de la première des sept aspirations : « Une Afrique prospère fondée sur la croissance inclusive et le développement durable », grâce, entre autres, à « l’économie bleue ou océanique » dont « l’exploitation et la valorisation des minerais qui ne sont pas encore exploités ainsi que d’autres ressources »294.
Autrement dit, une programmation de l’extractivisme marin, évidemment nocif à la biodiversité, une des motivations, est-il dit plus haut, de l’opération néocoloniale française aux Îles malgaches. Prétexter de la protection de l’environnement pour préparer le pillage du vivant marin, en plus de l’exploitation éventuelle des produits fossiles que ces îles sont censées contenir.
Et il est souvent question, dans ce rapport, de l’agriculture, en termes, par exemple des « politiques [qui] doivent recenser et soutenir les innovations numériques les plus prometteuses en matière de développement rural » (CUA/OCDE, p. 97-98), une caractéristique, est-il établi, de ladite « nouvelle révolution verte » – avec la modernisation et la productivité de l’agriculture, « la houe sera bannie d’ici 2025 ». N’y aura t-il plus ainsi que des tracteurs électroniques, des robots de champ, « la robotique » étant même devenue « un des leviers de l’agroécologie » ? Ne peut-on pas à propos parler d’expression de la subordination de l’Union Africaine, de sa technocratie (essentiellement acquise, sans masque, aux valeurs dominantes de la supposée « communauté internationale »), à l’OCDE, ce club piloté par les principales puissances économiques “occidentales” ?
Ainsi, la souveraineté alimentaire de l’Afrique est supposée impossible à réaliser, dans le contexte de la crise climatique, sans la technologie numérique – pourtant nocive pour le climat, entre autres – assène de son côté la Banque africaine de développement, porteuse du Programme d’accélération de l’adaptation de l’Afrique au réchauffement climatique. Celui-ci étant ainsi considéré comme une fatalité, eu égard au choix sous-entendu de non bifurcation ou de non changement de paradigme ; l’accent étant en train d’être mis sur la résilience/l’adaptation – le comble de la stupidité – plutôt que d’initiative urgentissime de décroissance accélérée de l’émission des gaz à effet de serre. Une opération de diffusion de la « connaissance désinhibitrice » historiquement pratiquée par le Capital295. La résilience exprime, en effet, la normalisation de la non durabilité : ici « Le mot de désinhibition condense les deux temps du passage à l’acte : celui de réflexivité et celui du passer-outre, celui de la prise en compte du danger et celui de sa normalisation 296 ».
L’industrie du numérique, dont la puissance en ce temps néolibéral n’est plus à prouver, n’est pas en manque de courtiers.
Ce à quoi ne déroge pas le Rapport Mbembe. Car s’il n’y est pas consacré un paragraphe à la numérisation de l’agriculture, les paragraphes suivant le passage cité plus haut expriment une adhésion certaine au fétichisme du numérique. Ainsi, la neuvième proposition faite au commanditaire (ex- ministre-V.R.P. de l’industrie du numérique), si ce n’est inspirée par lui (« Développer le programme “Start-ups Africa-France” »), commence par « Une proposition forte est attendue sur le secteur du numérique et de l’innovation, en particulier pour la jeunesse africaine et les diasporas » (p. 120) – celles-ci étant considérées comme des sources éventuelles d’investissements capitalistes. Certes, le rapport relève l’extractivisme dont dépend cette numérisation (considérée comme “immatérialisation” par certains théoriciens, avec le succès qui sied à ce genre de fantaisies ou mystifications théoriques/terminologiques, surtout quand elles sont censées invalider tel aspect ou autre de la critique marxiste) : « Il reste à signaler le lourd tribut environnemental que le continent continue de payer pour le développement mondial des technologies numériques […]La plupart des matières premières indispensables à la production et au fonctionnement des matériels numériques proviennent d’Afrique […]L’Afrique est également présente à la dernière étape du cycle de vie des technologies numériques, celle du recyclage et de la mise en déchet, souvent dans des décharges à ciel ouvert » (p. 38) – De l’extractivisme surexploitant le travail des enfants et imposant à la RDCongo une guerre de prédation pilotée par le voisin, aux déchetteries africaines d’équipements électroniques (en provenance d’ailleurs aussi) ayant pour leaders l’Égypte, le Ghana, et le Nigeria, situées dans ou près des quartiers populaires, ainsi exposés à la toxicité.
Apparemment, entre ces deux étapes, le « développement mondial des technologies numériques » n’est pas problématique pour l’Afrique. Expression ainsi, par le Rapport Mbembe, d’un attachement à la centralité du numérique dans les défis que sont censés relever les entreprises africaines, dont « la nécessité de rattraper directement, en quelques mois ou quelques années, des décennies d’évolution technique et technologique. La révolution numérique actuelle, cependant, relativise désormais ce troisième défi et offre l’opportunité de rejoindre les technologies les plus avancées. Encore faut-il que les capitaux affluent dans ce domaine en Afrique, ce qui est encore trop peu le cas par rapport à l’Europe, à l’Amérique ou à l’Asie. Le mouvement commence à peine et la France, si elle veut nouer des liens durables avec le continent, a fortement intérêt à coopérer davantage dans le domaine de la recherche et de l’innovation » (p. 93). Un appel aux capitaux, principalement français, apparemment leaders « dans le domaine de la recherche et de l’innovation » en la matière, pour le nouement de « liens durables », exprimant un suivisme certain, le « rattrapage » est clairement énoncé, ignorant, encore une fois, les alertes déjà lancées sur l’impact écocidaire de la numérisation croissante297.
Avant le sommet de Montpellier, il était, en effet, déjà établi, par plusieurs études, qu’en matière climatique, la numérisation du monde est une importante source de gaz à effet de serre, de dioxide de carbone (CO2) en l’occurrence, déjà au stade actuel de son expansion. Une nocivité en cette période de culte de l’innovation technologique (auquel adhère le Rapport Mbembe , comme cela apparaît dans des passages ci-dessus-cités), ce principe de l’économie capitaliste – « révolutionner constamment les instruments de production et donc les rapports de production » était déjà selon Engels et Marx une caractéristique vitale, essentielle, du capitalisme (Manifeste du parti communiste) – qui s’est particulièrement intensifié sous le néolibéralisme, « stade du spectaculaire intégré » – « combinaison raisonnée », disait Guy Debord, du « spectaculaire concentré » des sociétés dictatoriales (principalement celles du « bloc communiste », pendant la guerre dite froide) et du « spectaculaire diffus » (des sociétés capitalistes développées prétendues démocratiques), sur la base de la victoire de celui-ci à la fin des années 1980 – dont le « renouvellement technologique incessant » est l’« un des cinq traits principaux »298.
Innovation constante applicable aux marchandises, du fait de la concurrence entre une multitude de firmes capitalistes par secteur (de la santé299 à l’armement de guerre, en passant par l’automobile, l’électromenager, le matériel informatique), à travers le monde300. Le numérique/l’informatique, généralement uni à Internet, occupe une place particulière dans cette course folle à l’innovation technologique, une partie de son « avant-garde » en dépendant301. La mise à jour néolibérale de ce principe de l’économie capitaliste manifeste, paradoxalement une continuation du culte du progrès (censé avoir disparu après les dites Trente Glorieuses), mais délesté de sa nature téléologique des 19e et 20e siècles (marche vers la réalisation du bien de l’humanité, un idéal302), long-termiste, a contrario du court-termisme néolibéral de l’innovation (évaporation de l’historique dirait Debord). Alors qu’il est, paradoxalement encore, question de l’innovation (en principe éphémère) en faveur de la durabilité de la croissance303.
La situation actuelle de l’innovation, pour le profit évidemment, n’est pas sans ressembler à celle du progrès ayant, déjà dès la première décennie des dites Trente Glorieuses, par certains de ses produits, suscité l’ironie de l’écrivain, chanteur, musicien, etc., français, ingénieur de formation, Boris Vian, parlant des « éventre-tomate », « canon à patates », « chauffe-savates », etc. (« La complainte du progrès », 1956)
304. De nos jours, il est question de ces objets-marchandises d’une nécessité vitale que sont « parmi les derniers-nés, les chaussons lampe-torches et l’enrouleur de spaghettis automatique 305 », l’assistance domestique intelligente ou les objets dits connectés accomplissant des tâches ordinaires : par exemple, la brosse à dents électrique connectée, la couche connectée informant que le bébé a sali sa couche, le miroir connecté ou l’assistant programmé pour veiller au contenu du réfrigérateur (son/ses usager˜e˜s sonts censé·e·s l’ouvrir, se servir, le refermer sans être capables d’en évaluer le contenu). Vu les dimensions courantes des réfrigérateurs, permettant ordinairement d’en contrôler le contenu en deux ou trois minutes, c’est comme si le gadget finissait par aspirer l’attention ou l’intelligence minimale des usager·e·s. En plus du smartphone, il y a, entre autres, le smarthome, le smart bed306. Par ailleurs, après les chaînes de télé pour bébés aux États-Unis d’Amérique, et, apparemment, comme par soutien à l’anti-spécisme, pour que les animaux autres qu’humains ne soient pas oubliés par l’innovation, il a été ainsi inventé aussi … l’Internet des animaux (autres qu’humains). On n’arrête pas d’innover ! Mais en attendant l’acquisition, transanimaliste, du néo-cortex cérébral par ces animaux, ce sont leurs maîtres·se·s qui s’occupent de la manipulation, comme les parent·e·s pour les chaînes de télé pour bébés. Aux premières versions de ces gadgets suivront des innovations, sans lesquels le bien-être des usager·e·s, devenant addict·e·s au changement fréquent, pourrait être affecté…
Les individus, en fonction de leur pouvoir d’achat, sont généralement conditionnés pour la consommation de ces divers gadgets se succédant sur le marché307, du fait principalement de la course entre firmes productrices à plus de profit face à la concurrence. Ce consumérisme niais se pratique allègrement dans les classes dirigeantes africaines (des palais présidentiels aux dernières couches de ces classes) pour lesquelles – en dehors des messes internationales sur-médiatisées de l’écologie-spectacle, ayant le vent en poupe, auxquelles participent les gouvernants et leur « société civile » – les conséquences écocidaires du numérique paraissent pis que secondaires, n’étant animées que par l’exhibition jouissive de leur accès à ces gadgets, de leur puissance pécuniaire … De nos jours, comme pendant les Trente Glorieuses et son culte du progrès, voire en pire, l’Innovation, court-termiste, s’accompagne d’une surdité certaine des décideurs (politiques, économiques) aux conséquences écologiques ; au mieux une sensibilité feinte, sans réponses conséquentes, à la mesure de la nocivité.
Ainsi, selon, par exemple, le think tank français, The Shift Project (collaborant avec certaines grandes entreprises publiques et privées françaises308) : « En 2019, près de 4 % des émissions carbonées mondiales sont dues à la production et à l’utilisation du système numérique. Cela représente davantage que les 2 % usuellement attribués au transport aérien civil et, avec une augmentation qui s’élève aujourd’hui à 8 % par an, cette part pourrait doubler d’ici 2025 pour atteindre 8 % du total – de l’ordre des émissions des voitures et deux roues actuellement309 ». Rien n’indique que, malgré une passagère baisse mondiale d’émission de CO2 au plus fort de la pandémie de Covid-1 (à cause de la baisse d’activité de l’économie mondiale : industries, aviation, etc.), que l’année 2021 a déjà effacée, l’équipement en matériel informatique et son usage, en gadgets numériques, a connu une baisse. Quand bien la Covid-19 a été, par la promotion du travail à domicile, les cours en distanciel, etc… une aubaine pour les marchands d’ordinateurs et accessoires, les fournisseurs d’accès à internet.
Le pire, en matière d’invasion du numérique, serait à venir avec le passage en cours à la technologie de cinquième génération de la téléphonie mobile (5G)310 – dont les appareils à la compatibilité limitée à la 2G, la 3G, massivement utilisés jusque là dans le monde entier, sont à considérer comme automatiquement frappés d’obsolescence, devant donc (pour celles et ceux qui en ont été rendu·e·s dépendant·e·s) être remplacés. C’est sur ladite 5G, offrant plus de possibilités, qu’est censée s’appuyer la quatrième révolution industrielle. Et, le passage à la 6G est déjà dans les tuyaux. Sans que soit fait quoi que ce soit contre l’augmentation de l’émission de CO2.
Il s’agit souvent d’innovations non nécessaires, mais utiles pour l’augmentation des profits de leurs producteurs et marchands, pour laquelle est orchestrée la rencontre entre la publicité et la niaiserie des consuméristes qui les fera passer pour indispensables, en se fichant, dans les faits, de leur contribution à l’écocide. Confirmant ainsi, un peu plus au fil des décennies, le propos attribué au physicien Albert Einstein : « Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mise dans les mains de psychopathes ». Et, l’on sait que parmi les principaux soutiens du passage à la 5G, il y a eu le chef de l’État français, ayant considéré la résistance manifestée, y compris par des scientifiques très bien informés, demandant un moratoire, comme l’expression de la volonté d’un « retour à la lampe à huile » (comme l’avait déjà dit, en son temps, dans une de ses invectives anti-écologie, Nicolas Sarkozy président), de l’adoption du « modèle amish »311.
Nous vivons, paradoxalement, en ce temps de diffusion considérable pourtant des informations sur la « crise écologique », une persistance du culte capitaliste de l’innovation (lié au principe sans fin d’accumulation du capital), intensifié pendant les dites Trente Glorieuses, au cours desquelles des alertes contre les conséquences environnementalement nocives du Progrès, de la Croissance, étaient plutôt étouffées ou moquées comme du mauvais romantisme, de l’archaïsme …
Ainsi, alors que la « crise écologique » est déjà assez manifeste, en Afrique comme ailleurs, avec tendance au pire dans un futur qui semble arriver à grands pas à notre rencontre (en cas de persistence de l’entêtement productiviste capitaliste, rien que cupidement motivée, dont le recul n’est pas en voie d’être amorcé), l’auteur du Rapport Mbembe a aussi choisi, tout simplement, d’exprimer une surdité certaine à l’égard des critiques sur le numérique, ne cachant pas son adhésion à ce nouveau fétichisme . Comme pour rassurer le commanditaire de la mission de leurs affinités électives. Le Rapport Mbembe est ainsi clairement pour plus de numérisation, de “dématérialisation” dans le jargon des technolâtres, donc plus de CO2. Surdité qui ne peut qu’affecter aussi un certain attachement dudit rapport au respect des libertés et des droits humains, hypothéqué pourtant par une numérisation porteuse, entre autres, des sociétés de surveillance banalisée. Surtout avec des États africains hostiles, par exemple, aux dispositifs de protection des données des individus, des associations, à leurs libertés d’information, d’expression, etc., autrement dit traitant le numérique comme une technologie de surveillance surtout, de restriction de certaines libertés et droits, dans le contexte global de « normalisation anti-démocratique de systèmes de surveillance et de contrôle des comportements »312 . Très intéressés donc par la succession des innovations, chaque fois beaucoup plus efficaces (« aujourd’hui plus qu’hier, moins que demain », comme on le dit en amour) en matière de violation des droits et des libertés humaines.
Certes, il est indéniable qu’avec le numérique/internet des progrès ont été accomplis, de la connaissance scientifique (par exemple, la modélisation dans l’étude du climat largement diffusée par le GIEC) à la pratique médicale, en passant par l’extension d’une très large accessibilité à l’information utile dans la vie quotidienne. À ce propos, il y a, en effet, une grande accessibilité à la documentation (à condition, évidemment, d’avoir de l’électricité, un ordinateur, une imprimante, de l’encre et du papier …), en l’occurrence dans ces sociétés africaines où souvent même dans la capitale, il n’existe pas des librairies dignes de ce nom, des réseaux de bibliothèques, des centres de documentation publics dans les quartiers, dans les établissements scolaires publics, etc., des structures généralement considérés comme superflues par des classes dominantes/dirigeantes non intéeressées sur l’acquisition, la production et la circulation populaires du savoir (au-delà du savoir scolaire, dont il sera question plus bas), de la culture contemporaine. Ce qui est bien logique, car ces classes dirigeantes/dominantes sont, pour leurs intérêts, foncièrement hostiles à l’émancipation populaire, à l’émancipation humaine, dont le désir ou la conscience peut être développée par certaines acquisitions livresques. Le théologien et sociologue camerounais, Jean-Marc Éla, parlait de ce que internet, comme « accès à l’immense bibliothèque virtuelle », peut apporter à la recherche dans ces « universités qui n’ont pas acquis de nouvelles revues et publications depuis plus de dix ans », dans ces « bibliothèques universitaires où, à Dakar ou à Yaoundé, l’on trouve souvent un ou deux exemplaires d’un livre pour 1 000 étudiants »313.
Par ailleurs, l’exercice de la liberté d’expression, la lutte pour la défense des libertés et des droits sont favorisées par, entre autres, l’existence de certains réseaux dit sociaux (critiquables, par ailleurs), comme l’a montré l’organisation d’importantes mobilisations populaires en ce 21ème siècle, y compris en Afrique, du printemps nord-africain (2011-2012) à #OccupyParliament kenyan (2024), en passant par l’insurrection populaire burkinabè (2014).
Par ailleurs, dans ces sociétés où l’ajustement structurel néolibéral, à partir des années 1980, a quasiment fait disparaître le service postal, généralement public, la correspondance électronique en est un bon substitut pour celles et ceux pouvant y accéder sans difficultés. Par ailleurs les guichets de la poste pour l’envoi et la perception des mandats (portés par le facteur, un personnage des sociétés urbaines et rurales, aujourd’hui disparu. Le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène a immortalisé ce que pouvait susciter un mandat – la cupidité d’un bureaucrate, par exemple –, dans Le mandat, 1968), sont remplacés pour l’international par les agences de transfert quasi instantané d’argent, les fameux transferts effectués par les immigré·e·s africain·e·s, hors d’Afrique – à leurs parent·e·s et ami·e·s, les mettant à l’abri de la pauvreté, ou la réduisant, tout en contribuant à la reproduction de l’idée de l’Occident comme eldorado, de sa supposée supériorité quasiment essentialisée – que l’on s’est mis à comparer avec la dénommée “aide publique au développement” (“aide” publique à la dépendance, en fait). À l’échelle locale, c’est le transfert, instantané aussi, d’un porte-monnaie électronique (de téléphone portable) à l’autre (« mobile banking » ou « m-paiement »), s’effectuant ou percevable presque partout, dans les centres urbains comme ruraux, quasiment à tout moment ; assez efficient, par exemple, dans l’expression de la solidarité dans des cas d’urgence sociale (médicale …).
Cependant, en dehors du fait que le numérique a pour condition nécessaire un extractivisme (contribuant à l’écocide et, semble t-il, exposé à une pénurie à moyen terme) appelé, par l’extension de son usage, à une croissance exponentielle, il nous semble que ce serait s’illusionner d’en faire un facteur du progrès de l’humanité – dans une vision autre que celle téléologique des 19e et 20e siècles –, de l’« humanitude » selon l’expression du généticien Albert Jacquard314.
Qu’il serait par exemple un vecteur, parmi ses usager·e·s, du besoin de culture générale et de son progrès (considérés comme condition de progrès de l’humanisme, de la conscience écologique…), accroissant, par exemple, les lecteurs/lectrices de littérature ou de sciences humaines et sociales, curieux/curieuses de connaissances sur leurs sociétés, sur l’Afrique, en l’occurrence, et l’ailleurs, ainsi que sur la nature, indispensables pour l’écologie, des échanges à propos, dans une perspective de créativité. Ce qui déjà, empiriquement, ne semble pas le cas, même parmi les étudiant·e·s – la jeunesse, à laquelle l’avenir est censé appartenir, un avenir paraissant davantage compromis ces dernières années – plutôt attaché·e·s à la seule lecture des cours (ce qui est souvent tacitement attendu par les enseignant·e·s, voire est une tradition315) , que porté·e·s par curiosité intellectuelle vers les livres (dont certain·e·s défenseur·e·s, inquieté·e·s par la poussée du numérique, craignent même la fin de l’édition316, l’orthographe étant déjà malmené par le langage des sms/texto). Certes, ils sont rarement à leur portée dans maintes sociétés africaines, souvent dépourvues en bibliotèques publiques, comme déjà mentionné ci-dessus. Et les coûts étant prohibitifs quand existent des librairies.
Sans parler de l’inexistence généralement d’éditeurs locaux. Sociétés dont, il faut le rappeler, les dirigeants ne brillent pas généralement par quelque intérêt pour la connaissance, la culture, rien qu’humaniste bourgeoise, à l’image assez exceptionnelle dans les ex-colonies francaises d’un Léopold Sédar Senghor (quoi qu’il en soit de son orientation politique ; la critique de son discours politico-culturel exigeant un certain bagage culturel, à l’instar de celles qui lui étaient adressées par l’opposition de gauche sénégalaise que par des panafricanistes critiques de sa version de la négritude), de Nyerere, Nkrumah dans les ex-colonies britanniques. Par ailleurs, les ratios pléthoriques étudiant·e·s/enseignant·e·s – résultant de l’ajustement structurel néolibéral du budget de l’Éducation, entre autres budgets dits sociaux, subséquemment à la crise de la dette publique extérieure des années 1970-1980 – favorisent l’évaluation par questions à choix multiples/QCM – l’une des pires formes d’“évaluation” des élèves, étudiant·e·s – exigeant, pour les enseignant·e·s, beaucoup moins de temps pour la correction des copies, plutôt que par l’exercice de la dissertation exigeant plus de temps pour l’acquisition de la culture nécessaire, de l’art d’argumenter, du débat informé, par la lecture des livres (des “classiques” entre autres), les discussions entre étudiant·e·s. L’art de disserter étant aujourd’hui menacé par le développement de l’intelligence artificielle, avec les grands modèles de langage317, à l’instar du robot conversationnel/agent conversationnel ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer/Transformeur Générateur Pré-entrainé) et son homologue chinois Ernie Bot, aptes à disserter, pour les travaux faits à domicile, les travaux de “recherche”, etc.
Ainsi, en cette période-ci où ce sont les objets, à l’instar du téléphone, qui sont dits intelligents (le smartphone ou ordiphone), la tendance n’est pas, universellement, à constater un niveau culturel généralement en progrès chez les étudiant·e·s (dit·e·s de la Génération Z), une des conditions du développement d’une conscience critique, non spectaculaire, c’est-à-dire bien informée et formée (sceptique aussi donc), en permanence. Bien au contraire, l’ordiphone/smartphone s’avère actuellement d’un plus grand apport dans la concrétisation de la civilisation du « tittytainment », projetée par Zbigniew Brzezinski (ancien conseiller à la Sécurité du président états-unien Jimmy Carter, 1977-1981)318 que pour l’acquisition, par les étudiant·e·s, de la culture générale. Déjà que son format ne favorise pas la grande concentration que requiert la lecture de certains livres… N’aidant pas ainsi, dans la mesure du possible, à remédier à ce que déplorait déjà, au début des années 2010, l’intellectuel sénégalais Amady Aly Dieng, à partir de son expérience à l’Université de Dakar (ayant été un terrain africain francophone du mouvement étudiant de mai 1968) : le niveau des étudiant·e·s « laisse à désirer » et « il n’y a plus de grands débats à l’université et c’est bien dommage pour cet espace qui aurait dû préserver cette effervescence intellectuelle pour sa survie. Même au niveau des étudiants, on ne discute plus, sinon les discussions qui tournent autour de la façon de s’insérer dans le marché du travail.
Mais on ne réfléchit plus suffisamment »319… Presque une décennie plus tard, le numérique étant devenu plus présent dans nos sociétés aussi, dans le quotidien des étudiant·e·s en l’occurrence, c’est la même déploration qu’exprime l’intellectuel tanzanien, ayant professé à l’Université de Dar es Salam, Issa Shivji : « Ce campus autrefois célèbre pour ses débats intellectuels pertinents, est aujourd’hui cité pour son silence choisi. Le genre de discours que je me permets aujourd’hui, je parie, doit sonner comme du Grec et du Latin à notre génération néolibérale, aussi bien les étudiants que le corps enseignant. C’est le cas de plusieurs campus africains 320 ». Ce qui arrange bien les régimes africains actuels, généralement non portés, tout comme les précédents, sur l’élévation de la culture générale de la population, une condition de la culture critique, dans la société, de la citoyenneté effective, comme l’affirmait déjà Cheikh Anta Diop avant les indépendances africaines des années 1960 : « Dans un pays neuf c’est le devoir des citoyens de se donner une culture générale très solide de manière à pouvoir juger avec compétence de toutes les questions sur lesquelles ils seront amenés à donner leur avis. Sinon l’édification pourra être monstrueuse 321 » (la volonté des citoyen·ne·s étant évidemment dépendante de certains infrastructures publiques – bibliothèques, centres culturels –, des librairies pour celles et ceux aux revenus permettant l’achat des livres, aux prix souvent prohibitifs).
L’édification des sociétés post-coloniales africaines a, malheureusement, été presque monstrueuse et ne cesse de l’être, malgré tout, en Françafrique comme ailleurs, avec ses inégalités globales criardes, non accompagnées de développement de la conscience organisée pour quelque alternative globale.
Ne sont pas aussi intéressées par l’élévation de la culture générale populaire, des transnationales du numérique tirant profit aussi bien du consumérisme, actuellement massif, de la marchandise numérique dans le monde, sociétés africaines comprises, que de l’expansion conséquente du « crétinisme digital »322, massif aussi, qu’elle propage, plus nocivement au sein de cette jeunesse ayant grandi, voire étant née dans le « spectaculaire intégré ». Surtout dans nos sociétés, à titre de rappel, dépourvues de bibliothèques publiques ou quasiment (« dans les bibliothèques publiques, il n’y a presque pas de livres, c’est honteux », a affirmé la journaliste nigériane Tabia Princewill323), de même, comme il a été déjà dit plus haut, que de librairies dignes de ce nom324, ainsi sans massification de la culture du livre ayant historiquement contribué à la production et diffusion d’une conscience pour l’émancipation, l’abolition de certaines formes d’oppression, l’acquisition dans l’humanité de certains droits, certaines libertés. Ce qui ne revient pas à fétichiser le livre, dont la production et la circulation sont aussi marquées par une emprise certaine, un privilège des dominants, produisant et propageant des idées coucourant à la reproduction de leur domination, hier comme aujourd’hui. Pendant ce temps, l’habitude s’est néanmoins installée de signaler que les patrons des Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft/GAFAM, dans la Silicon Valley états-unienne – bien qu’ayant presque fait de l’Unesco une des principales agences publicitaires du numérique –, scolarisent leurs enfants à l’abri des ordinateurs et gadgets qui font leurs fortunes, leur faisant ainsi acquérir une formation scolaire fondamentale ou dite classique considérée comme consistante (ne signifiant pas culture critique)325. Ce qui sonne comme un aveu de leur conscience des méfaits possibles du numérique, scolaire en l’occurrence, sur des jeunes esprits. Par exemple, l’« enthousiasme général » pour le numérique « dissone lourdement avec la réalité des études scientifiques disponibles.
Ainsi, concernant les écrans à usage récréatif, la recherche met en lumière une longue liste d’influences délétères, tant chez l’enfant que chez l’adolescent. Tous les piliers du développement sont affectés, depuis le somatique, à savoir le corps (avec des effets, par exemple, sur l’obésité ou la maturation cardio-vasculaire), jusqu’à l’émotionnel (par exemple, l’agressivité ou la dépression) en passant par le cognitif, autrement dit l’intellectuel (par exemple, le langage ou la concentration) », soutient le neuroscientifique Michel Desmurget326. De son côté, le neuropsychologue addictologue états-unien, Nicholas Kardaras affirme que « des études récentes d’imagerie cérébrale démontrent sans l’ombre d’un doute qu’une exposition excessive aux écrans peut endommager les neurones d’un enfant en plein développement de la même façon qu’une addiction à la cocaïne […] les drogues digitales peuvent être encore plus insidieuses et problématiques que les drogues illicites parce que nous nous en méfions moins ; en même temps, elles sont omniprésentes, ne cessent de se renforcer et sont mieux acceptées socialement que leurs équivalents psychotropes, les rendant beaucoup plus accessibles »327.
Tant pis donc pour les enfants des autres ; une bonne clientèle en quelque sorte à capturer le plus tôt possible, par contre. Avec l’intelligence artificielle, la réflexion, formatrice de l’esprit, paraît promise à une plus forte marginalité. Pire pour l’esprit critique. Tant mieux pour la reproduction de l’ordre social, ne peuvent que se réjouir les dominants, les géants (états-uniens, chinois, etc.) du numérique compris : à l’heure de la consommation de masse de la technologie numérique « Des études sur la masse de connaissances des Américains du Nord montrent qu’elle est inférieure à celle des pays d’Amérique du Sud, pourtant considérées comme “arriérés”. Les ouvriers français du début du XXe siècle se cultivaient bien plus que ceux du XXIe siècle alors que le savoir est désormais censé être à une portée de “clic” 328 »
Il semble que, misant sur le numérique comme facteur de “développement de l’Afrique”, certaines institutions africaines ont, concernant l’Afrique, confondu, de façon assez intéressée – naïvement aussi ? –, l’efficience du numérique en matière de transfert d’argent (« mobile banking » ou « paiement mobile ») avec une supposée efficacité pédagogique (« e-learning » ou « e-éducation »)329, dont la publicité des MOOC (massive open online courses/cours de masse ouverts en ligne), favorisée par la pandémie de la Covid-19 ayant popularisé le distanciel, se développe en Afrique330. N’est pas accordée une certaine attention aux études, alertes sur la nocivité de cette invasion du numérique sur les systèmes éducatifs, sur la jeunesse, dite avenir de l’humanité331, exposée, semble t-il, à une plus massive précarité intellectuelle, un plus fort déficit de conscience critique.
Par ailleurs, même si une grande partie de la critique du numérique et de la civilisation qu’elle sert et contribue à reproduire/produire passe aussi souvent par des outils numériques, ne doit pas aussi être oublié le fait que les infrastructures d’internet sont essentiellement sous le contrôle des géants transnationaux du secteur – ci-dessus mentionnés – et des États, collant, dans une certaine mesure, à la hiérarchie politico-économique mondiale. Ainsi, est-il, par exemple, question de « colonialisme numérique »332, concernant d’une part la mise en dépendance des pays dits du Sud à l’égard des géants du numérique, des transnationales originaires des pays dits du Nord, d’autre part l’emprise croissante des objets numériques dans les sociétés, dans la vie quotidienne. Colonisation de la vie par le numérique qui favorise la violation des libertés et droits humains, aussi bien par par les États – africains, en l’occurrence, a t-il été dit plus haut – que par les entreprises, donnant au capitalisme actuel une assez particulière dimension de surveillance, dite « capitalisme de surveillance »333.
Les classes dirigeantes, classes dominantes exprimant ainsi aussi plus de conscience que leur domination peut être exposée à un ébranlement qu’il faut prévenir, empêcher, par une surveillance dont le champ s’élargit quasiment en permanence, à la moindre opportunité technologique nouvelle. Ainsi, une dystopie (une mauvaise utopie) est en cours de concrétisation, plus efficace (pour les seigneurs actuels du monde, et à venir, si rien n’est proportionnelement construit contre) que celle du roman 1984, de George Orwell. Comme l’affirmait sans ambages, il y a une décennie déjà, l’homme politique français, Alex Türk, alors président d’une institution officielle française, “indépendante” certes, la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) : « nous sommes entrés dans une autre ère : celle du fichage de masse et du “flicage ludique” […] Aujourd’hui, un citoyen est forcément fiché quelque part, et souvent sur de multiples bases, peut-être seront-elles interconnectées un jour ? Cette transparence, c’est le rêve des multinationales : elles espèrent bien tirer profit de nos profils. C’est une forme de Big Brother convivial [question de la journaliste]N’est-il pas un peu exagéré de comparer les dérives actuelles au Big Brother d’Orwell ? [réponse] Mais ce qui nous attend est bien pire ! Car Big Brother était un système centralisé, on pouvait se rebeller contre lui.
Or, aujourd’hui, nous assistons à la multiplication des nano-Brothers (capteurs, puces électroniques dans les cartes et les portables). Ce sont là des outils de surveillance multiples, disséminés, parfois invisibles. Ils sont donc plus difficiles à contrôler. On ne sait pas qui collecte les données, ni dans quel but, ni pour combien de temps 334 ». Plus de possession, exhibée, des gadgets contenant ces « nano-Brothers » est même valorisante, comme dit plus haut. Pour échapper à cette dévalorisation programmée, il faut acheter la dernière version de telle ou telle marque, ou les dernières applications, permettant généralement d’être plus exposé·e à la surveillance …
Ce propos, concernant la France (pays-des-droits-de-l-homme), de l’alors président de la CNIL, n’empêche pas que le numérique soit ainsi officiellement présenté, postérieurement, parmi les « enjeux sociaux fondamentaux », dans un rapport sur la « rupture technologique » en France : « assurer notre souveraineté dans le numérique, qui est au cœur de la protection et la sécurisation de nos vies privées sur internet et du développement de l’économie et de l’éducation 335 » – « sécurisation de nos vies privées sur internet » par les surveillants ? Un langage qui n’est pas si différent de celui d’Océania, le pays du “Big Brother” de 1984. Ou que « la transformation numérique » comme l’un des « cinq partenariats thématiques » de l’Union européenne ne pose pas quelque problème pour le Rapport Mbembe dont l’auteur, indéniablement attaché aux libertés, en tant que critique des « postcolonies » africaines, ne peut ignorer, par exemple, les surveillance studies (dont le terrain est surtout les sociétés capitalistes développées, prétendument démocratiques) assez éclairantes sur les usages liberticides courants du numérique.
L’affaire Snowden (agent de l’Agence nationale de la sécurité des États-Unis d’Amérique, lanceur d’alerte, en 2013, sous la présidence de Barack Obama336, sur la surveillance numérique exercée par cette agence à travers le monde, en ciblant y compris des dirigeant·e·s politiques allié·e·s, à l’instar de la chancelière allemande d’alors Angela Merkel), entre autres, a rappelé que la surveillance n’était pas qu’une réalité chinoise ou russe, mais aussi états-unienne. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas nouveau : les scandales de flicage états-uniens par le FBI (Federal Bureau of Investigation) des organisations et personnalités politiques (révolutionnaires, des “minorités ethniques” – Noir·e·s, “Indien·ne·s/Natives etc.) dans les années 1960-1970, jusqu’à l’assassinat de certain·e·s de ces citoyen·ne·s états-unien·ne·s surveillé·e·s (à l’instar de Fred Hampton, un dirigeant du Black Panther Party)337, tout comme celui de la surveillance électronique planétaire (alliés d’Europe occidentale compris), pendant les années 1970-1990 (dite Système Echelon), principalement par les États-Unis d’Amérique, avec pour « partenaire privilégié » le Royaume-Uni, et « en situation d’associés plutôt que de partenaires » l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande338, ont généralement été passés à l’ardoise magique, oubliés.
Comme il est dit dans le paragraphe précédent, la France n’est pas, évidemment, actuellement dépourvue de système de surveillance électronique, non seulement de “musulmans” dits “radicalisés”, mais aussi de bon nombre d’autres citoyen·ne·s, de certaines associations, organisations, en dépit de l’existence de la CNIL. Celle-ci ayant, d’ailleurs, une fois au moins, été accusée de complaisance, voire de complicité avec les violateurs officiels des droits et libertés339. La Covid-19 a été aussi, presque partout, un facteur de développement de la surveillance électronique. Y compris par des directions d’entreprises se mettant à surveiller leurs employé·e·s contraint·e·s de travailler à domicile …
Ces pratiques n’ébranlent pas (encore ?) la persistance du discours, aussi bien journalistique qu’académique, sur les prétendues démocraties occidentales, dites même “avancées”, supposées manifester la souveraineté des peuples, au-delà ainsi du supposé respect des droits et libertés des citoyen·ne·s (un peuple souverain ne pouvant que respecter les droits et libertés qu’il s’est données, l’évocation courante de leur respect par ces États supposés “démocratiques” exprime en fait la non souveraineté des peuples concernés… Une partie de ce texte, plus bas, est consacrée à la démocratie). Au moment où il devient pourtant assez évident qu’elles ne sont pas si différentes de la Chine en matière de production (à partir des projets, publics compris, de Recherche & Développement) d’instruments de surveillance des individus, non seulement pour les vendre (aux régimes généralement liberticides africains, par exemple), mais aussi pour en faire usage à la moindre opportunité – la situation chinoise faisant baver d’envie des gouvernants des prétendues “démocraties avancées” –, en violation flagrante des droits et libertés en vigueur dans le pays concerné. À l’occasion, la législation sera adaptée, en bonne et due forme, à la nouvelle donne. Ce que ne cesse de faire le régime de Macron (cf., par exemple, les bilans du premier mandat de Macron en la matière, mentionnés plus haut).
L’État demeurant ainsi un État de droit – auquel est souvent réduite la démocratie –, peu importe la dynamique concrètement régressive, en la matière, dudit droit ; fétichisme du droit aidant.
Dans notre chère Afrique où abondent les régimes non respectueux des droits humains et des libertés fondamentales, au moins les États du Maroc, Rwanda, Togo ont été, parmi d’autres États à travers le monde, cités, à l’issue d’une enquête internationale de journalistes (Forbidden Stories) et Amnesty International (juillet 2021), comme utilisateurs du logiciel espion Pegasus (produit et vendu par l’israélien NSP Group) pour la surveillance des smartphones (“téléphones intelligents” ; ironiquement, le mot anglais “intelligence” se traduit aussi en français par renseignements ou service de renseignements) des défenseur·e·s des droits et libertés humaines, des journalistes, entre autres340.
Et autre révélation, postérieure, le C-B, l’Égypte et Madagascar ont été pourvus en matériel de surveillance numérique par l’entreprise française Nexa, « sous le regard complaisant des services secrets français, et sans que l’État y trouve à redire »341. Le progrès technologique, l’innovation, même avec une bonne raison sociale peut être d’un usage policier, comme le rappelle l’architecte et anthropologue togolais, Sénamé́Koffi Agbodjinou, concernant le Novissi. Ce programme informatisé d’aide financière de l’État aux pauvres, au temps fort de la Covid-19, arrivait directement dans le porte-monnaie électronique de leurs téléphones portables : « Le gouvernement togolais – qui a été épinglé pour son utilisation du logiciel espion Pegasus – a libéré les données des citoyens sans qu’il n’y ait eu aucun débat public et sans même en informer les Togolais. Maintenant que cette technologie a été testée au nom de la lutte contre la pauvreté, elle pourrait aussi être développée pour suivre des gens considérés comme marginaux ou qui ont des comportements considérés comme problématiques du point de vue de l’État »342.
Vu que généralement dans nos pays, aux régimes dont la règle est d’être liberticides, il n’existe pas quelque organisme indépendant contre la violation informatique des libertés, en plus des associations locales de défense des droits humains. Ainsi, à l’heure où il est techniquement possible d’activer à distance tout appareil électronique connecté, les usager·e·s de services électroniques des sociétés capitalistes périphériques d’Afrique font partie, parmi les porteurs/porteuses de ces « chaînes numériques qui nous maintiennent prisonniers de ce capitalisme de surveillance 343 », des moins protégé·e·s du monde. D’autant plus, par ailleurs, qu’en cette matière, pour nombre d’États africains344, la coopération avec la Chine, dont l’État est réputé très performant en matière de surveillance des individus et des associations non inféodées, est souvent préférée à celle avec la France (en train d’inscrire dans la loi cette activation à distance des appareils électroniques connectés) ou autres États de l’Union européenne, non parce qu’elles ne seraient pas performantes en cette matière, mais parce que, à la différence de la Chine, elles peuvent être confrontées à quelque vigilance associative/citoyenne. La Chine pouvant ainsi être considérée, en matière de surveillance électronique, comme l’idéal, atteignable, de ces États africains.
Par ailleurs, on ne peut pas dire que l’innovation technologique est automatiquement porteuse de progrès social pour les classes populaires. Ainsi même la CNUCED dans son Rapport sur la technologie et l’innovation 2021, reconnaît que l’innovation technologique peut être plus porteuse d’« inéquité » – “équité” et ses dérivés tendent à devenir d’un usage plus courant que “égal” et ses dérivés. Il est à craindre qu’il soit bientôt question d’“équité entre les femmes et les hommes” … – même si le rapport demeure prisonnier du technosolutionnisme promu par le capital producteur et marchand de ces innovations technologiques.
Un culte de l’innovation évidemment rentable, faut-il insister, pour toutes les entreprises liées au numérique – en ce temps de propagande pour les start-ups en Afrique –, car chaque innovation rend évidemment obsolète la version précédente, appelle à l’acquisition de la dernière, en attendant la prochaine, du gadget généralement, dont on se serait bel et passé, sans l’alliance de la concurrence et de la fabrication d’un certain consentement au consumérisme abrutissant. Par exemple, « “En moyenne les Japonais changent de mobile tous les dix à douze mois”, indique Yoshimi Ogawa, patronne d’Index Corporation, société japonaise qui vend du “contenu” pour portables345 ».
C’est la valorisation sociale par exhibition de ces gadgets dernier cri, à l’image de tous/toutes ces petit·e·s-bourgeois·es africain·e·s se promenant avec deux smartphones dans la main, voire trois, parfois portées par quelque subalterne quand il s’agit d’un·e capitaliste, d’une autorité politique ou administrative. L’évitement de la baisse tendantielle de la valorisation sociale consistant en une mise à jour exhibée de son consumérisme. Celui-ci ne se limite pas à la tranche supérieure de ladite classe moyenne et la classe située au dessus, car il semble que des smartphones sont désormais calibrés pour une clientèle de la tranche inférieure des classes moyennes africaines (le smartphone n’est-il pas déjà devenu ou en voie de devenir plus populaire que le jean ?). Cependant, avec une obsolescence programmée pour un terme plus court, l’acheteur/acheteuse étant d’ailleurs conscient de la relation entre le bas coût et le bas de gamme de son appareil, quitte à continuer à exhiber celui qui ne fonctionne plus, en attendant d’en posséder un autre …
Ainsi, l’innovation techonologique consolide le pouvoir de l’imaginaire capitaliste, face auquel il n’y a presque plus, de nos jours, de véritable conscience critique collective organisée ou de résistance assez manifeste en Afrique. Il y a une quinzaine d’années, dans l’intelligentsia africaine francophone, Jean-Marc Éla avait recommandé un « devoir de vigilance critique » à l’égard d’internet qui lui apparaissait aussi comme « un véritable fétiche et la superstition du monde d’aujourd’hui »346. Ce qui semble n’avoir pas été bien entendu au sein de l’intelligentsia africaine, aussi par son compatriote Mbembe, promoteur d’une néophilie technologique347. À laquelle il aurait pu mettre un bémol eu égard au fait qu’il ne pouvait en ignorer la nocivité, la « durabilité écologique et sociale » apparaissant comme une référence paradigmatique dans le rapport (présenté comme « très critique ») : « De tous les défis auxquels fait face le continent, celui de la durabilité écologique et sociale est donc le plus urgent et le plus décisif. Il en est ainsi parce que le changement climatique, la surexploitation des ressources naturelles, la perte de la biodiversité et la dégradation environnementale auront pour conséquence l’affaiblissement des capacités de résilience des sociétés » (p. 20).
En d’autres termes, avec quelque pincée de culturalisme : « Toutes ces dynamiques socio-environnementales et géoéconomiques ne se manifesteront pas dans toutes les régions de la même manière, mais partout, elles remettront au premier plan la question de savoir si les modèles de développement mis en oeuvre depuis la colonisation et reconduits grosso modo dans la foulée de la décolonisation sont compatibles avec la préservation du vivant en général et, en premier lieu, des mondes écologiques, sociaux et culturels africains » (Rapport Mbembe , p. 18). Sans partager la mention implicitement essentialiste de ces « mondes […] africains », il est assez évident de nos jours que le culte voué à la technologie, depuis le mitan du 20e siècle, et surtout ces dernières décennies, affecte gravement le vivant en général, est incompatible avec la « durabilité », dans une acception autre que celle courante, très dévoyée.
En effet, si ledit développement durable a été au départ pensé, non sans quelque candeur, comme une réorganisation de l’économie sur le principe d’une exploitation des ressources, une production des biens soutenables pour la nature et d’une coopération internationale luttant contre la pauvreté, dans le Tiers-Monde, permettant de mettre fin à son cortège de “déficits” socio-économiques, dont des inégalités sociales flagrantes, qui l’accable encore quatre décennies après la bonne intention exprimée, pendant la période de reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, par Harry Truman348, au moment où est publié le Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, dit Rapport Brundtland (1987)349 commandé par l’ONU. Critique de la nocivité environnementale du développement de la période antérieure, le rapport recommandait aussi un rééquilibrage entre les pays dits industrialisés ou développés et ceux ne l’étant pas (encore ?).
Il n’en demeure pas moins que le « développement durable » n’est pas, dans ledit rapport, conçu dans une critique de l’idéologie de la croissance. Voire le développement, auquel devrait accéder le Tiers-Monde, grâce « à la refonte du système économique international de coopération » (Rapport Brundtland, p. 8) – le « Nouvel ordre économique international » revendiqué par les États dits du Tiers-Monde350 au cours de la décennie précédente –, est sous entendu comme développement capitaliste, même en ces années, les toutes dernières, a postériori, de la guerre dite froide. L’économie mondiale est ainsi souvent mentionnée comme si elle était déjà “unipolaire”, en cette décennie 1980, du « grand cauchemar » (F. Cusset), au cours de laquelle s’est amorcée dans une partie de l’intelligentsia, française en l’occurrence, la renaissance de l’idéologie de la fin ou mort des idéologies (énoncée par l’États-Unien Daniel Bell au mitan desdites “Trente Glorieuses”351), siginifiant ainsi qu’il n’y avait plus de capitalisme352. Ce terme devenant aussi ainsi imprononçable car prétendu caduc ; les classes sociales également, leur antagonisme en fait, car il n’existait plus que … des « classes moyennes » ou une « classe moyenne » dans les sociétés “développées” ou “occidentales” (un adjectif exprimant souvent une mixture de géopolitique et de culturalisme), “capitalistes” étant à éviter dans la mesure du possible. Il en était, en est encore, autant dans le discours des agences des Nations unies pomouvant généralement l’illusion d’une humanité, des États membres, partageant, consensuellement, l’idéal de réalisation à terme d’un bien être commun – grâce au Progrès –, dont elles assureraient comme la coordination.
Alors que le fonctionnement des Nations unies est à rebours de la réalisation d’un tel idéal. Ce que prouve à suffisance la suite donnée au Rapport Brundtland ne suggérant pas, faut-il le réitérer, un changement socio-économique radical, mais quelques réformes : « une nouvelle ère de croissance de l’économie mondiale pourrait élargir les choix qui s’offrent aux pays en développement. À l’heure actuelle, il est nécessaire de procéder à des réformes au niveau international pour traiter simultanément des aspects économiques et écologiques dans des conditions qui permettraient de stimuler la croissance des pays en développement tout en donnant un poids accru aux préoccupations relatives à l’environnement » (p. 178).
Les « sociétés transnationales » étant aussi appelées à s’impliquer dans cette prétendue harmonisation de la croissance économique et de l’écologie (par exemple, p. 168-172 : « Nécessité d’un sens des responsabilités dans les investissements des sociétés transnationales »)353. Ainsi, de l’Agenda 21 adopté au Sommet de la Terre (Rio de Janeiro, 1992) aux déclarations finales des éditions successives de l’annuelle Conférence des Parties (COP, 28 à ce jour), en passant par le Protocole de Kyoto, celui de Carthagène (Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique), il s’est établi une sorte de discours écologique officiel, superficiel, d’écologie-spectacle354, en fait de subordination concrète de l’écologique à l’économie de la croissance (capitaliste). Autrement dit une dynamique de continuation, voire d’intensification ou d’accélération de la dégradation de ce vivant que la supposée « communauté internationale » est censé préserver, que consacrent aussi bien par les onusiens Objectifs de développement durable, en fait de diversion durable, échappant généralement à la critique, que la promotion faite ces derniers temps de l’« économie bleue ».
C’est-à-dire l’exploitation systématique, à venir, des océans, au-delà de la pêche industrielle, de façon “durable”, présentée par certains (Banque africaine de développement/BAD, Commission économique pour l’Afrique/CEA ou UNECA, etc…) comme une opportunité à saisir par l’Afrique. Le Rapport Mbembe parle « des océans, des forêts ou d’autres éléments du capital naturel (l’eau en particulier) » (p. 121). Le naturel considéré comme capital, ça doit surtout rapporter du profit, comme le prouve le traditionnel extractivisme. Le Rapport Mbembe, peut-on dire, « ne parle que selon la logique que lui dicte le marché »355.
En effet, le Rapport Mbembe adhère à ce qui est considéré comme un « escamotage du développement durable en durabilité », c’est-à-dire l’appauvrissement du sens de « développement durable » accompagnant son appropriation répandue, débarrassée des aspects que l’on dirait candides du Rapport Brundtland, relevé par Romain Felli, ayant quelques années auparavant déjà distingué le développement durable de l’écologie politique : « Il faut non seulement distinguer les idées de durabilité et de développement durable, mais reconnaître qu’elles peuvent être partiellement antagonistes. La durabilité suppose une double réduction. Elle réduit le développement durable uniquement à la question de la compatibilité entre croissance et environnement (oubliant au passage la question de la satisfaction des besoins des plus dénumis). Et elle réduit les riches relations biologiques, métaboliques, éthiques, esthétiques qui constituent l’“environnement” à un “capital” dont il s’agit d’optimiser le rendement par rapprt aux prélèvements (d’où les débats poussifs sur l’opposition entre durabilité faible et forte, etc.). Ne posant pas la question des fins, la durabilité évacue les conditions dans lesquelles la production économique prend place, c’est-à-dire la question du capitalisme. À ce titre, elle est une idéologie profondément dépolitisante, hypostasiant la rationalité économique du capitalisme 356 ».
Le Rapport Mbembe fait même pire en affirmant dans le cadre de la « refondation » que « si la nouvelle relation entre la France et l’Afrique doit se construire sur les grands défis à relever en commun, les premiers sont la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité. Ils mobilisent toutes les générations », propos sensé suivi juste après par « La France et le président de la République sont déjà perçus comme fortement engagés dans la promotion de l’Accord de Paris ». Celui de la COP21, de 2015 qui, soit dit en passant, n’est pas si écologique que le claironnent les officiels et les médias acquis à l’écoblanchiment, vu, incroyablement, mais assez logiquement, selon la logique de la communauté internationale des puissants, contrôlant l’ONU : ladite COP 21 a ignoré le problème crucial des énergies fossiles qui sont un gros facteur des gaz à effet de serre, dont l’émission devrait être sérieusement réduite avant 2030357.
Cette affirmation du Rapport Mbembe ne manque pas de cran, pouvant même être prise, tout simplement, pour de la flagornerie, eu égard à la confrontation d’une telle appréciation aux faits – aucun fait n’étant d’ailleurs mentionné en illustration de cette prétendue exemplarité (alors que le rapport est appelé à n’être pas lu que par le commanditaire, au fait de ses supposées propres actions de promotion de la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi à être publié, en tant que document historique). Apparemment, comme avait déjà été constatée la fin de la Françafrique, quatre mois avant le Sommet de Montpellier, par un membre du « comité Mbembe » (cité plus haut), celui-ci, ou plutôt Mbembe, en savait plus que bien d’autres sur des actes écologiques, apparemment secrets, de la présidence Macron. Plus que le ministre de la Transition écologique et solidaire (une dénomination du ministère qui relevait déjà du mensonge de la pseudo-écologie officielle, eu égard au culte de la croissance – incompatible avec ladite « transition écologique » – bien maintenu par la présidence de Macron, en bonne continuité avec ses prédécesseurs), l’écologiste très médiatique, Nicolas Hulot, ayant démissionné du gouvernement après moins d’un an et demi, en aôut 2018, en affirmant, entre autres, qu’ « À partir du moment où je restais, je cautionnais une forme de mystification 358 », bien que son écologie ne pose pas « la question du capitalisme ». La présidence macronienne ayant été confrontée, en mars 2019 à une « marche du siècle » (française) pour le climat dont l’un des slogans était « Stop au blabla, place aux actes »359. Ce n’est même plus de l’escamotage. Présidence de Macron dont le Pacte productif 2025 (2019), appelait par exemple à une accélération de la « numérisation de la société française […], 15ème sur 28 dans le classement de la Commission européenne relatif à l’économie et la société numérique »360, proposant ainsi de faire pire, malgré la part déjà importante d’émission de CO2 par le numérique, prétendant en même temps à une forte compétitivité et une décarbonation de la production française.
Sans parler du projet de la supposée réindustrialisation, contre les delocalisations françaises des dernières décennies du 20e siècle, ne tenant pas, apparemment, compte du fait que l’industrialisation des 19ème et 20ème siècles a été l’un des facteurs de la dynamique écocidaire. Présidence macronienne dont, en décembre 2020 (soit quelques semaines avant la mise en mission du « comité Mbembe »), le « directeur général de Greenpeace France » constatait que « Cinq ans après l’élan de la COP21 la présidence Macron se présente à ce nouveau sommet [Ambition Climat, 5ème anniversaire dudit Accord de Paris] sans résultats probants sur son propre bilan, et au contraire sommé par la justice de démontrer la crédibilité de son action. Pourtant plutôt qu’accélérer, Macron s’apprête à faire du projet de loi de la Convention Citoyenne pour le Climat un joli paquet cadeau vide de toutes mesures structurantes »361. Constat erroné de l’ONG écologiste, ainsi apparemment très mal informé, au contraire de Mbembe ? Ou des progrès ont été accomplis en la matière par la présidence Macron, entre décembre 2020 et octobre 2021 ? Même le Conseil d’État (la plus haute juridiction administrative de France) a relevé, très poliment, des « insuffisances » de la présidence macronienne en matière de respect des engagements de politique climatique enjoignant, par conséquent – alors que se menait la mission du « comité Mbembe » – « au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022 362 », en évacuant évidemment les « conditions dans lesquelles la production économique prend place, c’est-à-dire la question du capitalisme ». Présidence macronienne dont le remarquable appauvrissement, voire le traitement méprisable, des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (une prétendue innovation démocratique macronienne) par la Loi Climat de mai 2021, afin de plaire aux multinationales, écocidaires, du CAC 40 (indice de la Bourse de Paris)363, avait été dénoncé par une manifestation appelée par des centaines d’organisations.
Ainsi, comme les autres puissances économiques, pyromanes, écocidaires, l’État français, sous Macron, ne peut pas être considéré comme appliquant consciencieusement rien que ce qui, produit par les conférences spectaculaires onusiennes364, peut être considéré comme facteur ou promesse de quelque progrès minimal dans le combat écologique, pour le « développement durable », en l’occurrence, de quelque engagement « dans la promotion de l’Accord de Paris » que lui prête le Rapport Mbembe – peut-être que le terme important dans le propos dudit rapport est « promotion », dans l’acception commerciale ou publicitaire de “réclame”. S’il est souvent affirmé bruyamment ces dernières années que l’empreinte carbone de la France est en diminution – insuffisamment certes et par ailleurs plutôt conjoncturelle que structurelle : conséquences économiques du Covid-19, de l’invasion russe de l’Ukraine … –, c’est en ne tenant pas compte, en ce temps d’aggravation du libre-échangisme, des émissions de ses entreprises à l’étranger, de la hausse de ses émissions importées (incluses dans les marchandises importées, à l’instar du gaz naturel liquéfié, émetteur de méthane CH2 – 25 fois plus nocif que la même masse de CO2 – importé du Texas, des appareils électroniques…)365, voire des transports internationaux aériens et maritimes (la prolifération des porte-containers sur les mers, et déjà la production de ces containers) impliqués. Ce qui est en partie, un effet en retour de la délocalisation motivée, évidemment, par la réalisation de plus de profit (la délocalisation s’étant effectuée vers les pays ou régions aux moindres coûts de production366, laxisme en matière de protection de l’environnement inclus…).
Cependant, au moment où il est question de progrès réalisés par la France concernant l’empreinte carbone, il est programmé une relocalisation industrielle en France. Peut-être que ceci, entre autres, contribuera à une bonne évaluation de son empreinte carbone.
La documentation sur l’« inaction climatique » de la présidence Macron – le problème du climat n’étant qu’un aspect du problème écologique, ne pouvant être résolu que dans l’articulation de tous ses aspects, en sortant ainsi de la conception traditionnelle en silo – n’étant pas alors rare, ne pouvait pas être inconnue de Mbembe et son comité, considérant en fait compatibles le néolibéralisme pratiqué par Macron et la « transition écologique ». Mais, comme le disait Césaire, « on ne peut pas dire que le petit bourgeois n’a rien lu. Il a tout lu, tout dévoré, au contraire. Seulement son cerveau fonctionne à la manière de certains appareils digestifs de type élémentaire. Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise » (Discours sur le colonialisme).
En effet, la particulière légèreté, l’appréciation irresponsable émise dans le Rapport Mbembe concernant la politique écologique du chef de l’État français est un choix – celui de s’en tenir aux discours que l’on peut même dire mensongers, plutôt qu’à la politique concrètement menée. Le moment étant celui postmoderne dans lequel prévaut, entre autres, le « récit ». Macron a d’ailleurs ainsi exprimé l’intérêt qu’il porte à la question du réchauffement climatique, en déclarant, postérieurement au Sommet de Montpellier, à l’occasion de ses voeux aux Français·e·s pour 2023, cette incroyable énormité : « Qui aurait pu prédire la vague d’inflation ainsi déclenchée [par l’agression russe de l’Ukraine] ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? ». Concernant le climat, il ne peut s’agir que d’une ignorance plutôt feinte, prenant très maladroitement les Français·es à son écoute pour des gogos, amnésiques, vingt-deux ans après le premier rapport du Giec. Malgré tous les phénomènes climatiques inhabituels se produisant, se succédant, en France comme ailleurs dans le monde, dont il est, sans aucun doute, question dans les dernières COP (sept déjà – quatre avant le Sommet de Montpellier –, pour ne s’en tenir qu’à ses mandats présidentiels). Des COP mettant l’accent sur l’aide financière à apporter (avec une contribution française, entre autres) à certains pays dits pauvres grandes victimes des dégâts écocidaires, de la crise climatique supposée imprédictible.
La dynamique “écologique” dominante tendant, emprise de l’imaginaire financier oblige, à privilégier la promesse de “réparation” financière ou de l’“aide” que la lutte résolue – possible, à partir des prévisions du Giec, de l’Ipbes, d’options considérées comme nécessaires par des mouvements écologistes radicaux, etc. – contre la catastrophe à venir. Autrement dit, contribuant ainsi comme à la programmation de la catastrophe, campagne étant déjà menée un peu partout pour l’adaptation, la résilience367.
Dynamique dans laquelle s’inscrit effectivement le Rapport Mbembe soutenant que « La généralisation des marchés et des prix du carbone et la mise en place d’un prix plancher international du carbone différencié par niveau de développement est une voie à explorer » (p. 28). Il s’agit pour les petits émetteurs de CO2 – les pays peu industrialisés, à l’instar de la quasi-totalité des économies africaines – de pouvoir vendre leurs supposés parts non émises de gaz à effet de serre à de grands émetteurs, dépassant leur quota d’émission. Marchandisation plutôt que diminution planétaire des émissions. Un deal indécent, disposé dans le protocole adopté par la COP3 de Kyoto (1997), consacrant, dans ses articles 6 et 17, cette marchandisation de l’émission des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, hexafluorure de soufre, hydrocarbures perfluorés, hydrofluorocarbones, méthane, oxyde nitreux, protoxyde d’azote), avec l’instauration d’une “Bourse de carbone”, dans le cadre dudit développement durable. Soit la croyance en la résolution de la crise climatique par le marché, par le capitalisme qui en est pourtant le facteur principal, par son addiction à la croissance. Une incapacité notoire, en effet, à sortir du si intoxiquant imaginaire marchand/capitaliste368. Ainsi, c’est la pseudo-solution rendue dominante, avec une forte tendance à l’unicité, vue qu’en plus de l’ONU et de ses États membres (dont la mauvaise foi dans la lutte contre l’écocide en cours, ne cesse néanmoins de gagner en visibilité, de conférence internationale – comme pour bien affirmer cette mauvaise volonté la COP28, 2023, a été organisée aux Émirats Arabes Unis et présidée par le PDG de l’entreprise pétrolière nationale ! le suivant va l’être en Azerbaïdjan ! – en programmes nationaux ou régionaux, en passant par quelque déclaration officielle climatosceptique à la Trump président états-unien), elle est soutenue, en toute logique, par le grand Capital. Celui-ci étant représenté, par exemple, par le Forum de Davos, dont la grand-messe annuelle – entre autres, un ballet d’émission de gaz à effet de serre – connaît la participation du gratin économicao-politique du capitalisme international, mais aussi la caution de quelques ONG réputées humanitaires, écologistes, contribuant ainsi à la légitimation de l’écoblanchiment/greenwashing, du capitalisme vert, de la croissance verte ou du développement (capitaliste) durable369.
Durabilité du capitalisme que soutient assez clairement le Rapport Mbembe en affirmant encore qu’« Il n’y a plus de modèle de développement viable qui ne concilie croissance économique, équité sociale et préservation de la planète » (p. 12). Ainsi, l’option de la « transformation agro-industrielle » en Afrique censée « relie[r]en un même faisceau les enjeux politiques, économiques et environnementaux », avec pour guides la France et l’Union européenne. Autrement dit sur le modèle de la PAC, et autres initiatives de philanthrocapitalistes, d’institutions financières multilatérales et consorts, déjà en cours en Afrique, dont aucune n’est pourtant attestée écologiquement viable. Tout comme la considération selon laquelle « l’enjeu est […] d’accompagner le développement des entreprises africaines. Certaines se sont considérablement renforcées ces dernières années, devenant de véritables multinationales. Elles se sont forgées autour des mines, du pétrole ou des télécommunications.
Des “licornes” commencent aussi à faire leur apparition dans le domaine des start-ups et de la tech » (p. 93) – concernant ces licornes, on dirait une adaptation africaine concentrée des souhaits exprimé par Macron, alors ministre de F. Hollande : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires 370 », puis président, d’une France en start-up nation. Ces « entreprises africaines [… ] devenant de véritables multinationales » – dites “Lions” par McKinsey, dont des “African Globalizers”, selon un autre cabinet conseil371 – ne pouvant, vu leurs champs d’activités, qu’être addictes à la croissance capitaliste, que développer l’extractivisme et, par la consommation des marchandises liées à celui-là, plus accroître l’émission de gaz à effet de serre, contribueraient “en même temps”, selon une bien particulière logique, à la « préservation de la planète ». Eu égard, probablement, au fait que selon le Rapport Mbembe, « depuis 2018, la France est engagée dans le soutien à la transition énergétique et au déploiement des énergies renouvelables » (p. 74) – en Afrique semble t-il. Ces énergies dites renouvelables – une autre dénomination trompeuse 372 – dont les liens à l’extractivisme, à la consommation d’eau, etc., ne sont pas souvent présentés de façon approfondie, tout comme certaines autres conséquences qui résulteraient de leur développement au service du productivisme-consumérisme, du divin Profit. Ironie de l’histoire, des entreprises productrices d’énergies fossiles sont en train d’y investir, pour la rentabilité plutôt que pour la supposée « transition énergétique » – en fait un slogan comme sait en produire la « communauté internationale », très habile en diversion – qu’elles s’activent à rendre ainsi davantage illusoire. D’autant plus qu’elles ne trouvent pas plus d’intérêt à sa réalisation. Les solutions technologiques prétendues écologiques ne sont intéressantes pour l’industrie pétrolière que quand elles contribuent à l’augmentation de leurs profits, de leur production… pétrolière373.
Ainsi, dans le cas de la France, censée aider l’Afrique pour ladite « transition énergétique », au climatologue Jean Jouzel (ancien vice-président du Giec, espérant pourtant le passage à un supposé capitalisme vert374) appelant, comme cet organisme intergouvernemental et d’autres, à l’arrêt des investissements dans les énergies fossiles, plutôt qu’à leur démultiplication climaticide, comme amorce de la supposée « transition énergétique », dans le cadre de la « transition écologique », le PDG de la pétrolière française TotalEnergies, grand acteur du capitalisme mondial, censé être aussi sensible à la supposée « transition énergétique », à la « transition écologique » (alors qu’elle est l’une des entreprises pétrolières qui savaient depuis le début des années 1970, voire les années 1950, les conséquences à venir de l’émission massive de carbone par l’industrie pétro-gazière375), lui faisait remarquer (dans le cadre de l’université d’été du syndicat patronal français, le MEDEF, à laquelle Mbembe avait déjà participé une fois, « à l’invitation de Madame Laurence Parisot, présidente du MEDEF » avait-il précisé376, apparemment un “honneur” qui lui avait été fait par la porte-parole du Capital français) qu’il ne fallait pas rêver : « Cette transition, je suis désolé Jean, mais elle prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques mais il y a la vie réelle 377 ». Pour le PDG de la championne mondiale des investissements pétroliers et gaziers, de la « vie réelle » ne font pas apparemment partie, à l’en croire, les hausses de température sur tous les continents, la fonte de la glace dans l’Arctique, l’élevation du niveau de la mer, les inondations, les incendies de forêts, etc. et les conséquences qui en découlent concrètement, affectant des vies humaines, “animales” et végétales.
La dite « vie réelle » n’étant que celle rythmée par le profit, non pas celle d’une science tâchant d’avoir une conscience. La justification de l’attachement entêté à la production essentiellement du pétrole et du gaz par la croissance de la demande laissant penser qu’il s’agit d’un phénomène naturel, non pas une conséquence de la dynamique du phénomène social-historique qu’est le capitalisme, producteur de besoins « non naturels et non nécessaires » (dirait le philosophe grec antique Épicure) mais bien rentables, destructeur de la nature essentiellement pour le profit.
L’annonce de nouveaux investissements dans le monde de la pétrolière française, très présente en Afrique, au-delà du « pré carré », ne s’est pas, en effet, arrêtée (sa dernière grosse affaire en Afrique, en partenariat avec la China National Offshore Oil Corporation/CNOOC, est celle traitée par le document des Amis de la Terre et Survie378 ; les populations voisines, déguerpies, avec promesse de dédommagement, ou demeurées dans les environs, semblent considérées comme étant hors de la « vie réelle »). Dans le cadre de cette frénésie d’investissements, entendra t-on bientôt parler de quelque exploration par TotalEnergies des Îles malgaches en voie d’accaprement colonial par la France ? Les pétrolières, gazières et charbonnières misant sur le technosolutionnisme (capture/élimination du CO2) plutôt que sur l’arrêt des investissements, la sortie des énergies fossiles (que ne prescrit aucun engagement, aucune contrainte de la communauté internationale des puissants, contrôlant l’ONU). Bien au contraire, la bonne conscience écologique de la France et des autres membres de l’Union européenne a consisté, entre autres, à considérer, par ukase, le gaz naturel comme étant une « énergie verte », pour la supposée « transition énergétique » (vers le capitalisme vert, en l’occurrence). Car, ce que ne pouvaient ignorer les expert·e·s de l’Union européenne en la matière, il était établi, depuis au moins déjà deux décennies, que le méthane, qui en est le principal composant (à 95 %) est 84 fois plus nocif que le CO2, sur vingt ans, 25 à 30 fois sur cent ans.
Et l’alerte avait été lancée, au cours de la décennie 2010, sur son augmentation dans l’atmosphère379. Mais qu’importe, tant que c’est pour le profit. Tant pis pour la vie, celle considérée comme non réelle ou hors de la « vie réelle ». Comme il a été déjà dit, Total et d’autres pétrolières savaient depuis les années 1970, voire les années 1950, la menace sur le vivant que représentaient leurs activités et ont choisi le silence, le déni, le doute, puis le discours de l’écoblanchiment (développement durable, croissance verte, etc.). Cette falsification officielle et sans gêne par l’Union européenne de la connaissance scientifique, le verdissement du climaticide gaz dit naturel, a évidemment fait frétiller les États africains producteurs du gaz dit naturel, rassurés de pouvoir en exporter davantage vers l’Union européenne concurremment à la Russie, agresseuse de l’Ukraine ; une manne pour les kleptocrates de ces États. Au-delà desquels le niveau de conscience écologique prouvée, d’engagement à lutter contre l’écocide capitaliste des dirigeants africains est inversement proportionnel à l’exposition très élevée de l’Afrique à ses conséquences, déjà subies violemment ces dernières années concernant le réchauffement climatique.
En effet, à la veille de la COP28 de Dubaï (Émirats Arabes Unis), le 1er Sommet africain pour le climat, une initiative de l’Union Africaine, ayant réuni des « chefs d’État et de gouvernement africains […] en présence d’autres dirigeants mondiaux, […]d’organisations intergouvernementales, d’agences des Nations Unies, du secteur privé, d’organisations de la société civile », etc. a pondu une déclaration insipide, un catalogue des principales mesures de diversion produites, depuis la fin du 20e siècle, par la « communauté internationale », de la COP3 de Kyoto (1997) à la COP27 de Sharm-El-Sheik, en Égypte (2022), en passant la COP21 de Paris (2015), adaptées, à une Afrique, leur Afrique, présentée comme attachée à la « croissance », pour une « croissance verte », « la croissance verte et des économies inclusives »380, pour des « chaînes d’approvisionnement vertes à l’échelle mondiale », se caractérisant par un « esprit d’entreprise […] posséd[ant] « les fondamentaux nécessaires pour ouvrir la voie à une voie compatible avec le climat en tant que pôle industriel prospère et compétitif en termes de coûts », devant « accélérer encore l’opérationnalisation de l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) », « prendre la tête du développement de normes, de mesures et de mécanismes de marché mondiaux pour évaluer et compenser avec précision la protection de la nature, de la biodiversité, des co-bénéfices socio-économiques et de la fourniture de services climatiques », etc.
Comme par hasard, ce premier sommet s’est tenu après la COP27, que certains envisageaient comme “COP de l’Afrique”, dont la déclaration parle en termes de « succès de la COP27 et des résultats historiques, en particulier en ce qui concerne les pertes et dommages, la transition juste et l’énergie ». Les délégations africaines étant très dynamiques concernant les solutions financières aux dégâts climaticides, à l’instar du commerce des crédits carbone. Cette déclaration incohérente exprime l’imaginaire dystopique des dirigeants africains, ignorant apparemment que la croissance dite verte est défendue par ceux qui sont déterminés à ne pas abandonner les énergies fossiles. Ayant, bien au contraire, préféré classer comme énergie propre, une énergie fossile, faisant baver certaines kleptocraties africaines, ayant un très puissant effet de serre. Et vu l’intérêt, reconnu de l’humanité tout entière, que ces chefs d’État et de gouvernement ne cessent de manifester pour la réalisation de l’égalité dans leurs pays respectifs, ils n’ont pas manqué d’appeler « les dirigeants du monde à comprendre que la décarbonisation de l’économie mondiale est également une opportunité de contribuer à l’égalité et à une prospérité partagée »…
Les dirigeants de l’Union européenne, à laquelle se fie le Rapport Mbembe, pensent, mais sans le proclamer, comme l’avait fait George Bush père, en représentant de l’hégémon, jouissant de la disparition récente de la puissance rivale, à l’occasion du Sommet de la Terre (Rio de Janeiro, 1992 ; le premier grand sommet après le Rapport Brundtland ayant lancé l’expression-projet « développement durable ») que leur « mode de vie [états-unien] n’est pas négociable », non sans soutien dans une grande partie des populations éduquées dans/par l’imaginaire productiviste-consumériste. Ainsi, il ne peut être question pour le capital pétrolier et gazier, alors que « la demande croît », c’est-à-dire plus de profits en perspective, d’appeler à une économie de la sobriété, sortir du culte de la croissance du PIB (ne parlons pas surtout de décroissance381), qui serait une profanation du divin Profit. C’est probablement en prévision d’une croissance durable de la demande – facteur, entre autres, du long temps que prendra la transition, cher au PDG de TotalEnergies – que « La France veut aussi réfléchir aux accompagnements nécessaires pour un scenario à plus de quatre degrés d’ici à la fin du siècle. Un mauvais songe 382 ».
Cauchemar qui pourrait se réaliser, au niveau global, vu qu’après le ralentissement de l’économie mondiale causé par la pandémie de Covid19, au plus fort de sa propagation, la course permanente à la croissance a repris son cours dans toutes les économies, incitées par les institutions économiques internationales et, évidemment, motivées par l’insatiable accumulation des profits par les capitalistes. Les émissions de gaz à effet de serre ont ainsi retrouvé leur croissance coutumière, réalisé comme un rattrapage selon le Programme des Nations unies pour l’environnement : « les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2) n’ont jamais été aussi élevées qu’en 2022 […] De même, les émissions de méthane (CH2), d’oxyde nitreux (N20) et de gaz fluorés, qui ont des pouvoirs de réchauffement plus élevés et qui sont responsables d’un quart des émissions actuelles de GES, sont en hausse rapide »383. Retour du culte de la croissance, même prétendument verdie, de la compétitivité économique, de la course à l’émergence pour les économies de la périphérie (du Sud) – projet économique, ouvertement affiché ou non, de nombre d’États africains, ou déjà acquisition par toute l’Afrique du statut de « pays à revenu intermédiaire », projetée par la Déclaration du 1er Sommet africain sur le climat.
Par conséquent l’année 2022 a connu le dépassement « à 86 reprises [d]es moyennes préindustrielles de plus de 1,5 °C. Le mois de septembre, en particulier, a été le plus chaud jamais enregistré, la température moyenne dépassant celle du précédent record de 0,5 °C et s’établissant à 1,8 °C au dessus des moyennes préindustrielles ». Et comme il a été rapporté par la suite, 2023 a été pire, 2024 va fort probablement battre 2023. Le plafond de 2 °C en 2100 fixé par l’Accord de Paris (COP 21, 2015) devient davantage chimérique. Celui de 4 °C considéré, bien avant la COP21, comme « scénario à éviter absolument » (dixit Jim Yong Kim, président d’alors du Groupe de la Banque mondiale)384, mais « plus probable qu’improbable », au cas où il n’y aurait pas quelque « nouvel effort d’atténuation » (selon le GIEC)385, semble désormais une possibilité réaliste. À la réalisation de laquelle travaille en fait la dynamique en cours de l’économie mondiale (capitaliste). Vu, par exemple, que la COP28 – à Dubai ! – a préféré blablater que prendre quelque résolution sur une baisse conséquente, nécessaire et urgente de la production des énergies fossiles, l’arrêt des investissements dans le secteur, aussi bien que dans d’autres principaux émetteurs des gaz à effet de serre, sur un processus de concrétisation de la décarbonation des économies. Et, il est presque certain que la COP29 à venir – à Bakou (en Azerbaïdjan, pétrolière aussi) – ne fera rien avancer… Ainsi le discours de la lutte contre le réchauffement climatique, inefficient et, voire parce que, préjudiciable à la capitaliste valorisation de la valeur, paraît déjà supplanté par celui de l’adaptation au réchauffement climatique. Adaptation consistant ainsi à n’adopter que les pseudo-solutions préconisées par le Capital, soucieux de sa propre reproduction plutôt que de transformation radicalement viable/écologique, paradigmatique, des rapports avec le vivant (humain compris, avec ses rapports sociaux) fondamentalement incompatible avec ladite reproduction, dont la nature écocidaire n’est plus à démontrer.
C’est l’orientation généralement choisie par les États (capitalistes) et que certain·e·s nomment « inaction climatique » des gouvernements, à l’instar de celui de Macron. Malgré la gravité de la situation, manifestant plus que jamais la criminalité du capitalisme à l’égard du vivant, aucun pas n’est encore réellement esquissé par les grandes puissances politiques et économiques (transnationales comprises) et les institutions qu’elles contrôlent (Banque mondiale, FMI, OCDE, Banque africaine de développement et autres banques dites régionales, des agences onusiennes …) vers sa fin, il n’y aucun signe indiquant la fin de leur schizophrénie écocidaire. Sans sous-estimer de quelque façon que ce soit les crimes, y compris génocidaires, commis par l’expansion coloniale européenne et du capital, les génocides du 20e siècle (du Sud-Ouest Africain à celui en cours à Gaza, en passant par le génocide des Arméniens, la Shoah, le tutsicide au Rwanda) et autres crimes des régimes totalitaires, nous assistons à l’organisation du plus grand crime de l’humanité. Qui à la différence des précédents frappera en même temps tous les continents, inégalement probablement, détruira une grande partie du vivant, au-delà des humains. Pour quoi ? Pour la préservation de l’accumulation capitaliste d’une infime minorité de l’humanité et sa jouissance. Une infime minorité dont, par ailleurs, le prétendu prestige n’est presque pas actuellement égratigné, bien au contraire, vu qu’elle organise aussi, contrôle la reproduction de l’imaginaire quasi absolument dominant.
Certes, le Rapport Mbembe ne pouvait prévoir ces énormités françaises et européennes (UE), qui toutefois s’inscrivent bien dans la logique du supposé capitalisme vert opté, de façon indéniable, par cette France, cette Union européenne, que le Rapport Mbembe a érigées en modèles, en guides pour l’Afrique. Avec une claire référence au président français (cf. plus haut), alors que pour son compatriote et climatologue, J. Jouzel, confirmant les bilans dressés avant le Sommet de Montpellier, cités plus haut, « Il faudrait [qu’à]la tête de l’État, Emmanuel Macron cesse de semer la confusion en déclarant, par exemple, que “la France, c’est 1% des émissions mondiales” »386. Ainsi, ne peut être attendu de son projet de refondation « des relations entre la France et l’Afrique » une véritable lutte contre le réchauffement climatique en Afrique et ailleurs, sinon qu’une optimisation du présent, en la matière aussi : « nous observons depuis des années, comme nombre de nos concitoyens, le clivage entre annonces et (in)action publique. À force de désillusions, nous prenons l’habitude de nous méfier », ont dit, en langage très poli, des scientifiques français·es, auteur·e·s d’une tribune sur le réchauffement climatique dans Le Monde387. Les auteur·e·s partent d’une période antérieure au Rapport Mbembe, en mentionnant le tour joué à la Convention citoyenne sur le climat, évoqué plus haut, et au cours de laquelle, le ministre de l’Écologie, Nicolas Hulot (qui n’est pourtant pas un écologiste radical) avait démissionné pour ne pas « cautionn[er] une mystification ». En effet, en dehors de ses thuriféraires, la présidence de Macron n’a jamais été félicitée pour quelque action écologique. Bien au contraire, comme ayant déjà été évoqué plus haut, sa politique est une option pour l’administration d’un désastre, ne relevant plus que du futur. Mais le Rapport Mbembe semble n’avoir pas constaté ce « clivage », cette « mystification », se fiant plutôt à l’engagement pris « depuis 2018 [par] la France […] dans le soutien à la transition énergétique et au déploiement des énergies renouvelables » (p. 74). Si, au moins c’était ironique…
Notes
1 Achille Mbembe, « Afrique-France : la disruption », AOC, 12 octobre 2021, https://aoc.media/opinion/2021/10/12/afrique-france-la-disruption/. Ont travaillé avec Achille Mbembe, par ordre alphabétique : l’écrivaine et féministe nigériane Chimamanda Adichie, l’architecte ghanéen David Adjaye, l’historienne tuniso-française Leyla Dakhli, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, la conservatrice de musée et productrice culturelle camerounaise Koyo Kouoh, l’écrivain et universitaire congolo-français Alain Mabanckou, l’avocate et universitaire sud-africaine Thuli Madonsela, l’historien français (alors aussi directeur du musée de la colonisation française) Pap Ndiaye, le médecin congolais (RDC) et prix Nobel de la paix, Denis Mukegwe, l’économiste togolais Kako Nubukpo, l’écrivain sénégalais et prix Goncourt Mbougar Sarr, l’économiste camerounaise et alors secrétaire générale exécutive de l’onusienne Commission économique pour l’Afrique (CEA/UNECA) Vera Songwe, et la chercheure Lori-Anne Theroux Benoni (dont je n’ai pu trouver la nationalité). Que peut bien signifier en ce temps-ci de solitude du capitalisme globalisant l’« indépendance d’esprit » d’une Vera Songwe qui était partie de la Banque mondiale – une institution participant à la construction de cette hégémonie – pour remplacer, à la tête de la CEA, Carlos Lopes dont le panafricanisme bourgeois/pro-capitaliste était considéré comme insuffisamment ouvert à la néolibéralisation de la mondialisation capitaliste ?
2 Malheureusement, à la différence d’une certaine tradition, la lettre de mission n’est pas annexée au rapport. Alors que sa connaissance permettrait d’apprécier justement l’accomplissement de ladite mission.
3 Dans l’usage courant de la notion de « diaspora » concernant l’Afrique – en fait celle dite noire –, sont inclus·es les (négro-)afrodescendants de partout. Mais, il semble que cette mission n’a pas associé la « diaspora » des départements ultramarins français, se limitant ainsi aux binationaux/binationales, les Français·es issu·e·s de l’immigration africaine coloniale, puis post-coloniale et aux immigré·e·s africain·e·s en France (en Europe ?).
4 Achille Mbembe, Les nouvelles relations Afrique-France : Relever ensemble les défis de demain, Rapport Mbembe par la suite, Octobre 2021 p. 8, disponible sur www.elysee.fr. À en croire ce passage, il existerait déjà une « charte politique », qu’il faudrait renouveler. S’agirait-il des fameux accords de coopération ?
5 Quand bien ils ne sont pas ignorés, ce ne sont pas surtout les rapports de la France avec ses principaux partenaires économiques subsahariens – Afrique du Sud, Angola, Nigeria – qui sont au centre de la critique de la Françafrique. Exception faite de l’Angola, avec l’affaire du trafic d’armes, “Angolagate” (1993-2009), ayant impliqué des personnalités françaises comme l’homme d’affaires Pierre Falcone, l’ancien conseiller de son père, Jean-Christophe Mitterrand, l’ex-ministre et parlementaire, Charles Pasqua, des praticiens avérés de la « politique du ventre ». Certes, il y a eu l’axe Paris-Abidjan-Libreville en soutien aux nationalistes biafrais contre le gouvernement central nigérian pendant la guerre dite du Biafra (1967-1970), mais il n’en est plus souvent question. La France y était attirée par la production pétrolière en croissance dans la région du Biafra. Quant à Houphouët-Boigny, hormis le statut de gendarme africain de l’impérialisme français (de l’Algérie de la guerre de libération anticoloniale à l’Afrique du Sud des dernières décennies de l’apartheid, en passant par la Guinée indépendante), il paraissait aussi contrarié par le poids sous-régional du Nigéria, que la sécession du Biafra aurait évidemment atténué.
6 Mbembe a précisé que « Le présent document n’est pas un rapport au sens strict du terme. Il n’est pas non plus une “étude”. Tous les aspects de la relation entre l’Afrique et la France ne seront pas abordés. Conformément à la lettre de mission, il s’agit d’une contribution destinée à accompagner l’expérience inédite qui vient d’avoir lieu et à en restituer les acquis dans l’espoir d’enrichir la démarche d’ensemble. Le cycle de débats n’avait pas pour ambition d’apporter des réponses définitives à tous les malentendus. Dans certains cas, il aura suffi de relever ceux qui méritent de faire l’objet d’un dialogue régulier et approfondi » (p. 3) (le rapport étant destiné à être public, la référence à la conformité à la lettre de mission, non publiée, est incongrue) « Par ailleurs, des contributions écrites et orales assorties de propositions nous sont parvenues, parfois par des canaux informels. L’ensemble de ces “matériaux” a été soigneusement analysé. Ils constituent la base du présent document » (p. 2).
7 Achille Mbembe (propos recueillis par Patrick Piro), « Comment en finir avec la Françafrique. La vision d’Achille Mbembe », Politis, 6 octobre 2021, https://www.politis.fr/articles/2021/10/comment-en-finir-avec-la-francafrique-la-vision-dachille-mbembe-43626/.
8 Ce texte est plein de notes, de surcroît souvent bien longues, mais pouvant aider à comprendre certaines allusions, d’authentifier à partir d’une pluralité de sources, apportant des précisions, etc.. Certes qu’elles peuvent aussi ne pas intéresser certain·e·s lecteurs/lectrices. Prière alors de m’en excuser … Les références essentielles sont celles antérieures au Sommet de Montpellier, quand bien sont aussi cités des documents postérieurs, mais concernant plutôt la trajectoire de tel phénomène, la suite logique de telle option …
9 Quelqu’un a d’ailleurs dit de Macron qu’il « est d’une certaine façon une sorte de synthèse de Sarkozy et de Hollande. Comme Hollande, Macron est un énarque. Il n’a donc ni connaissance en économie ni imagination – il a tout simplement été sélectionné pour avoir fait preuve d’une certaine virtuosité dans le conformisme. Il est aussi l’héritier de Sarkozy parce que, comme lui, il a adopté l’idée que les valeurs politiques de droite et de gauche n’avaient aucune importance, qu’on pouvait par exemple être de droite et se prévaloir sans rougir de Guy Môquet [pendant la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy a évoqué au cours de plusieurs meetings la figure de ce jeune résistant communiste, fusillé en 1941 par les Allemands lors de l’Occupation, ndlr] », Emmanuel Todd, « Le taux de crétins diplômés ne cesse d’augmenter », Socialter , 15 novembre 2021, https://www.socialter.fr/article/Emmanuel-todd-diplomes-cretins.
10 Ce ministre colonial de la 4e République, successivement (de 1954 à 1957), de l’Information, de l’Outre-mer (des colonies), de l’Intérieur, puis de la Justice, a terminé son second mandat présidentiel non seulement en traînant des casseroles d’affaires politico-financières – marque évidente d’immoralité –, mais aussi et surtout par une implication dans un crime politique absolu, en soutenant le tutsicide rwandais de 1994 (sommet de la criminalité françafricaine), qu’il a de surcroît banalisé en affirmant, en s’appuyant sur l’on ne sait quelles sources historiques, que dans ces pays-là un génocide ce n’est pas grave – c’est le second génocide en terre africaine, après celui des Herero et des Nama par l’armée coloniale allemande dans le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), 1904-1908. Il semble qu’avant François Mitterrand, il n’y a eu que le maréchal Pétain, collaborateur du judéocide nazi (1941-1944). Ce qui néanmoins ne jette pas l’opprobre sur ce “grand homme politique de la 5e République”, dont on peut encore se réclamer dans une certaine gauche française …
11 Nicolas Sarkozy a parlé du pillage, de l’exploitation par la France coloniale, etc., mais en ajoutant que si le colonisateur a pris, « il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconds des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir ». C’est l’antienne procoloniale sur les « “réalisations”, [les] maladies guéries […] kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer […] de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés » à laquelle Aimé Césaire avait répondu dans son Discours sur le colonialisme. Si seulement Sarkozy ou sa plume avait pris le temps de le lire …
12 La vraie recherche de la vérité exigerait plutôt que toutes les archives soient ouvertes à tous/toutes les chercheur·e·s intéressé·e·s, plutôt que limitée à une commission officielle…
13 Emmanuel Macron avait effectué son stage d’énarque à l’ambassade de France au Nigéria (à Abuja), en 2002, et avait, semble t-il, fréquenté le Shrine à la réputation demeurée sulfureuse, même après la mort (en 1997) de son propriétaire et animateur.
14 Ce sont les pieds-noirs (Français.es d’Algérie) et les descendant·e·s des Harkis – supplétifs algériens de l’armée française pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie (1958-1962), ayant été, au lendemain de la guerre, « pourchassés en Algérie, abandonnés par la patrie qui les avait appelés, accueillis dans des conditions indignes en France » (Président François Hollande, discours du 19 mars 2016, annexé au Rapport Stora : Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la Guerre d’Algérie, janvier 2021, p. 118-124, p. 120 pour la citation) – qui, en toute logique, bénéficient de l’attention de l’État dirigé par Macron concernant d’éventuelles “réparations”. Certes, l’État français a été très ingrat à l’égard des Harkis et leurs familles ayant pu quitter l’Algérie, après la guerre, mais, parmi les services rendus par les Harkis, en métropole, par exemple : « des brigades composées de harkis créées par lui [Maurice Papon, préfet de police de Paris, ayant été pourvoyeur, en 1942-1944, de camps nazis d’extermination des Juifs/Juives] en mars 1961 et spécialisées dans l’interrogatoire poussé de leurs compatriotes nationalistes […] En août, les supplétifs harkis investissent des hôtels algériens de jour comme de nuit, brisent les mobiliers, cognent, lâchent les chiens », Sorj Chalandon, « 17 octobre 1961. “Il y a du sang dans Paris” », campvolant.com, 9 octobre 2015, https://histoirecoloniale.net/le-17-octobre-1961-par-Sorj.html.
15 A. Mbembe (propos recueillis par Christophe Boisbouvier), « Invité Afrique – A. Mbembe : “E. Macron veut redéfinir les fondamentaux de la relation entre l’Afrique et la France », RFI, 22 mars 2021, https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invité-afrique/20210322-a-mbembe-e-macron-veut-redéfinir-les-fondamentaux-de-la-relation-entre-l-afrique-et-la-france. Ailleurs, il est question de « to strengthen relations between Africa and France », (« consolider les relations entre l’Afrique et la France »), « African postcolonial critic Mbembe tries fresh start with France », News24 (journal sud-africain), https://www.news24.com/news24/africa/news/african-postcolonial-critic-mbembe-tries-fresh-start-with-france-20210604.
16 Cf. par exemple, Michel Lobé Ewané (rédacteur en chef de Forbes Afrique.), « Afrique-France : pourquoi il faut soutenir Achille Mbembe », financialafrik.com, 22 avril 2021 ; https://www.financialafrik.com/2021/04/22/afrique-france-pourquoi-il-faut-soutenir-achille-mbembe/ ; Venant Mboua, « Le journaliste Venant Mboua apporte son soutien au professeur Achille Mbembe », Cameroun 24, 6 avril 2021, https://www.msn.com/fr-xl/afrique-de-l-ouest/other/françafrique-le-journaliste-venant-mboua-apporte-son-soutien-au-professeur-achille-mbembe/ar-BB1flLic ; Thierry Amougou, « “Provoquer l’histoire” pour repenser les rapports Afrique-France », Analyse Opinion Critique (AOC media), 11 juillet 2021, https://aoc.media/opinion/2021/07/11/provoquer-lhistoire-pour-repenser-les-rapports-afrique-france/.
17 Sa contribution est intitulée « Françafrique : le roi est nul… », in Makhily Gassama (sous la direction de), L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, Paris, Philippe Rey, 2008, p. 151-164.
18 Cité par Mor Amar, « C’est choquant et pathétique », Seneplus.com, 14 avril 2021, https://www.seneplus.com/societe/cest-choquant-et-pathetique. Cf. aussi, Gaston Kelman (écrivain franco-camerounais ayant été, de juillet 2009 à mai 2010 – membre du cabinet d’Eric Besson, ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire de janvier 2009-novembre 2010, sous la présidence du réputé françafricain Nicolas Sarkozy. Kelman a démissionné dudit cabinet en mai 2010), « Sommet France-Afrique, le rendez-vous de la Françafrique intellectuelle », Jeune Afrique, 2021, https://www.jeuneafrique.com/1163296/politique/tribune-sommet-france-afrique-le-rendez-vous-de-la-francafrique-intellectuelle/. Jean-Loup Amselle recense quelques critiques dans « Des intellectuels africains au secours de Macron », Nouvel Obs, 8 avril 2021, https://www.nouvelobs.com/idees/20210408.OBS42475/des-intellectuels-africains-au-secours-de-macron-par-jean-loup-amselle.html.
19 Achille Mbembe, « Afrique-France : la disruption »…
20 Ndongo Samba Sylla, Amy Niang et Lionel Zevounou, « La “société civile” au service de l’impérialisme français », in Koulsy Lamko, Amy Niang, Ndongo Samba Sylla, Lionel Zevounou, De Brazzaville à Montpellier. Regards critiques sur le néocolonialisme français, 2021. Sur les sociétés civiles africaines, cf. aussi Michael Neocosmos, Civil society, citizenship and the politics of the (im)possible : rethinking militancy in Africa today, 31 may 2007, https://abahlali.org/node/1429/ ; cf. aussi Interface, vol. 1, Issue 2, p. 263-334, http://www.interfacejournal.net/interface-issue-1-volume-2.
21 Une pique, relative aux coupures d’électricité pendant le discours, adressée par Emmanuel Macron au président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, avait fait quitter la salle à celui-ci. Le président français aurait commenté son départ par « il est parti réparer le climatiseur » (Cité par Abdourahmane, « J’ai mal à mon Afrique », Le blog de Abdourahmane sur mediapart.fr, 29 novembre 2017).
22Achille Mbembe ; « Emmanuel Macron a-t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? », Jeune Afrique, 27 novembre 2020, https://www.jeuneafrique.com/1080513/politique/tribune-achille-mbembe-emmanuel-macron-a-t-il-mesure-la-perte-dinfluence-de-la-france-en-afrique/.
23 A. Mbembe (propos recueillis par Christophe Boisbouvier), op. cit. Au journaliste lui rappelant sa critique de Macron, Mbembe a répondu : « je critique surtout les gens que je respecte » (idem). Ainsi, le chef de l’État camerounais est informé que sa critique virulente par Mbembe était l’expression du grand respect de celui-ci à son égard…
24 Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col mao au Rotary, Paris, Albin Michel, 1986, p. 61. Il donne en exemple d’adeptes de ces « moeurs bien parisiennes », de grands écrivains du 19ème siècle : les frères Goncourt, Gustave Flaubert, en ayant attiré d’autres au salon de la princesse Mathilde Bonaparte, cousine de l’empereur Napoléon III. Sur la princesse et certains écrivains, historiens, etc., français, cf., par exemple, Antonietta Angelica Zucconi, « Les salons de Mathilde et Julie Bonaparte sous le second empire », Napoleonica. La Revue, 2011, 2, n° 11, https://www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2011-2-page-151.htm, p. 151-182.
25 Evelyne Sire-Marin, « État de droit, État de quel droit ? », communication au colloque La fin de l’État de droit en France, une réalité ?, co-organisé, en mai 2022, par le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national des journalistes, publiée par Entre les lignes entre les mots, 9 juin 2022, https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/06/09/evelyne-sire-marin-etat-de-droit-etat-de-quel-droit/. Le titre de la communication répond bien à celui du colloque : il s’agit d’une mutation de la nature du droit de l’État, une autre réalité de l’État de droit, plutôt qu’une fin de l’État de droit. Vu, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel n’a pas, apparemment, trouvé à redire…
26 A. Mbembe, « Afropolitanisme », Africultures, 1er avril 2006, cf. aussi Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010, p. 232. C’est une notion dont le premier usage serait de l’écrivaine ghanéenne-nigériane T. Tuakli-Wosornu (Taiye Selasi), pour nommer la culture cosmopolite particulière de la jeunesse petite-bourgeoise “issue de l’immigration négro-africaine”, vivant en Europe et en Amérique du Nord reconnaissables par leur « amusant mélange des jargons de Londres, New York, d’éthiques africaines, et succès académiques » « Bye-Bye Barbar » (« What is the Afropolitan ?), The LIP, march 3, 2005, http://thelip.robertsharp.co.uk/?p=76. Chimamanda Ngozi Adichie (vivant aux États-Unis d’Amérique, refuse d’être considérée comme afropolitaine (Chimamanda Ngozi Adichie (propos recueillis par Valérie Marin la Meslée), « “Africaine oui, Afropolitaine, sûrement pas” », Le Point, 5 février 2015, http://afrique.lepoint.fr/culture/Nigeria-chimamanda-ngozi-adichie-africaine-oui-afropolitaine-surement-pas-05-02-2015-1902573_2256.php.) L’écrivain Binyavanga Wainana considérait que c’est « un type d’identité qui n’assume aucune sorte de responsabilité[…] c’est une mode » (Binyavanga Wainaina, interviewé par Gemma Soles, « Al salir del armario me he convertido en un ciudadano real », El País, 31 mars 2014, http://elpais.com/elpais/2014/03/24/planeta_futuro /1395689894_085500.html. cf. aussi Stephanie Santana, « Exorcizing Afropolitanism : Binyavanga Wainaina explains why “I am a Pan-Africanist, not an Afropolitan” at ASAUK [African Studies Association UK] 2012A », Africain Words, 8 February, 2013, http://africainwords.com/2013/02/08/exorcizing-
afropolitanism-binyavanga-wainaina-explains-why-i-am-a-pan-africanist-not-an-afropolitan-at-asauk-2012/. Pour Emma Dabiri, l’« Afropolitanisme peut être considéré comme l’une des dernières manifestations de ce commerce planétaire de la négrité » (E. Dabiri, « Why I am (still) not an Afropolitan », Journal of African Cultural Studies, Vol. 28, No. 1, (p. 104-108), p. 105 pour la citation.). Mbembe avait plutôt parlé auparavant d’« afro-cosmopolitisme » (A. Mbembe « Réponse aux critiques », « Autour d’un livre. De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, d’Achille Mbembe, par Jacques Pouchepadass, Marianne Ferme, Yves Alexandre Chouala et Juan Obarrio », Politique africaine, n° 91, octobre 2003, (p. 171-194), note infrapaginale 7), puis s’est approprié de la notion en lui donnant le sens indiqué ci-dessus.
27 Pierre Franklin Tavares (philosophe capverdien-français), « Emmanuel Macron, Achille Mbembe : une farce diplomatique », Afrimag.net, 15 avril 2021, https://afrimag.net/emmanuel-macron-achille-mbembe-farce-diplomatique/ ; cf. aussi, par exemple, Benoît Élie Awazi Mbambi Kungwa, Emmanuel Macron, Achille Mbembe et la Françafrique. Une déconstruction théologico-politique, Paris, Les impliqués Éditeur, 2021.
28 Max Milo, 2004. Gaston Kelman est un ex-militant du Parti socialiste français, ayant été, de juillet 2009 à mai 2010, conseiller chargé de l’identité nationale d’Éric Besson, ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité nationale et du Codéveloppement, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il avait démissionné en mai 2010, après avoir fait « des propositions qui ne correspondaient pas à l’orientation donnée au débat » sur l’identité française (propos recueillis par Jean-Baptiste Ketchateng, « Pourquoi j’ai quitté le cabinet d’Eric Besson » ; http://www.camer.be/index1.php?art=11641&rub=11:1). À propos du manioc, rappelons qu’il a été introduit en Afrique centrale et occidentale, importé d’Amérique (les Caraïbes comprises), par les Portugais conquérant l’Afrique à partir du 15ème siècle : « manioc est le nom que l’on donne au yucca dans le bassin de l’Amazone et autres lieux », selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, Mémoire de feu. 1. Les naissances, Paris, Plon, 1985 [Madrid, Siglo Veintiuno de España, 1982 ; traduit de l’espagnol par Claude Couffon], p. 49-50. En langue kongo, la pâte cuite du manioc est dite yaka, mot qui semble apparenté à yucca. Ainsi, cet aliment de base dans des sociétés africaines modernes est un héritage des premiers temps de l’expansion européenne, portugaise, en l’occurrence. En Martinique par exemple, le manioc était consommée par les peuples originaires, Taino et Caraïbes, longtemps avant la colonisation génocidaire et l’esclavage des Noir·e·s.
29 Gaston Kelman : « Sommet France-Afrique, le rendez-vous de la Françafrique intellectuelle », Jeune Afrique, 30 avril 2021, https://www.jeuneafrique.com/1163296/politique/tribune-sommet-france-afrique-le-rendez-vous-de-la-francafrique-intellectuelle/ ; « Macron veut remplacer la Françafrique politique par la Françafrique intellectuelle », https://lenouveaucameroun.cm/%e2%8f%af%ef%b8%8f-gaston-kelman-macron-veut-remplacer-la-francafrique-politique-par-la-francafrique-intellectuelle/.
30 Kwame Nkrumah, Le néo-colonialisme, dernier stade de l’impérialisme, Paris, Présence Africaine, 2009 [Londres, Nelson, 1965 ; traduction française, Présence Africaine, 1973], p. 9, 10 et 14.
31 Certes, se revendiquant du métissage culturel, Senghor ne négligeait pas l’arabité d’une partie des peuples africains (cf., L. S. Senghor, Négritude, arabité et francité. Réflexions sur le problème de la culture, Beyrouth, éditions Dar Al-Kitab Allubnani, 1969.), d’autant plus qu’étant ressortissant d’un pays pénétré, depuis environ un millénaire, par l’islam, originairement de culture arabe. Selon le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne : « les significations culturelles, axiologiques, économiques même, inscrites dans l’espace socio-culturel sénégalais, sont d’abord lisibles à la lumière de l’islamité de cet espace. » (S. B. Diagne, « L’avenir de la tradition », in Momar Coumba Diop, La trajectoire d’un État, Dakar, Codesria, 1992, (p. 279-298), p. 283), ayant certes généré, des siècles plus tard, un « islam noir ».
32 Marine Lefèvre, Le soutien américain à la Francophonie. Enjeux africains, 1960.1970, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 107-118. L’auteur traite aussi de la méfiance française à l’égard de ces relations entre son allié états-unien (dans la guerre dite froide) et ses néocolonies du Sénégal, de Côte d’Ivoire, etc.
33 En 1961, Fanon écrivait, par exemple :« C’est le très chrétien journal La Semaine africaine de Brazzaville qui écrit à l’adresse des princes du régime : “Hommes en place, et vous leurs épouses, vous êtes aujourd’hui riches de votre confort, de votre instruction peut-être, de votre belle maison, de vos relations, des multiples missions qui vous sont octroyées et vous ouvrent des horizons nouveaux. Mais toute votre richesse vous fait une carapace qui vous empêche de voir la misère qui vous entoure. Prenez garde”. Cette mise en garde adressée aux suppôts de M. Youlou [premier président du Congo, 1960-1963]n’a, on le devine, rien de révolutionnaire » (Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2002, p. 166). Ce n’était que le début…
34 O. Reclus, France, Algérie et colonies, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1886.
35 Paris, Librairie universelle, 1904, p. 6-7.
36 Alain Mabanckou et Achille Mbembe, « Le français, notre bien commun ? », NouvelObs, && novembre 2018, https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180211.OBS2020/le-francais-notre-bien-commun-par-alain-mabanckou-et-achille-mbembe.html. Auparavant, Alain Mabanckou avait décliné la proposition qui lui avait été faite, officiellement, par le président français, E. Macron, de « contribuer aux travaux de réflexion autour de la langue française et de la francophonie », en arguant des « tares que charrie la Francophonie actuelle », à l’instar, en l’occurrence, du choix fait par Macron, trois mois auparavant, dans son discours d’ouverture du salon du livre de Francfort, de ne citer « aucun auteur d’expression française venu d’ailleurs […] et d’affirmer que “l’Allemagne accueillait la France et la Francophonie” comme si la France n’était pas un pays francophone ! », Alain Mabanckou, Lettre ouverte à Emmanuel Macron, 15 janvier 2018, https://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20180115.OBS0631/francophonie-langue-francaise-lettre-ouverte-a-emmanuel-macron.html. Cf. aussi, par exemple, Khadim Ndiaye, « Francophonie : quand la France déploie son empire linguistique », in L’Empire qui ne veut pas mourir… Il est, par ailleurs, intéressant de comparer d’une part ce que Mbembe disait de la francophonie dans « Francophonie et politique du monde » (publié par Alain Mabanckou sur Congopage, le 24 mars 2007, https://www.congopage.com/Achille-Mbembe-Francophonie-et) – une apologie des États-Unis d’Amérique, de son « éthique de l’hospitalité » (attraction et publication de « presque tous les meilleurs intellectuels noirs de la planète », contre « l’hospitalité qui fait défaut à la France contemporaine », « la prodigieuse expérience de clôture culturelle dont la France a fait l’expérience au cours du dernier quart du XXe siècle »), de la domination de l’anglais (« la sublimation de la langue et son partage est possible parce que la distinction entre la langue et la marchandise s’étant, pour l’essentiel, effacée, communier à l’une équivaut à particper à l’autre. Langue de la marchandise, marchandise de la langue, marchandise en tant que langue, langue comme désir et désir de langue en tant que désir de marchandise - tout cela ne constitue plus, à la limite, qu’une seule et même chose, un seul et même régime des signes ») –, d’autre part, l’espoir placé dans les institutions de la Francophonie (dont les actions sous la présidence de Macron sont louées et considérées comme promises à évoluer positivement) dans le Rapport Mbembe (p. 71-73, essentiellement).
37 Dans le cadre de la préparation du XVe sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie prévu pour décembre 2014 à Dakar, l’économiste français, Jacques Attali (ayant dirigé ou co-dirigé la production de plusieurs rapports aux présidents français, dont celui ayant propulsé Emmanuel Macron sur la scène médiatique, en l’ayant fait rapporteur général adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française, 2007-2008, créée par le président d’alors Nicolas Sarkozy, https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/084000041.pdf ou en passanr par https://www.vie-publique.fr/rapport/29432-rapport-de-la-commission-pour-la-liberation-de-la-croissance-francaise), avait produit, pour le président François Hollande, le rapport intitulé La francophonie et la francophilie, moteurs d’une croissance durable, 25 août 2014, (p. 9), https://www.agora-francophone.org/FRANCE-La-francophonie-et-le-francophilie-moteurs-de-croissance-durable. A l’issue de ce sommet s’est tenu le premier Forum économique de la Francophonie, et, depuis, chaque sommet de la Francophonie est désormais accompagné d’un forum économique, pour faire avancer la francophonie économique dont la « croissance durable », capitaliste, ne pourrait qu’être un « moteur » de plus de l’écocide en cours 38 Cf., par exemple, les critiques de la francophonie par Guy Ossito Midiohouan dans la revue Peuples Noirs Peuples Africains (parue de 1978 à 1991 et dont une grande partie des numéros est en ligne sur le site https://mongobeti.arts.uwa.edu.au/). Ainsi, dans « Littérature africaine, francophonie et média » (n°. 59-62, 1988, p. 96-104), il est question de, entre autres, l’érection médiatico-académique de Sony Labou Tansi (« non seulement un écrivain confirmé mais aussi un auteur de talent ») en « meilleur représentant de la littérature africaine contemporaine. Il est jeune, il a du talent, il est ambitieux et, surtout, il se prête admirablement au jeu. On peut dire que la réputation de cet écrivain […] est une pure fabrication des médias français et qu’elle relève d’une entreprise de récupération idéologique, doublée d’une campagne commerciale, Sony est pratiquement devenu l’otage de la Francophonie, son porte-flambeau en Afrique […] Sa réputation est relativement surfaite et cache en fait une conspiration du silence dont sont victimes des écrivains qui ne manquent pas de talent mais qui se voient marginalisés soit parce qu’ils se refusent à se placer sous la bannière de la Francophonie, soit parce qu’ils manifestent vis-à-vis de cette dernière une indifférence souvent interprétée, avec raison d’ailleurs, comme une hostilité [évitant] le clinquant d’une Francophonie tonitruante qui s’emploie à vouloir faire d’eux de vulgaires tirailleurs sur le front de la défense de la langue française » (https://mongobeti.arts.uwa.edu.au/issues/pnpa59_62/pnpa59_10.html).
39 Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle (1988), in G. Debord, OEuvres, Paris, Quarto Gallimard, 2006, (p. 1593-1646), p. 1638. Un autre situationniste, Jaime Semprun a, dans la veine acerbe de ce courant, parlé de « récupération » pour nommer, grosso modo, une certaine appropriation de la critique radicale/révolutionnaire, mais en l’émoussant, en « en isolant un aspect […] propre à être figé en nouveau système d’analyse », par certains intellectuels français, voulant « posséder à la fois le bonheur de la soumission et le prestige du refus. Et leur bonheur est aussi faux que leur refus , et aussi mal simulé », avec des « bruyantes prétentions à l’originalité » (à l’instar, selon Semprun, de l’économiste Jacques Attali, l’économiste-philosophe-psychanaliste-militant Cornelius Castoriadis, le philosophe Michel Foucault, le philosophe théoricien du désir et, par la suite, de la postmodernité, Jean-François Lyotard, le « nouveau philosophe » André Glucksmann, voire l’ex-situationniste Raoul Vaneigem, alias Ratgeb) (Précis de récupération, illustré de nombreux exemples firés de l’histoire récente, Éditions Champ Libre, 1976). Le linguiste et anarchiste états-unien, Noam Chomsky, a parlé de la « feinte dissension que pratique l’intelligentsia autorisée » (« La restructuration idéologique aux États-Unis », Le Monde diplomatique, mars 1979, p. 9-10). De nos jours aussi, l’écrivaine française Sandra Lucbert parle de « simili critique » : S. Lucbert : « L’art peut participer à la guerre de position », Ballast, 25 septembre 2021, https://www.revue-ballast.fr/sandra-lucbert-lart-peut-participer-a-la-guerre-de-position/. En l’occurrence, il s’agit d’émousser les conséquences de la critique, en aboutissant plutôt, par exemple, à une réforme refondatrice.
40 C’est en ces années-là – pas bien riches en matière de penseur·e·s critiques, de radicalité dans les sciences sociales en France – qu’Achille Mbembe a accompli sa formation universitaire en France (avant d’aller aux États-Unis, bénéficiaire d’une bourse de la Fondation Ford) auprès de, entre autres, Jean-François Bayart, politologue, africaniste de Sciences Po, Paris, théoricien de la politique africaine comme « politique du ventre », occultant ainsi quelques pages de l’histoire de la France politicienne. En effet, il serait étonnant que Bayart n’ait pas lu le texte, n’étant quasiment pas cité, de Jean-Marie Domenach où il est question, par exemple, sous forme imagée, d’accès à la « soupe », aux « viandes plus raffinées » au sein du gaullisme dont l’honneur acquis pendant la résistance s’est, une fois au pouvoir, « dégradé jusqu’à servir maintenant de prétexte à l’enrichissement », Jean-Marie Domenach, « En deçà du bien et du mal », Esprit, janvier 1973, (p. 11-19), p. 17. Mbembe a souligné avec un certaine admiration l’« éthique libertaire, individualiste, faut-il dire cynique, hédoniste, en tout cas fort “post-soixante-huitarde” » de Bayart, « sa manière à lui de demeurer “libre”, d’adhérer à l’idée de Nietzsche selon laquelle “les convictions sont des cachots” ». A. Mbembe, « Écrire l’Afrique à partir d’une faille », Politique africaine, 1993, n° 51, (p. 69-97), p. 90. « Libertaire » ici correspond à son acception non synonyme de “anarchiste” anti-capitaliste : « l’épithète “libertaire” en est venue à constituer un label culturel et médiatique très prisé par toutes sortes de rebelles de confort pour enrober d’un vernis anticonformiste leur adhésion à l’ordre établi » (Jean-Pierre Garnier, « Appellations peu contrôlées », Le Monde diplomatique, janvier 2009, p. 17). Ce qui n’en faisait pas donc une exception dans le monde intellectuel français des années 1980, étant bien au contraire une caractéristique de La décennie du grand cauchemar intellectuel en France. Par ailleurs, Mbembe a oublié d’indiquer que le « libertaire » Bayart s’était politiquement revendiqué « électeur ancien et futur de l’actuelle majorité », celle de François Mitterrand et son Parti socialiste (La politique africaine de François Mitterrand, 1984) – s’étant illustré, à partir de 1983, par un particulier reniement pratique du programme sur lequel il avait été élu en 1981 et des valeurs dites de gauche, social-démocrates. Et qu’en plus de son professorat à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), Bayart avait travaillé, comme consultant sur l’Afrique, au Centre d’analyse et de prévision du ministère français des Affaires Étrangères, au cours des années 1980-1990. En toute neutralité ou a-politiquement, bien sûr… Un « libertaire » ? Il y a certains usages de mots qui leur font perdre leur sens, ne leur laissant que des emplois, à la guise des usager·e·s, comme le soutenait en d’autres termes le sociologue béninois Honorat Aguessy.
41 Boubacar Boris Diop, « Montpellier, la Françafrique à bout de souffle », in Kously Lamko, Amy Niang, Ndongo Samba Sylla, Lionel Zevounou (dir.). Dans la ville de Dakar assez pourvue en infrastructures culturelles (le Festival Mondial des Arts Nègres y a été organisé en … 1966, le Forum social mondial en 2011, etc.), Achille Mbembe et Felwine Sarr ont fait le choix, en octobre 2016, d’y lancer la 1ère édition des Ateliers de la pensée à … l’Institut culturel français. Ce qui ne manquait pas de symbolisme.
42 G. Debord, thèse 9 de La société du spectacle. La formule de Hegel est tirée d’une ancienne traduction française de la préface à la Phénoménologie de l’Esprit, mais n’est pas reprise comme telle par les autres traductions, postérieures.
43 À ces déçu·e·s, considérant qu’il s’agit d’un retournement de veste, à ses “détracteurs/détractrices” parlant d’une capture par Macron, Mbembe a ainsi répondu : « Ils n’ont pas lu mes livres De la postcolonie ou Sortir de la grande nuit », A. Mbembe, (propos recueillis par Christine Holzbauer), « Entretien exclusif avec Achille Mbembé », Financial Afrik, 18 octobre 2021, https://www.financialafrik.com/2021/10/18/entretien-exclusif-avec-achille-mbembe/. Elles/ils les ont lus, mais sans acuité, impressionné·e·s par les « magnifiques éclairs » dont parle Boubacar Boris Diop, caractéristique d’un certain lectorat assimilable à des supporteurs/supportrices d’équipes de football et autres sports de compétition.
44 René Riesel, Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Paris, Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 2008 (édition numérique, non paginée). Cf. aussi, par exemple, Jean-Pierre Garnier, « Des chercheurs au secours de l’ordre établi », Le Monde diplomatique, octobre 2007, p. 3.
45 A. Mbembe, « Celui qui va me manipuler n’est pas encore né », Deutsche Welle, 5 mai 2021, www.dw.com, https://www.dw.com/fr/achille-mbembe-emmanuel-macron-afrique-france/av-57436195.
46 A. Mbembe (propos recueillis par Christine Holzbauer)… Quelqu’un qui semblait bien le connaître, historien comme lui, l’avait ainsi défini, bien longtemps avant qu’il soit missionné par Macron : « un chercheur apprécié par les africanistes, avec un talent énorme, il faut le reconnaître […], farouchement carriériste », Ch. Didier Gondola, Africanisme : la crise d’une illusion, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 134-135. Selon Le Petit Robert le carriériste est une « Personne qui recherche avant tout la réussite sociale […] par le biais d’une carrière, souvent sans s’embarrasser de scrupules ». Ce qui est applicable à la célébrité, au delà de la « réussite sociale ».
47 Achille Mbembe, « Afrique-France : la disruption », op. cit.
48 Ladite « influence » étant, économiquement parlant, liée à la présence des entreprises françaises, le rapport Relancer la présence économique française en Afrique : l’urgence d’une ambition collective à long terme, remis au ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères et au ministre de l’Économie et des Finances (avril 2019) par Hervé Gaymard (Rapport Gaymard, par la suite) nuance l’idée d’un recul, parlant même du « mythe du retrait des entreprises françaises », car « Les entreprises françaises sont en recul relatif sur des marchés en croissance mais, n’ont, en valeur absolue, jamais été aussi présentes sur le continent africain ». Certes, « les parts de marché de la France en Afrique ont été divisées par deux depuis 2001 [jusqu’en 2012], de près de 12 % à 6 % […] Sur longue période, le niveau des parts de marché de la France en Afrique converge donc vers le niveau des parts de marché de la France dans le monde, qui se situe autour de 4 % », néanmoins, les dites parts de marché françaises sont « rest[ées] stables depuis lors ». Par ailleurs, le « déclin relatif est spécialement marqué sur certains secteurs, ainsi qu’en Afrique francophone » : déclin de moitié concernant les machines, les appareils électriques, la pharmacie, du tiers pour le secteur automobile, mais « en sens inverse, mos parts de marché augmentent fortement dans l’aéronautique, de 6 à 35% […] l’orientation à la baisse (et dans le dernier cas à la hausse) des évolutions de nos parts de marché, sur chacun des secteurs, est la même en Afrique et dans le reste du monde – même si bien entendu l’ampleur de ces évolutions diffère » (p. 15-16). Ainsi « la baisse des parts de marché ne correspond donc pas à un retrait, mais à une forte augmentation de la concurrence dans un contexte d’accroissement de la taille des marchés » (p. 22). Quant au « volume des importations du continent africain dans son ensemble [il] est passé d’environ 100 à environ 400 milliards de dollars en deux décennies […] Le niveau des importations de l’Afrique subsaharienne a […]été multiplié par 3,5 durant la période [2000-2017]. En Afrique du Nord (Tunisie, Maroc, Égypte et Algérie), le total des importations [a connu] une multiplication par plus de 4 […] Dans un marché dont la taille a quadruplé. Les exportations françaises ont un peu plus que doublé » pendant la même période (2000-2017), p. 19. Concernant les investissements : « les stocks d’IDE français sur le continent ont été multipliés par huit en deux décennies […] cette évolution s’observe à la fois en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne [avec] en Afrique du Nord, une diversification réelle [vers]le secteur financier [et]vers le secteur manufacturier [Par ailleurs], il n’y a aucun retrait, mais au contraire une explosion de nos IDE vers l’Afrique centrale et vers l’Afrique de l’Ouest. Entre 2000 et 2017, nos IDE vers l’Afrique centrale et de l’Ouest (y compris anglophone) ont respectivement augmenté de 1780% et 1550 % » (p. 20-21). Ainsi, « Au regard des statistiques disponibles, il convient donc de rejeter le narratif décliniste qui pourrait tenter une partie des acteurs français – et parfois africains » (p. 22).
49Achille Mbembe, « Emmanuel Macron a-t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? ». Jeune Afrique, 04 décembre 2020 https://www.jeuneafrique.com/1080513/politique/tribune-achille-mbembe-emmanuel-macron-a-t-il-mesure-la-perte-dinfluence-de-la-france-en-afrique/. À titre de rappel, l’influence est une des caractéristiques de l’impérialisme selon Lénine (qui ne doit pas faire partie des lectures Mbembe) : « Aux nombreux “anciens” mobiles de la politique coloniale, le capital financier a ajouté la lutte pour les sources de matières premières, pour l’exportation des capitaux, pour les “zones d’influence”, - c’est-à-dire pour les zones de transactions avantageuses, de concessions, de profit de monopole, etc., - et enfin pour le territoire économique en général » (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916-1917).
50 « La France doit se reconnecter avec les nouvelles générations africaines », Le Point, 5 octobre 2021, https://www.lepoint.fr/afrique/la-france-doit-se-reconnecter-avec-les-nouvelles-generations-africaines-05-10-2021-2446369_3826.php.
51 Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Feuille de route de l’influence, décembre 2021, p. 6-9 ; www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-influence_print_dcp_v6_cle8f2fa5.pdf.
52 Léopold Sédar Senghor, « Pour une solution fédéraliste », La Nef, N° 9, juin 1955, cité par Khadin Ndiaye, « Léopold Sédar Senghor, chantre du (néo)colonialisme français, chapitre 5 de Thomas Borell et alii (dir.), L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique », Paris, Seuil, 2021 (p, 191-207 de l’édition numérique, en pdf), p. 205 pour la citation (le texte de Khadim Ndiaye est aussi disponible sur le site Afrique XXI : https://afriquexxi.info/article4897.html). En 1972, Senghor persistait dans sa sous-estimation de la nocivité de la colonisation, non seulement française : « Dans la colonisation, je le reconnais volontiers, je l’ai souvent dit, les apports positifs et les apports négatifs s’équilibrent, encore que l’introduction de certaines plantes industrielles, payées aujourd’hui à bas prix, nous pose des problèmes quasi insolubles », L. S. Senghor, Discours prononcé devant l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe, 20 octobre 1972, http://www.assembly.coe.int/nw/xml/Speeches/Speech-XML2HTML-FR.asp?SpeechID=206.
53 Léopold Sédar Senghor, « Prière de paix » (janvier 1945), in L. S. Senghor, Hosties noires (recueil de poèmes, 1948).
54 Concernant la deuxième décennie post-coloniale, Mbembe a ainsi répondu, nostalgique, à un journaliste suisse : « [journaliste :] Le Cameroun de votre jeunesse ressemblait dites-vous à un jardin d’Eden [Mbembe :] dans les années 1970, le Cameroun figurait parmi les pays les plus performants du continent africain. [en gras dans la reprise de l’article par cameroonvoice.com] Un puits de richesse tant au niveau de ses ressources naturelles et hydrographiques qu’humaines, économiques et éducationnelles », Achille Mbembe (propos recueillis par Malka Gouzer) : « L’inconscient raciste de la Suisse la préserve de reconnaître son rôle négatif en Afrique », Le Temps, lundi 26 juillet 2021 ; https://www.letemps.ch/monde/achille-mbembe-linconscient-raciste-suisse-preserve-reconnaitre-role-negatif-Afrique. On pourrait penser que c’est dans un contexte de classes populaires camerounaises jouissant du bien-être social que se battait l’UPC contre le régime de Amadou Ahidjo, que s’activaient par la plume en métropole néocoloniale, par exemple, Mongo Beti, auteur de Main basse sur le Cameroun (1972), puis l’équipe de la revue Peuples noirs, Peuples africains (lancée en 1978). Des combats menés dans l’ignorance d’une réalité supposée enviable, paradisiaque, en quelque sorte…
55 Dans la postface de la récente édition en poche de l’ouvrage incontournable, publié la veille du Sommet de Montpellier, sous la direction de Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe, Une histoire de la Françafrique. L’Empire qui ne veut pas mourir (Paris, Seuil, août 2023), il est indiqué que cette expression « est très ancienne. On la retrouve par exemple, dès les années 1950, sous la plume des officiers français en poste au Cameroun » (p. 1251) où la France mène alors une guerre contre l’Union des populations du Cameroun (UPC).
56 L’article 4, de la LOI no 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (https://www.legifrance.gouv.fr/load/id/JORFTEXT000000444898) stipule que « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Il n’a pas manqué d’individus de sensibilité humaniste, la mettant en pratique dans certains cas, marginalement, exceptionnellement, mais cela ne fait pas du système colonial un mix de domination et d’émancipation… Face à cette persistance de la mentalité coloniale officielle, Aimé Césaire avait réagi en refusant dans l’immédiat, de recevoir à Fort-de France, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, et en mettant à jour le propos du Discours sur le colonialisme : « Mais comment peut-on ? […] Cet article 4 […]est une infamie qui écrase les massacres, les expropriations, les atteintes à la dignité et donc à l’humanité. Pour valoriser quoi ? […] Les routes. Les hôpitaux, la mise en culture des terres, les technologies ? Alors quoi, on met en balance ma dignité d’homme et un camion benne ? Mais de qui se moque t-on ? ». Plus tard, il recevra Nicolas Sarkozy : « Vous savez ce que je lui ai offert et dédicacé ? […] Mon Discours sur le colonialisme », propos rapportés par Mariejosée Alie, Entretiens avec Aimé Césaire, éditions Hervé Chopin, p. 57 A. Mbembe (propos recueillis par Christine Holzbauer), op. cit. Quelques mois avant ledit sommet, il parlait à la BBC, (menant une enquête sur le « sentiment anti-français ») de « choses qui nous ont uni dans le passé et nous unissent encore aujourd’hui et qui ne sont pas que négatives » (Ndèye Khady Lo & Rose-Marie Bouboutou-Poos, « Quelle est l’histoire du “sentiment anti-français” en Afrique et pourquoi il resurgit aujourd’hui ? », BBC News Afrique, 28 mai 2021, https://www.bbc.com/afrique/region-56971100. Les journalistes de préciser que « Pour M. Mbembe, le sentiment dominant porte sur la nécessité de réviser les fondamentaux de cette relation pour qu’elle soit profitable aux deux parties” » (le début de la citation n’est pas indiqué dans l’article). Cette conception du passé colonial, du colonialisme est partagée par un autre universitaire africain, nigérien en l’occurrence, Rahmane Idrissa, contributeur (avec son texte « Ftancafrique : l’idée qui ne veut pas mourir ») au débat consacré par la revue Politique africaine (n° 166, 2022/2, p. 193-215, https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2022-2-page-193.htm) au livre L’empire ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, en déplorant, à la fin de son texte, l’ingratitude des « intellectuels francophones d’Afrique subsaharienne (moi y compris) [qui]doivent leur prime accès à une culture textuelle cosmopolite » au « vaste don gratuit de la littérature mondiale » que le ministère français de la Coopération « faisait aux bibliothèques municipales et scolaires des capitales et des villes de province » et dont nombreux sont devenus « les critiques les plus acerbes et les moins généreux de la France », après avoir « reçu ses libéralités qui ont par ailleurs un inévitable côté émancipateur » (p. 206). Que cela puisse relever de la « conquête morale » comme le pensaient des colons à l’instar de François Mitterrand ne le convainc pas. Dans le colonialisme et le néocolonialisme – qu’il confond (« que nos États étant des néocolonies, nos dirigeants sont des gouverneurs coloniaux »), comme s’il ignorait la définition qu’en avait donnée Nkrumah) – il y aurait du positif et du négatif, de « la complexité », de « la complication ». Une mise à jour encore des « maladies guéries, des kilométrages de routes » … Ce à quoi les auteurs du livre ont justement répondu : « nous refusons d’emprunter cette voie qui met en balance, comme s’il s’agissait de justice, le destin de quelques Africains “méritants” qui accèdent à des postes de prestige et le sort moins enviable de tous les autres. notre objectif n’est pas plus d’identifier les aspects prétendument positifs de la colonisation que de saluer les supposés bienfaits du système françafricain » (p. 209). Sinon, le nazisme avec son organisation des vacances à la mer, sa construction des routes, sa Volkswagen, sa promotion de certains arts (cf., par exemple, Peter Reichel, La fascination du nazisme, 1991, pour la version allemande, 1993, pour la traduction française, éd. Odile Jacob) devrait faire aussi l’objet d’un bilan avec des aspects dits positifs et d’autres négatifs… Le plaidoyer de cet universitaire n’illustre t-il pas la réussite de ladite « conquête morale » ?
58 Face à cette persistance de la mentalité coloniale officielle, Aimé Césaire avait réagi en refusant dans l’immédiat, de recevoir à Fort-de France, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Plus tard, il le recevra : « Vous savez ce que je lui ai offert et dédicacé ? […] Mon Discours sur le colonialisme », propos rapportés par Mariejosée Alie, Entretiens avec Aimé Césaire, éditions Hervé Chopin, p. 74.
72
59 Dans un article critique du Rapport Mbembe, Pierre Jacquemot (universitaire, membre du comité de rédaction de l’ancienne version (éditée par l’Agence française de développement) de la revue Afrique contemporaine, ancien ambassadeur de France, ancien conseiller du président du Sénégal, Abdou Diouf…), aussi a resservi, mis à jour, une version néocoloniale de ce discours, en reprochant au Rapport Mbembe, à Mbembe de, entre autres, n’y avoir pas évoqué « les 53 instituts français et le réseau des alliances françaises, installées parfois dans des lieux éloignés des capitales [pour ne pas dire dans la “brousse africaine”] et qui continuent d’accueillir […] nombre d’artistes et d’intellectuels qui ne trouvent pas ailleurs d’espaces de création ou de débat » (« Le rapport Mbembe, un récit à charge, des oublis, des portes ouvertes », 4 novembre 2021 ; https://www.alternatives-economiques.fr/pierre-jacquemot/rapport-mbembe-un-recit-a-charge-oublis-portes-ouvertes/00100958), de l’Institut de recherche et de développement (IRD, dénommé, jusque en 1998, ORSTOM, Office de la recherche scientifique et technique d’Outre-mer, au départ Office de la recherche scientifique coloniale, créé par le régime de Vichy, en 1943), un héritage de la colonisation. Évidemment que pour ce monsieur, il n’y a pas de motivation néocoloniale dans la perpétuation (de l’ORSTOM à l’IRD) de cette “générosité” scientifique, apparemment dépourvue de toute quête iu marque d’influence (« autre nom de la puissance »). Ce qui n’exclut pas l’existence de chercheur·e·s individuellement anti-néocolonialistes y ayant travaillé ou y travaillant …
60 À La Libération, des Françaises qui s’étaient “compomises” affectivement avec des militaires allemands pendant l’Occupation de la France par l’Allemagne nazie – « collaboration horizontale », disaient les persécuteurs/persécutrices –, ont été tondues, promenées dans les rues, huées, parfois avec leurs bébés dans les bras, en guise de châtiment public, à Paris comme dans d’autres villes, cf. Alain Brossat, Les tondues. Un carnaval moche, Paris, Manya, 1992 (Le chauffeur, un militaire états-unien, d’Ernest Hemingway en aurait sauvé une de la tonte par trois hommes, un soir à Paris : « D’un bond, il est sur eux, envoie valdinguer les trois types, hurlant à pleine voix : “Foutez-lui la paix, nom de Dieu, vous êtes tous des collabos !” Tous des collabos… C’est expéditif, mais apparemment c’est ainsi que plus d’un GI [militaire états-unien] voyait les Français en cet été 1944 », Brossat, p. 33. Paris, en l’occurrence, ne s’était pas illustrée comme un haut lieu de la Résistance) ; Julie Desmarais, Femmes tondues. France – Libération. Coupables, amoureuses, victimes, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2010, p. 94-112 concernant les amoureuses. Ce fut le cas aussi dans d’autres pays européens occupés, cf., par exemple, « La Norvège demande pardon auprès de ses “tondues” d’après-guerre », droit international, 18 octobre 2018, http://droitinterational.ek.la/la-norbege-demande-pardon-aupres-de-ses-tondues-a-pres-guerre-a148939212.
61 Emmanuel Macron (propos recueillis par Benjamin Roger et Marwane Ben Yahmed), « Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour », Jeune Afrique, 20 novembre 2020, https://www.jeuneafrique.com/1076943/politique/exclusif-emmanuel-macron-entre-la-france-et-lafrique-ce-doit-etre-une-histoire-damour/.
62Achille Mbembe (propos recueillis par Malick Diawara) : « Les choses ne peuvent plus continuer comme avant », Le Point, 27 avril 2021, modifié le 02 mai 2021, https://www.lepoint.fr/afrique/achille-mbembe-les-choses-ne-peuvent-plus-continuer-comme-avant-27-04-2021-2424023_3826.php.
63 Achille Mbembe (propos recueillis par Marie Cailletet et Olivier Millot), « La Françafrique ? Le temps est venu de tirer un trait sur cette histoire ratée », Télérama, 8 octobre 2010 (mis à jour le 8 décembre 2020), https://www.telerama.fr/livre/achille-mbembe-la-francafrique-le-temps-est-venu-de-tirer-un-trait-sur-cette-histoire-ratee,61085.php. Dans l’avant-dernier paragraphe de l’ouvrage, alors à paraître, au centre de cet entretien (Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010), il est question, au delà de la France, de l’Europe : « Si les Africains veulent se mettre debout et marcher, il leur faudra tôt ou tard regarder ailleurs qu’en Europe » (p. 243). Dans la conclusion de Les damnés de la terre, Fanon affirme, assez inspiré par Césaire, « Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où il le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde ». Maintenant Mbembe se tourne vers l’Union européenne (parlant ces dernières années d’un partenariat égalitaire avec l’Afrique) en termes d’arrimage de l’Europe à l’Afrique (A. Mbembe, « Pourquoi l’Europe doit s’arrimer à l’Afrique », Jeune Afrique, 13 février 2022, https://www.jeuneafrique.com/1301662/politique/sommet-ua-ue-pourquoi-leurope-doit-sarrimer-a-lafrique). Ce qui est, quoi qu’il en dise, une mise à jour de l’Eurafrique des dernières années coloniales, de la transition au néocolonialisme. En ce temps-là de guerre dite froide, de tiers-mondisme, les dirigeants africains francophones (Houphouët-Boigny, Senghor et consorts) choisissaient aussi ainsi leur camp. Le désir de cet arrimage est, de nos jours, motivé par la montée en puissance économique de la Chine, en Afrique en l’occurrence.
64 Achille Mbembe, « Emmanuel Macron a t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? », Jeune Afrique, 27 novembre 2020, https://www.jeuneafrique.com/1080513/politique/tribune-achille-mbembe-Emmanuel-macron-a-t-il-mesure-la-perte-d’influence-de-la-france-en-afrique/. Mbembe n’avait pas, apparemment prêté suffisamment d’attention ou nullement d’intérêt au passage du discours de Macron à Ouagadougou parlant de la France qui « n’investira plus pour que des grands groupes participent parfois à des opérations de corruption organisée […] erreurs que nous avons commises ensemble hier et qui arrivent à de nouveaux investisseurs, avec des entreprises qui proposent des milliards mais pas un emploi pour les Africains, qui proposent des milliards avec la répétition des mêmes erreurs du passé et qui peuvent sembler des solutions de facilité pour aujourd’hui mais en répliquant les troubles, les erreurs parfois les crimes d’hier ». C’est la reconnaissance de la nature de la moralité entrepreneuriale française – nullement originale, certes – antérieure à la ruée chinoise sur l’Afrique.
65 Cf., par exemple, André Gide, Voyage au Congo suivi de Le retour du Tchad. Carnets de route, Paris, Gallimard, 1995 [1927, 1928] ; Cathrtine Coquery-Vidrovitch, « L’économie coloniale des anciennes zones françaises, belges et portugaises (1914-1935), in A. Adu Boahen (dir. du volume), Histoire générale de l’Afrique. VII. L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, Paris, Éditions UNESCO, 1987, 2000, p. 381-411.
66 Yves Bénot, « Vingt ans de “politique africaine” : le couple France-Afrique sous le néo-colonialisme », in Tricontinental, numéro spécial : La France contre l’Afrique, 1981, (p. 54-76), p. 69.
67 Selon la distinction établie par le constitutionnaliste et politologue français Olivier Duhamel : « L’État de droit s’oppose à l’État de police. L’État de police connaît des règles, mais seulement pour organiser les rapports des agents avec leurs supérieurs. Tandis que l’État de droit assure des droits aux administrés face à l’administration, aux gouvernés face aux gouvernants […]l’État de police accorde une large place au droit : mais celui-ci est un droit purement instrumental, sur lequel l’administration dispose d’une totale maîtrise, sans être tenue au respect des normes supérieures qui s’imposeraient à elle ; servant à imposer des obligations aux administrés, sans être en retour source de contrainte pour l’administration, il est l’expression et le condensé de la toute puissance administrative », Olivier Duhamel, Le pouvoir politique en France, Paris, Seuil, 2003, 5ème édition [1ère édition : PUF, 1991], p. 56 et 16.
68 Sur la doctrine française de la « guerre révolutionnaire » ou « guerre contre-révolutionnaire », de l’Indochine à l’Algérie – exportée par la suite aux Amériques –, cf., par exemple, Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, Paris, La Découverte, 2004, 2008. Dans la conclusion, trois pages et une dizaine de lignes consacrées au Rwanda sont intitulées « la “doctrine française” au coeur du génocide rwandais ». Cf, aussi, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), Paris, La Découverte, 2011.
69 Cette concurrence des identités, très développée collectivement, par postmodernisme, peut être considérée comme en phase avec le principe de concurrence capitaliste, amplifiée en ce temps néolibéral.
70 Selon le rapport de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe, présidée par Benjamin Stora, remis à Madame la ministre française des Outre-Mers, le 30 octobre 2016, « Les autorités locales ont été poussées par Jacques Foccart qui suivait plus particulièrement ce qui se passait en Guadeloupe du fait de ses réseaux, de ses attaches familiales et de ses intérêts […] Informé par Jacques Foccart, le président de la République a donné son accord pour l’envoi d’un escadron de gendarmerie type PUMA » (p. 63 et 64), https://www.vie-publique.fr/rapport/36098-commission-dinformation-et-de-recherche-historique-sur-les-evenements-d. Une note infrapaginale précise que « Le père de Jacques Foccart possédait des plantations de bananes et sa soeur s’était installée depuis peu » en Guadeloupe. Où Jacques Foccart a passé quelques années d’enfance, et y a fait aussi, devenu adulte, de l’exportation des fruits tropicaux.
71 O. Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005, les pages 308-334 sont intitulées « juin 1848 : sus aux “Bédouins de la métropole” », incluses dans le chap. V intitulé « La “Coloniale” contre la “Sociale” » (p. 277-334). Cf. aussi, par exemple le chapitre 8 de François Maspero, L’honneur de Saint Arnaud (Paris, Seuil, 2011) intitulé « Les Africains à Paris » qui relate le rétablissement de “l’ordre”, au prix de centaines de morts, par le maréchal et les généraux de l’Armée coloniale d’Algérie (l’« Armée d’Afrique ») contre les révolutionnaires de juin 1848, à Paris.
72 Cf., par exemple, p. 34-38 (« La Coloniale contre l’ennemi intérieur ») de Raphaël Granvaud, De l’armée coloniale à l’armée néocoloniale (1830-1990), octobre 2009, https://survie.org/publications/les-dossiers-noirs/article/de-l-armee-coloniale-a-l-armee.
73 « À l’heure de faire le bilan, nous avons recensé sept grandes lois sécuritaires, sans même compter les restrictions liées à la pandémie, ni certaines atteintes aux libertés prises par décret, ou dans des lois sur d’autres sujets. Aucune loi tant soit peu progressiste sur les libertés publiques ou individuelles n’a émergé de cette législature macroniste » démontre Pierre Jequier-Zalc dans « Bilan du quinquennat : la grande surenchère sécuritaire d’Emmanuel Macron », basta ! https://basta.media/bilan-du-quinquennat-macron-libertes-publiques-surenchere-securitaire-etat-d-urgence-sanitaire. Cf. aussi La Quadrature du Net, « Emmanuel Macron, cinq années de surveillance et de censure » (https://www.laquadrature.net/2022/02/03/emmanuel-macron-cinq-annees-de-surveillance-et-de-censure/) qui dresse la liste d’une quarantaine d’atteintes aux droits et libertés, de septembre 2017 à janvier 2022.
74 En 2019, « il y eut autant de manifestants blessés par la police (2 500), et parfois mutilés à l’oeil ou aux mains par des tirs de lanceurs de balles de défense (144 blessés graves) que pendant les 20 ans précédents », selon Evelyne Sire-Marin, op. cit. Ne sont pas prises en compte
75 « À partir de 2014 (gouvernement de Manuel Valls, puis élection d’Emmanuel Macron), le rythme des morts [victimes des agents de police] est nettement reparti à la hausse, avec plus de 20 personnes tuées chaque année – plus de 30 en 2017 – alors que ce chiffre restait auparavant exceptionnel (ceci est notamment dû à des morts liées à des agents hors-service). L’usage de la violence policière létale en France est-elle en train de franchir un seuil ? », Ivan du Roy et Ludo Simbille (base de données de BastaMag, compilée et analysée par), « Morts à la suite d’interventions policières - une enquête de Basta Mag » ; https://bastamag.net/webdocs/police/, version disponible le 10 juin 2022 ; cf. aussi Cédric Mathiot, « Combien la police tue-t-elle de personnes chaque année ? », Libération, 15 octobre 2021, https://www.liberation.fr/checknews/combien-la-police-tue-t-elle-de-personnes-chaque-annee-20211015_KYHFDVOGXNFZHA44MSQWLDU7GM/ ; Evelyne Sire-Marin, « État de droit, État de quel droit ? », op. cit.
76 Kristin Ross (propos recueillis par Jade Lindgaard), « Les Soulèvements de la Terre ont réussi à réorienter le regard des habitants des villes vers les campagnes », Mediapart, 23 avril 2023, https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/200423/kristin.ross-les-soulevements-de-la-terre-ont-reussi-reorienter-le.regard-des-habitants-des-villes-vers. Concernant Macron II, cf. aussi, par exemple : Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Liberté de manifester et liberté de la presse en danger », 23 mars 2023, mis à jour le 24 mars 2023, https://www.cncdh.fr/actualite/liberte-de-manifester-et-liberte-de-la-presse-en-danger ; Rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, Empêcher l’accès à la bassine quel qu’en soit le coût humain, Sainte-Soline, 24-26 mars 2023, https://www.ldh-France.org/empecher-lacces-a-la-bassine-quel-quen-soit-le-cout-humain-2/ ; Antton Rouget, « L’effroyable bilan provisoire des violences policières après la mort de Nahel », Mediapart, 2 août 2023, https://mediapart.fr/journal/France/02082023/l-effroyable-bilan-provisoire-des-violences-policieres-apres-la-mort-de-nahel).
77 Celles et ceux qui évaluent monétairement la supposée réparation paraissent relever de la mémoire-spectacle de la traite négrière et de l’esclavage extra-africain, celle des cérémonies officielles, des événements médiatiques, voire de quelques carrières, faisant abstraction de la douleur qu’ont vécu les familles dont des membres, généralement jeunes, avaient été arraché·e·s par cette traite ; les victimes, dont nombreuses ont fini au fond de quelque océan, et la douleur de leurs familles étant ainsi considérées comme monnayables, a postériori, en notre temps néolibéral, de marchandisation de tout. De l’indécence sur l’irréparable …
78 Achille Mbembe, « The age of humanism is ending », Mail & Guardian, december 22, 2016, http://mg.co.za/article/2016-12-22-00-the-age-of-humanism-is-ending. Ce texte de Mbembe est anti-néolibéral, mais dans l’esprit dominant, assez nostalgique des prétendues Trente Glorieuses (une parenthèse dans l’histoire du capitalisme, justifiée par, entre autres, la rivalité entre les idéologies capitaliste et communiste) généralement délestées de l’impérialisme/néocolonialisme, de l’échange inégal, du cours écocidaire … Et, cet historien ne se prive pas, en discret ex-partisan anticommuniste de la guerre dite froide, de falsifier l’histoire en affirmant par exemple que « Capitalism and liberal democracy triumphed over fascism in 1945 and over communism in the early 1990s when the Soviet Union collapsed. With the dissolution of the Soviet Union and the advent of globalisation, their fates were disentangled. The widening bifurcation of democracy and capital is the new threat to civilisation ». Un amalgame de la victoire sur le fascisme en 1945 et l’effondrement du « bloc communiste » à la fin des années 1980-début années 1990 qui occulte ainsi que : 1°/Le fascisme a été vaincu en 1944-1945 par les Alliés parmi lesquels n’a pas été secondaire l’action de l’Union soviétique, toute stalinienne qu’elle était. Ainsi, l’anti-« démocratie libérale » Joseph Staline a fait partie du triumvirat des dirigeants alliés (États-Unis, Grande-Bretagne et Russie) en conférence à Yalta (février 1945), puis à Postdam (juillet-août 1945). En France, le Parti communiste français, alors inféodé à Moscou, a été le premier parti, électoralement, dans la France de l’immédiat après-guerre, en reconnaissance, par une partie de l’électorat français, de sa forte participation à la Résistance contre le nazisme et le régime français de Vichy collaborateur de celui-ci. Par ailleurs, il faut toujours le rappeler, la part d’humanisme des sociétés capitalistes développées est certes liée à un certain esprit des Lumières, mais est surtout le produit des luttes menées par les exploité.e.s et les opprimé.e.s, surtout dans un contexte de puissances capitalistes hantées par le spectre du communisme, le développement de la conscience révolutionnaire anticapitaliste. Comme son prédécesseur l’État social initié en Allemagne, à partir des années 1880, par le chancelier Bismarck, le fordo-keynésianisme ou capitalisme « social » (surtout durant les Trente Glorieuses post- Seconde Guerre mondiale) relève d’une sorte d’exorcisme ou de prophylaxie anti-spectrale (John M. Keynes a parlé de la hantise du communisme ayant, entre autres, motivé sa conception hétérodoxe du capitalisme). 2°/En 2016, l’identification idéologique, pendant la guerre dite froide, de la « démocratie » au capitalisme, relève de la mystification, plutôt que de l’ignorance, car l’Espagne de Franco (de 1939 à 1975), la Grèce des colonels (1967-1974), le Portugal de Salazar (1926-1968), continué par Marcelo Caetano (1968-1974), les dictatures militaires des années 1970 en Amérique dite latine (Argentine, Chili…), etc., sans parler de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie (de l’examen des rapports de l’État allemand sous le nazisme, il découle que “socialisme” dans “national-socialisme” était plutôt trompeur), étaient indéniablement capitalistes. En 1936, l’intellectuel anarchiste francais Daniel Guérin avait publié Fascisme et Grand Capital. Italie et Allemagne (Paris, éd. Gallimard, puis plus tard éd. Maspero et de nos jours, ed. Libertalia), sans que soit considérée comme incongrue la conjonction de coordination. Tout comme aujourd’hui Ishay Landa, après d’autres, démontre, de façon plus documentée, que « Les nazis n’étaient pas socialistes : ils étaient hypercapitalistes » (Ishay Landa, propos recueillis par Nils Schniederjann, Contretemps, 14 novembre 2022 https://www.contretemps.eu/nazis-hitler-hypercapitalisme-liberalisme-socialisme/ – Jacobin, 2022 August. traduction de l’anglais par Christian Dubucq, https://jacobin.com/2022/08/nazi-germany-national-socialism-hypercaptialism-social-darwinism-liberalism). Mbembe est un « pro-capitaliste honteux », c’est-à-dire tendant à le voiler, ai-je déjà dit ailleurs.
79 Cf., par exemple, Noëlle Burgi, « La grève défaite », Vacarme, 2004/4, n° 29, p. 6-9, https://www.cairn.info/revue-vacarme-2004-4-page-6.htm ; Seumas Milne, « Et Margaret Thatcher brisa les syndicats », Le Monde diplomatique, « L’Atlas Histoire », 2010, p. 90-91), et, avant elle, le président états-unien Ronald Reagan avait brisé la grève du syndicat des aiguilleurs du ciel, le faisant disparaître même (1981).
80 « If we went on as we are then by the end of the century there would be four million people of the new Commonwealth or Pakistan here. Now, that is an awful lot and I think it means that people are really rather afraid that this country might be rather swamped by people with a different culture and, you know, the British character has done so much for democracy, for law and done so much throughout the world that if there is any fear that it might be swamped people are going to react and be rather hostile to those coming in » (ma propre traduction, approximative : « Au rythme actuel, nous pourrons avoir d’ici, à la fin du siècle, quatre millions de ressortissant·e·s du nouveau Commonwealth ou du Pakistan. Maintenant, c’est déjà énormément de monde et je pense que les gens craignent réellement que ce pays pourrait être submergé de personnes ayant une culture différente et, vous savez, le caractère britannique a beaucoup fait pour la démocratie, pour la loi et autant à travers le monde que s’il y a quelque peur d’être submergé, les gens réagiront et seront plutôt hostiles à cette immigration »), Margaret Thatcher « TV Interview for Granada World in Action (“rather swamped”) », 27 january 1978, sur le site de la Margaret Thatcher Foundation, https://www.margaretthatcher.org/document/103485. Pendant la décennie précédente, ce chiffon électoraliste raciste avait déjà été agité par le politicien conservateur Enoch Powell auquel l’écrivain d’origine caribéenne V. S. Naipaul aurait répondu tout simplement : « Nous ne serions pas ici si vous n’aviez pas été là-bas ».
81 William Borders, « Britain Discovers A Race Problem, To Its Surprise », The New York Times, April 19, 1981, https://www.nytimes.com/1981/04/19/weekinreview/britain-discovers-a-race-problem-to-its-surprise.html.
82 C’est plus au régime de Sarkozy qu’à celui de Macron que fait penser la révolte, en 1981, de la jeunesse racisée et précarisée contre les exactions policières dans cinq villes anglaises (Di Great Insohreckshan », est sa mémorisation en reggae par Linton Kwesi Johnson).
83 Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La fabrique, 2018, ‘. 234
84 « Nicolas Sarkozy se penche de nouveau sur la moralisation du capitalisme financier », La Tribune (08/01/2009), http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20090108trib000329114/nicolas-sarkozy-se-penche-de-nouveau-sur-la-moralisation-du-capitalisme-financier.html.
85 Discours du Président Gaston Monnerville au Sénat, 9 octobre 1962.
86 Ndongo Samba Sylla, La démocratie contre la république. L’autre histoire du gouvernement du peuple, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 336. Cf. aussi, par exemple, Francis Dupuis-Deri, Démocratie. Histoire politique d’un mot aux Etats-Unis et en France, Montréal, Lux, 2013.
87 François Dosse, Macron ou les illusions perdues. Les larmes de Paul Ricoeur, Le Passeur, 2022, p. 313 (format epub).
88 Lettre à Achille Mbembe, https://static.mediapart.fr/files/2021/10/08/lettre-a-mbembe-ok.pdf.
89Achille Mbembe (propos recueillis par Malick Diawara) : « Les choses ne peuvent plus continuer comme avant » …
90 La réponse, datée du 25 avril, peut être citée en intégralité : « Cher Me Loalngar [le nom, Loanlgar, est écorché : erreur de frappe ? expression de l’(in)attention accordée au message reçu ?] Chers Frères, J’ai bien reçu votre lettre et les documents afférents. Le sort du peuple tchadien et du peuple africain est notre souci commun. Alléger le fardeau, tel est le sens de nos efforts communs. Je consulte le comité et, ensemble, nous reviendrons vers vous assez rapidement. Achille Mbembe », https://static.mediapart.fr/files/2021/10/08/reponse-de-mbembe.pdf. Il paraît que le collectif tchadien attend toujours la réponde du « comité Mbembe ».
91 A. Mbembe, « Afrique-France : chronique d’un sommet », Jeune Afrique, 31 octobre 2021, https://www.jeuneafrique.com/1258486/politique/afrique-france-chronique-dun-sommet-par-achille-mbembe/.
92 Survie, « Tchad, la répression continue, l’hypocrisie française aussi »,
93 Francis Sahel, « Au Tchad, Emmanuel Macron impose le fils après adoubé le »
94 Cf., Gérard de Beaurepaire, Guy Hennebelle, Guy le Querrec, Abdelrani Mahenni, Faougi Majhoub, Ibrahima Signaté, Berthe Schwartz, Claire Zarrouk (journalistes), “Jeune Afrique” démasqué, Paris, Maspero, 1971.
95 Souleymane Bachir Diagne (propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam), « La Françafrique, c’est fini ! », Jeune Afrique, 2 mai 2021, https://www.jeuneafrique.com/1158693/politique/souleymane-bachir-diagne-la-francafrique-cest-fini/. La phrase servant de titre à cet article entretien, ne figure pas comme telle dans l’entretien. Bachir Diagne affirme plutôt : « Ceux qui se demandent comment en finir avec la Françafrique ont un train de retard : cette relation se dissout progressivement dans un mouvement de démultiplication des partenariats » (ce qui peut être insuffisant tant que sont maintenus des piliers de la Françafrique …). Mais, l’on suppose que le projet de titre a été soumis à Bachir Diagne, publié ainsi avec son accord. Il n’y est nullement question de la situation tchadienne…
96 Cf., par exemple, J. N. « Le néocolonialisme de la rupture »,
97 François Hollande Le regard français sur l’Afrique doit changer », Afrik.com, 27 mars 2012, http://www.afrik.com/article25144.html.
98 Achille Mbembe (propos recueillis par Malick Diawara) : « Les choses ne peuvent plus continuer comme avant »…
99 Décret n° 2021-734 du 8 juin 2021 portant création de la réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses (terres australes et antarctiques françaises), Journal officiel de la République Française, 19 juin 2021, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043630106. La Grande -Bretagne aussi prétexte maintenant de la protection de la biodiversité pour ne pas décoloniser les îles Chagos – dont fait partie la base militaire états-unienne de Diego Garcia qui leur est louée par les Britanniques – revendiquées par Maurice, et reconnues ainsi par la Cour internationale de justice. Mais, par gangstérisme colonial, la Grande-Bretagne s’entête…
100 Cf., par exemple, Stefan Gua, « Aux îles Glorieuses, la défense de la biodiversité sert l’impérialisme français », Reporterre, 29 juillet 2021 (mis à jour le 6 août 2021 ; https://reporterre.net/Aux-iles-Glorieuses-la-defense-de-la-biodiversité-sert-l’imperialisme-francais. À titre de rappel Madagascar et Maurice sont des pays indépendants, La Réunion est officiellement un « département » français, en Afrique. « La France est un pays archipel, un pays monde » précisait impérialement Macron à cette occasion, cité par Laure Verneau, « Macron aux iles Eparses, un affront pour les Malgaches », Le Monde, 24 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/24/macron-aux-iles-eparses-un-affront-pour-les-malgaches_6016784_3212.html ; cf. aussi, Fanny Pigeaud, « Îles Éparses, cet archipel dans l’océan Indien que la France ne veut pas lâcher », in L’Empire qui ne veut pas mourir…
101 https://dacces-ods.un.org/tmp/7683852.91099548. La résolution précédente (34/91, décembre 1979), « invit[ait] le gouvernement français d’engager sans plus attendre des négociations avec le gouvernement malgache pour la réintégration des îles ci-dessus mentionnées, ayant été arbitrairement séparées de Madagascar », car « l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays » devant être « scrupuleusement respectées au moment de son accession à l’indépendance » (https://dacces-ods.un.org/tmp/5016539.09683228.html), en référence à la déclaration onusienne sur l’indépendance des territoires et peuples colonisés. Ce que réaffirmait la résolution 35/123, eu égard au non respect par la France de la résolution précédente. L’accaparement français, une violation du “droit international”, s’est accompli pendant la suspension, sous prétexte de la pandémie, des travaux de la commission mixte franco-malgache chargée de régler ce différend. Alors qu’en 2019, selon plusieurs sources, le chef de l’État français, soi-disant préoccupé par la refondation de « la relation de la France avec l’Afrique », en visite sur l’une des îles, avait déclaré impérialement : « Ici, c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse […] On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète », cité par plusieurs articles, dont Laure Verneau, « Macron aux îles Eparses, un affront pour les Malgaches », Le Monde, 24 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/24/macron-aux-iles-eparses-un-affront-pour-les-malgaches_6016784_3212.html ; cf. aussi, entre autres, Arsène Rabarison, « Les îles Éparses, aspects juridiques et politiques », Lakroan’i Madagasikara on line, « il y a 3 années », https://www.lakroa.mg/item-1980_articles_dossier_18-les-iles-eparses-aspects-juridiques-et-politiques.html.
102 « Déclaration de Johannesburg sur le Thème : Faire taire les armes en Afrique », Annexe II à la lettre datée du 29 décembre 2020 adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de l’Afrique du Sud après de l’Organisation des Nations Unies, S/2020/1310.
103 Communiqué : « Le Mouvement des Peuples de l’Océan Indien dénonce l’impérialisme français dans l’archipel des Glorieuses sous l’habit vert de la conservation de la biodiversité », sur le craadoi-mada.com (site du Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement Océan Indien), 24 juin 2021, https://craadoi-mada.com/le-mouvement-des-peuples-de-locean-indien-denonce-limperialisme-francais-dans-larchipel-des-glorieuses-sous-lhabit- vert-de-la-conservation-de-la-biodiversite/.
104 Achille Mbembe (propos recueillis par Christophe Ayad, Cyril Bensimon, Christophe Châtelot et Serge Michel), « Venez en Afrique, venez chez nous ! », Le Monde, hors-série : Afrique l’envol, janvier 2015, (p. 6-11), p. 11.
105 Le titre des neuf pages consacrées à la présence chinoise en Afrique dans le rapport dit Védrine (Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino, Hakim El Karaoui, Rapport au Ministre de l’Économie et des Finances : Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, décembre 2013), pouvant être considéré comme nuancé, est « Chine-Afrique, entre prédation et partenariat ». Il n’y est pas évidemment de partenariat prédateur historique de la France en Afrique que ce soit, par exemple, pour l’uranium nigérien, le bois ivoirien, le pétrole gabonais…
106 Achille Mbembe, « Emmanuel Macron a t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? », Jeune Afrique, 27 novembre 2020, https://www.jeuneafrique.com/1080513/politique/tribune-achille-mbembe-Emmanuel-macron-a-t-il-mesure-la-perte-d’influence-de-la-france-en-afrique/. Mbembe n’avait pas, apparemment prêté suffisamment d’attention ou nullement d’intérêt au passage du discours de Macron à Ouagadougou parlant de la France qui « n’investira plus pour que des grands groupes participent parfois à des opérations de corruption organisée […] erreurs que nous avons commises ensemble hier et qui arrivent à de nouveaux investisseurs, avec des entreprises qui proposent des milliards mais pas un emploi pour les Africains, qui proposent des milliards avec la répétition des mêmes erreurs du passé et qui peuvent sembler des solutions de facilité pour aujourd’hui mais en répliquant les troubles, les erreurs parfois les crimes d’hier ». C’est la reconnaissance de la nature de la moralité entrepreneuriale française – nullement originale, certes – antérieure à la ruée chinoise sur l’Afrique.
107 Le titre des neuf pages consacrées à la présence chinoise en Afrique dans le rapport dit Védrine (Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino, Hakim El Karaoui, Rapport au Ministre de l’Économie et des Finances : Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, décembre 2013) est « Chine-Afrique, entre prédation et partenariat ». Ne serait-ce pas pertinent aussi, à l’occasion, de remplacer Chine par France, et supprimer « entre » ?
108 Léopold Sédar Senghor, « Pour une solution fédéraliste », La Nef, N° 9, juin 1955, cité par Khadin Ndiaye, « Léopold Séfdar Senghor, chantre du (néo)colonialisme français, chapitre 5 de Thomas Borell et alii (dir.), L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique », Paris, Seuil, 2021 (p, 191-207 de l’édition numérique, en pdf), p. 205 pour la citation (le texte de Khadim Ndiaye est aussi disponible sur le site Afrique XXI : https://afriquexxi.info/article4897.html). En 1972, Senghor persistait dans sa sous-estimation de la nocivité de la colonisation, non seulement française, en avance sur la loi française de 2005 : « Dans la colonisation, je le reconnais volontiers, je l’ai souvent dit, les apports positifs et les apports négatifs s’équilibrent, encore que l’introduction de certaines plantes industrielles, payées aujourd’hui à bas prix, nous pose des problèmes quasi insolubles », L. S. Senghor, Discours prononcé devant l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe, 20 octobre 1972, http://www.assembly.coe.int/nw/xml/Speeches/Speech-XML2HTML-FR.asp?SpeechID=206.
109 Pierre Jacquemot, « Cinquante ans de coopération française avec l’Afrique subsaharienne. Une mise en perspective », Afrique contemporaine, 2011/2, n° 238, (p. 43-57), p. 52 ; https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine1-2011-2-page-43.htm. La “doctrine Balladur” renvoie à cette idée du Premier ministre français de l’époque, Édouard Balladur, cité en note infrapaginale par Jacquemot : « Si certains pays préfèrent rester à l’écart de la communauté internationale et des règles de bonne gestion, la France ne pourra rien pour eux » (idem) – la « communauté internationale » étant ici, principalement, le FMI et sa soeur jumelle, la Banque mondiale imposant à des États d’Afrique, d’Amérique dite latine et d’Asie la néolibéralisation, dont la dévaluation de la monnaie nationale. La France est supposée – sous la pression des gouvernants africains, hostiles à la dévaluation, cette mesure d’ajustement structurel, à l’instar du parrain africain de la Françafrique, l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny – avoir hésité pendant des mois à imposer, par procuration, la dévaluation des francs CFA et comorien.
110 La concurrence entre puissances capitalistes s’accompagne néanmoins d’un partenariat. Ainsi, selon la page de présentation des relations bilatérales France-Chine du site du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, la France et la Chine sont en « partenariat stratégique global » (alors que pour l’Union européenne la Chine n’est plus la partenaire stratégique globale, elle est devenue la « rivale systémique ». L’Union européenne oscille en fait sur le sujet, comme si elle était partagée entre ses propres intérêts et l’alignement sur les États-Unis d’Amérique considérant plus la Chine comme une ennemie) : « La Chine est le 7e client de la France (la part de marché française en Chine est de 1,4%) et son deuxième fournisseur (la part de marché chinoise en France est de 9%). Nos échanges commerciaux restent marqués par un fort déséquilibre : la Chine est le premier déficit commercial bilatéral de la France (29,2 Mds EUR en 2018) devant l’Allemagne. Les investissements croisés sont en plein essor. La présence française en Chine est ancienne (25 Mds EUR d’IDE en stock en 2017) et concerne tous les secteurs [ …] Plus de 1 100 entreprises sont présentes en Chine représentant 570 000 emplois. Les investissements chinois en France ont connu une forte croissance ces dernières années (6 Mds EUR en stock en 2017) 700 filiales d’entreprises chinoises et hongkongaises y sont établies employant 45 000 personnes », https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/chine/relations-bilaterales/ (consultée le 5 mars 2022). Par ailleurs, la filière nucléaire française a parmi ses principales clientes, la Chine : début 2013, dans le carnet des commandes de la filière nucléaire française, les 4/5 étaient chinoises. Apparemment, en attendant que la Chine maîtrise la technologie française (Cf. Jean-Michel Thénard, « Proglio se muraille avec la Chine », Le Canard enchaîné, 30 janvier 2013). Certes, les tensions entre Pékin et Washington exercent une pression sur Paris, comme sur Berlin, sur l’Union européenne en général, faisant penser à une nouvelle ou seconde guerre dite froide. Cependant, il semble que les entreprises françaises, comme celles des autres principaux États de l’UE, ne sont pas prêtes à se détourner du plus grand marché du monde. En système capitaliste, néolibéral de surcroît, les grandes entreprises (grand Capital) n’agissent pas sur injonction des États, ce sont plutôt ceux-ci qui gouvernent en fonction assez particulièrement des intérêts des grandes entreprises, du grand Capital, par sa nature de classe (État capitaliste) l’« intérêt général » est subordonné aux intérêts du grand Capital. Le capitalisme chinois fait pour le moment exception, à cause, non seulement de l’importance des entreprises d’État, mais aussi de la bureaucratie politique dont des membres dirigeants sont en même temps des capitalistes tenant à limiter l’essor incontrôlé, l’indépendance des capitalistes non bureaucrates, leur influence dans la société, voire à l’international. Par ailleurs, ironie de l’histoire, la Chine figure encore sur la liste des pays bénéficiaires de la dite Aide publique au développement (APD) fournie par le Comité d’aide au développement (CAD) dont les cinq premiers donateurs, en milliards de dollars états-uniens, sont par ordre les États-Unis d’Amérique, l’Allemagne, le Japon. Le Royaume-Uni et la France. Ladite APD semble maintenue, non seulement parce que la Chine se présente encore aussi comme un pays en voie de développement, mais aussi parce qu’elle lubrifie les relations avec l’État donateur, sa “gratitude”.
111 Olivier Mbabia, La Chine en Afrique : Histoire, géopolitique, géoéconomie, Paris, Ellipses, 2012, p. 17-19.
112 Cf., par exemple, Vincent Grépinet, « Le ‘barbare’ en Corée et au Japon, à l’aune de la civilisation chinoise et de la civilisation occidentale », in Isabelle Rabut (textes rassemblés par), Visions du « barbare » en Chine, en Corée et au Japon, Paris, Publications Langues O, 2010, p. 97-108.
113 Dans La science chinoise et l’Occident (1969, 1973 pour la traduction française, Seuil), Joseph Needham affirme que « Mettons à part l’apport majeur en idées et en systèmes des Grecs : les Chinois qui ne connurent pas de “Haut Moyen Âge”, furent entre le 1er et le XVe siècle, généralement bien en avance sur l’Europe et il fallut attendre la Révolution scientifique de la fin de la Renaissance pour que l’Europe prenne soudain la tête. Avant cette époque, cependant, l’Occident avait été profondément marquée, non seulement dans ses développements techniques mais aussi dans ses transformations sociales, par les découvertes et les inventions qui provenaient de Chine et d’Asie orientale. Ce ne sont pas seulement les trois inventions mentionnées par Lord Bacon [le philosophe anglais Francis Bacon, 17ème s.] (l’imprimerie, la poudre à canon et la boussole magnétique) qui eurent des effets, et souvent des effets d’ébranlement profond, sur une Europe socialement instable ; ce sont des centaines d’autres inventions : l’horlogerie mécanique, la fonte », etc. (p. 5).
114 Kenneth Pomeranz, La force de l’empire. Révolution industrielle et écologie, ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine. Introduction Philippe Minard, Alfortville, Éditions ère, 2009, p. 64.
115 En ce 19ème siècle, aux États-Unis d’Amérique, par exemple, « en Californie. L’opium y était légal (et le demeura jusqu’en 1909) et fort bon marché. Il constituait l’unique source d’évasion accessible aux Chinois. Aussi, selon un auteur qui a étudié cette question, quatre Chinois sur dix fumaient-ils l’opium dans l’une des nombreuses fumeries qui existaient dans tous les quartiers chinois – pas moins de 200 dans les neuf pâtés de maisons qui constituaient Chinatown à San Francisco en 1876 Frank Browning, John Gerassi, Histoire criminelle des États-Unis, Paris, Nouveau Monde éditions, 2015, [1980 ; traduit de l’anglais par Jean-Pierre Carasso, pour la Librairie Arthème Fayard, 1981], p. 338.
116 En 1901, l’anarchiste japonais Kôtoku Shûsui constatait que « Notre pays, le Japon, lui aussi, aujourd’hui tombe sans retenue dans le fanatisme de cet impérialisme. Une armée de terre de treize divisions une marine de guerre de trois cent mille tonnes, destinée à s’accroître, un territoire qui s’était étendu à Taïwan, l’envoi d’un corps expéditionnaire pour réprimer [aux côtés des impérialistes européens et états-unien] la révolte des Boxers [en Chine, 1899-1901], tout ceci pour rehausser l’autorité et la gloire nationales, décorer de médailles les poitrines des militaires […] J’affirme que l’impérialisme est une politique qui, pour la satisfaction de la cupidité d’une minorité, met en péril le bien-être de la majorité ; qui pour répondre aux émotions primitives, freine le progrès scientifique, brise la liberté et détruit l’égalité de l’espèce humaine, bafoue la justice et la morale de la société, menace de détruire la civilisation mondiale », Kôtoku S., L’impérialisme, le spectre du vingtième siècle (1901), Paris, CNRS Éditions/Japan Foundation [traduit, présenté et annoté par Christine Lévy], p. 183-184.
117 Parlant de la participation de la Russie tsariste, aux côtés des puissances occidentales, à la semi-colonisation de la Chine, Lénine disait qu’« ils s’y sont pris non pas ouvertement mais en catimini, comme des voleurs. Ils ont commencé à dépouiller la Chine comme on dépouille un cadavre et, quand ce prétendu cadavre a essayé de résister, ils se sont jetés sur lui comme des bêtes féroces, réduisant en cendres des villages entiers, noyant dans le fleuve Amour, fusillant ou perçant de leurs baïonnettes les habitants désarmés, leurs femmes et leurs enfants[… le] gouvernement impérial […] a infesté […]les régions limitrophes de la Russie d’une meute d’entrepreneurs, d’ingénieurs et d’officiers » (Lénine, La guerre de Chine, 1er décembre 1900, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1900/12/vil19001201.htm).
118 Dans cette société agropastorale, « Des mesures législatives et le cantonnement des populations privatisent la terre et brisent les relations tribales. Les ruraux perdent leur identité et leur richesse et s’appauvrissent. Les colons s’approprient à leur détriment de quatre cent quatre bingt mille hectares entre 1830 et 1870 et de quatre cent deux mille hectares ebtre 1871 et 1880. De bons esprits se référant aux Indiens d’Amérique prédisent l’extinction des Algériens », selon Mohammed Harbi, « L’Algérie en perspectives », in Mohammed Harbi, Benjamin Stora (coord.), La guerre d’Algérie, Paris, Rovert Laffont – Hachette Littératures, 2004, p. 48-49 ; selon Denis Cogneau, « Par la contrainte d’État et par le pouvoir de marché, ceux-ci [les colons européens ]se sont arrogé à peu près le quart des terres en Algérie », Un empire bon marché. Histoire économique et politique de la colonisation française, XIXe-XXIe siècle, Paris, Seuil, 2023, p. 208 (epub). Cf. aussi par exemple, Ahmed Henni, Économie de l’Algérie coloniale 1830-1954, Alger, éditions Chihab, 2018.
119 Mission Pierre Savorgnan de Brazza, Commission Lanessan, Le rapport Brazza. Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907), dont la publication avait été interdite, en son temps, pour ne l’être pour la 1ère fois qu’un siècle plus tard, en 2014 par Le passager clandestin (Neuvy-en-Champagne, établi et annoté par Dominique Bellec, avec une présentation et une préface de Catherine Coquery-Vidrovitch, et une postface de Patrick Farbiaz, de l’association Sortir du colonialisme). Pour Coquery-Vidrovitch « Un des grands intérêts du rapport – outre, évidemment, sa dénonciations de véritables crimes contre l’humanité commis dans la colonie administrée par la France – est de montrer le hiatus entre la vision coloniale officielle et la réalité, tout en donnant, qui plus est, à comprendre le poids exercé par les intérêts privés sur la politique coloniale » (p. 20).
120 Léon Vandermeersch, « La conception chinoise de l’histoire », in Anne Cheng (dir.), La pensée en Chine aujourd’hui, Paris, Gallimard ‘Folio’, 2007, (p. 47-73), p. 73.
121 À l’occasion de la réception à Paris, en 2019, de son collègue chinois Xi Jinping, Emmanuel Macron lui avait affirmé : « Nous ne sommes pas en Afrique des rivaux stratégiques […] nous pouvons être davantage des partenaires dans la durée sur les plans de la sécurité, de l’éducation, des infrastructures et du développement » (cité par l’AFP avec Le Figaro). Le Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN) y était très favorable.
122 Par exemple, Gaspard Koenig (du think tank libéral français Génération Libre) affirme dans le magazine de géopolitique, en ligne, Le Grand Continent : « La Chine, elle, construit un modèle qui n’est pas du tout capitaliste, quand bien même on y manie de l’argent et qu’il existe des entreprises privées – détenues en fait indirectement par l’État. Il n’y a pas de propriété au sens propre du terme, formellement c’est l’État qui est propriétaire de toute chose », Gaspard Koenig (propos recueillis par Baptiste Roger-Lacan, Théophile Rospars) « L’Europe est-elle encore libérale ? », Le Grand Continent, 27 avril 2019, https://legrandcontinent.eu/fr/2019/04/27/leurope-est-elle-encore-liberale-une-conversation-avec-gaspard-koenig/. En oubliant le millier d’entreprises françaises qui s’y sont implantées, auxquelles s’ajoutent d’autres, originaires de l’Union européenne, des États-Unis d’Amérique, du Canada, etc… Par ailleurs, malgré la grande visibilité de la main de l’État, la fortune des milliardaires chinois – des entrepreneurs privés, non pas des dirigeants d’entreprises d’État – équivalait en 2020, selon les sources, de 17 % à 25 % du PIB chinois. La dynamique de cet enrichissement est la même que celle constatée aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Russie et ailleurs, y compris sous la pandémie : principalement par extorsion de la survaleur produite par le prolétariat chinois ou ailleurs. Apparemment, la Monthly Review aussi considère, d’un point de vue “anticapitaliste”, que la Chine n’est pas une puissance capitaliste, a contrario, par exemple, d’un Au Long Yu (auteur de La Chine : un capitalisme bureaucratique. Forces et faiblesses, Paris, Syllepse, 2013 [traduit de l’anglais par Patrick Le Tréhondat]) qui parle d’« une variante du capitalisme bureaucratique […] Dans la plupart des pays capitalistes, l’exercice du pouvoir d’État et la mise en oeuvre de l’accumulation du capital sont exercés par deux groupes distincts, précisément les bureaucrates et les capitalistes. Les bureaucrates chinois combinent les deux fonctions et perçoivent simultanément un salaire et captent une partie de la plus-value […]Les capitalistes bureaucrates accaparent les secteurs les plus rentables de l’économie nationale et deviennent le coeur de la nouvelle bourgeoisie » (p. 17, 19-20). Pour Pierre Rousset (co-auteur avec Au Loong Yu, Bai Ruixue et Bruno Jetin de China’s Rise : Strength and Fragility, Londres, Merlin Press, 2012) ce capitalisme chinois se déploie à l’extérieur en « nouvel impérialisme émergé » (P. Rousset, « La Chine, nouvel impérialisme émergé », Europe solidaire sans frontières, 13 novembre 2021, https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article60088.
123 Alice Béja, « Après le rêve américain, le rêve chinois ? », Esprit, 2014/8, août-septembre, p. 71-81, https://www.cairn.info/revue-esprit-2014-8-page-71.htm.
124 Comme exprimé par quelque voix européenne : « Pour arriver à un accord mutuellement bénéfique, il faut que le paradigme change. Sinon les pays africains tenteront de plus en plus de s’orienter vers des pays comme la Chine, et d’établir des relations commerciales avec des pays émergents : Inde ou Brésil », Centre d’Information Europe Direct, « Europe-Afrique : un partenariat à consolider », Maison de l’Europe de Paris et Voix d’Europe, 22 avril 2020, », http://paris-europe.eu/europe-afrique-partenariat-a-consolider/.
125 On peut se demander si le Rapport Mbembe avait été relu, car sur la même page que la fin de la citation ci-dessus, il est conseillé à la France, dans un paragraphe exprimant grosso modo une conscience de néocolonisé (assomption de l’idée émise par le président français dans son discours de Ouagadougou sur la relation directe entre l’État français et la société civile africaine, celle « néo-impériale » selon Ndongo Samba Sylla, Amy Niang et Lionel Zevounou, ayant contribué au spectacle de Montpellier) : « Afin de maintenir son rang dans le monde, il est de son intérêt de mettre ses anciennes colonies en situation plus favorable pour négocier une relation plus égalitaire, fondée sur le marché et le commerce plus que sur l’aide ». Passons sur la hiérarchie mondiale qui ne devrait pas changer, surtout pas laisser la place à une horizontalité, comme sur la relation pouvant exister entre ledit « rang dans le monde » de la France et sa tradition coloniale et néocoloniale, sur « le marché et le commerce » comme fondements de l’égalité, sur la passivité des anciennes colonies, car devant attendre de la France qu’elle les mette « en situation favorable pour négocier », pour brièvement relever, ici aussi, le problème du rapport de Mbembe à la réalité, car parler de « négocier une relation plus égalitaire » rend superflu la « reconfiguration des rapports […]dans le cadre d’un partenariat équilibré fondé sur un dialogue d’égal à égal ». À moins de laisser entendre que l’égalité produite par la reconfiguration ne serait pas assez égalitaire, qu’il faudrait plus d’égalité. Ce qui n’a pas de sens, malgré l’usage coutant de l’expression « plus égal », « plus égalitaire » chez celles et ceux qui pensent qu’il y a déjà de l’égalité dans les sociétés capitalistes développées, trompeusement dites “démocraties”, qu’il s’agit d’en faire plus, avec des réformes. Le problème, c’est que l’égalité c’est l’égalité, il ne peut y en avoir ni moins, ni plus, en mathématiques comme entre les humains, les États. Il est souvent oublié que la formule de Orwell dans le dernier chapitre de La ferme des animaux (1945) « TOUS LES ANIMAUX SONT EGAUX MAIS CERTAINS SONT PLUS EGAUX QUE D’AUTRES » consacre le glissement qui s’est opéré, au fil du temps, à partir du principe « tous les animaux sont égaux » : il apparaît au même moment que l’énonciation d’une classification des animaux en inférieurs et supérieurs, sur le modèle des fermes humaines voisines, du comté ayant ses classes supérieures et inférieures. Un jour, les cochons se sont mis à marcher sur leurs pattes de derrière, alors que la quadripédie distinguait les animaux égaux/égales , des humains (bipèdes) qui ne l’étaient pas . Ce, au grand étonnement des autres animaux de la ferme, restés sur leurs quatre pattes. Une hiérarchie s’étant ainsi restaurée : « Après quoi le lendemain, il ne parut pas étrange de voir les cochons superviser le travail de la ferme, le fouet à la patte. Il n’était pas étrange d’apprendre qu’ils s’étaient procurés un poste de radio, faisaient installer le téléphone … »
126 Mateusz Morawiecki, « La guerre en Ukraine a aussi révélé la vérité sur l’Europe », Le Monde, 26 août 2022, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/16/mateusz-morawiecki-la-guerre-en-Ukraine-a-aussi-revele-la-verite-sur-l-Europe_6138131_3232.html. Cette critique publique de l’Union européenne comme oligarchie a été suivie, trois jours après par la mention critique par le chancelier allemand Olaf Scholz des « démocraties illibérales », de ces « nouvelles menaces qui pèsent sur la liberté, le pluralisme et la démocratie à l’est de notre continent […] cela nous préoccupe lorsqu’on évoque en Europe des “démocraties illibérales”, comme si ce n’était pas une contradiction totale dans les termes », « Discours de Prague », Le Grand Continent, 29 août 2022, https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/29/discours-de-prague-comprendre-le-tournant-de-scholz-sur-lunion/.
127 Olaf Scholz, Discours de la Sorbonne (à l’occasion du 60ème anniversaire du Traité de l’Élysée signé par l’Allemagne et le France), Le Grand Continent, 22 janvier 2023, https://legrandcontinent.eu/fr/2023/01/22/le-discours-de-la-sorbonne-dolaf-scholz/. Dans ce discours, le chancelier allemand parle aussi « du rôle de la France en tant que nation indispensable dans la construction de notre Europe unie. Indispensable, la France l’était hier et elle le reste aujourd’hui ». Implicitement, il y aurait des nations de l’UE non indispensables dans son processus de construction … Ce sont très probablement, les « forces centrifuges qui existent au sein de notre Union »…
128 Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations franco-allemandes, à Paris le 22 janvier 2023, https://www.vie-publique.fr/discours/287930-emmanuel-macron-22012023-france-allemagne,
129 Dans l’article d’une bloggeuse de mediapart.fr intitulé « Capitalisme autoritaire contre capitalisme libéral », il est (ré)affirmé que « Le problème n’est plus le capitalisme ou le communisme. La question n’est plus économies de marché ou planification d’État. Le problème est aujourd’hui dans la passivité de nos règles établies en toute liberté et il n’est plus question de se dresser contre le profit, mais lui trouver sa place adéquate avec la vie en commun. Nous l’avons vu, tout ne peut pas être réduit à l’état d’une marchandise … ». Y sont dénoncés : le développement des inégalités « des écarts abyssaux au sein même des pays libéraux », les paradis fiscaux, la destruction de la planète, les monopoles sur l’information, etc., expliqués par la dynamique financière – tarte à la crème de la pseudo-critique capitaliste du capitalisme – non par la dynamique du « pur capitalisme » (selon l’expression de Michel Husson). L’auteure, animatrice du blog, Albena Dimitrova se présente ainsi : « Ancienne économiste et secrétaire générale de l’Alliance France-Bulgarie, j’ai fait partie des équipes qui ont mené les négociations pour l’entrée de la Bulgarie dans l’Otan et dans l’UE et oeuvré à l’instauration du Currency Board du FMI à Sofia », https://blogs.mediapart.fr/albena-dimitrova/blog/220322/capitalisme-autoritaire-contre-capitalisme-libéral. Le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française dont Macron a été le rapporteur général adjoint s’inscrit dans cette idéologie du capitalisme, néolibéralisé, comme « horizon indépassable » de l’histoire humaine. Et, son président, Jacques Attali, assumait la nature impopulaire de certaines mesures (« Attali, le pouvoir de vendre sa croissance » Libération, 6 décembre 2007, http://www.liberation.fr/actualite/politiques/296111.FR.php?rss=true), autrement dit les conséquences sociales nocives de presque toutes les mesures, dont celles formulées de façon trompeuse, pour les classes populaires de France.
130 Dans le rapport Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France remis au ministère français de l’Économie et des Finances en décembre 2013 par Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino, Hakim El Karoui (rapporteurs) – Rapport Védrine-Zinsou par la suite –, l’évocation du néocolonialisme ne se rapporte qu’aux « critiques sur les pratiques “néocoloniales” des entreprises chinoises » en Afrique (p. 44), tout comme dans le rapport Rapport Gaymard, le terme “impérialisme” n’apparaît qu’à propos du fait qu’« un candidat à l’élection présidentielle en Zambie, Michael Sata, a par exemple été élu en 2011 sur le thème de la dénonciation de “l’impérialisme chinois” » (p. 38).
131 Dans l’encadré sur la Françafrique du Rapport Védrine-Zinsou il est dit que c’« est aujourd’hui un terme à la fois vague et péjoratif » évoquant des « thèmes de financements politiques croisés […] de la corruption active et passive, à la défense d’intérêts privés et de rentes anti-concurrentielles, [de] diplomatie parallèle des réseaux opaques … au point d’obscurcir une relation humaine et économique forte, naturelle et privilégiée » que la commission, intéressée par l’avenir, non par le passé, n’a pas considéré utile « d’analyser à fond » (p. 81). Quant au Rapport Gaymard se référant au, entre autres, Rapport Védrine-Zinsou, le terme Françafrique lui « apparaît donc inopérant : moins qu’un concept, la Françafrique est désormais largement un mythe, et un mythe franco-français » (p. 25). Malgré l’existence encore de bases militaires françaises, du franc CFA, de l’opération Barkhane au Sahel… La domination c’est aussi le pouvoir de disqualifier l’usage de certains termes sans les confronter à la réalité.
132 Selon Le Petit Robert, l’épiphénomène est un « phénomène qui accompagne le phénomène essentiel sans être pour rien dans son apparition ou son développement ».
133 A. Mbembe, « Pourquoi l’Europe doit s’arrimer à l’Afrique », Jeune Afrique, 13 février 2022 ; https://www.jeuneafrique.com/1301662/politique/sommet-ua-ue-pourquoi-leurope-doit-sarrimer-a-lafrique/. Il s’agit d’une version mise à jour, adaptée, des pages 107-109 du Rapport Mbembe, p. 105-107.
134 Charles-Robert Ageron, « L’idée d’une Eurafrique et le débat colonial franco-allemand de l’entre-deux-guerres », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 22, n° 3, juillet-septembre 1975, p. 446-475, https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1975_num_22_3_2329 ; Rapport Mbembe … ; Peo Hansen et Stefan Jonsson Eurafrique. Aux origines coloniales de l’Union européenne, Paris, La Découverte, 2022 [Bloomsbury Publishing, 2014 ; traduit de l’anglais par Claire Habart].
135 Désirée Avit, « La question de l’Eurafrique dans la construction de l’Europe de 1950 à 1957 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 77, janvier-mars 2005, (p. 17-23), p. 18, pour la citation, https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3026_2005_num_77_1_1012.
136 À la différence, par exemple de Papa Dramé et Samir Saul (« Le projet d’Eurafrique en France (1946-1960) : quête de puissance ou atavisme colonial ? », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2004/4, n° 216, p. 95-114 ; http://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2004-4-pages-95) qui citent au moins l’alors député Léopold Sédar Senghor (p. 102 et 106), considéré par Yves Montarsolo comme l’un des principaux protagonistes (post-Seconde Guerre mondiale) du projet (L’Eurafrique contrepoint de l’idée d’Europe : Le cas français de la fin de la Deuxième Guerre mondiale aux négociations des Traités de Rome, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2010, disponible sur internet : http://books.openedition.org/pup/6574). Dans l’index de cet ouvrage il y a 92 pages d’occurrences pour Senghor, 55 pour Gaston Defferre (parlementaire, ministre de la France d’Outre-mer dans les dernières années coloniales, ministre sous la présidence de François Mitterrand), 50 pour Georges Bidault (président du Gouvernement provisoire, du Conseil des ministres, post-Seconde Guerre mondiale, plusieurs fois ministre français et une fois candidat à la présidence de la République française), 36 pour Guy Mollet (parlementaire, président du Conseil des ministres dans les années 1940, ministre, etc.).
137 Politique sociale inspirée, d’une part, du capitaliste états-unien de l’automobile et fascisant, Henri Ford, préoccupé par l’accès des ouvriers à la consommation de nombre de marchandises qu’ils produisent. Dans son autobiographie, il affirme : « Nous n’avons pas apporté de changement aux salaires, parce que nous avions envie de payer plus cher et que nous pouvions le faire. Si nous avons tenu à payer de hauts salaires, c’est pour placer nos affaires sur une base durable. Ce ne fut pas pour répandre des dons, mais pour assurer l’avenir », H- Ford, Autobiographie. Ma Vie et Mon OEuvre, Éditions Cadel, 2017 [1924] p. 122-123, epub. Ainsi, étant fascisant, il ne s’empêchait pas, en même temps, d’intimider l’activisme syndical des ouvriers, en ayant un Ford Service Department, milice privée de l’entreprise, « une armée de durs capables d’occuper les premières lignes lors d’affrontements repétés, chez Ford, entre le patronat et les ouvriers », travaillant en la matière avec la pègre de Detroit (Frank Browning, John Gerassi, Histoire criminelle des États-Unis, p. 471 ; le chap. 24 de cet ouvrage est institulé « Grandes sociétés et associations de malfaiteurs », p. 488-502). L’autre source de ladite hétérodoxie étant l’économiste anglais, John Maynard Keynes, préconisant une politique capitaliste “sociale”, misant sur l’interventionnisme économique de l’État, une redistribution moins inégalitaire des richesses entre les classes sociales, afin d’enrayer la montée du mouvement ouvrier révolutionnaire des premières décennies du 20ème siècle, comme une mise à jour de l’« État social » bismarckien de la fin du 19e siècle, instauré déjà aussi pour la même raison, l’endiguement social du mouvement ouvrier révolutionnaire (anticapitaliste). Ce qui, peut-on dire, a été une réussite en Occident…
138 C’est ce qu’affirme l’historien français, Jacques Marseille, dans l’Avant-propos de la deuxième édition, en 2005, de son ouvrage, issu de sa thèse de doctorat, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.. La France, l’Europe, l’Occident auraient fait preuve de générosité, dépensé beaucoup d’argent sans que cela ne leur rapporte. Tous les travaux publiés avant 1983 ainsi qu’après, soutenant le contraire, aussi bien dans le Tiers-Monde qu’en Occident, c’est-à-dire que le développement du capitalisme occidental l’a été grâce aussi au pillage du Tiers-Monde, sont disqualifiés par l’auteur, comme véhiculant des « mythes ». Dans le cas français, sont mentionnées « les plumes du Monde diplomatique ou des militants d’ATTAC » tout comme l’ouvrage coordonné par l’historien Marc Ferro, le « Livre noir du colonialisme [qui] apparaît terriblement daté » (ouvrage publié en 2003 chez Robert Laffont). L’auteur ne discute pas des démonstrations faites par d’autres historien·ne·s. Et ce n’est pas ce qui a manqué … Une “vérité”, démontrée en 1983, ayant été partagée par la suite, par exemple, par l’historien économique suisse Paul Bairoch (Mythes et paradoxes de l’histoire économique, 1995), par l’économiste états-unien David Landes (Richesse et pauvreté des nations, 2000, la géographe française Sylvie Brunel (L’Afrique, 2004). À titre de rappel, la fin des années 1970 et les années 1980 sont, en France, celles de l’offensive intellectuelle anti-progressiste, anti-tiers-mondiste, contre l’anti-impérialisme, l’anti-néocolonialisme, l’anti-capitalisme, etc., ayant prévalu jusqu’aux années 1990-début des années 2000. Un historien français s’est récemment collé au livre de Jacques Marseille pour en démonter l’argumentaire, les interprétations de certaines statistiques, etc., soutenant que « Au total, sur plus d’un siècle, entre 1833 et 1939, la domination coloniale n’a coûté au contribuable métropolitain que 0,5 % du revenu national, en moyenne et annuellement. Le fonctionnement des États coloniaux a été principalement financé par les impôts prélevés sur les autochtones colonisés, et sur les colons ou expatriés présents sur place, même si ces derniers ont bénéficié d’un traitement fiscal généreux » Denis Cogneau, Un empire bon marché. Histoire et économie politique de la colonisation française, XIXe – XXe siècle, (introduction, p. 29, et objet du chapitre 6, intitulé « Pendant l’Empire : l’État colonial », p. 261-296), Paris, Seuil, 2023.
139 Le rapport Relancer la présence économique française en Afrique : l’urgence d’une ambition collective à long terme, remis au ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères et au ministre de l’Économie et des Finances (avril 2019) par Hervé Gaymard (Rapport Gaymard).
140 Joseph Tchundjang Pouemi, Monnaie servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique, éditions Ouranos, Yaoundé, janvier 2020 (1ère édition : Paris, Jeune Afrique, 1985).
141 Idem, p. 30.
142 Joseph Tchundjang Pouémi, idem, p, 18.
143 Fanny Pigeaud & Ndongo Samba Sylla, L’arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA, « Épilogue », Paris, La Découverte, 2018, pdf sans pagination. L’Argent représentant la valeur est, dans le franc CFA, de nature exogène, aussi l’Autrui dont le rève structure la vie des sujets des sujets des États usagers du FCFA qui « représente la valeur des États africains telle quelle se décide depuis la France » selon l’anthropologue Joseph Tonda, Afrodystopie. La vie dans le rêve d’Autrui, Paris, Karthala, 2021, p. 40-42.
144 S. Amin, « La question du franc CFA », présentation des notes, p.1, http://patrimoinenumeriqueafricain.com:8080/jspui/handle/123456789/52. Senghor et Houphouët-Boigny, en tenors africains de la Françafrique, s’étaient opposés aux conclusions de Samir Amin, approuvées par Diori Hamani, débutant ainsi des relations moins serviles avec la France, ayant culminé dans la revendication d’un juste prix pour l’uramium nigérien (dans le contexte de la revendication d’un Nouvel ordre économique international, dont les échanges Nord-Sud) ; le putsch militaire de 1974 en sera l’aboutissement.
145 Samir Amin et Demba Moussa Dembélé, Samir Amin. Intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud, Dakar, CODESRIA, 2011, p. 35.
146 F. Pigeaud, N. S. Sylla, « Franc CFA : la farce de mauvais goût de Macron et Ouattara » (avril 2021) Bulletin du CODESRIA, n° 2 & 3, 2021, p. 23-27, https://journals.codesria.org/index.php/codesriabulletin/article/view/51/28 ; cf. aussi, par exemple, Ndongo Samba Sylla (propos recueillis par Michael Pauron), « Franc CFA. “Une réforme administrative, pas monétaire” », Afrique XXI, 7 avril 2022, https://afriquexxi.info/Franc-CFA-Une-reforme-administrative. En août 2020, par un accord entre la France et la CEMAC, le passage à l’Eco a été étendu au FCFA d’Afrique centrale, affectant ainsi davantage le projet de la CEDEAO …
147 A. Mbembe (propos recueillis par Christophe Boisbouvier), op. cit.
148 Mamadou Koulibaly, Le libéralisme, nouveau départ pour l’Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 30-106 ; Nicolas Agbohou, Le franc CFA et l’euro contre l’Afrique, Paris. éd. Solidarité mondiale, 1998, 200… Le FCFA a aussi des défenseur·e·s hors des institutions officielles : cf. par exemple, Claude Aline Zobo, « Regards croisés sur le FCFA : que faut-il retenir ? », L’Afrique des idées, 6 mai 2016 https://www.lafriquedesidees.org/zone-franc-africaine-reformes-concretes-a-mener-attendant-etre-nouveau-systeme-de-change ; Ilyes Zouari, « Franc CFA – Il y a 50 ans, la Mauritanie et le Madagascar quittaient la zone franc, après la Guinée et le Mali », Senenews, 19 septembre 2023, https://www.senenews.com/actualités/contribution-chronique/franc-cfa-il-y-a-50-ans-la-mauritanie-et-Madagascar-quittaient-la-zone.franc-apres-la-guinee-et-le-Mali-par-ilyes-zouari_458758.html.
149 Il a, par exemple, co-dirigé l’ouvrage Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. ? A qui profite le franc CFA ? (Paris, La Dispute, 2016), dirigé Du franc CFA à l’éco. Demain la souveraineté monétaire ?, Paris, Fondation Jean-Jaurès et éditions de l’Aube, juillet 2021. Cf. entre autres articles : K. Nubukpo (propos recueillis par Viviane Forson), « Franc CFA, totem pour l’intelligentsia, tabou pour les décideurs », Le Point, 15 septembre 2015 ; K. Nubukpo, « Pourquoi faut-il abolir le franc CFA ? », Les Possibles, n° 16, printemps 2018, https://www.lepoint.fr/. Il a été, entre autres, ministre de Faure Gnassingbé (fils Eyadema), de 2013 à 2015 (remercié après des prises de position publiques anti-FCFA), ensuite directeur de la Francophonie économique et numérique à l’Organisation internationale de la Francophonie (2016-2018). L’ancienne critique du FCFA était portée par Samir Amin, Joseph Tchundjang Pouémi (ci-dessus cité) Celui-là avait, dans les annés 1969-1972, sollicité par le président nigérien Hamani Diori, préconisé une réforme (un « aménagement du sytème de la zone franc »), non pas une sortie de la Zone Franc. Parce que, argumentait-il, par exemple, « la gestion monétaire ne constitue jamais l’aspect premier des problèmes, elle vient en aval, non en amont, des choix sociétaires fondamentaux et des stratégies économiques qui leur correspondent » (S. Amin, « La question du franc CFA », Présentation des notes, p. 1, http://patrimoinenumeriqueafricain.com:8080/jspui/handle/123456789/52), « les problèmes monétaires peuvent difficilement être envisagés en eux-mêmes, sans référence aux conditions structurelles réelles du développement. Au risque de nous répéter, nous préciserons qu’à notre avis “l’obstacle” principal au développement en Afrique comme ailleurs dans le Tiers-Monde n’est pas de nature monétaire. Les systèmes monétaires nationaux en vigueur, comme le système monétaire international sont seulement le reflet de l’inégalité qui préside aux relations internationales et de la nature spécifique des structures engendrées par cette inégalité dans les pays en voie de développement » (idem, « Les obstacles monétaires à l’expansion du commerce intra-africain et au développement en Afrique », mai 1973, p. 19).
150 Dans son dernier ouvrage, centré sur les « communs », en Afrique principalement, le dernier chapitre est consacré au « commun franco-africain » (Une solution pour l’Afrique, Paris, Odile Jacob, 2022). L’ouvrage est sa « contribution à la recherche collective d’un équilibre pour une relation plus juste entre la France et l’Afrique, faite d’équités et de solidarités, urgentes face aux substitutions géopolitiques naissantes et porteuses de loudes incertitudes pour l’avenir de l’Afrique »(p. 17). Dans le premier chapitre, il est question de la construction d’un « axe afro-européen […] sur le principe du juste-échange afro-européen » (p. 21) d’un point de vue non plus néolibéral mais néoprotectionniste.
151 Achille Mbembe (propos recueillis par Lucie Sarr) « Dans la relation Afrique-France, il est possible de changer de paradigme et chacun y va avec ses croyances, son tempérament, ses horizons », par le journal La Croix (Africa La Croix), 20 octobre 2021, https://africa.la-croix.com/achille-mbembe-dans-la-relation-afrique-france-il-est-possible-de-changer-de-paradigme-et-chacun-y-va-avec-ses-croyances-son-temperament-ses-horizons/ (cette interview a été, par la suite, publiée, sans les questions, par Jeune Afrique : Achille Mbembe, « Afrique-France : chronique d’un sommet », Jeune Afrique, 31 octobre, https://www.jeuneafrique.com/1258486/politique/Afrique-france-chronique-dun-sommet-par-achille-mbembe/).
152 Achille Mbembe, « Les putschs en Afrique de l’Ouest annoncent la fin d’un cycle qui aura duré près d’un siècle », Le Monde, 4 août 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/04/achille-mbembe-en-afrique-la-stabilite-passera-par-une-demilitarisation-effective-de-tous-les-domaines-de-la-vie-politique-economique-et-sociale_6184430_3232.html. Dans une version postérieure de cet article, publiée par Le Grand Continent (« Afrique-France : neuf thèses sur la fin d’un cycle », 4 septembre 2023), il est question de « La plupart des outils militaires, monétaires ou culturels qu’elle utilise pour maintenir sa présence et sauvegarder ses intérêts en Afrique sont dorénavant désuets ou manquent désormais de légitimité. Veaux d’or dispendieux que rien, ou très peu, désormais ne justifie, le temps est peut-être venu de s’en débarrasser, et en bon ordre ». Dans ce texte, comme nous le verrons plus loin, Mbembe use de ce que Charles Baudelaire considérait comme un des « droits de l’homme […]assez importants [qui]ont été oubliés […] le droit de se contredire », C. Baudelaire, « Edgar Poe, sa vie et ses oeuvres » (1855), in Baudelaire, OEuvres complètes, Robert Laffont,“Bouquins”, 1980, (p. 575-589), p. 581 pour la citation.
153 Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Gallimard/Quarto, 2002 [Fallois/Fayard, 1994—2000], p. 606, un livre de verbatims du président C. de Gaulle. Le titre de cette partie est : « Après avoir donné l’indépendance à nos colonies, nous allons prendre la nôtre » (p. 603-679), un des chapitres étant intitulé « Plus tôt les Américains quitteront la France, mieux ça ira » (août 1963, p. 620). Il ne s’agissait pas que de la présence militaire, mais aussi de la participation accrue des capitaux états-uniens dans l’économie française, de l’influence du dollar… Quand, de temps à autre, des Africain·e·s demandent un “Plan Marshall pour l’Afrique”, on peut se demander si elles/ils savent bien ce qu’il en a été dans les rapports États-Unis d’Amérique et Europe occidentale (les États-Unis d’Amérique étant aussi intéressés par les territoires coloniaux des puissances occidentales),comme l’exprime la réaction gaullienne. Pour un point de vue états-unien sur ces relations franco-étatsuniennes, au sein de l’OTAN, cf., par exemple, Henry Kissinger, « L’évolution de la doctrine stratégique aux États-Unis », Politique étrangère, n°2, 1962, 27e année, p. 121-131.
154 Par exemple : il y a eu des « consultations entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France » pour une mise à jour de l’OTAN (Memorandum du général de Gaulle au général Eisenhower , 17 septembre 1958, http://www.cvce.eu/obj/lettre_et_memorandum_du_general_de_gaulle_au_general_eisenhower_17_septembre_1958-fr-aebdd430-35cb-4bdd-9e56-87fco77ce7o.html) ; pour plus d’autonomie d’action, de « caractère national », au sein de l’OTAN : « Nous avons pris quelques mesures en ce sens […]ainsi, par exemple, que, maintenant, la France a à sa disposition directe sa flotte. En effet, qu’est-ce que la flotte ? C’est un moyen d’action lointaine. Et comment imaginer que la France laisse ce moyen d’action lointaine à la discrétion d’une organisation exclusivement européenne et qui n’a rien à voir avec l’Afrique, alors qu’elle-même, par ses intérêts et ses responsabilités, est continuellement impliquée en Afrique ? », extrait d’une conférence de presse datée du 5 septembre 1960, tiré de Charles de Gaulle, Discours et messages, Vol. III : Avec le revouveau (1958-1962), Paris, Plon, 1970, http://www.cvce.eu/obj/charles_de_gaulle_discours_et_messages-fr-42bf871e-c393-466c-bae8-5ca1387a51a0.html. De Gaulle parle de « responsabilités » françaises en Afrique, alors que la décolonisation massive des colonies françaises d’Afrique venait d’avoir lieu, le peuple algérien menait sa guerre de libération contre la France.
155 Lettre de Charles de Gaulle à Lyndon B. Johnson – président états-unien – (7 mars 1966), http://www.cvce.eu/obj/lettre_de_charles_de_gaulle-a_lyndon_b_johnson_7_mars_1966-fr-d97bf195-34e1-4862-b5e7-87577a8c1632.html.
156 Maurin Picard, « Les mercenaires français à l’assaut du continent africain », in Thomas Borrel, Amzat Boukari Yabara, Benoît Collombat, Thomas Deltombe (sous la direction de), L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Paris, Seuil, octobre 2021. Au cours de son procès en France, en 1999, pour le meurtre du chef d’État comorien Ahmed Abdallah (1989), car de nationalité … française aussi, qu’il avait auparavant installé au pouvoir, le réputé mercenaire français, Bob Denard (ayant été actif aussi au Katanga/Congo-Léopoldville, au Zaïre, au Bénin, entre autres) « recuse l’image de “mercenaire” qu’il estime péjorative pour se présenter comme un “corsaire de la République”, accomplissant toutes ses missions non par appât du gain mais par fidélité à la patrie. Les témoins qu’il présente aux jurés, d’anciens hauts responsables des services secrets français, confirment tous que Bob Denard et ses soldats de fortune ont effectué des missions dont les services spéciaux ne pouvaient se charger. Ils rendent hommage à ses qualités de discrétion et de discipline », Francis Zamponi, « Bob Denard, le dernier des “affreux” », in Roger Faligot et Jean Guisnel (sous la direction de), Histoire secrète de la Ve République,, Paris, La Découverte, 2007 [2006], (p. 145-146), 146 pour la citation. Le chapitre II de cet ouvrage de 752 pages est intitulé « La décolonisation et l’héritage colonial » (p. 109-209) – la décolonisation de l’Algérie étant l’objet du 1er chapitre : « Aux origines, la guerre d’Algérie » (p. 21-106). Les corsaires étaient des pirates au service des gouvernements européens, ayant, par exemple, joué un rôle pendant l’expansion ultramarine européenne des XVe-XVIIIe siècles. Le statut de corsaire de Denard est confirmé aussi publiquement, pour une certaine période, par un ancien patron des services de renseignement français et ambassadeur : « Du Katanga au Biafra ou Bob Denard au service des services », chap. 8 de son ouvrage d’entretiens avec André Renault, “Ministre” de l’Afrique, Paris, Seuil, 2004, (p. 161-187). Pour une liste des interventions de mercenaires de 1960 à 2004, cf., par exemple, « Des aventuriers aux professionnels », Le Monde diplomatique, novembre 2004, p. 27. Telle est aussi la République française historique.
157 Déclaration collective (Boubacar Boris Diop et alii), « Sentiment anti-français ou anti-Françafrique ? », Seneplus, 13 janvier 2020, https://www.seneplus.com/politique/sentiment-anti-francais-ou-sentiment-anti-françafrique.
158 Fanny Pigeaud citée par Christian Eboulé, « Le sentiment anti-français, retour sur une expression contestée sur le continent africain », TV5 Monde, 1er mars 2023, mis à jour le 2 mars 2023, https://information.tv5monde.com/afrique/le-sentiment-anti-francais-retour-sur-une-expression-contestee-sur-le-continent-africain. L’expression est, malheureusement, reprise comme telle, sans guillements, par Floribert Patrick C. Endong, « Francophobia as an expression of Pan-Africanism in Francophone Africa : An exploration of the Cameroonian political and media discourse », Inkanyiso, 2020, 12(2), https://www.ajol.info/index/ijhss/article/view/203825.
159 Constat d’“inefficacité” générale, voire pire, dressé aussi par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA : « malgré l’accroissement de la présence militaire étrangère et des bases militaires dans différentes parties du continent, les menaces qu’elles sont censées neutraliser continuent à gagner en intensité et en expansion géographique dans différentes parties du continent », Conseil de la paix et la sécurité, Communiqué de la 868e réunion du CPS portant sur l’état de la présence militaire étrangère en Afrique, 14 août 2019, sur https://www.peaceau.org.
160 Idem.
161 Bernardo Venturi, « La paix et la sécurité dans les relations UA-UE », Note d’orientation politique, octobre 2021, Foundation for European Pogressive Studies, Fondation Jean Jaurès, Instituto Affari Internazionali, p. 3 et 9.
162 Phil Millet, « Revealed : The UK military’s overseas base network involves 145 sites in 42 countries », Declassified UK, november 24, 2020, https://www.declassifieduk.org/revealed-the-uk-militarys-overseas-base-network-involves-145-sites-in-42-countries ;
163Achille Mbembe, « Afrique-France : neuf thèses sur la fin d’un cycle », Le Grand Continent, 4 septembre 2023, https://legrandcontinent.eu/fr/2023/09/04/afrique-france-la-fin-dun-cycle-fr/. Dans la version précédente de cet article, datant d’un mois auparavant, cette idée était ainsi formulée : « il existe toujours des bases militaires au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Tchad et à Djibouti. Le franc CFA n’a toujours pas été aboli […] Nonobstant la permanence de ces vestiges d’un temps révolu, la France ne décide plus du tout dans ses anciennes possessions coloniales. Au demeurant, la plupart de ces outils et bien d’autres sont dorénavant désuets. Le temps est peut-être venu de s’en débarrasser, et en bon ordre », A. Mbembe, « “Les putschs en Afrique de l’Ouest annoncent la fin d’un cycle qui aura duré près d’un siècle », Le Monde, 4 août 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/04/achille-mbembe-en-afrique-la-stabilite-passera-par-une-demilitarisation-effective-de-tous-les-domaines-de-la-vie-politique-economique-et-sociale_6184430_3232.html. Dans les deux versions, il est assez clairement dit qu’il y eut un temps où l’existence de ces « outils » était tout à fait justifiée, voire légitime ; s’en débarrasser n’est pas, de nos jours, évident, mais probable (« peut-être »). La dernière formulation dans la deuxième version est : « Le moment est venu de s’interroger radicalement sur le bien-fondé de cette présence, parce que c’est sa légitimité qui est remise en question par les nouvelles générations. À cet égard, la stratégie des verrous ne suffira pas. Quitter le Mali pour s’installer au Burkina Faso, puis le Burkina Faso pour le Niger, et éventuellement le Tchad, sans un examen approfondi des raisons des échecs successifs et de la défaite morale et intellectuelle subie par la France en Afrique revient à appliquer un cautère sur une jambe de bois. La raison militaire et la raison civile ont toujours difficilement cohabité sur le continent ». Passons sur « le moment est venu de s’interroger … », comme s’il n’ y avait pas eu interrogation et réponse, radicale, depuis des décennies… Ainsi, Mbembe soutient que cette interrogation ne s’explique pas (sans se faire quelque illusion sur les putchistes caressant, démagogiquement, dans le sens du poil, ces peuples victimes aussi bien des crimes des jihadistes que de prétendues “bavures” bien meurtrières, impunies voire déniées, de l’armée néocoloniale française, cf., par exemple, Rémi Carayol, « Comme toujours, l’armée française nie toute bavure au Mali », Mediapart, 8 janvier 2021, https://www.mediapart.fr/journal/international/080121/comme-toujours-l-armee-francaise-nie-toute-bavure-au-mali ; confirmé par la mission onusienne au Mali : Minusma, Rapport sur l’incident de Bounty du 3 janvier 2021, mars 2021, https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/rapport-sur-les-evenements-de-bounty-du-3-janvier-2021), par le fait, comme le disait De Gaulle, qu’« À la fin des fins, la dignité des hommes se révoltera » (C’était de Gaulle, p. 603), mais par une supposée particularité de ce continent : la difficile cohabitation entre « la raison militaire et la raison civile »…
164 Fabien Eboussi Boulaga, « La dé-mission » (1974), republié dans F. Eboussi Boulaga, A Contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1991, p. 29-42. Le dernier paragraphe de ce texte critique de la relation entre la colonisation et la mission, « Religion du dominateur, religion dominante » (p. 40) : « Que faire ? La réponse sera brève : que l’Europe et l’Amérique s’évangelisent elles-mêmes en priorité. Quôn planifie le départ en bon ordre des missionnaires d’Afrique ! » (p. 42).
165 Boubacar Boris Diop, « Montpellier, la France à bout de souffle », in Koulsy Lamko, Amy Niang, Ndongo Samba Sylla, Lionel Zevounou (dir.), De Brazzaville à Montpellier. Regards critiques sur le néocolonialisme français, https://corafrika.org/2021/10/03/de-brazzaville-a-montpellier-regards-critiques-sur-le-neocolonialisme-francais.
166 Pour une histoire synthétique de la PAC, cf., par exemple, Aurélie Trouvé et Gilles Bazin, « La politique agricole commune : un compromis européen en crise », in Gérard Chouquer et Marie-Claude Maurel (dir.), Les mutations récentes du foncier et des agricultures en Europe, nouvelle édition en ligne, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2018, http://books.openedition.org/pufc/5578.
167 Cf., par exemple, Marie Astier, « Comment la PAC engraisse milliardaires et agroindustriels », Reporterre, 22 mai 2021, https://reporterre.net/Agriculture-comment-la-PAC-engraisse-milliardaires-et-agroindustriels.
168 Idem.
169 P.R. Shukla, J. Skea, E. Calvo Buendia, V. Masson-Delmotte, H.- O. Pörtner, D. C. Roberts, P. Zhai, R. Slade, S. Connors, R. van Diemen, M. Ferrat, E. Haughey, S. Luz, S. Neogi, M. Pathak, J. Petzold, J. Portugal Pereira, P. Vyas, E. Huntley, K. Kissick, M. Belkacemi, J. Malley, (dir. publ.), Résumé à l’intention des décideurs, Changement climatique et terres émergées : rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres, 2019, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/4/2020/06/SRCCL_SPM_fr.pdf.
170 S. Diaz, J. Settele, E. S. Brondizio E. S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Ameth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Lu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Mohair, D. Obura, A. Plaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Rayers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, and N. Zayas (eds.), Rapport d’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. Résumé à l’intention des décideurs, IPBES secrétariat, Bonn, 2019, https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for policymakers_fr.pdf.
171 Cour des comptes européenne, Rapport Spécial Politique agricole commune et climat, 2021, p. 4. Selon le journaliste écologique du quotidien français Le Monde, Stéphane Foucart, à propos de textes adoptés par la Commission européenne sur la biodiversité et l’agriculture de l’UE, avec des objectifs écologiques ne s’inscrivant pas dans un reniement du capitalisme, « La probabilité est cependant forte que la plus grande part de ces objectifs ne soient pas atteints, ni en 2030 ni plus tard. Car la Commission ne dispose d’aucun moyen d’imposer sa volonté face à des États-membres rétifs et des Léviathans industriels qui ont tout à perdre à la préservation de l’environnement », S. Foucart, « La Commission européenne ne dispose d’aucun moyen pour imposer la protection de l’environnement » (Le Monde, 23 mai 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/la-commission-europeenne-ne-dispose-d-aucun-moyen-pour-imposer-la-protection-de-l-environnement_6040500_3232.html). Autrement dit “qui commande dans l’Union européenne ?”. Cf. aussi pour une critique non “militante” de la non pertinence et de l’inconsistance du Green Deal de l’Union européenne, Eloi Laurent, « The European Green Deal : Bring back the new », OFCE Policy brief 63, January 28, 2020, www.ofce.sciences-po.fr (après analyse critique et quelques recommandations – à la fin de chaque partie –, l’auteur conclut très brièvement par : « The Green Deal project is a welcome attempt to widen and strengthen the social and ecological purpose of the European Union. But this goal will only be achieved if this new strategy is not only ambitious, but above all relevant and consistent. The next few months should be devoted to this task ». [Le projet de Pacte vert est une tentative opportune d’élargir et consolider l’objectif social et écologique de l’Union européenne. Mais ce but ne sera atteint seulement si cette nouvelle stratégie est non seulement ambitieuse, mais surtout pertinente et cohérente. Les prochains mois seront consacrés à cette tâche]. En 2023, dans le sud de la méditerranéenne Espagne, fournisseuse principale des « supermarchés du continent en fruits et légumes, été comme hiver, à des prix imbattables », « la demande en eau des cultures maraîchères du Sud, qui nourrissent l’Europe, assèche le fleuve le Tage […] plus long cours d’eau de la Péninsule ibérique », Alban Elkaïm, « En Espagne, le “potager de l’Europe” assèche un fleuve », Reporterre, 3 mars 2023, mis à jour le 6 mars 2023, https://reporterre.net/En-Espagne-le-potager-de-l-Europe-asseche-un-fleuve.
172 « Aujourd’hui, le futur n’est que le présent optimisé », critique Byung-Chul Han, Thanatocapitalisme. Essais et entretiens, Paris, Presses universitaires de France, 2021 [traduit de l’allemand par Olivier Manonni], p. 155.
173 Tout en s’opposant au « réductionnisme économique », Nicolas Deffontaines, sociologue du « “sursuicide” agricole » soutient qu’il s’agit « bien d’un phénomène structurel, ce que confirment par ailleurs plusieurs études épidémiologiques qui attestent le même problème social dans nombre de pays développés à l’agriculture industrialisée : Australie, Canada, Grande-Bretagne, États-Unis d’Amérique, Nouvelle-Zélande … », Nicolas Deffontaines, « Suicides d’agriculteurs : sortir du réductionnisme économique », Sesame, 2019/2, n° 6, p. 60-62, https://www.cairn.info/revue-sesame-2019-2-page-60.htm. Cf. aussi, par exemple, Clément Prévitali, « Les conditions de suicide des professionnels agricoles », Pensée plurielle, 2015/1, n° 38, p. 105-121, https://www.info/revue-pensee-plurielle-2015-1-page-105.htm.
174 Actionaid, Eclosio, Actalliance, Oxfam, Terra Nuova, Comi, CCFD, Terre Solidaire, Allinace 2015, Îles de paix, Broederlijk Delen, Caritas Europa, SOS Faim, « Réaction des organisations de la société civile au rapport de la Task Force pour l’Afrique Rurale », 21 juin 2019, https://www.nexportonspasnosproblemes.org/reaction-des-organisations-de-la-societe-civile-au-rapport-de-la-task-force-pour-lafrique-rurale/.
175 Pour mémoire, en acquérant Monsanto, l’entreprise Bayer peut être considérée comme un emblème du cynisme capitaliste au 20ème siècle, car d’une part elle a participé à la constitution du conglomérat chimique allemand (privé) IG Farben, ayant inventé et fourni à l’État nazi le Zyklon B, gaz utilisé contre les Juifs/Juives allemand·e·s dans les chambres de la mort nazies. Elle a été reconstituée comme Bayer par le démenbrement de l’IG Farben par les Alliés, dans la post-Seconde Guerre mondiale. D’autre part, son acquisition, Monsanto a été une productrice du défoliant dit « agent orange », acide évidemment très toxique pour les humains, dont des dizaines de millions de litres ont été épandus, pendant les années 1961-1971, sur les forêts du Nord-Vietnam par l’armée états-unienne contre les combattant·e·s nord-vietnamiens, dans le cadre de la guerre dite froide. Six décennies plus tard, des enfants naissent encore avec des séquelles diverses. Le Zyklon B et l’« agent orange » étaient des marchandises très rentables dont l’usage (génocidaire, écocidaire…) ne pouvait pas préoccuper les entreprises fournisseuses des armées nazie et états-unienne.
176 Pour une présentation critique de l’action de Yara à l’échelle internationale, cf., par exemple, GRAIN, « Les EXXON de l’agriculture », 25 septembre 2015, https://grain.org/article/5271-les-exxon-de-l-agriculture ou https://grain.org7e/5271. Et pour une présentation synthétique et critique des différentes innovations en matière d’agriculture, cf., par exemple, Manu, « L’innovation dont nous ne voulons pas », Bulletin Nyéléni, , n° 36, 3 mai 2019, https://nyeleni.org/spip.php?article715, précédé par des articles sur l’agroécologie comme innovation : https://nyeleni.org/spip.php?article713, https://nyeleni.org/spip.php?article714.
177 Roger Blein, Marie Hur et Liora Stührenberg, avec l’appui de Marc Mees, Le rôle croissant du secteur privé dans les politiques agricoles et alimentaires en Afrique. Contextes, formes et enjeux, Inter-réseaux Développement, Bureau Issala, SOS Faim Belgique, 2019, p. 46, https://www.iram-fr.org/ouverturepdf.php?file=ir-issala-sos-note-secteur-prive-mars19-1557397841.pdf. L’USAID est l’Agence états-unienne pour le développement international.
178 Ce qui ne date pas de la période néolibérale, cf., par exemple, François de Ravignan, « Défense et illustration du modèle », Le Monde diplomatique, juillet 1979, p. 9 et 10.
179 Gary Toenniessen, Akinwumi Adesina, Joseph de Vries, « Building an Alliance for a Green Revolution in Africa », Annals of New York Academy of Sciences, 2008, 1136, p. 233-242 ; doi : 10.1.1196/annals.1425.028 ; GRAIN, « Une nouvelle révolution verte pour l’Afrique ? », 17 décembre 2007, https://grain.org/e/137 ; Collectif, False Promises : The Alliance for a Green Revolution in Africa, Bamako, Berlin, Cologne, Dar es Salaam, Johannesburg, Lusaka, Nairobi, July 2020 ; Joshua Aijuka, Mariann Bassey et alii , Une tache sombre dans le narratif de l’AGRA : Des évaluations d’experts indépendants confirment l’échec de l’Alliance pour une révolution verte, Alliance for Food Sovereignty in Africa et alli, Bamako, Berlin, Dar es Salaam, etc., juillet 2021.
180 John H. Perkins, « The Rockefeller Foundation and the Green Revolution, 1941-1956 », Agricultural and Human Values, June 1990, doi : 10.1007/BF01557305.
181 Par exemple, il affirmait que « La croissance démographique impose de produire plus de nourriture. Mais, il faut avant tout changer d’état d’esprit : il ne s’agit pas seulement d’assurer la sécurité alimentaire de l’Afrique mais aussi de pouvoir exporter. Le secteur privé a un rôle important à jouer », Kofi Annan (propos recueillis par Hervé Kempf), « Kofi Annan : “Il ne s’agit pas seulement d’assurer la sécurité alimentaire, mais aussi d’exporter” », Le Monde, 4 septembre 2010, p. 4. Dans le registre de l’indignation spectaculaire, de circonstance – l’Oakland Institute venait de publier son rapport sur l’accaparement des terres –, le même va déclarer un an plus tard : « Il est alarmant d’apprendre d’un récent rapport que des terres agricoles équivalant à un territoire grand comme la France ont été achetés en 2009 en Afrique par des “hedge funds” et autres spéculateurs […]Il n’est ni juste ni viable que des terres agricoles soient ainsi dérobées aux communautés, ni que de la nourriture soit exportée de pays où les habitants ne mangent pas à leur faim. Les populations locales ne tolèreront pas cet abus – et nous non plus ». Apparemment, il ignorait l’existence, dans des pays africains « où les habitants ne mangent pas à leur faim » (celles/ceux des classes dirigeantes et dominantes aussi ?), d’une agriculture pour l’exportation depuis la période coloniale, les Accords ACP-CEE, etc. Et, l’auteur·e de l’article de souligner, comme pour ne pas surestimer cette indignation : « M. Annan a cependant indiqué que les grandes fermes commerciales ont un rôle à jouer, en intégrant toutefois leurs activités au sein de leurs communautés, et en servant de plateformes permettant de relier les petits agriculteurs aux chaines de valeur – marchés, supermarchés et entreprises agroalimentaires », « Mise en garde de Kofi Annan : la faim pourrait devenir une catastrophe permanente. Le président de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique dénonce l’accaparement des terres », FAO Media Centre, 25 juin 2011, http://www.fao.org/news/story/fr/item/80646/icode/. Par ailleurs, il a prétendu ne pas être favorable aux OGM, comme s’il ignorait que la co-fondatrice de l’AGRA, la Fondation Rockefeller avait programmé l’introduction des semences OGM en Afrique, par exemple, en contribuant à la création de la Fomdation africaine pour la technologie agricole. (AATF, 2003). Et deux ans plus tard : « GM crops : Africa opposition is a farce, says group led by Kofi Annan » était intitulé un article du quotien anglais The Guardian (par Mark Twan, 5 September 2013, http://www.theguardian.com/global-development/2013/sep/05/africa), suite à la publication d’un rapport de l’AGRA. Le comportement paradoxal est assez typique des sphères du pouvoir, des États aux organisations internationales …
182 FAO, « Les leçons de la révolution verte – vers une nouvelle révolution verte », Sommet mondial de l’alimentation, 13-17 novembre 1997, Rome, https://www.fao.org/3/w2612f/w2612f06.htm ; Raj Patel, « The Long Green Revolution », The Journal of Peasant Studies, n° 40, vol, 1, p. 1-63, https://doi.org/10.1080/03066150.2012.719224.
183 Laurent Delcourt, « Agroécologie : enjeux et défis », Alternative Sud, vol. 21, 2014, 3, p. 11, numéro téléchargeable https://www.cetri.be/Agroecologie-enjeux-et-defis.
184 Cf., par exemple, Dustin Roasa, Unjust Enrichment : How the IFC Profits from Land Grabbing in Africa, Inclusive Development International, Asheville, April 2017, sur www.inclusivedevelopment.net. Le titre laisse entendre qu’il y aurait un capitalisme juste et le nom du site que le développement (capitaliste) peut être inclusif… Comme, relativement, pendant les “Trente Glorieuses” dans les sociétés du centre capitaliste ? En oubliant le sous-développement entretenu, au même moment, par les puissances impérialistes, le néocolonialisme en Afrique, Asie et Amérique dite latine d’où a été revendiquée, vers la fin desdites Trente Glorieuses, l’instauration d’un nouvel ordre économique international, en réaction au non glorieux échange inégal, un des facteurs de la prospérité dans les sociétés du centre capitaliste, malgré tout.
185 Mariam Sow, alors vice-présidente de Enda Tiers-Monde (propos recueillis par Christelle Marot), « L’accaparement des terres un problème sérieux qui menace le monde rural », Le Point Afrique, 30 mars 2015, https://www.lepoint.fr/economie/afrique-mariam-sow-l-accaparement-des-terres-un-probleme-serieux-qui-menace-le-monde-rural-30-03-2015-1917052_28.php ; cf. aussi Grieve Chelwa, « The land grabs in Africa you don’t hear about », Africa is a country, november 13, 2015, https://africasacountry.com/2015/11/the-land-grabs-in-africa-you-dont-hear-about.
186 Pour la période allant du 18e siècle au début du 20e, cf, par exemple, Marie-Danielle Demélas et Nadine Vivier (dir.), Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914) Europe occidentale et Amérique latine, nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, http://books.openedition-org/pur/23641.
187 Karl Marx Le Capital, Livre premier, chap. XXIV « La prétendue accumulation initiale », Paris, Presses universitaires de France “Quadrige”, 1993, [4ème édition allemande (F. Engels, 1890), traduite et publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre), (p. 807-825), Les différentes citations sont tirées des pages 819, 821-822 et 824-825
188 G. W. F. Hegel, La Raison dans l’Histoire, chap.. IV, 2, « L’Amérique du Nord et son destin ».
189 Roxanne Dunbar-Ortiz (historienne et militante indigène états-unienne), Contre-histoire des États-Unis, Wildproject (France), 2018 [Boston, Beacon Press, 2014 ; traduit par Pascal Menoret], p. 130.
190 La Déclaration de l’indépendance des États-Unis d’Amérique affirme d’une part que « tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables », d’autre part parle des « Indiens, ces sauvages sans pitié » (victimes d’une indescriptible violence, inconnue apparemment de Thomas Jefferson, rédacteur de ladite déclaration) : « créés égaux » avec les eurodescendants ?
191 Rosa Luxemburg, OEuvres, 4, L’accumulation du capital II, Contribution à l’explication économique de l’impérialisme, chapitre 27 (« La lutte contre l’économie naturelle »), 1913, Paris, François Maspero, 1969 [traduction d’Irène Petit], p. 51.
192 « Des mesures législatives et le cantonnement des populations privatisent la terre et brisent les relations tribales […]Les colons s’emparent à leur [les ruraux autochtones] détriment de quatre cents quatre-vingt-un-mille hectares entre 1830 et 1870 et de quatre cents deux mille hectares entre 1871 et 1880. De bon esprits se référant aux Indiens d’Amérique prédisent l’extinction des Algériens », Mohammed Harbi, « L’Algérie en perspectives », in Mohammed Harbi, Benjamin Stora (coord.), La guerre d’Algérie, Paris, Robert Laffont/Hachette Pluriel, 2004, (p. 35-61), p. 48-49.
193 Un territoire qui est 75 fois plus grand que la Belgique et légèrement plus grand que l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne. La France, l’Italie, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse réunies.
194 Cité par André Gide, Voyage au Congo, suivi de Le retour du Tchad. Carnets de route, Paris, Gallimard, 1927 et 1928, p. 110.
195 W. E. B. Du Bois, « Liberia, the League and the United States », Foreign Affairs, July 1933, https://www.foreignaffairs.com/articles/liberia/1933-07-01/liberia-league-and-united-states. Le Libéria est la première république africaine, gouvernée, de son institution en 1847 à 1980, par des anciens esclaves noirs aux États-Unis d’Amérique, devenus libres, s’y étant installés – à partir de 1822, dans le cadre de l’American Colonization Society –, puis leurs descendants, des “Americano-Libériens” minoritaires face aux “autochtones” d’avant cette immigration, “Libériens autochtones” (Cf., par exemple : M. B. Akpan, « Black Imperialism : Americo-Liberian Rule over the African Peoples of Liberia, 1841-1964 », Canadian Journal of African Studies/ Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 7, No 2, 1973, p. 217-236, https://www.jstor.org/stable/483540 ; la thèse de Genesys Santana, « A case of double consciousness : Americo-Liberians and Indigenous Liberian relations 1840-1930 », University of Central Florida, 2012, https://stars.library.ucf.edu/honortheses1990-2015/1797). Les États-Unis d’Amérique ont eu du mal à la considérer autrement que comme leur créature ou protectorat, soutenant fréquemment Firestone face à l’État libérien, se bouchant les oreilles concernant les accusations de régime de quasi travail forcé, voire de quasi-esclavage, imposé aux “autochtones” recruté·e·s comme main d’oeuvre aussi bien par Firestone que par des “Americano-Libériens”. L’État libérien n’a aboli officiellement cette forme de recrutement qu’en 1962.
196 La transnationale Firestone a été acquise en 1988 par la japonaise Bridgestone. Elle a été encore accusée pendant la décennie 2000 d’exploitation de la main d’oeuvre des enfants, de mise en esclavage – cf., par exemple, le dossier que lui a consacré AfricaFocus Bulletin du 17 janvier 2008 : « Liberia : Firestone Challenge Advances », http://www.africafocus.org/docs08/lib0801.php.
197 Caroline Elkins, Britain’s Gulag.The Brutal End of Empire in Kenya, London, Pimlico, 2005, p. 14.
198 Cf., par exemple, le rapport publié par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique/AFSA (www.afsafrica.org), Grain (www.grain.org), Witness Radio Organisation (www.witnessradio.org), « Accaparements de terres à main armée : Des milliers de familles sont violemment expulsées de leurs fermes en Ouganda », 4 septembre 2020, https://grain.org/e/6526 ; Human Rights Watch, “Waiting Here for Death” : Forced Displcement and “Villagization” in Ethiopia’s Gambella Region, january 2012, http://www.hrw.org ; ATTAC/CADTM Maroc, « Accaparement des terres et de l’eau au Maroc », cadtm.org, 21 octobre 2017, www.cadtm.org/Accaparement-des-terres-et-de-l ; Nicolas Serison, « L’accaparement des terres est criminel », cadtm.org 18 décembre 2018, www.cadtm.org/L-accaparement-des-terres-est-criminel.
199 Cf., par exemple, Silvia Federici, « The Debt crisis, Africa and the new enclosures », The Commoner, n° 2, september 2001 ; https://thecommoner.org/back-issues/issue-02-september-2001/ ; Fouad Makki, « Development by Dispossession : Terra Nullius and the Social-Ecology of New Enclosures in Ethiopia », Rural Sociology, March 2014, vol. 79, n° 1, p. 79-103, https://doi.org/10.1111/ruso.12033.
200 Des transnationales pétrolières sont à inclure dans l’agribusiness, non seulement des engrais sont à base pétrolière, mais elles sont aussi investies dans la production des biocarburants. Ainsi, pour s’en tenir à l’assez récent, la pétrolière italienne ENI a acquis des terres en Angola et au Congo.
201 Grain, « Le G8 et l’accaparement des terres en Afrique, 7 mars 2013, https://grain.org/e/4664.
202 John Vidal and Claire Provost, « US universities in Africa ‘land grab’ », The Guardian, june 8, 2011 https://www.theguardian.com/world/2011/jun/08/us-universities-africa-land-grab ; Anuradha Mittal (Amy Goodman), « Harvard, Vanderbilt, Spelman Exposed for Taking Part in “African Land Grab” », Democracy Now !, june 20, 2011, https://www.democracynow.org/2011/6/20/harvard_vanderbuilt_spelman_exposed_for_taking.
203 Fulgence Zambla, « Afrique : Les paysans réclament leurs terres à la multinationale Bolloré », Allafrica.com, 17 juin 2013, http://fr.allafrica.com/stories/201306180746.html ; Oakland Institute, Comprendre les investissements fonciers en Afrique : Le projet Socfin en Sierra Leone, avril 2012, www.oaklandinstitute.org.
204 The Oakland Institute, Doing Business with the Bolloré Group. Violations of the United Nations’s Principles and Code of Conduct, Oakland 2021, p, 4. www.oklandinstitute.org. La référence à l’ONU s’explique par le fait que « Le Groupe Bolloré est un fournisseur majeur des Nations unies, payant à Bolloré plus de 50 millions $ chaque année pour la logistique et autres services. Entre 2015 et 2019. Différentes agences des Nations unies ont signé plus de 200 contrats avec le groupe, pour une valeur de plus d’un quart de milliard de dollars […] Ces chiffres sont des estimations très modestes, vu que les données ne sont pas rendues publiques pour un nombre d’entités onusiennes comme l’OMS et parce que plusieurs transactions ne sont pas rendues publiques », idem, p. 3. Sauvons la forêt et Okland Institute, Pétition envoyée au PAM, PNUD et à l’UNICEF, 14 février 2022, https://farmlandgrab.org/post/view/30773. Ces trois agences onusiennes ont été retenues parce qu’elles représentent, dit la pétition, 95 % de èéus d’un quart de millard de dollars de plus de 200 contrats signés par les Nations unies avec le Groupe Bolloré, entre 2015 et 2019. Selon un collectif, auquel a aussi participé The Okland Institute : « De la Sierra Leone au Nigeria, en passant par le Cameroun, la Guinée et la Côte d’Ivoire les communautés vivant à proximité des plantations industrielles d’huile de palme et de caoutchouc de Socfin/Bolloré se battent pour leurs droits et contre la répression », Collectif, « Plantation de Socfin/Bolloré : les profits explosent, la répression continue », 24 mai 2022, https://grain.org/e/6853.
205 Dans le comté de Sutherland, mentionné ci-dessus, « on fit venir pour l’exécution de ce plan des soldats britanniques qui en vinrent aux mains avec les autochtones. Une vieille femme qui refusait d’abandonner sa chaumière périt dans les flammes », K. Marx, op. cit., p. 822. La violence fistorique du capital… Cf. aussi AFSA, Grain, Witness Radio Organisation, op. cit..
206 Selon le compte rendu d’une communication présentée lors d’un séminaire de la Banque africaine de développement, le 29 septembre 2017, à Abidjan, « À Abidjan l’historien Achille Mbembe livre un vibrant plaidoyer pour l’intégration régionale en Afrique », 2 octobre 2017, https://www.afdb.org/fr/news-and-events/mbembe-makes-a-strong-case-for-african-integration-through-open-borders-17398. Selon le même compte rendu, Mbembe a, en même temps, comme dirait l’autre, parlé de « la nécessité d’approfondir les réflexions sur la gestion des frontières africaines, ainsi que sur la possibilité de leur privatisation ». Cette duplicité n’est pas qu’une adaptation à l’esprit du lieu…
207 L’un des derniers investisseurs interpellés, en la matière, c’est la Société financière internationale : Victoria Schneider, « La SFI, filiale de la Banque mondiale sous le feu des critiques pour abus présumés dans une plantation au Libéria », Mongabay, 13 avril 2024, https://fr.mongabay.com/2024/04/la-sfi-filiale-de-la-banque-mondiale-sous-le-feu-des-critiques-pour-abus-presumes-dans-une-plantation-au-liberia/
208 « Un certain nombre de femmes au Libéria ont déclaré qu’elles avaient abandonné leur travail dans la plantation parce qu’elles “n’étaient pas prêtes à faire un double travail” […] Une autre femme a ajouté : “Si nous avions toujours notre terre, aucune femme ne voudrait travailler pour la plantation ou accepter des relations sexuelles pour obtenir de la nourriture pour vivre », RADD (Cameroun), Muyissi Environnement (Gabon), Natural Resource Women Platform (Libéria), Radio Culture (Sierra Leone), Grain, World Rainforest Movement, Briser le silence : harcèlement, violences sexuelles et abus à l’encontre des femmes à l’intérieur et autour des plantations industrielles de palmiers à huile et d’hévéas, mars 2019, sur https://wrm.org.uy/fr.
209 http://www.strategie.gouv.fr/content/rapport-les-cessions-d’actifs-agricoles-des-investisseurs-etrangers-dams-les-pays-en-devel-0.
210 FIDA : Fonds international de développement agricole ; OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques, regroupant une trentaine d’États (États-Unis d’Amérique, Canada, Allemagne, France, Italie, etc.) se revendiquant du libéralisme économique (capitalisme), libre-échangisme compris. Elle ne fait pas partie du système des Nations unies, mais exerce, à travers la production des études, rapports, par son Centre d’études, une influence idéologique majeure sur l’organisation de l’économie mondiale, en acomplicité avec la Banque mondiale, le Fonds monétaire international…
211 Bénédicte Châtel, « La France entend gérer l’attribution des terres agricoles en Afrique », Les Afriques, 3 septembre 2010, http://www.lesafriques.com/index2.php ; consulté en 2010, le lien étant incomplètement indiqué et le nom de l’auteur n’apparaissant plus sur le site de ce journal, cet article n’est maintenant disponible qu’à https://rwandaises.com/2010/09/afrique-la-france-entend-gerer-lattribution-des-terres-agricoles-en-afrique/.
212 Grain, « Un investissement agricole responsable ? Les efforts actuels visant à réglementer les accaparements de terres ne font qu’empirer la situation », 23 août 2012, https://grain.org/e/4568.
213 Coordonné par Jennifer Franco et Saturnino Borras Jr., édité par le Transnational Institute (TNI) pour European Coordination Via Campesina (ECVC) and Hands off the Land Metwork, juin 2013, sur www.tni.org et www.eurovia.org (ECVC en avait publié un kit en français : https://viacampesina.org/fr/kit-d-ecvc-sur-l-accaparement-des-terres-et-l-acces-a-la-terre-en-europe/). Les contributions portent sur 10 pays européens : France, Espagne (Andalousie), Allemagne, Italie (Sardaigne), Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Serbie, Ukraine. L’accaparement des terres y est ainsi défini (ma traduction, approximative) : « Notre compréhension de ce qui constitue l’accaparement dans le contexte contemporain est basée sur le texte de Borras et al. (2012), à savoir les trois spécificités interconnectées des accaparements de terre contemporains : accaparement de terre comme contrôle des ressources ; accaparement de terre impliquant des transactions sur une large échelle, en termes d’échelle d’acquisition et/ou du capital impliqué ; et accaparement des terres comme réponse à la convergence des multiples crises – alimentaire, énergétique/des carburants, climatique, économique et financière, aussi bien comme le besoin croissant de ressources par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et des pays à revenu intermédiaires (PRI). Les accaparements de terres sont donc à situer dans le contexte du pouvoir du capital national et transnational et sa soif de profit, qui foule aux pieds les sens, usages et systèmes de gestion de la terre enracinés dans les communautés locales. L’accaparement global des terres est de ce fait la quintessence du changement en cours et en accélération, du changement dans la signification et l’usage de la terre et des ressources associées (comme l’eau), de la petite échelle, à usage intensif de travail comme l’agriculture de subsistance, vers la grande échelle, le capital intensif, usant des ressources en voie d’épuisement, comme les monocultures industrielles, extraction des matières premières, production hydroélectrique à grande échelle – intégré dans une expansive infrastructure liant les frontières de l’extraction aux zones métropolitaines et marchés étrangers », Antonio Onorati and Chiara Pierfederici, « Land concentration and green grabs in Italy : The case of Futurvoltaico in Sardina », in Jennifer Franco and Saturnimo Borras Jr., op. cit. (document pdf sans pagination).
214 « Le Comité économique et social européen (CESE) voit dans la forte concentration des terres aux mains de grands investisseurs non agricoles et de grandes entreprises agricoles un risque sérieux qui s’étend également à certaines parties de l’Union européenne […] Suite à l’intensification de l’agriculture industrielle, les risques liés à la sécurité alimentaire et à l’appauvrissement des sols s’aggravent et la sécurité alimentaire diminue », M. Nurm (rapporteur), L’accaparement des terres : une sonnette d’alarme pour l’Europe et une menace imminente pour l’agriculture familiale, Comité économique et social européen, Bruxelles, 21 janvier 2015, p. 2 et 3 ; disponible sur http://www.eesc.europa.eu ; Dominique Potier (député rapporteur), Rapport fait au nom de la Commission des Affaires économiques sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle (n° 4344), Assemblée nationale (France), 11 janvier 2017, Lucile Leclair, « L’agro-industrie avale la terre », Le Monde diplomatique, février 2022, p. 17, http://www.monde-diplomatique.fr/2002/02/LECLAIR/64330.
215 Ne dérogeant pas à ce qui semble devenu comme une règle, consistant à présenter le capital public et privé chinois (“la Chine”) comme le mal principal, le capitalisme déviant par excellence, une médiatisation accentuée a été faite des opérations d’accaparement chinois des terres agricoles en France métropolitaine, voire en Ukraine, etc., non sans quelque dimension d’anormalité que n’aurait pas suscitée un accaparement allemand ou suisse, la Chine étant du “Sud” ou extra-européenne (une ancienne “colonie” asiatique). Mais, sans nier les cas d’accaparement de terres chinois en France métropolitaine, certaines voix ont essayé de rétablir ce qui serait la réalité. À l’instar du député Dominique Potier, très actif sur le sujet, affirmant que « 99 % de l’accaparement des terres n’est pas le fait d’étrangers » (Libération, 27 février 2023, https://www.liberation.fr/environnement/dominique-potier-en-france-99-de-laccaparement-des-terres-nest-pas-le-fait-dinvestisseurs-etrangers-20230227_DL7GIG7ANFH7LNB4YZB6T7OWFI/) et rappelant ailleurs que « des entreprises françaises font partie des champions mondiaux de l’accaparement des terres dans les pays en développement » (« La France a foncièrement besoin de justice foncière », Alternatives économiques, 24 mai 2021, https://www.alternatives-economiques.fr/france-a-foncierement-besoin-de-justice-fonciere/00099182). En effet, « Les plus gros accapareurs sont des agriculteurs français qui créent leurs propres sociétés pour agrandir des exploitations déjà immenses. “On se retrouve avec de nouvelles seigneuries paysannes”, déplore Cécile Muret [de la Confédération paysanne]. À ces accapareurs paysans s’ajoutent les financiers, pour qui la possession de foncier agricole est un placement sûr… », Nolwenn Weiler, « La loi sur l’accès au foncier agricole n’empêchera pas la création de “fermes gigantesques” », basta !, 25 mai 2021, https://basta.media/Lutte-contre-l-accaparement-des-terres-une-proposition-de-loi-contre-productive.
216 Les Amis de la Terre France, La terre aux paysan·ne·s - L’agro-industrie hors-champs ! Décryptage et solutions face à l’accaparement des terres en France. 28 février 2023, https://www.amisdelaterre.org/publication/la-terre-aux-paysans-lagro-industrie-hors-champ/ ; Terre de Liens, L’état des terres agricoles en France, n° 2, 2023 : La propriété des terres agricoles en France. À qui profite la terre ? www.ressources.terredeliens.org.
217 LOI no 2021-1756 du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, Journal officiel de la République Française, 24 décembre 2021, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044553572.
218 Communiqué de presse de l’association Terre de Liens, « Censure de la loi contre l’accaparement des terres par les Sages [le Conseil constitutionnel français] : Terre de Liens affirme la nécessité de régulation du marché foncier agricole », 24 mars 2017, www.terredeliens.org/Communique-de-Presse-Censure-de-la-loi-contre-l-accaparement-des-terres-par-les-Sages-Terre-de-Liens-affirme-la-necessite-de-regulation-du-marche-foncier-agricole.html.
219 François Collard Dutilleul, « Accaparement des terres agricoles : une proposition de loi LaRem à grandes mailles », Le Club de Mediapart, 22 février 2021, https://blogs.mediapart.fr/François-collart-dutilleul/blog/220221/accaparement-des-terres-agricoles-une-proposition-de-loi-larem-grandes-mailles.
220 Dominique Potier, « La France a foncièrement besoin d’une justice foncière »…
221 Terre de Liens, La propriété des terres agricoles en France, p. 53 et 55.
222 Reporterre, « La loi contre l’accaparement des terres agricoles est adoptée », 15 décembre 2021, https://reporterre.net/La-loi-contre-l-accaparement-des-terres-agricoles-adoptee.
223 Eva Fu, « Bill Gates acquiert pour 13,5 millions de dollars de terres agricoles dans le Dakota du Nord : les habitants sont furieux », Epoch Times, 2 juillet 2022, https://www.epochtimes.fr/bill-gates-acquiert-pour-134-millions-dollars-terres-agricoles-dakota-nord-habitants-furieux-2063232.html ou https://farmlandgrab.org/post/view/31031.
224 Suzanne Cronje, « Promesses et difficultés de la révolution verte », Le Monde diplomatique, décembre 1981, p. 29.
225 Raj Patel, op. cit..
226 Mumia Abu-Jamal, En direct du couloir de la mort, Préface de Jacques Derrida, introduction de John Edgar Wideman, Postface de Leonard I. Weinglass, Paris, La Découverte, [ Addisson-Wesley, Reading, Massachussets, 1995 ; traduit de « l’américain » ( ! ) par Jim Cohen], p. 144.
227 Secretariat of the NEPAD (prepared for the African Union Commission by), « First Semi-Annual Progress report June 2006 to December 2006. Implementation of the Abuja Declaration on fertilizers for an African Green Revolution », December 2006. Il est affirmé dans la Déclaration d’Abuja sur les engrais que « Pour nourrir leurs familles et leurs pays, les paysans doivent passer des pratiques agricoles extensives à faible rendement à des pratiques plus intensives à haut rendement, avec une plus forte utilisation des semences améliorées, des engrais et de l’irrigation ».
228 FAO, « Les leçons de la révolution verte – vers une nouvelle révolution verte ». Ce texte, présentation en fait du projet de l’agribusiness pour les années suivantes, affirme, par exemple, que « En 1992, la consommation moyenne d’engrais par hectare en Afrique était d’environ 20 kg d’azote, de phosphate et de potassium (NPK), contre 300 kg en Chine et 100 kg environ dans les pays développés. Dans la pratique, les cultures vivrières de base d’une exploitation africaine reçoivent habituellement moins de 5 kg à l’hectare. Améliorer tant l’accès aux engrais que leur utilisation judicieuse est un élément important de la révolution verte », « l’adoption de politiques agricoles nationales judicieuses [qui] devront prévoir aussi de nouveaux systèmes de distribution des instrants (semences, engrais, produits chimiques pour la protection des cultures et fournitures vétérinaires nécessaires à l’accroissement de la production », « Il s’agit de perfectionner les méthodes, y compris les nouvelles biotechnologies, qui ont donné de si bons résultats pendant la révolution verte, et de mettre en application de nouvelles méthodes en matière de biotechnologie… ». NPK, c’est un mélange d’engrais minéraux (azote/N, phosphate/P, potassium/K), un engrais composé dont la transformation industrielle, nécessite l’utilisation d’un gaz, l’ammoniac. Les engrais qui en résultent, couramment dit engrais azotés sont émetteurs d’un gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote (N2O), d’une puissance 310 fois supérieure sur cent ans, pour la même masse, que le dioxyde de carbone (CO2), même si l’accent est plus mis sur celui-ci, parce que, semble t-il, plus couramment émis. Dans le style qu’affectent désormais les agences onusiennes, les institutions économiques multilatérales, voire des organes du grand capital, la promotion de l’agribusiness est saupoudrée de marques d’attention pour l’environnement, la durabilité, les pauvres, etc.. Ainsi, comme pour bien marquer la connivence entre ces institutions, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres (qui ne manque une occasion pour verser, médiatiquement, quelques larmes écophiles), avait désigné la présidente de l’AGRA, Agnès Kalibata, comme son envoyée spéciale au Sommet des systèmes alimentaires, de 2021, sur lequel s’est exercée, sans surprise, une influence évidente de l’agribusiness.
229 Lors de l’édition de 2023 (Nairobi), un des ateliers était intitulé : « Les NPK en bref : le produit clé pour le marché africain des engrais ».
230 Willagri, « Engrais et sécurité alimentaire en Afrique », Willagri, 13 février 2023 https://www.willagri.com/2023/03/13/engrais-et-securité-alimentaire-en-afrique/.
231 En juin 2023, les États de la CEDEAO ont persévéré, à l’issue d’une table-ronde, co-organisée par la Banque mondiale, avec participation de quelques chefs d’État, dans leur attachement aux objectifs de la Déclaration d’Abuja, en s’engageant à : « tripler la consommation de nutriments », entendre des engrais minéraux (azotés en fait, vu qu’il y est question d’« incitation du secteur privé pour le développement du secteur des intrants (production industrielle, commercialisation…) », la mention des « engrais organiques », à côté des minéraux, relève plutôt du cache-sexe), avec pour objectif « disséminer auprès d’au moins 70 % des petits exploitants agricoles de la Région des recommandations sur les bonnes pratiques », en en réitérant l’urgence ainsi que l’implication « du Secteur Privé » (les majuscules sont dans le texte), « prendre en considération les réformes nécessaires à la transformation et au développement de la filière des engrais dans la région » – « améliorer l’accès des producteurs et productrices agricoles aux semences de qualité » n’est pas oublié –, et il va de soi que cela doit aller de pair avec la protection des sols que normalement ces engrais abîment, cf. la fin de la note ci-dessus concernant la FAO –.bref, sous prétexte d’améliorer « la productivité agricole et la production alimentaire », il s’agit évidemment de faire perdre son indépendance à cette petite agriculture, la rendre captive de l’agrobusiness, Déclaration de Lomé sur les Engrais et la Santé des Sols en Afrique de l’Ouest et au Sahel, 31 mai 2023, accessible à partir de https://www.banquemondiale.org/fr/events/2023/05/11/high-level-roundtable-fertilizing-west-africa-feeding-the-soil-to-feed-the-people. Que des États ouest-africains réaffirment un tel engagement n’est pas surprenant eu égard à leur sens aigu et assez courant de l’irresponsabilité socio-politique (au profit d’une minorité, évidemment) et que la Banque mondiale y soit mêlée ne fait que confirmer le cynisme capitaliste de cette institution, car elle avait affirmé quelques années auparavant que « Les retombées de la pollution par l’azote sont considérées comme l’une des plus grandes externalités globales auxquelles le monde est confronté, impactant l’air, l’eau, les sols et la santé humaine », citée par Stéphane Mandard, « La face
cachée des engrais azotés », Le Monde, https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/04/08/pollution-la-face-cachee-des-engrais-azotes_6075943_3244.htnl.
232 « À partir des années 1930, avec une accélération à partir de 1945 et plus encore après 1970 avec l’explosion de la pétrochimie et la chimie de synthèse, les industries chimiques n’ont cessé d’étendre leur emprise à de nombreux secteurs industriels […] On peut citer notamment, l’ensemble des industries des intrants agricoles et agro-alimentaires (engrais, pesticides, semences, alimentation animale, médicaments vétérinaires, additifs alimentaires) […] ; et surtout l’industrie du plastique », Soraya Boudia et Nathalie Jas, Gouverner un monde toxique, Versailles, Quae, 2019, p. 13.
233 African Centre for Biosafety, The political economy of Africa’s burgeonning chemical fertiliser rush, 2014 september, 15, www.acbio.org.za ; Claude Aubert, « Les engrais azotés, providence devenue poison », Le Monde diplomatique, décembre 2018, p. 18 et 19, https://www.monde-diplomatique.fr/2018712/AUBERT/59315 ; Les Amis de la Terre France, Le Business des engrais chimiques : destructions en toute discrétion, mai 2020 ; Collectif (agronomes, agriculteurs), « Notre surconsommation d’engrais azotés de synthèse est un désastre écologique, social et économique », Le Monde, 8 avril 2021, https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/08/notre-surconsommation-d-engrais-azotes-de-synthese-est-un-desastre-ecologique-social-et-economique_6075962_3232.html/ ; Grain, Greenpeace International & Institute for Agricultural and Trade Policy (IATP), « Une nouvelle étude montre que pour répondre à la crise climatique, il faut mettre fin à 50 ans de surconsommation d’engrais chimiques », 29 octobre 2021, https://grain.org/e/6762 ;
234 « En Afrique de l’Ouest, les mêmes gouvernements qui ont offert un pied-à-terre à l’agroécologie ont également adopté les approches à forte intensité d’intrants et axées sur l’exportation de l’école de la révolution verte – et ont souvent donné la priorité à cette dernière en termes de financement. Le soutien de la CEDEAO à l’agroécologie est éclipsée par ses subventions aux engrais synthétiques, qui représentent encore plus de 80 % de son financement agricole pour les États membres », alors que « l’agroécologie est parfaitement adaptée à une région où les exploitations familiales représentent encore 90 % de l’agriculture et où la production diversifiée (“polyculture”) est toujours appliquée sur environ 80 % des terres agricoles », Mamadou Goïta & Emile Frison, « Pour une agriculture durable en Afrique de l’Ouest, quittons nos chambres d’écho », African Arguments, 22 septembre 2020, https://africanarguments.org/2020/09/22/for-sustainable-agriculture-in-west-africa-lets-leave-our-echo-chambers/.
235 Ce qui invalide, de nos jours, concernant Yara, l’affirmation de Raj Patel, selon laquelle, « The alignement of capital is certainly different in the New Green Revolution. The interests of Yara and Monsanto are more divorced from the governments of Norway and the United States than Under the first Green Revolution », Raj Patel, op. cit., p. 51.
236 Banque africaine de développement, « Mécanisme africain de financement du développement des engrais : 10,15 millions de dollars de l’Agence norvégienne de coopération au développement pour que 850􀀀000 de petits exploitants agricoles africains soient mieux approvisionnés en engrais », 17 janvier 2023, https://www.afdb.org/fr/news-and-events/press-releases/mecanisme-africain-de-financement-du-developpement-des-engrais-1015-millions-de-dollars-de-lagence-norvegienne-de-cooperation-au-developpement-pour-que-850-000-de-petits-exploitants-agricoles-africains-soient-mieux.
237 Sébastien Maes, « L’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat : un terreau fertile pour le secteur des engrais azotés », Oxfam, 2 décembre 2015, https://oxfammagasinsdumonde.be/2015/12/lalliance-mondiale-pour-une-agriculture-intelligente-face-au-climat-un-terreau-fertile-pour-le-secteur-des-engrais-azotes/?_ga=2.253211072.899058720.1679777348-1254471086.1679777305.
238 Amis de la Terre France, La terre aux paysan·ne·s – L’agro-industrie hors-champ !, 28 février 2023, p. 5, https://www.amisdelaterre.org/publication/la-terre-aux-paysans-lagro-industrie-hors-champ/. Ce déclin du nombre de paysan·ne·s (agriculteurs/agricultrices) n’est pas accidentel, mais a été programmé par le Mémorendum sur la réforme de l’agriculture dans la Communauté économique européenne (CEE) ou Plan Mansholt (premier commissaire européen à l’agriculture), de 1968, dans le cadre de la PAC, considérant qu’il y avait trop de petites exploitations agricoles, autrement dit de petit·e·s agriculteurs/agricultrices dans les six États de la CEE : « La diminution rapide de la population agricole constitue l’un des faits caractéristiques de notre époque. Si l’on veut, en une dizaine d’années, rattraper le retard de l’agriculture en ce qui concerne le niveau de vie, il faut que le taux annuel de diminution de la population agricole actuelle soit notablement accéléré […] La diminution de la population active agricole est nécessaire et doit aller de pair avec une réforme des structures caractérisée par la création d’unités de dimensions plus importantes », selon le dit Memorandum chiffrant à 4.5 millions la réduction déjà réalisée du nombre de travailleurs agricoles de 1958 à 1968, au sein de la Communauté http://www.cvce.eu/obj/memorandum_sur_la_reforme_de_l_agriculture_dans_la_cee_21_decembre_1968-fr-aeeba4d9-1971-4e34--ae1c-ae90fc32c6ee.html. C’est aussi un appel à la concentration des terres agricoles, au profit des riches agriculteurs. Ainsi, trois ans plus tard, « 80 000 paysans belges, français, allemands et italiens ont manifesté dans les rues de Bruxelles, tandis que les ministres de l’Agriculture des six pays associés dans le Marché commun cherchaient des solutions techniques au malaise de la paysannerie européenne [des six États].Un mort, 140 blessés, des véhicules incendiés, des vitrines brisées, tel est le bilan sommaire de la première grande émeute communautaire. […]Les paysans qui n’acceptent pas – et je les comprends – d’être les seuls à se sacrifier pour l’Europe exigent qu’on relève les prix de leur production. Mais une telle hausse profite beaucoup plus aux gros exploitants qu’aux petits qui, pourtant, sont dix fois plus nombreux, que les propriétaires de domaines étendus et dotés de matériel moderne. En d’autres termes, l’augmentation des prix enrichit les riches et permet tout juste aux pauvres de ne pas mourir de faim. Cette situation scandaleuse, dans la mesure où elle aggrave, au lieu de les atténuer, les inégalités sociales, a amené les techniciens de Bruxelles, sous l’impulsion de monsieur Sicco Mansholt, le grand spécialiste européen des problèmes agricoles, à proposer un assainissement du Marché grâce à la réduction du nombre de paysans », Jean Ferniot, « La manifestation des agriculteurs à Bruxelles », RTL, 24 mars 1971, http://www.cvce-eu/obj/la_manifestation_des_agriculteurs_a_bruxelles_par_jean_ferniot_rtl_24_mars_1971-fr-9b9eef96-e9c4-4905-b4fa-c5c572f0ab8e.html. Certes, le projet de plan n’avait pas été adopté en 1968, mais ce qui s’est passé par la suite, causant le mécontentement, des faillites, l’exode rural rural, des suicides, etc., peut être considéré comme relevant d’une certaine application, surtout à partir de 1972 de l’essentiel, concernant la réduction de la petite paysannerie et de la concentration des terres (cf., par exemple, la Directive du Conseil du 17 avril 1972 concernant l’encouragement à la cessation de l’activité agricole et à l’affectation de la superficie agricole utilisée à des fins d’amélioration des structures, 72/160/CEE, http://www.cvce.eu.obj/directive_72_160_cee_du_conseil_17_avril_1972-fr-08636e95-b6a3-4015-84c6-44a2c5de6a45.html). Cependant, au cours de la même année 1972, le même Mansholt s’est mis à penser autrement : dénonçant les pesticides, affirmant qu’il fallait préserver les ressources naturelles « l’équilibre naturel entre l’eau. L’air, le sol, les plantes… On ne détruit pas impunément ce qui est le résultat d’un développement harmonieux de trois cents millions d’années ! […] il faut réduire notre croissance économique, notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d’une autre croissance – celle de la culture, du bonheur, du bien-être […]Il y a dans nos sociétés des tas de choses dont on peut se passer – dont on devra, de toute façon, se passer : ce n’est pas la peine d’avoir autant de voitures, de recouvrir de cuivre ou d’acier les petites tables de salon, de fabriquer tous ces gadgets, tous ces vêtements, tous ces appareils inutiles … On gaspille ainsi un matériel limité, donc précieux. Il faudra simplifier la vie, réduire la consommation, absolument ! […]En vérité, la plupart de nos prétendus “progrès” techniques nous enfoncent dans le désastre, nous précipitent dans une voie sans issue […]Notre société future ne peut pas être à l’image de la société actuelle : ce sera une société où il y aura moins d’autos, des maisons plus simples, moins de moyens de transports, plus du tout de jumbo-jets et autres avions supersoniques », Un entretien accordé, en 1972, au journal Le Nouvel Observateur, republié par le journal écologiste en ligne Reporterre, « Le président de la Commission européenne : “Il faut réduire notre croissance” », 21 octobre 2011, mis à jour le 10 mars 2015, https://reporterre.net/Le-president-de-la-Commission. Il ne faut pas désespérer des humains…
239 Chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (France)/INSEE (Recensements de la population 1851 à 1921. Statistique générale de la France), cité par Nadine Vivier, « Des populations rurales prolifiques ou malthusiennes ? », Espace populations sociétés, 2014-1/2014, http://eps,revues.org/5666.
240 Hélène Tordjman, « La construction d’une marchandise : le cas des semences », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2008/6, p 1341-1368, https://www.cairn.info/revue-annales-2008-6-page-1341.htm.
241 Fondation Gaïa et GRAIN, « Dix bonnes raisons de ne pas adhérer à l’UPOV », Commerce Mondial et Biodiversité en Conflit, n° 2, mai 1998, www.grain.og/fr/publications/num2-fr.cfm. L’État français a, comme par magnanimité, autorisé, en mai 2020, la vente des semences paysannes, mais exclusivement aux jardinier·e·s amateur·e·s, non pas aux agriculteurs/agricultrices.
242 Elle stipule en l’alinéa 2 de son article 19 que « Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit de perpétuer, de contrôler, de protéger et de développer leurs semences et leurs savoirs traditionnels » et en son dernier alinéa, 18 : « Les États veilleront à ce que les politiques concernant les semences, les lois relatives à la protection des obtentions végétales et les autres lois concernant la propriété intellectuelle, les systèmes de certification et les lois sur la commercialisation des semences respectent et prennent en compte les droits, les besoins et les réalités des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales ». Certes, il aurait été possible de dire mieux que “respecter” et “prendre en compte”.
243 Mohamed Coulibaly & Grain, « L’avenir des semences sous la Zone de libre-échange africaine », Grain, 19 juillet 2023, https://grain:org/7012.
244 « A main reason for the inefficiency is that the crops on the great majority of small farms are not the high-yielding varieties in common use on other continens », » ]The Rockefeller Foundation, Africa’s Turn. A New Green Revolution for the 21st Century, New York, July 2016, p. 5, https://www.rockefellerfoundation.org/report/africas-turn-a-new-green-revolution-for-the-21st-century.
245 Grain, « La protection des obtentions végétales pour nourrir l’Afrique ? Rhétorique contre réalité », 15 octobre 1999, https://grain.org/e/18.
246 Mohamed Coulibaly et coll. Faillite de la protection intellectuelle des obtentions végétales : 10 années d’UPOV en Afrique francophone, document de travail, APREBES, BEDE, avril 2019, p. 14, http://www.apbrebes.org/news/dysfunctional-plant-variety-protection-system-ten-years-upov-implementation-francophone-africa.
247 Déclaration de Djimini, à l’occasion de la 4ème édition de la Foire ouest-africaine des semences paysannes, mars 2014 à Djimini (Sénégal), https://docplayer.fr/2208186-Semences-paysannes-en-afrique-de-l-ouest-journal-de-la-4-e-foire-ouest-africaine-des-semences-paysannes.html. La convention de l’UPOV concerne aussi l’élévage. Par exemple, indique un lecteur (Stéphane Boucharenc) dans la rubrique « courrier des lecteurs » du Monde diplomatique, concernant l’Europe en l’occurrence : « Les éleveurs qui, déjà en difficulté vont devoir faire face à une profonde mutation de leur activité, à savoir l’interdiction de faire se reproduire leur cheptel si l’un des géniteurs est breveté. Ils devront alors se cantonner dans un rôle de nourrisseurs de jeunes animaux qui leur seront fournis par d’autres sociétés ayant demandé une licence au détenteur du brevet », « Sciences, affaires et démocratie », Le Monde diplomatique, février 1989, p. 2.
248 « UPOV et COV - la privatisation des semences », Burkina Doc, mai 2020, http://www.burkinadoc.milecole.org/agroecologie-afrique/article-upov-et-cov-la-privatisation-des-semences/ ; UPOV
249 Par exemple, en Tunisie, membre de l’UPOV depuis 2003, « La loi tunisienne rend très difficile, sinon impossible l’utilisation des semences locales, puisqu’elle stipule que les semences commercialisées et utilisées en Tunisie doivent impérativement être inscrites dans un catalogue de semences, et que les semences inscrites aux catalogues doivent obéir à la norme DHS (Distincte, Stable et Honogène) et donne, de ce fait, l’exclusivité d’inscription aux semences hybrides », Dr. Azzam Mahjoub, M. Mohamed Mondher Belghith, « La sécurité et la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation en Tunisie », Forum Tunisien des droits Économiques et Sociaux, novembre 2022, p. 168.
250 CGIAR, Independant Science and Partership Council, « Adoption of Modern Varieties of Food Crops in Sub-Saharan Africa », Brief number 42, July 2014, www.sciencecouncil.cgiar.org ; Mike Ludwig, « Monsanto and Gates Foundation Push GE Crops on Africa », Truthout, 12 July 2011, http://www.truth-out.org/news/item/2105-monsanto-and-gates-foundation-push-ge-crops-on-africa.
251 Les derniers en date sont le Sénégal et le Kenya. Le premier ayant adopté, à la fin de la précédente législature (en juin 2022), une loi sur la biosécurité, remplaçant celle sur la biodiversité (2009) qui interdisait l’importation, la mise sur le marché des OGM et dérivés. Ainsi, à la veille des dernières élections législatives, majorité et opposition ont voté unaniment, sans débat, contre l’indépendance de la petite paysannerie sénégalaise (une grande partie de la population) face aux transnationales semencières frétillant d’impatience depuis une déclaration pro-OGM du président et ingénieur (géologie, pétrole) Macky Sall de 2017. Ce vote exprimait l’unité de la “classe politique” sénégalaise, en dépit de la perte des vies humaines (aucunement des dirigeant ·e·s, comme d’habitude) pendant les manifestations d’alors de l’“opposition”. Quant au second, c’est au lendemain de l’intronisation du nouveau président, William Ruto, en octobre 2022, qu’a été annoncée la fin de l’interdiction, depuis 2012, de cultiver le maïs Bt, sous prétexte de lutter contre la forte hausse du prix de cette denrée de première nécessité dans l’alimentation kenyanne. Ce qui, dès lors, mobilise des organisations anti-OGM, appelant de nouveau à un débat public…
252 Zachary Majanya, « 12 raisons pour l’Afrique de rejeter les OGM », 25 juillet 2004, https://grain.org/e/451 ; ATTAC, Les OGM en guerre contre la société, Paris, 2005 ; Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain, « ‘Non ! L’Afrique n’a pas besoin des OGM’ », GRAIN, 30 août 2013, http://www.grain.org/fr/bulletin-borad/entries/4778-non-l-afrique-n-a-pas-besoin-des-ogm ;
253 Des aliments contenant des OGM se retrouvent dans certaines épiceries en Afrique, au Nigéria, par exemple : HOMEF (Heatth of Mother Earth Foundation), What’s on our plates ? Market Shelf Survey for Products of Genetically Modified Organisms In Nigeria, october 2018, https://homef.org/wp-content/uploads/2019/01/Report-on-Market-Shelves-Survey-for-GM-Food-Products-2018-web.pdf. Ce qui s’expliquerait aussi par « la demande des consommateurs africains en produits alimentaires transformés [qui]augmente, en raison d’une “modernisation” des styles de vie et d’une augmentation de pouvoirs d’achat de certaines catégories de population », selon l’article d’un journal panafricain (Afriqueinside.com) intitulé « Agri-business et agro-industrie, deux clefs de la prospérité africaine encore sous-exploitées », Inside.com, 9 octobre 2014, disponible sur http://ceec-comores.over-blog.com/2014/10/agri-business-et-agro-industries-deux-clefs-de-la-prosperite-africaine-encore-sous-exploitees.html.
254 Banque africaine de développement, Perspectives économiques en Afrique 2022, p, 5.
255 Y figurent aussi deux autres entreprises africaines, nigérianes : Premier Seed, 9ème et Value Seeds, 6ème. Celle-ci est une création de l’AGRA.
256 Limagrain, « Les OGM en dix questions », février 2021, https://www.limagrain.com/ ; Food and Water Watch, « The So-Called Scientific “Consensus”. Why the Debate on GMO Safety Is Not Over », Issue Brief, September 2014, www.foodandwaterwatch.org. Pour un très récent tour d’horizon synthétique de l’impact négatif des OGM, en Inde, emblématique dans le monde non occidental, cf., par exemple, Bénédicte Manier, « En Inde l’obstination sur les OGM en dépit des échecs », Alternatives économiques, 15 décembre 2022, https://www.alternatives-economiques.fr/benedicte-manier/Inde-lobstination-ogm-depit-echecs/00105300.
257 Jean-Paul Sikeli (propos recueillis par Rémi Carayol), « Les OGM ne profiteront qu’à une minorité oligarchique », Jeune Afrique, 12 mai 2016, https://www.jeuneafrique.com/325247/economie/jean-paul-sikeli-ogm-ne-profiteront-qua-minorite-oligarchique/. Pour un très récent tour d’horizon synthétique de l’impact négatif des OGM, en Inde, en l’occurrence, cf., par exemple, Bénédicte Manier, « En Inde l’obstination sur les OGM en dépit des échecs », Alternatives économiques, 15 décembre 2022.
258 Déclaration de Djimini, à l’occasion de la 4ème édition de la Foire ouest-africaine des semences paysannes, mars 2014 à Djimini (Sénégal), https://docplayer.fr/2208186-Semences-paysannes-en-afrique-de-l-ouest-journal-de-la-4-e-foire-ouest-africaine-des-semences-paysannes.html ; « Autorisation des OGM au Kenya, la société civile s’insurge », AfricaNews, 6 octobre 2022, https://fr.africanews.com/2022/10/06/le-kenya-autorise-de-nouveau-les-cultures-ogm-la-societe-civile-sinsurge// ; Théa Ollivier, « La bataille de la société civile contre les OGM est lancée au Sénégal », Le Monde, 27 octobre 2022, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/27/au-senegal-la-bataille-de-la-societe-civile-contre-les-ogm-est-lancee_6147616_3212.html ; Nnimmo Bassey (Heatth of Mother Earth Foundation/HOMEF) et alii, « Petition to the Lagos State Governor on GMO Crops in Nigeria », 17 march 2020, https://homef.org/2020/03/18/petition-to-thr-Lagos-state-governor-on-gmo-crops-in-nigeria/.
259 Nolwenn Weiler, « Des pesticides ultratoxiques et interdits depuis 30 ans continuent de polluer nos légumes », basta !, 23 novembre 2023,
260 Cour des comptes (France), Référé n° S2019-2659, Bilan des plans Écophytho, 27 novembre 2019, p. 2-3 ; www.ccomptes.fr. Des progrès ont-ils été accomplis depuis ? Selon le rapport d’avril 2023 de l’Agence européenne de l’environnement, sur les pesticides, « les plus fortes hausses en volumes vendus l’ont été en Allemagne et en France. Ces deux pays, ensemble avec l’Espagne et l’Italie, représentent les plus importants volumes vendus des catégories de substances les plus actives, et sont aussi les quatre premiers producteurs agricoles de l’Union européenne », European Environment Agency, « How pesticides impact human health and ecosystems in Europe », 2023 april, 26 (last modified 2023 april, 28), https://www.eea.europa.eu/publications/how-pesticides-impact-human-health/ (cf., en français, l’article, sur ce rapport, de Laury-Anne Cholez, « France, Espagne, Italie … L’Europe s’accroche aux pesticides », Reporterre, 27 avril 2023, mis à jour le 2 mai 2023, https://reporterre.net/France-Espagne-Italie-L-Europe-s-accroche-aux-pesticides) . Le rapport confirme par ailleurs que « dans notre système alimentaire global interconnecté, les pesticides bannis dans l’UE sont encore exportés vers les pays hors-UE ». Il va de soi que c’est des usagers professionnels des pesticides, non pas de l’État, qu’est attendu un rôle déterminant dans la réduction de la consommation des pesticides. Ce rapport ignore complètement l’existence des producteurs de ces pesticides, l’offre (par les industriels) paraît ainsi contrainte par la demande (des usagers). Le rapport suggère,assez logiquement, non pas une sortie de l’agriculture industrielle , mais une transformation : « La forte dépendance de l’agriculture industrielle aux pesticides chimiques est de plus en plus remise en question, étant donnés les modèles d’agriculture alternative. Nous pouvons réduire notre dépendance aux pesticides et maintenir les rendements des semences en passant à l’agroécologie ».
261 La version du plan Écophyto de 2024 a opté pour un tour de passe-passe, un changement d’indicateur : « Alors que le plan Écophyto n’a jamais réussi à atteindre ses objectifs, le changement d’indicateur va permettre d’afficher des résultats beaucoup plus encourageants. Générations futures a ainsi calculé que le HRI1 mesure une baisse de l’usage des pesticides de 32 % entre 2011 et 2021. Alors que le Nodu constate sur la même période une hausse de 3 % », Marie Astier, « Le “mensonge” de l’État pour freiner la sortie des pesticides », Reporterre, 6 mai 2024,
262 Ce qui s’est avéré pire dans la France « entièrement à part, plutôt qu’à part entière » qu’est la France d’outre-mer, antillaise en l’occurrence, (selon Aimé Césaire), comme le montre l’affaire du pesticide « ultratoxique », le chlordécone, considéré comme très probablement cancérigène par l’OMS en 1979, interdit en France métropolitaine en 1990, et dans l’outre-mer antillais en 1993, où il a néanmoins continué à être utilisé, dans les bananeraies – où la main d’oeuvre est essentiellement noire –, jusque dans les années 2000 (ce que ne pouvait ignorer l’administration parisienne, ayant préféré fermer les yeux, se boucher les oreilles), contaminant ainsi environ 95 % de la population, facteur ainsi du record mondial du cancer de la prostate détenu par la Martinique et de risque de troubles du développement chez les nourissons (cf., par exemple, Stéphane Mandard, « Un pesticide ultratoxique : L’État, “premier responsable” du scandale du chlordécone aux Antilles selon la commission d’enquête parlementaire », Le Monde, 25 novembre 2019, https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/25/chlordecone-l-etat-designe-premier-responsable-par-commission-d-enquete-parlementaire_6020387_3244.html ; Philippe Pierre-Charles (propos recueillis par Jade Lindgaard), « Non-lieu du chlordécone : “On le vit comme un acte parfaitement colonial », Mediapart, 23 septembre 2023, https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/230923/non-lieu-du-chlordecone-le-vit-comme-un-acte-parfaitement-colonial). Du racisme, aussi pour beaucoup plus de profit.
263 Cf., par exemple, Laurent Gaberell, Géraldine Viret, Martin Grandjean, « Pesticides interdits : l’hypocrisie de l’Union européenne », Public eye ; 10 septembre 2020, https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/pesticides/pesticides-interdits-ue ; Camille Lafrance et Marie Toulemonde, « Algérie, Naroc, Tunisie : quand l’Europe exporte ses pesticides au Maghreb », Jeune Afrique, 6 mai 2021, https://www.jeuneafrique.com/1167663/societe/infographies-le-Maghreb-victime-des-pesticides-toxiques-europeens/ ; « Que retenir de l’appel d’Arusha alertant sur les effets néfastes des pesticides en Afrique ? »,National Geographic, juillet 2019, https://www.nationalgeopgraphic.fr/environnement/2019/07/que-retenir-de-lappel-sarusha-visant-interdire-les-pesticides-dangereux-en.
264 Miguel A. Altieri et C. I. Nicholls, « Diffuser l’agroécologie pour la souveraineté et la résilience alimentaires », Alternatives Sud, vol. 21, 2014, traduction de l’anglais par Nicolas Thommes), (p. 35-64), p. 43-44.
265 Laurent Hazard, Claude Monteil, Michel Duru, Laurent Bedoussac, Eric Justes, Jean- Pierre Theau, Agroécologie : Définition. Dictionnaire d’agroécologie, 2022, https://doi.org/10.17180/5a6g-fq51.
266 Commission d’enrichissement de la langue française, « Vocabulaire de l’agriculture et de la pêche (liste de termes, expressions et définitions adoptés) », Journal officiel de la République Française, 19 août 2015, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031053235.
267 Stéphane Le Foll (ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt), Lettre de mission à Madame Marion Guillou, 5 septembre 2012, annexe 1, Marion Guillou (Agreenium), Co-auteurs : Hervé Guyomard / Christian Huyghe / Jean-Louis Peyraud (INRA)1, Rapporteurs : Julien Vert / Pierre Claquin (MAAF - CEP), Le projet agro-écologique : Vers des agricultures doublement performantes pour concilier compétitivité et respect de l’environnement. Propositions pour le Ministre, mai 2013, (p, 68-69), https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/documents/rapport_marion_guillou_cle05bdf5.pdf.
268 Valentin Beauval, dans l’interview collectif « Agroécologie : une diversité de définitions et de visions », Grain de sel, n° 63-66, juillet 2013 – juin 2014, (p. 8-10), p. 9. En effet dans Laurent Levard, Aurélie Vogel, Christian Castellanet et Didier Pillot, Agroécologie : évaluation de 15 ans d’actions d’accompagnement de l’AFD. Synthèse du rapport final, 3ème trimestre 2014, il y a cette précision dans la première phrase de l’Introduction : « en matière d’agroécologie (en pratique, de semis sur couvert végétal, SCV) », (p. 3). Ce qui est déploré dans la conclusion : « Le choix de se limiter à un modèle technique particulier – les SCV – a enfermé le programme [Plan d’action pour l’agroécologie]dans la promotion d’un modèle préétabli » (p. 16).
269 Thierry Doré, Stéphane Bellon, Les mondes de l’agroécologie, Versailles, Quae, 2019, disponible en ligne (sans pagination) : https://hal-agroparistech.archives-ouvertes.fr/hal-02264190. Dans une Lettre ouverte à Monsieur Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, un Collectif d’associations paysannes et écologistes (Terre des Liens, Réseau Action Climat, Confédération paysanne, Générations Futures, etc.) avait relevé les incohérences du projet supposé agroécologique du gouvernement français, Collectif, « M. Le Foll parle d’agro-écologie, mai il promeut l’agriculture industrielle ! », Reporterre, 21 mars 2014, https://reporterre.net/M-Je-Foll-parle-d-agro-ecologie.
270 Déclaration du Forum international sur l’agroécologie dit Manifeste de Nyéléni, Selingué (Mali), 27 février 2015, https://africaconvergence.net/spip.php?article51.
271 Roland Lenain : “La robotique sera l’un des leviers de l’agroécologie” », Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (France), 8 juin 2022, https://agriculture.gouv.fr/roland-lenain-la-robotique-sera-lun-des-leviers-de-lagroecologie.
272 Cf., par exemple, Pacifique Nshimiyimana, « African farmers can benefit from co-existence of agroecoloy and biotechnology », Alliance for Science, november 5, 2021, https://allianceforscience.org/blog/2021/11/opinion-african-farmers-can-benefit-from-co-existence-of-agroecology-and-biotechnology/. Cette Alliance for Science est financée principalement par Bill and Melinda Gates Foundation, accompagnée par de nombreux autres donateurs dont l’USAID, l’US Department of Agriculture, est-il indiqué sur son site.
273 Agence française de développement, « 5 projets d’agroécologie soutenus par l’AFD », 24 février 2023, https://www.afd.fr/fr/actualites/5-projets-dagroecologie-soutenus-par-le-groupe-afd. Concernant le rejet de cette intensification, cf., par exemple, « Les propositions que nous rejetons », Bulletin Nyéléni, n° 36, avril 2019, p. 6.
274 M. Griffon, « Qu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ? », Association AgroParisTech Alumni, 3 avril 2023, www.aptalumni.org.
275 Jean-Pierre Sarthou, « Agriculture écologiquement intensive », Dictionnaire d’agroécologie, 2022, https://doi.org/10.17180/6M05-4K75.
276 Miguel A. Altieri et C. I. Nicholls, « Diffuser l’agroécologie pour la souveraineté et la résilience alimentaires », Alternatives Sud, vol. 21, 2014, 3, (p. 35-64), p. 41.
277 Abdoulaye Mohamadou Ba (secrétaire exécutif du Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel/CILSS) et Kako Nubukpo (propos recueillis par Alexandra Quet-Vieville), « Le salut viendra nécessairement d’une intensification écologique », Grain de sel, n° 82-83, 2021, #1&2, p. 5
278 Alberto Alonso-Fradejas et alli, L’« agroécologie bidon ». La mainmise des multinationales sur l’agroécologie, Les Amis de la Terre, Transnational Institute et Crocevia, avril 2022, p. 10, https://www.foei.org/wp-content/uploads/2020/10/Lagroecologie-bidon-ATI-TNI-Crocevia-rapport-FR.pdf, https://www.croceviaterra.it/agroecologia/agroecologie-bidon, https://www.tni.org/en/publication/junk-agroecology?translation=fr. ; Pierre Coopman, « Quand Syngenta envahit l’agroécologie et vend des pesticides interdits », SOS Faim, 30 mars 2022, https://www.sosfaim.be/quand-syngenta-envahit-lagroecologie-et-vend-des-pesticides-interdits/.
279 Ce qui est reproduit par leurs supposés partenaires africains (les États, leurs communautés économiques régionales et l’Union Africaine) : par exemple « En Afrique de l’Ouest, les mêmes gouvernements qui ont offert un pied-à-terre à l’agroécologie ont également adopté les approches à forte intensité d’intrants et axées sur l’exportation de l’école de la révolution verte – et ont souvent donné la priorité à cette dernière en termes de financement. Le soutien de la CEDEAO à l’agroécologie est éclipsé par ses subventions aux engrais synthétiques, qui représentent encore plus de 80 % de son financement agricole pour les États membres », alors que « l’agroécologie est parfaitement adaptée à une région où les exploitations familiales représentent encore 90 % de l’agriculture et où la production diversifiée (“polyculture”) est toujours appliquée sur environ 80 % des terres agricoles », Mamadou Goïta & Emile Frison, « Pour une agriculture durable en Afrique de l’Ouest, quittons nos chambres d’écho », African Arguments, 22 septembre 2020, https://africanarguments.org/2020/09/22/for-sustainable-agriculture-in-west-africa-lets-leave-our-echo-chambers/
280 Ce qui ressort, par exemple, de cette phrase extraite de ce. qui est présenté comme le nec plus ultra actuel de l’Union européenne concernant l’agriculture et l’écologie : « Renforcer la durabilité de nos systèmes alimentaires peut contribuer à affermir la réputation des entreprises et des produits, à créer de la valeur actionnariale, à améliorer les conditions de travail, à attirer les travailleurs et les investisseurs et à conférer un avantage concurrentiel, des gains de productivité et une réduction des coûts aux entreprises », Commission européenne, « Une stratégie “De la ferme à la table” pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement », 25 mai 2020, p. 13, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A52020DC0381.
281 Directive 2009/128/CE du Parlement Européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, Journal officiel de l’Union européenne, 24 novembre 2009, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32009L0128.
282 À propos de l’inégalité entre les genres dans le monde agricole, cf., par exemple, Mercia Andrews, « La montée du mouvement des femmes rurales en Afrique australe », Innovations Environnement Développement, https://www.iedafrique.org/La-montee-des-mouvements-de-femmes-rurales-en-Afrique-australe.html.
283 Manifeste de l’agroécologie paysanne, Sélingué (Mali), 21 avril 2017, https://viacampesina.org/fr/mali-manifeste-de-l-agroecologie-paysanne/.
284 Kirubel Tadele, « On World Social Justice Day, AFSA calls for a speedy transition to agroecology », afsafrica.org, Kampala, february 20, 2022, https://afsafrica.org/on-world-social-justice-day-afsa-calls-for-a-speedy-transition-to-agroecology/.
285 Ces institutions prestigieuses de la « communauté internationale » ont le pouvoir de capturer (professionnellement ou idéologiquement) des intellectuel·le·s africain·e·s, pouvant paraître critiques, voire très critiques (surtout à l’égard des gouvernants africains), mais en quête de reconnaissance internationale, dans une certaine cohérence avec leur appartenance objective de classe (petite-bourgeoise), leur conscience de classe. Mbembe n’est pas une exception. Bien au contraire, c’est la règle, à la lumière de l’histoire africaine post-coloniale. Ce n’est pas cependant une particularité africaine dans l’histoire mondiale des 20ème et 21ème siècles. Concernant la modernisation de l’agriculture et le devenir entrepreneurial et compétitif de la petite paysannerie agricole, cf. aussi, par exemple, le texte du Profeseur Aderibigbe S. Olomola (Institut Nigerian de Recherche Sociale et Économique/NISER, Ibadan), « L’agriculture paysanne peut-elle survivre en tant qu’entreprise en Afrique ? », Communication à la Conférence de la BAfD sur l’Accélération du Développement en Afrique, cinq ans après son entrée dans le vingt et unième siècle, 22-24 novembre 2006, Tunis.
286 Alliance for Food Sovereignty in Africa, « La diversité, et non les fausses solutions, est la clé pour atteindre la souveraineté alimentaire et la résilience en Afrique », Communiqué à l’issue du Sommet Dakar 2 “Nourrir l’Afrique : Souveraineté et résilience alimentaires”, organisé par la Banque africaine de développement, 2 février 2023, https://afsafrica.org/declaration-dafsa-sur-le-sommet-alimentaire-dakar-2-de-la-bad/?lang=fr.
287 Dr. Azzam Mahjoub, M. Mohamed Mondher Belghith, op. cit. ; Mercia Andrews, op. cit. ; Kirubel Tadele, op.cit. ; Coordination Sud, Afrique de l’Ouest : les réseaux mobilisés pour défendre l’agroécologie, novembre 2021, www.coordinationsud.org ; Leonida Odongo, « Entretien : En Afrique l’agroécologie a un visage féminin », https://www.iedafrique.org/Entretien-En-Afrique-l-agroecologie-a-un-visage-feminin.html.
288 Michael Hailu (directeur du Centre technique de coopération agricole et rurale, CTA), préface de CTA et Dalberg Advisors, Rapport sur la numérisation de l’agriculture africaine. Résumé, Wageningen (Pays-Bas), 2019, p, 2 ; www.cta.int. Parmi les « membres du Comité consultatif pour le rapport » figurent aussi Syngenta, Fondation Bill et Melinda Gates, Banque mondiale, AGRA.
289 En 2000, la moyenne africaine de la jeunesse n’ayant pas été scolarisée ou n’ayant pas terminé le cycle primaire était d’au moins 43 %, passée certes à 24 % en 2020 ; pour la partie de la jeunesse ayant terminé le cycle primaire et ayant été scolarisée jusqu’au secondaire inférieur, les moyennes sont d’un peu plus de 42 % en 2000, près de 50 % en 2020 (calculées à partir du graphique 3 de CUA (Commission de l’Union Africaine)/OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, Dynamiques du développement en Afrique 2021 : transformation digitale et qualité de l’emploi, Addis-Abeba/Paris, 2021, p. 29 ; https://doi.org/10.1787/cdo8eac8-fr). Ainsi, « le taux d’utilisation régulière d’internet est de 10 % parmi les personnes ayant un niveau d’études inférieur à l’enseignement secondaire, alors que 60 % d’entre eux possèdent un téléphone portable » (p. 60). Il sera question de l’École plus bas …
290 « Bien qu’aux alentours de 70 % des jeunes Africains (soit 1.4 milliard d’entre eux) résident dans les zones rurales, seulement 25.6 % des habitants des zones rurales africaines disposent d’un accès à internet, contre 35.2 % en Asie et 40.1 % en Amérique latine », « seulement 17 % des travailleurs indépendants qui vivent en milieu rural utilisent internet, contre 44 % de ceux qui habitent dans les zones urbaines » (CUA/OCDE, 2021, p. 29 et 31) et « le taux d’utilisation d’Internet est même inférieur à 10 % parmi les agriculteurs » (p. 60).
291 Silvia Ribeiro, « La numérisation des systèmes agro-alimentaires pèse sur l’agriculture paysanne », Capire, 15 juillet 2022, https://capiremov.org/fr/analyse/la-numerisation-des-systemes-agroalimentaires-pese-sur-lagriculture-paysanne/.
292 M. Hailu, op. cit.
293 CUA/OCDE, 2021, p. 27.
294 Ce programme de l’UA est mentionné dans le Rapport Mbembe en se référant au document de l’onusienne Commission économique pour l’Afrique sur l’Utilisation des deux mers et des deux océans d’Afrique pour promouvoir la mise en oeuvre des objectifs de développement durable et de l’Agenda 2063… Document de référence sur la conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines pour le développement durable. Certes le paragraphe qui lui est consacré met l’accent sur « les littoraux africains [qui] disposent d’une potentielle richesse océanique considérable » (p. 50), sans néanmoins s’y limiter, mention ayant été faite quelques lignes avant – après avoir déploré la pêche prédatrice, évoquél’exploitation pétrolière off-shore – des « activités émergentes, comme l’énergie éolienne, marémotrice et de la houle, la mariculture, voire la biotechnologie marine », juste quelques cas d’« activités émergentes » apparemment sans nocivité écologiquement…
295 Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Seuil, (2012), 2020, p. 19.
296 Idem.
297Pour une brève synthèse, cf., par exemple, Robin Delobel, « Ecologie ou technologies : un choix à faire », CADTM, 25 février 2020, www.cadtm.org/Ecologie-ou-technologie-un-choix-a-faire ; Julia Verne, Julia Stenmans, Stefan Ouma, « La connectivité, condition du développement pour l’Afrique ? », Alternatives Sud, n° 151, https://www.cetri.be/La-connectivite-condition-du-5305 ; etc Group, « Agricultura digital contra los derechos del campesinado y de los trabajadores del sector alimentario », 16 juin 2022, https://www.etcgroup.org/es/content/agricultura-digital-contra-los-derechos-del-campesinado-y-de-los-trabajadores-del-sector.
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298 Guy Debord et l’Internationale situationniste avaient, à partir des années 1960, caractérisé les sociétés contemporaines comme relevant de la société du spectacle. Celui-ci étant ainsi déflni, entre autres : « le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images […c’]est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale, Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde », Guy Debord, La Société du Spectacle (1967), tbèse 4 et extrait de la thèse 42. Et, dans un premier temps, le spectacle se présentait « sous une forme concentrée ou sous une forme diffuse » : la première était caractéristique du « capitalisme bureaucratique », du bloc dit communiste, de l’Europe de l’Est à la Chine, avec une production moins développée de marchandises et une domination de la police (thèse 64) ; la seconde caractérisait les sociétés capitalistes développées, d’abondance des marchandises, de la concurrence entre « marchandises vedettes » (thèse 65) dont le pouvoir produit chez les consuméristes une « non liberté concrète » (thèse 72). Mais, par la suite « une troisième forme s’est constituée depuis, par la combinaison raisonnée des deux précédentes, et sur la base générale d’une victoire de celle qui s’était montrée la plus forte, la forme diffuse. Il s’agit du spectaculaire intégré, qui désormais tend à s’imposer mondialement […] le sens final du spectaculaire integré, c’est qu’il s’est intégré dans la réalité même à mesure qu’il en parlait ; et qu’il la reconstruisait comme il en parlait […] Quand le spectaculaire était concentré la plus grande part de la société périphérique lui échappait : et quand il était diffus, une faible part : aujourd’hui rien. Le spectacle s’est melangé à toute la réalité en l’irradiant » (Commentaires sur la société du spectacle, 1988, commentaire IV). C’est la caractéristique du stade néolibéral du capitalisme comme globalisation. Par exemple, aujourd’hui l’Afrique rurale est pénétrée aussi bien par le mobile money comme innovation financière que, par exemple, par la Coupe d’Europe des clubs, retransmise télévisuellement, avec des discussions enflammées, des querelles entre supporters dans telle localité, urbaine ou rurale, africaine…
299 Par exemple, la revue médicale française, Prescrire, publie annuellement une évaluation de l’apport ou non des nouveaux médicaments mis sur le marché, parmi lesquels « des médicaments sans réel progrès, et d’autres à écarter », https://www.prescrire.org/ ; cf. aussi Frédéric Prat (gastro-entérologue), « La médecine doit soigner son addiction à la technologie », Reporterre, 03 mai 2023, mis à jour le 04 mai 2023, https://reporterre.net/La-medecine-doit-soigner-son-addiction-a-la-technologie. La technologie apporte certes du progrès en médecine, mais il y a que l’accent mis sur l’usage de certains instruments technologiques est lié à la logique de réduction de l’humain compétent, sensibilité comprise, au profit de la machine, des fabriquants/marchands de ces machines. Sans oublier le fait que certaines desdites innovations relèvent de la science sans conscience…
300 Cf., par exemple, cet article de Riccardo Petrella, « L’innovation compétitive, nouvelle idéologie du progrès », Savoir : Une terre en renaissance, hors-série de Le Monde diplomatique, 1993, p. 51-52.
301 Dans son Rapport sur la tecbnologie et l’innovation 2021. Prendre les vagues technologiques. Concilier innovation et équité. Aperçu général, la CNUCED parle plusieurs fois des « technologies d’avant-garde », entre autres « de nombreuses technologies d’avant-garde reposent sur des connexions internet fixes à haut débit et stables » (p. 19). Les agences onusiennes se chargent de plus en plus de la promotion des produits, services, des Big Tech… Dans cet aperçu de 24 pages, il n’est quasiment pas question des conséquences nocives de ces technologies sur l’environnement. Ce qui est aussi le cas du côté de l’Unesco faisant la promotion du numérique à l’école, sans attirer l’attention sur ses effets éventuels sur les cerveaux des élèves… Quand à l’OMS son second financeur serait… Bill Gates.
302 On peut dire que les différentes agences onusiennes étaient censées contribuer, à l’international, à l’avancement de l’humanité vers cet idéal. Un marchand d’électro-ménager n’avait rien trouvé de mieux, pour sa pub, au début des Trente Glorieuses, aux États-Unis d’Amérique, que de considérer les machines à laver (lessive et vaisselle) comme participant du progrès, car elles … “libéraient” la femme, les tâches ménagères étant considérées généralement, par les États-Uniens et ceux d’ailleurs, comme féminines, par essence…
303 Elle est ainsi définie par l’OCDE et la Commission européenne : « « Une innovation est la mise en oeuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures », OCDE et Commission européenne, Manuel d’Oslo : Principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation, 3e édition, 2005, p. 54. Quant à son importance actuelle dans l’économie capitaliste néolibérale, la fiche technique qui lui est consacrée par l’Union européenne affirme que « L’innovation revêt une importance croissante dans notre économie : elle offre de nombreux avantages aux consommateurs et aux travailleurs de l’Union européenne. Si elle est essentielle pour la création d’emplois de meilleure qualité, l’avènement d’une société plus respectueuse de l’environnement et l’amélioration de notre qualité de vie, elle est également cruciale pour la sauvegarde de la compétitivité de l’Union à l’échelon mondial », Frédéric Gouardères, « La politique de l’innovation », 10/2021, Fiches techniques sur l’Union européenne – 2022, www.europarl.europa.eu/factsheets/fr.
304 Sans remonter aux méfaits relevés déjà aux débuts de l’industralisation capitaliste, cf., par exemple, Jean-Baptiste Fressoz, op. cit.
305 Ludivine Bantigny, L’ensauvagement du Capital, Paris, Seuil, 2022, p. 30 (epub).
306 Byung-Chul Han rappelle la dimension surveillance, hétéronomisante, du numérique contenue dans ces gadgets high tech : « Les auteurs de cette utopie numérique décrivent en réalité une prison smart. Dans le smarthome, nous ne sommes pas des chefs d’orchestre autonomes. Nous sommes au contraire dirigés par des acteurs différents, mieux par des chefs d’orchestre invisibles. Nous nous exposons à un regard panoptique. Le smart bed équipé de différents capteurs prolonge la surveillance jusque dans le sommeil. Et celle-ci s’insinue, sous la forme de la commodité, toujours plus dans le quotidien », Byung-Chul Han, La fin des choses. Bouleversements du monde de la vie, Actes Sud, 2022 [Berlin, Ullstein Buchverlage GmbH, 2021 ; traduit de l’allemand par Olivier Mannoni], p. 12 (epub).
307 « Les spectateurs ne trouvent pas ce qu’ils désirent, mais désirent ce qu’ils trouvent », affirme G. Debord dans sa Réfutation de tous les jugements tant élogieux qu’hostiles qui ont été portés sur le film “La société du spectacle”, (OEuvres, op. cit., p. 1295) Mise sur le marché, précédée et accompagnée d’une campagne publicitaire de choc, toute marchandise n’ayant été considérée auparavant comme un manque arrive à être considérée comme telle pour la catégorie sociale ciblée par le producteur, voire déborder celle-ci, malgré son évidence superfétatoire, grâce à un certain conditionnement au consumérisme.
308 « Cette structure est financée par Bouygues, la SNCF, Vinci et EDF », selon Julia Laïnae et Nicolas Alep, Contre l’alternumérisme, Saint-Michel-de-Vax, La Lenteur, 2020, p. 27.
309 The Shift Project, Déployer la sobriété numérique, octobre 2020, p. 16.
310 Gontalde, « La 5G esquisse une transformation de la majorité des infrastructures de production et de circulation », Lundi Matin, 29 avril 2020, https://lundi.am/La-5G-infrastructure-logique-d-internet. La pub pour la 6G, prévue pour la décennie 2030, a déjà commencé : elle sera, par exemple, beaucoup plus rapide que la 5G, déjà plus rapide que la 4G (quasiment universalisée) et étant encore à ses débuts, avec une nocivité dénoncée avant son lancement (cf. par exemple le site de Robin des Toits, https://www.robindestoits.org/).
311 Cité par Le Monde avec AFP, « Emmanuel Macron défend “le tournant de de la 5G” face au “retour à la lampe à huile” », Le Monde, 14 septembre 2020 (modifié le 15 septembre 2020), https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/14/emmanuel-macron-defend-le-tournant-de-la-5g-face-au-retour-a-la-lampe-a-huile_6052176_3234.html. La communauté amish est un ordre issu de la réforme protestante, anabaptiste, s’étant principalement installée aux États-Unis d’Amérique et souvent présentée comme vivant isolée du reste de la société et coupée du progrès technique, ne décollant presque pas du 16ème siècle l’ayant vu naître. Ce qui relève plutôt du cliché (la référence de Macron) que de la réalité. Sur ses relations avec la société environnante, sa forme de « contemporanéité du non-contemporain » (comme dirait le philosophe allemand Ernst Bloch) cf., par exemple, Fabienne Randaxhe, « Temporalités en regard. Le viel ordre amish entre slow et fast time », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2002, 2, 57e année, p. 251-274, https://www.cairn.info/revue-annales-2002-2-page-251.htm.
312 Shoshana Zuboff, « Note à mes lecteurs français » de L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020 [Francfort/New York, Campus, 2018 ; New York, Perseus Books, 2019 ; traduction de l’anglais (États-Unis d’Amérique) par Bee Formentelli et Anne-Sylvie Homassel], p. 19 (pdf).
313 Jean-Marc Éla, L’Afrique à l’ère du savoir : science, société et pouvoir, préface d’Hubert Gérard, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 209. Roland Waast parlait même d’universités aux « bibliothèques vides », R. Waast, « Afrique : vers un libre marché scientifique ? », Économies et Sociétés, Série F, n° 39, « Développement » – III, 9-10/2001, (p. 1361-1413), p. 1374. Aux Comores, l’unique bibliothèque publique a fermé ses portes début janvier 2023
Certes, il y a le problème de la déforestation effectuée pour la production de tonnes et tonnes de papier. Mais dans une civilisation autre que celle paperassière, bureaucratique, du capitalisme, la production et la consommation de papier seraient à réduire. Par exemple, avec le recyclage, l’option pour les bibliothèques publiques plutôt que la possession privée, seraient ainsi réduites la déforestation et la consommation d’eau et d’énergie par l’industrie du papier. Sans toutefois que soit nécessaire la production d’arbres transgéniques en cours d’expérimentation. Avec de la volonté, le génie humain pourra trouver la bonne solution écologique…
314 A. Jacquard, Cinq milliards d’hommes dans un vaisseau, Paris, Seuil, février 1987, p. 163-164. Inspiré du terme “négritude”, l’humanitude est définie par Jacquard comme le « trésor de compréhensions, d’émotions et surtout d’exigences » que les sociétés humaines ont produit, produisent, à l’instar de la compréhension progressive du monde, l’émerveillement devant la beauté, l’amour, la volonté de faire advenir un monde d’égalité, de dignité, de justice pour tous/toutes. Le terme a été par la suite galvaudé par une personnalité politique française de la gauche caviar (la candidate à la présidence de la République française en 2007, Ségolène Royal).
315 Comme l’affirmait au début de la décennie 1980, l’universitaire et dramaturge nigérian Femi Osofisan : « La tradition dominante des milieux intellectuels nigérians, et spécialement au sein de notre corps enseignant, est celle du “féodalisme académique”, selon l’expression de George Steiner […]. Les étudiants, conformémemnt à ce que l’on nous dit et nous redit constituer une authentique tradition africaine, sont censés écouter passivement, ingurgiter mécaniquement et débiter sans la moindre interrogation le message éclairé de leurs aînés et de leurs professeurs. Ils ne doivent en aucun cas répliquer à leurs supérieurs, tout au moins s’ils ont l’intention de réussir à leurs examens. Soumis à cette anachronique mais puissante idéologie du mutisme et de la soumission, ils apprennent tout par coeur ; la connaissance est “fétichisée”, congelée par des épistémologies mécaniques », F. Osofisan, « Discours (peu) académique : Les “humanités” contribuent-elles à l’humanisation ? » (C’est un extrait du « texte de la leçon solennelle [qu’il a]prononcée le 9 janvier 1981 devant la Faculté des lettres de l’Université d’Ibadan »), Politique africaine, n° 13, 1984, p. 65-78, https://www.persee.fr/doc/polaf_0244-7827_1984_num-13_1_3686 (republié dans le n° 100, 2005/4, p. 165-170, https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2005-4-page-165.htm).
316 Benjamin Caraco, « Roberto Casati, Contre le colonialisme numérique. Manifeste pour continuer à lire », Bulletin des bibliothèques de France, 1er mars 2014, p. 187-189, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00987691. Par exemple, « Chaque rentrée scolaire est un moment d’annonce concernant un nouveau plan numérique. Les propos apaisants du ministre Blanquer ne font pas oublier que cette année, la région Grand-Est annonçait une “expérimentation sur 50 lycées pour 31 000 élèves : disparition de tous les manuels scolaires et achat obligatoire d’ordinateurs portables ou de tablettes pour les élèves […]Depuis une décennie, des “expérimentations” de ce genre se généralisent du primaire au supérieur, si bien qu’il s’agirait plutôt d’une mise au pas », Un collectifs d’enseignant·e·s, « Contre le numérique à l’école », Libération, 5 avril 2018, https://www.liberation.fr/debats/2018/04/05/contre-le-numerique-a-l-ecole_1641315/. Il va presque de soi que la normalisation d’une telle « expérimentation » ne favorisera pas l’usage des livres dans le futur …
317 Maints dangers de ces dits modèles de langage, dont la promotion ne cesse d’être amplifiée, ont déjà été exposés, cf., par exemple, Emily Bender, Timmit Gebru, Angelina McMillan, Shmargaret Shmitchell, « On the Dangers of Stochastic Parrots : Can Langage Models Be Too Big ? », FAccT’21 march 3-10, 2021, https://doi.org/10.1145/3442188.3445922.
318 « Tittytainment, selon Brzezinski est une combinaison des mots Entertainment [divertissements] et tits, le terme d’argot américain pour désigner les seins. Brzezinski pense moins au sexe, en l’occurrence, qu’au lait qui coule de la poitrine d’une mère qui allaite. Un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante qui permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète », Hans-Peter Martin, Harald Schumann, Le piège de la mondialisation, Actes Sud, 1997 [Hamburg, 1996 ; traduit de l’allemand par Olivier Mannoni], p. 19.
319 Abderrahmane Ngaïdé, Entretien avec Amady Aly Dieng. Lecture critique d’un demi-siècle de paradoxes, Dakar, CODESRIA, 2012, p. 78, téléchargeable sur www.codesria.org.
320 « This campus, once known for its intellectual salience, is today cited for its selective silence. The kind of discourse that I am indulging in today, I bet, must sound Greek and Latin to our neo-liberal generation of both students and faculty. This is the story of many African campuses ». Issa Shivji, « Social responsability of intellectuals in building counter-hegemonies » (« Keynote speech that Professor Issa Shivji gave at the launch of African Humanities Programme books at the University of Dar es Salaam, Tanzania, on 1 February 2019 »), Pambazuka News, February 10, 2019, https://www.pambazuka.org/pan-africanism/social-responsibility-intellectuals-building-counter-hegemonies. De son côté, en plus des « conditions matérielles et sociales », Jean-Marc Éla déplorait : « tandis que les grands débats d’idées deviennent rares, les querelles de personnes sont un fait quotidien dans les milieux universitaires. Je pense aussi aux bavardages creux sur le dernier match de football dans les bureaux du campus », Jean-Marc Éla, op. cit., p. 321-322.
321 C. A. Diop, « Alerte sous les Tropiques », Présence Africaine, nouvelle série, n° 5, décembre 1955-janvier 1956, (p. 8-33), p. 32-33.
322 Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, Paris, Seuil, 2019, 2020.
323 Citée par Claire Bommelaer et AFP, « Librairies nigérianes, la question de trop », Le Figaro, 30 janvier 2018,
324 Une journaliste française avait, en janvier 2018, à Paris, posé à l’écrivaine nigériane (vivant aux États-Unis d’Amérique) Chimamanda Ngozi Adichie la question de savoir si ses « livres sont lus au Nigeria ? », puis « Est-ce qu’il y a des librairies au Nigéria ? » ; questions considérées, par celle-ci, comme « donn[ant]une mauvaise image des Français » (« Y a t-il des librairies au Nigeria ? », L’Express, 26 janvier 2018, https://www.lexpress.fr/actualite/medias/y-a-t-il-des-librairies-au-nigeria_1979774.html). Ce qui a suscité quelques réactions sur l’état des librairies au Nigéria (le plus grand pays africain, comptant quelques dizaines d’universités), voire en Afrique dite subsaharienne, cf., par exemple, AFP, « Pas de librairies au Nigeria. Les amateurs de livres ripostent », La Croix, 30 janvier 2018, https://www.la-croix.com/Culture/Pas-librairies-Nigeria-amateurs-livres-ripostent-2018-01-30-13000909827 ; Tabia Princewill (journaliste de The Vanguard, quotidien nigérian), « L’Afrique dans le même état que ses librairies ? », Libération, 1er février 2018, https://www.liberation.fr/debats/2018/02/01/l-afrique-dans-le-meme-etat-que-ses-librairies ; Le Point, « Côte d’Ivoire : la dramatique chute du nombre de librairies », Le Point Afrique, 15 mars 2018, http://Afrique.lepoint.fr/actualités/cote-d-ivoire-la-dramatique-chute-du-nombre-de-librairies-15-03-2018-2202681_3826.php.
325 Cf., par exemple, Matt Richtel, « A Silicon Valley School That Doesn’t Compute », The New York Times, october 22, 2011, https://www.nytimes.com/2011/10/23/technology/at-waldorf-school-in-silicon-valley-technology-can-wait.html ;. Matthew Jenkin, « Tablets out, imagination in : the schools that shun technology », The Guardian, 2 december 2015, https://www.theguardian.com/teacher-network/2015/dec/02/school...
326 Michel Desmurget, La fabtique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, Paris, Seuil, 2019 ; Appel de Beauchastel (France), 22 décembre 2015 (complété le 19 mars 2016) ; Adrian F. Ward, Kristen Duke, Ayelet Gneezy, and Maarten W. Bos, « Grain Drain : The mere Presence of One’s Own Smartphone Reduces Available Cognitive Capacity », JACR, vol. 2, n° 2, published online April 3, 2017, http://dx.doi.org/10.1086/691462 ;
327 N. Kardaras, Hypnotisés. Les effets des écrans sur le cerveau des enfants, Paris, Desclée de Brouwer, 2021 [New York, MacMillan Publishing Group, 2016, traduction par Thomas Bauduret], pdf, sans pagination
328 Cédric Biagini et Guillaume Carnino, « La tyrannie technologique », in C. Biagini, G. Carnino, Célia Izoard, Pièces et main d’oeuvre, La tyrannie technologique. Critique de la société numérique, Paris, L’échappée, 2007, (p. 5-55), p. 42-43.
329 Agence Française de Développement, Agence universitaire de la Francophonie, Orange & Unesco, Savoirs communs, n° 17 : Le numérique au service de l’éducation en Afrique, février 2015, www.afd.fr. Avec ChatGPT (Transformeur génératif pré-entraîné), un « agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle » lancé en novembre 2022, apte par exemple, à rédiger/composer sur demande des dissertations en un très court laps de temps, ce n’est pas une aide que le numérique apporte à la connaissance, à l’acquisition et au développement de l’esprit critique. Milford Bateman, « The Dangerous Rise of rhe Digital Utopians Accros Africa », ROAPE, 2018 september, 14, https://roape.net/2018/09/14/the-dangerous-rise-of-the-digital-utopians-across-africa/.
330 Laurence Caramel, « Les universités africaines voient l’avenir en MOOC », Le Monde, 8 mai 2015, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/08les-universites-africaines-voient-l-avenir-en-mooc_4630446_3212.html ; Pascal Francq, « De qui se MOOC-t-on ?, Institut Paul Otlet, septembre 2015, http://opinions.otlet-institute.org/2015-09.html.
331 Les patrons de la Silicon Valley c’est-à-dire des géants états-uniens du numérique sont reputés scolariser leurs enfants à l’abri du numérique envahissant. Les francophones, au moins, du « comité Mbembe » n’ignorent pas, sans aucun doute, l’Appel de Beauchastel contre l’école numérique, 2015.
332 Sofia Scasserra and Carolina Martinez Elebim Digital Colonialism. Analysis of Europe’s trade agenda, Amsterdam, Transnational Institute, 2021, october, 6, https://www.tni.org/en/publication/digital-colonialism ; Renata Avila Pinto, « La souveraineté à l’épreuve du colonialisme numérique », Cetri.be, 27 avril 2020, https://www.cetri.be/La-souverainete-a-l-epreuve-du-5280 ; cf. aussi, pour l’aspect de la domination dans les MOOC, Djossé Roméo Tessy, « L’introduction des MOOC dans les universités africaines francophones : quels enjeux de justice cognitive ? », https://www.researchgate.net/publication/334451885_L’introduction_des_MOOC_dans_les_universites_africaines_francophones_quels_emjeux_de_justice_cognitive.
333 Kirstie Ball et David Murakami Wood, Un rapport sur la société de surveillance. Synthèse, (préparé par Surveillance Studies à l’intention du Commissaire à l’Information britannique), septembre 2006, https://www.priv.gc.ca/media/3589/surveillance_society_full_report_2006_f.pdf ; Éric Sadin, Surveillance globale. Enquête sur les nouvelles formes de contrôle, Paris, Climats, 2009 ; Shoshana Zuboff, « Un capitalisme de surveillance », Le Monde diplomatique, janvier 2019, p. 1, 10-11 (soulignons que n’étant pas anticapitaliste, Zuboff insiste, le long du preque millier de pages du livre, qu’il ne s’agit que d’« une mutation dévoyée du capitalisme », L’Âge du capitalisme de surveillance, p. 14) ; Christophe Masutti (propos recueillis par Maud Barret Bertelloni), « La surveillance est un mode du capitalisme », Le vent se lève, 25 septembre 2020, https://lvsl/fr/aux-sources-du-capitalisme-de-surveillance-entretien-avec-christophe-masutti/.
334 Alex Türk (propos recueillis par Marie Boeton) (« Alex Türk, président de la Commission national de l’informatique et des libertés (Cnil). “Ce qui nous attend est bien pire que Big Brother », La Croix, 17 juin 2011, https://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Debats/Alex-Tuerk-Ce-qui-nous-attend-est-bien-pire-que-Big-Brother-_EP_-2011-06-16-643007 ; la Cnil se présente ainsi dans certains de ses documents : « La mission générale de la CNIL est de veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles et publiques ». Cf. aussi, par exemple, Philippe Vion-Dury, entre autres, qui différencie Big Brother de la Silicon Valley, P. Vion-Dury (propos recueillis par Kévin “L’Impertinent” Boucaud-Victoire), « Le vrai visage de la Silicon Valley, c’est celui du capitalisme prédateur », Le Comptoir, 28 octobre 2016, https://comptoir.org/2016/10/28/philippe-vion-dury-le-vrai-visage-de-la-silicon-valley-cest-celui-du-capitalisme-predateur/.
335 Rapport d’experts aux Ministres de l’Économie et des Finances et Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Faire de la France une économie de rupture technologique. Soutenir les marchés émergents à forts enjeux de compétitivité, 7 février 2020, p. 5, https://www.economie.gouv.fr/remise-rapport-faire-france-economie-rupture-technologique.
336 Le jour de l’élection présidentielle états-unienne, Mbembe avait commis un texte intitulé « Barack Obama : une certaine figure du monde » (Africultures, 4 novembre 2008, http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8150 ; aussi sur son blog sur mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/achille-mbembe/041108/barack-obama-une-certaine-figure-du-monde), parlant, par exemple, de s’être « longuement interrogé sur la fascination que cet homme exerce sur nos esprits », énonçant, parce que « Obama offre à notre regard une certaine figure du monde et une certaine figure de l’Amérique, de son corps et de son esprit […]dans une visibilité si éclatante et si manifeste qu’elle déchire, l’espace d’un instant, et peut-être pour la première fois dans l’histoire de notre monde, la mince couche de nuit qu’est l’apparence physique », plus qu’un souhait : « Rien que pour cela, je voudrais être là le jour de son inauguration, en janvier prochain, quand, ne serait-ce qu’en é’espace d’un clin d’oeil, le monde entier resplendira de lumière à la manière d’un jardin en fête ». L’élection d’un classé comme noir dans cette société raciste, mais métis de mère blanche, du monde académique, l’ayant élevé, était indéniablement un événement. Mais fallait-il oublier que Obama n’était pas qu’un candidat noir, sans être que celui des Noir·e·s, mais celui du parti démocrate, l’un des deux partis de l’oligarchie états-unienne, qui, sans nier la personnalité d’Obama (bien adaptée à la circonstance), ne l’aurait pas sélectionné comme candidat, n’aurait pas orchestré cette campagne, si seulement il représentait ne fut-ce moins qu’une once de danger pour le statu-quo politique, l’alternance plus que centenaire des deux partis. Ainsi, dans ce texte, il n’est question que de son afro-américanité, « accents de la religion prophétique des descendants d’esclaves » inclus, mais rien de son programme économique, aux répercussions non seulement locales (sociales), étant celui de l’hégémon économico-militaire mondial, de surcroît en un moment assez particulier de l’économie capitaliste états-unienne, de l’économie capitaliste mondiale… L’élection de Barack Obama a été une grande victoire de la société du spectacle, de la politique-spectacle caractéristique des campagnes électorales présidentielles états-uniennes.
337. Au cours des années 1960-1970, avant internet, il y a eu aux États-Unis d’Amérique le programme de surveillance Counterintelligence Program (COINTELPRO) du FBI ayant mené, entre autres, à l’assassinat d’activistes des mouvements émancipateurs des “minorités” (Noir·e·s, Indien·e·s/Natives, etc.), cf., le rapport de l’enquête parlementaire états-unienne, Final Report of the Select Committee to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities of the United States Senate, Book II, 94th Congress, 2nd Session, 1976, aussi dit Rapport Church ; http://www.aarclibrary.org/publib/church/reports/contents.htm. (Il existe un autre Rapport Church, portant sur les projets d’assassinat des dirigeants politiques étrangers, à l’étranger, par la Central Intelligence Agency/CIA) ; cf. aussi, par exemple, Alfred McCoy, « Surveillance Blowback : The Making of the US Surveillance State, 1898-2020 », TomDispatch, July 14, 2013, https://tomdispatch.com/alfred-w-mccoy-Obama-s-expanding-surveillance-universe/: Si en URSS la surveillance policière s’avérait généralement lourde, elle paraissait alors généralement très discrète aux États-Unis d’Amérique. Deux réalités d’un même phénomène, qui étaient liées aux formes distinctes du spectaculaire.
338 Telle est la classification établie dans le Rapport d’information sur les systèmes de surveillance et d’interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale française, 11 octobre 2000, p. 16.
339 Cf., par exemple, La Quadrature du net, « Les GAFAM échappent au RGPD, la CNIL complice », laquadrature.net, 25 mai 2021, https://www.laquadrature.net/2021/05/25/les-gafam-echappent-au-rgpd-avec-la-complicite-de-la-cnil/. Le RGPD est le Règlement général sur la protection des données en France.
340 « Révélations choc sur un logiciel espion israélien », Amnesty International, https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualités/surveillance-revelations-sur-le-logiciel-espion-israelien-pegasus-nso-group. La France avait été ciblée par le Maroc : « En plus de Macron et de la plupart de ses ministres, le client marocain de NSO avait sélectionné des responsables de plusieurs pays européens et africains, un ancien ambassadeur des États-Unis d’Amérique », Laurent Richard & Sandrine Rigaud, Pegasus. Démocratie sous surveillance, Paris, Robert Laffont, 2023, p. 236 (epub).
341 https://www.mediapart.fr/journal/international/051023/ …
342 Sénamé Koffi Agbodjinou (propos recueillis par Lucie Delaporte) : « Les villes africaines sont un terrain d’expérimentation pour les Gafam », mediapart.fr, 4 septembre 2022, https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040922/sename-koffi-agbodjinou-les-villes-africaines-sont-un-terrain-d-experimentation-pour-les-gafam. De son côté, la ministre togolaise de l’Économie numérique a affirmé que, entre autres, le système Novissi « utlise l’intelligence artificielle, l’imagerie par satellite, les métadonnées de téléphonie cellulaire et l’apprentissage automatique pour améliorer le ciblage des bénéficiaires » Cina Lawson, « La technologie moteur du développement », Finances & Développement, mars 2022, (p. 44-45), p. 44.
343 Christophe Masutti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance, Caen, C&F éditions, 2020, p. 37. Cf- aussi, par exemple, Groupe MARCUSE, « Informatique ou liberté ? », (janvier 2014), Et vous n’avez encore rien vu …, 29 septembre 2016, https://sniadecki.wordpress.com/2016/09/29/gmarcuse-snowden/.
344 Bulelani Jili, « Tuning surveillance software with African faces », Africa is a country, July 2, 2019, https://africasacountry.com/2019/07/tuning-spyware-with-african-faces (l’Éthiopie dont il est question, entre autres, dans cet article, ne s’interdit pas de diversifier les partenaires : Nick
Turse, « How the NSA built a secret surveillance network for Ethiopia », The Intercept, september 13 2017, https://theintercept.com/2017/09/13/nsa-Ethiopia-surveillance-human-rights/ ; Georges Macaire Eyenga, « Les nouveaux yeux de l’État ? L’introduction de la télésurveillance dans l’espace public à Yaoundé » (« The State’s New Eyes ? The Introduction of CCTV in the Public Space in Yaoundé »), Cahiers d’études africaines, 244, 2021, p. 753-776 ; http://journals.openedition.org/etudesafricaines/35559 ; https://doi.org/19.4000/etudesafricaines.35559.
345 Pièces et main d’oeuvre, « Le téléphone portable, gadget de destruction massive. Pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan », in Cédric Biagini, Guillaume Carnino, Celia Izoard, Pièces et main d’oeuvre, op. cit., p. 157.
346 Jean-Marc Éla, op. cit., p. 208.
347 Concernant sa néomanie technophile, il y a ce passage de son ouvrage Brutalisme dans lequel au nom de la critique de la phallocratie, Mbembe se fait héraut de la technosexualité : « Il ne sera plus nécessaire de chercher de stimuli via le clitoris, l’anus ou le phallus. Il suffira d’un bombardement intensif d’ondes de tous ordres dans les zones cérébrales relatives au plaisir pour basculer, sans médiation, dans les fosses de l’extase [appel de note]. L’ère de la sexualité sans contact avec d’autres humains signera la fin de l’hégémonie longtemps exercée par les rapports sexuels entre les genres. À la sapiosexualité avec les humains s’ajoutera la technosexualité. Celle-ci combinera intimité et possibilités de décharge sexuelle des instincts avec des machines. Il reste à voir si cela suffira à faire refleurir les possibilités d’un amour sans désir sexuel et si, le phallus finalement destitué, il en découlera une plus grande égalité des genres », dernier paragraphe du Chapitre 4 : Virilisme, p. 120-129.
348 Dans son allocution inaugurale comme président des États-Unis d’Amérique, le 20 janvier 1949, Harry S. Truman, avait déploré la situation des régions sous-développés (lançant ainsi le terme) et promis un programme qui permette « la croissance des régions sous développées », autrement dit dit leur sortie dudit sous-développement, https://avalon.law.yale.edu/20th_century/truman.asp.
349 C’est la version française intégrale disponible sur Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_avenir_à_tous_-Rapport_Brundtland) qui est utilisée ici.
350 Dans « The Myth of the Third World » (Labour Monthly, october 1968, p. 462-465 ; http://www.unz.org/Pub/LabourMonthly-1968oct-00462), Nkrumah considère l’étendard du Tiers-Monde comme « a form of political escapism – a reluctance to face the stark realities of the present situation. The oppressed and exploited peoples are the struggling revolutionary masses committed to the socialist world. Some of them are not yet politically aware. Others are very much aware, and are already engaged in the armed liberation struggle. At whatever stage they have reached in their resistance to exploitation and oppression, they belong to the permanent socialist revolution. They do not constitute a ‘Third World’. They are part of the revolutionary upsurge which is everywhere challenging the capitalist, imperialist and neo-colonialist power structure of reaction and counter-revolution. There are thus two worlds only, the revolutionary and the counter-revolutionary world ». L’Idée est reprise dans La lutte des classes en Afrique : « Le monde en développement n’est pas un bloc homogène opposé à l’impérialisme. Le concept de “Tiers-Monde” est illusoire. Car, pour une large part, il demeure sous domination impérialiste » (p. 102), au capitalisme hiérarchisé. Il n’y a qu’à faire le décompte des États ou dirigeants politiques africains se revendiquant de la Conférence de Bandung (1955) demeurés subordonnés en dernière instance, au moins, à une puissance impérialiste. L. S. Senghor, ténor de la Françafrique, par exemple, se référait favorablement à cette conférence. Quand on en parle c’est souvent, semble t-il, en évacuant la nature de classe (bourgeoise) de presque tous les États participants (à l’exception de la Chine et du Vietnam). Le Libéria, l’Éthiopie sont à considérer alors comme aussi nationalistes que l’Égypte (auréolée l’année suivante par sa résistance pendant la Crise de Suez face à la coalition anglo-israélo, à laquelle s’est jointe la France afin de mettre un terme au soutien apporté par l’Égypte au FLN algérien en lutte armée pour l’indéprendance) par exemple, pour ne parler que de la moitié des participants africains …
351 D. Bell, La fin des idéologies. Sur l’épuisement des idées politiques dans les années 1950, Paris, PUF, 1960.
352 À titre de rappel, c’est dans cette ambiance intellectuelle, de « grand cauchemar », que se manifeste la dite « éthique libertaire, individualiste, faut-il dire cynique, hédoniste, en tout cas fort “post-soixante-huitarde” » de Bayart, considérant, à la suite du philosophe allemand du 19e siècle Friedrich Nietzsche, que les « convictions sont des cachots » dont va parler admirativement Achille Mbembe au cours de la décennie suivante (cf. plus haut).
353 « La Commission s’adresse aussi à l’entreprise privée, depuis l’individu travaillant à son compte jusqu’à la grande multinationale dont la puissance économique est plus grande que celle de bien des pays et qui a le pouvoir de susciter des changements et des améliorations à long terme » affirme la présidente de la Commission, Gro Harlem Brundtland (alors Première ministre de Norvège) dans l’Avant-propos, p. 15.
354 Dans Les deux âmes de l’écologie. Une critique du développement durable (Paris, L’Harmattan, 2008), Romain Felli affirme à juste titre que le développement durable « s’est construit conceptuellement non pas avec, mais contre l’écologie politique. L’avènement contemporain du développement durable signe donc une défaite de l’écologie subversive » (p. 90).
355 Joseph Tonda, L’impérialisme postcolonial. Critique de la société des éblouissements, Paris, Karthala, 2015, p. 211.
356 Romain Felli, « La durabilité ou l’escamotage du développement durable » (Raisons politiques, n° 60, 2015, (p. 149-160), https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2015-4-page-149.htm) qui avait quelques années auparavant distingué le développement durable de l’écologie politique, distingue ainsi la durabilité du développement durable : « Il faut non seulement distinguer les idées de durabilité et de développement durable, mais reconnaître qu’elles peuvent être partiellement antagonistes. La durabilité suppose une double réduction. Elle réduit le développement durable uniquement à la question de la compatibilité entre croissance et environnement (oubliant au passage la question de la satisfaction des besoins des plus dénumis). Et elle réduit les riches relations biologiques, métaboliques, éthiques, esthétiques qui constituent l’“environnement” à un “capital” dont il s’agit d’optimiser le rendement par rapprt aux prélèvements (d’où les débats poussifs sur l’opposition entre durabilité faible et forte, etc.). Ne posant pas la question des fins, la durabilité évacue les conditions dans lesquelles la production économique prend place, c’est-à-dire la question du capitalisme. À ce titre, elle est une idéologie profondément dépolitisante, hypostasiant la rationalité économique du capitalisme » (p. 157).
357 Sur les limites de la COP21, cf., par exemple, Daniel Tanuro, « Le point de vue du Capital à la COP21 : la “neutralité climatique” au prix du désastre social et écologique », Europe Solidaire Sans Frontières, 14 décembre 2015, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36696.
358 Nicolas Hulot (propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi), « Hulot : “Avec Macron, on n’avait pas le même diagnostic sur le climat », Reporterre, 23 novembre 2018 ; https://reporterre.net/Hulot-avec-Macron-on-n-avait-pas-le-meme-diagnostic-sur-le-climat.
359 Reuters, « Des dizaines de milliers de personnes marchent pour le climat » (en France), 16 mars 2019, https://www.reuters.com/article/france-climat-manifestation-idFRKCN1QX0JV-OFRTP.
360 Ministère de l’Économie et des Finances, Pacte productif 2025, octobre 2019, p. 15, https://www.economie.gouv.fr/files/files/ESPACE-EVENEMENTIEL/Pacte_Productif/Pacte_Productif_Diagnostic_et_Enjeux.pdf.
361 Greenpeace, « Sommet “Ambition Climat” : réaction de Greenpeace France au discours d’Emmanuel Macron », 12 décembre 2020, https://www.greenpeace.fr/espace-presse/sommet-ambition-climat-reaction-de-greenpeace-france-au-discours-demmanuel-macron/.
362 Conseil d’État, Décision 427301, du 1er juillet 2021, https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-conseil-d-etat-enjoint-au-gouvernement-de-prendre-des-mesures-supplementaires-avant-le-31-mars-2022. Une autre injonction au gouvernement, par le Tribunal administratif de Paris, sera faite quelques jours après le Sommet de Montpellier, le 14 octobre 2021, dans ladite “Affaire du siècle” opposant l’État au collectif de quatre organisations l’ayant accusé d’inaction écologique (http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/L-Affaire-du-Siecle-l-Etat-devra-reparer-le-prejudice-ecologique-dont-il-est-responsable).
363 Rapport de l’Observatoire des multinationales, Lobbys contre citoyens. Qui veut la peau de la Convention Climat ? 18 janvier 2021, https://multinationales.org/fr/enquetes/qui-veut-la-peau-de-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/.
364 Pour la critique synthétique de l’écologie de marché, de Kyoto à la COP21, cf, par exemple, Daniel Tanuro, « Le diable fait les casseroles, mais pas les couvercles : défense du climat et anticapitalisme », Europe solidaire sans frontières, 25 janvier 2007, https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4841 , complété par Maxime Combes, « État d’urgence climatique : à Paris, la COP adopte comme base de négociation un texte d’une rare indigence ! », blog.mediapart.fr, 5 décembre 2015, https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/051215/etat-durgence-climatique-la-cop21-repond-par-un-texte-dune-rare-indigence. Au programme de la transition écologique version Union européenne, il y aura plus d’extractivisme : par exemple, « Les batteries qui alimentent nos véhicules électriques devraient multiplier par 17 la demande de lithium d’ici à 2050 », « Discours de la Présidente Von der Leyen sur les relations UE-Chine à l’intention du Mercator Institute for China Studies et du Centre de politique européenne », 30 mars 2023, https://france.representation.ec.europa.eu/informations/discours-de-la-presidente-von-der-leyen-sur-les-relations-ue-chine-lintention-du-mercator-institute-2023-03-30_fr. Une poignée de pays de l’Union européenne, à l’instar de la France (hexagonale), du Portugal supposé le plus pourvu, possèdent des gisements de lithium, dont l’exploitation en France ne manque pas d’être problématique…
365 Cf., par exemple, pour la période d’avant le Sommet de Montpellier cet article synthétique publié par une chaine publique, « “1% des émissions de CO2” : la France est-elle vraiment un petit pollueur à l’échelle mondiale ? »
366 Il y a par ailleurs des marchandises importées dont les matières premières ne peuvent être produites que dans certains pays, sous certains climats, à l’instar du chocolat, les cacaoyères alimentant l’industrie cacaoyère mondiale sont un grand facteur de la déforestation (climaticide), en Côte d’Ivoire, par exemple.
367Alors qu’il s’agit/s’agissait de réduire de 40 à 70 %, d’ici à 2050, les émissions de gaz à effet de serre (de 14 % entre 2013 et 2020, afin de ne pas atteindre à la fin du 21e siècle le seuil de 2° de la température moyenne par rapport à celle de l’ère pré-industrielle. Mais plutôt que d’être réduites, les émissions ne cessent d’augmenter d’année en année. Dès 2014, le Giec alertait sur le risque de dépassement de 2° dès 2030. En 2023, elle s’est située à 1,1° (par rapport à 1850-1900), possibilité donc de dépasser le seuil de 3° à la fin de ce siècle. Pour ne pas dépasser 1,5°C, il faut réduire les émissions de 48 %, par rapport à 2019.
368 Ce qui est le cas même d’un mouvement écologiste tel que Les Amis de la Terre dont le document, publié en juillet 2023, Avec l’espace écologique, concrétisons les utopies. Quelques propositions concrètes pour tendre vers des sociétés soutenables, ne mentionne pas le problème du mode de production capitaliste, proposant ainsi en fait comme utopie concrète globale un capitalisme soutenable, même si le capitalisme semble inexistant selon ce document écologiste.
369 Jason Hickel and Giogos Kallis, « Is Green Growth Possible ? », New Political Economy, 2019, https://doi.org/10.1080/13563467.2019.1598964. Argumentaire développé, mis à jour dans Jefim Vogel, Jason Hickel, « Is green growth happening ? An empirical analysis or achieved versus Paris-compliant CO2-GDP decoupling in high-income countries », Lancet Planet Health, 2023, vol. 7, september 2023, p. e759-769, www.thelancet.com/planetary-health.
370 Stéphane Dupont, Etienne Lefebvre, Frédéric Schaeffer, « Emmanuel Macron : “Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », Les Echos, 6 janvier 2015, https://www.lesechos.fr/2015/01/Emmanuel-Macron-il-faut-des-jeunes-qui-aient-envie-de-devenir-milliardaires-241247.
371 Konfidants (cabinet de conseil), African Globalizers Report 2017 : Africans Firms taking the World Stage, http://africanglobalizers.com. Ces « Africa Globalizers » constituent avec les « African regionalisers » (à l’instar du club « AfroChampions ») les « African internationalisers » (Chengete Chakamera, « Analysis of Corporate Social Responsability of the African’Internationalisers’ versus Non-African founded MNCs », International Review of Philanthropy ans Social Investment Journal, 2020, 1 (1), p. 57-72, http://dx.doi.org/10.47019/IRPSI.2020/v1n1a5).
372 Selon Alain Bihr, « Les guillemets dont j’assortis ce terme s’expliquent par le fait que, strictement parlant, aucune énergie n’est renouvelable : on ne peut pas consommer deux fois le même kWh d’électricité, qu’il soit généré par des panneaux photovoltaïques ou par une centrale hydroélectrique, pas plus qu’on ne peut brûler deux fois le même kg de bois ou de charbon. Qui plus est, la thermodynamique nous enseigne que, si elle se conserve quantitativement au cours de ses transformations, l’énergie se dégrade qualitativement (elle est de moins en moins utilisable pour un travail donné) en finissant toujours par se dissiper sous forme de chaleur. Sont tout au plus renouvelables les sources d’énergie. », A. Bihr, « Le mirage des énergies renouvelables », A l’encontre, 14 octobre 2024, https://alencontre.org/.
373 Adam Anieh, « Les compagnies pétrolières sont toujours déterminées à brûler la planête », ZNetwork
374 « Est-ce qu’on pourrait avoir un capitalisme plus assagi, qui prendrait mieux en compte les problèmes environnementaux ? J’aimerais, même si je ne suis pas naïf », affirme t-il dans Jean Jouzel (propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi) « Jean Jouzel, climatologue : “Emmanuel Macron doit cesser de semer la confusion” », Reporterre, 25 septembre 2023, 25 septembre 2023 mis à jour le 27 septembre 2023 ; https://reporterre.net/Jean-Jouzel-Emmanuel-Macron-doit-cesser-de-semer-la-confusion . Il y avoue, par ailleurs, avoir attendu de Macron président (avec qui il avait échangé sur le climat, du temps ou celui-ci était au secrétariat du cabinet du président François Hollande) qu’il mène une politique climatique intéressante. Mais, son « enthousiasme » a « été bien entamé au moment de la Convention citoyenne sur le climat » dont « les propositions établies par les citoyens tirés au sort étaient vraiment ambitieuses […] Mais à la fin, la plupart n’ont même pas été prises en compte ». Comme il a été rappelé plus haut, concernant ladite Convention citoyenne, supposée action écologiste de Macron, mais ayant plutôt prouvé sa mauvaise foi écologique. C’était avant le Sommet de Montpellier. En fin décembre 2023, J. Jouzel, comme nombre de ses collègues (reconnu·e·s très compétent·e·s en climatologie), persistait néanmoins à penser le capitalisme compatible avec l’écologie : « Au lieu de prétendre préparer à une adaptation impossible au-delà d’un certain niveau de réchauffement, les autorités publiques devraient avoir pour priorité absolue d’enrayer la progression constante à l’échelle planétaire des émissions de gaz à effet de serre et des autres activités destructrices de la vie dur terre. Et donc de discipliner les entreprises qui en sont responsables. Arrêter cette course à l’abîme demeure encore possible », Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, « Les quatres degrés de l’Apocalypse », Le Monde diplomatique, décembre 2023, p. 20. Ce qui relève en fait d’une conception inversée des rapports entre les pouvoirs publics/l’État et les entreprises/le Capital, surtout en ce moment néolibéral où l’autonomie relative de l’État par rapport au Capital se restreint).
375 Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet, Benjamin Franta, « Total face au réchauffement climatique (1968-2921) », Terrestres, 26 octobre 2021, (https://www.terrestres.org/2021/10/26/total-face-au-rechauffement-climatique-1968-2021/) traduction mise à jour de « Early warnings and emerging accountability : Total’s response to global warming, 1971-2021 », Global Environmental Change, 71 (2021), https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102386. Des procès ont été intentés aux États-Unis d’Amérique contre les principales entreprises pétrolières ayant dissimulé non pas depuis les années 1970 ou 1980, mais depuis les années 1950, l’information sur les conséquences climatiques de leurs activités : Chris McGreal, « Big oil and gaz kept a dirty secret for décades. Now they may pay the price », The Guardian, June 30, 2021, https://www.theguardian.com/environment/2021/jun/30/climate-crimes-oil-gas-environment ; David Gelles, « California Sues Oil Giants, Claiming Decades of Deception », The New York Times, September 15, 2023, https://www.nytimes.com/2023/09/15/business/california-oil.lawsuit.newsom.html ; Ella Ivanescu, « Climat : “Les industriels des énergies fossiles et leurs complices doivent rendre des comptes ” – Guterres », news.un.org, 17 juin 2022, https://news.un.org/fr/story/2022/06/1122002.
376 « Achille Mbembe livre en exclusivité pour notre Blog ses impressions de Paris (fin août-début septembre) », Congopage blog (blog d’Alain Mabanckou), 6 septembre 2007, (ce n’est pas un entretien), http://www.congopage.com/article/achille-mbembe-livre-en (repris le lendemain par le site de la Ligue des droits de l’homme – Toulon ( !), http://www.jgh-toulon.net/spip.php?page=imprimer&id_article=2245).
377 Cité par Alexandre-Reza Kokabi (dans « Jean Jouzel, climatologue : “Emmanuel Macron doit cesser de semer la confusion” »). Propos cynique, mais conséquent d’un patron dont on ne peut s’illusionner à attendre quelque conscience humaniste ou écologiste conséquente. La vie réelle dans la longue histoire de Total, depuis la Compagnie française des pétroles, en passant par l’absorption de Elf, c’est une histoire « par moments sordide, voire criminelle » selon Alain Deneault (auteur de De Quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit, suivi de Le totalitarisme pervers, Éditions Écosociété, Paris, 2017) : « TotalEnergies doit l’accumulation de son capital, c’est-à-dire de sa force de frappe et en dernière instance de son pouvoir, à l’établissement d’un cartel pétrolier mondial au Moyen-Orient il y a une centaine d’années ; à sa complicité avec le régime sud-africain de l’Apartheid ; à ses pratiques d’évitement fiscal de longue date dans les paradis fiscaux ; à sa participation active à la colonisation de l’Afrique, sa corruption endémique, son tripatouillage d’urnes et ses guerres civiles ; à sa collusion avec les partis politiques de gouvernement en France et sinon à son intégration consommée à la finance internationale », Alain Deneault (propos recueillis par Laurent Ottavi), « La dissolution des multinationales est la solution », Elucid, décembre 2023, https://alaindeneault.net/wp-content/uploads/2023/12/La-dissolution-des-multinationales-est-la-solution-ADeneault.fr ; pour un bref aperçu de sa criminalité, de 1924 à 2016, cf. aussi l’introduction de De Quoi Total est-elle la somme ? …
378 En ce qui concerne la criminalité de Total en Afrique, cf., par exemple, le rapport de Les Amis de la Terre et Survie sur son oléduc en Ouganda et en Tanzanie (East Africa Crude Oil Pipeline/EACOP), Un cauchemar nommé Total. Une multiplication alarmante des violations des droits humains en Ouganda et en Tanzanie, octobre 2020, disponible sur amisdelaterre.org et survie.org. Une criminalité qui ne concerne pas que l’Afrique ou des sociétés périphériques du capitalisme : cf., par exemple, Albert Abdelilah, « Gaz de schiste : TotalEnergies au coeur d’un scandale sanitaire et environnemental au Texas », (Disclose et Libération, 26 septembre 2023, https://disclose.ngo/fr/article/gaz-de-schiste-totalenergies-au-coeur-dun-scandale-sanitaire-et-environnemental-au-texas), y usant presque des mêmes méthodes que dans des pays africains, inscrites en fait dans son ADN (cf. Deneault) : « Malgré des règles de jeu favorables à TotalEnergies et ses concurrents, la mobilisation citoyenne s’organise. À la tête de cette contestation le Liveable Arlington [Arlington est la ville texane concernée], justement. Alors, pour essayer de contrer l’influence grandissante de l’association de riverain·es auprès d’une partie de la classe politique locale, la multinationale française s’organise. À coup de billets verts », de recrutement d’ancien·ne·s dirigeant·e·s de la Texas Commission on Environmental Quality (TCEQ), faisant qu’« Alors que l’autorité de contrôle semble déjà enquêter à reculons, le gouverneur de l’État du Texas a signé une loi, en aôut dernier, permettant à la TCEQ d’ignorer certaines plaintes […] À l’origine de cette loi très favorable à l’industrie pétrogazière : les élus républicains Drew Springer et Cody Harris. D’après les données financières de l’ONG néerlandaise Follow the Money, ces deux responsables politiques ont perçu, au cours de leur carrière politique, 337 439 dollars de dons en provenance du lobby de l’industrie pétrogazière », Alexander Abdelilah, « Pour produire toujours plus de gaz de schiste, TotalEnergies profite de la faiblesse des autorités texanes » Disclose, 12 octobre 2023, https://disclose.ngo/fr/article/pour-produire-toujours-plus-de-gaz-de-schiste-totalenergies-profite-de-la-faiblesse-des-autorites-texanes.
379 Cf., par exemple, M. Saunois et al. « The Growing role of methane in anthropogenic climate change », Evironmental Research Letters, 12 december 2016, doi : 10.1088/1748.9326/11/12/120207. Dans une terrible inconscience, la RDC multiplie les partenaires pour l’exploitation du méthane contenu dans le Lac Kivu. Le Rwanda dont le gouvernement gobe toutes les recettes du néolibéralisme l’avait dévancé en matière d’exploitation du méthane pour la production d’électricité… Malgré les conséquences climaticides, voire l’ampleur de la catastrophe en cas d’éruption de quelque volcan environnant … Avec l’industrialisation de l’agriculture souhaitée par le Rapport Mbembe, déjà amorcée, il faudrait plus d’engrais chimiques dont la production est aussi à base de gaz naturel. L’élévage autre source d’émission du méthane étant aussi appelé à ne plus s’en tenir à celui des petits éleveurs peuls, par exemple. Autrement dit plus d’émission de méthane, comme prix à payer pour le développement agricole capitaliste…
380 À la différence de l’alors Prince Philip d’Angleterre, et autres plaidant une « économie inclusive », le pape des catholiques avait au moins clairement parlé d’un « capitalisme inclusif » qui va « faire du capitalisme un instrument plus inclusif pour le bien-être intégral [...] qui ne laisse personne en arrière, qui n’écarte aucun de nos frères et soeurs », « Discours du Père Francois aux membres du Conseil pour un capitalisme inclusif », lundi 11 novembre 2019, http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2019/november/documents/papa- francesco_20191111_consiglio-capitalismo-inclusivo.html. Apparemment, il n’y a pas, selon le pape, de différence entre le souhait d’un « système économique juste » et celui d’une « économie plus juste ».
381 Parler de décroître, “décroissance” en Afrique paraît insensé, relever d’un suivisme ne tenant pas compte de la réalité économique de l’Afrique, au faible PIB, son « sous-développement » et ses maux sociaux (faible taux de satisfaction des besoins nécessaires, taux élevé de sans emploi, faible accès aux soins nécessaires, à la scolarisation à partir du cycle secondaire…). Pourtant, c’est en partant de cette réalité que cela s’avère nécessaire, parce que possible. De quoi se compose le PIB actuel de l’Afrique ? Une grande partie de la production économique africaine est faite pour alimenter la croissance de l’économie mondiale, par extractivisme (pour la productions des gadgets et autres marchandises socialement son nécessaires, etc.). Il est question de faire décroître la production extractiviste, généralement tournée vers la fourniture des industries occidentales, chinoises, indiennes, etc (quelles sont, par exemple, les parts du pétrole et gaz dans le PIB nigérian ? du coltan dans celui de la RDC ? etc.). Et, sans s’agenouiller à l’autel de la croissance, il est possible en remplacement de ces produits de l’extractivisme et ce qui en découle de produire du nécessaire (technique, “économique”, social, culturel) bien en deçà probablement de l’actuel PIB africain. Un tel choix suppose, évidemment, un imaginaire différent de celui du capitalisme-consumérisme écocidaire, menant à ce que les sociétés africaines ne soient plus dirigées par des pro-capitalistes, consuméristes et d’une particulière niaiserie, que sont généralement les classes dirigeantes africaines, qu’elles deviennent (processuellement, par une transition) authentiquement démocratiques (des mécanismes de participation de tous/toutes à la prise des décisions sur l’organisation de la vie commune et au contrôle de leur exécution, pour une émancipation humaine, écologiquement déterminée), dans une dynamique panafricaine émancipatrice, ouverte à la coopération égalitaire avec les autres sociétés, dans une perspective d’émancipation humaine, d’un monde écologique. Ce qui exige évidemment la construction d’une dynamique plurielle d’éducation/conscientisation écologique populaire, déjà sous le capitalisme …
382 Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, « Les quatres degrés de l’Apocalypse », Le Monde diplomatique, décembre 2023, p. 20.
383 Programme des Nations Unies pour l’environnement, Résumé analytique, Rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions : Record battu – Les températures atteignent de nouveaux sommets, mais le monde ne réduit (toujours) pas ses émissions, Nairobi, p. IV et V, https://doi.org/10.59117/20.500.11822/43922. L’émission des GES en 2022 a été de 57,4 gigatones équivqlent CO2 (1% de plus qu’en 2021), alors que « Selon les estimations, les mesures d’atténuation annoncées par les pays au titre de l’Accord de Paris entraineraient des émissions mondiales de gaz à effet de serre de 52.58 GtéqCO2 an en 2030 (degré de confiance moyen). Les trajectoires qui tiennent compte de ces mesures annoncées ne parviendraient pas à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, même si elles prenaient également en considération une augmentation, très difficile à tenir, de l’ampleur des réductions d’émissions et des mesures annoncées en la matière après 2030 (degré de confiance élevé). Il ne sera possible d’éviter les dépassements et la dépendance vis-à.vis de l’élimination à grande échelle de CO2que si les émissions commencent à décliner bien avant 2030 (degré de confiance élevé) », V. Masson-Delmotte, P. Zhai, H. O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J. B. R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M. I. Gomis, E. Lonnoy, T. Maycock, M. Tignor et T. Waterfield (Publié sous la direction de), :, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, Résumé à l’intention des décideurs, GIEC, Organisation météorologique mondiale, 2018, Genève, (32 p.), p. 18.
384 Jim Yong Kim, « Le monde avec 4 degrés de plus ? Un scénario à éviter absolument », 20 novembre 2012, https://www.banquemondiale.org/fr/news/opinion/2012/11/20/oped-a-world-4-degrees-hotter-we-must-avoid-it . Cette tribune est relative au rapport préparé pour la Banque mondiale par le Postdam Institute for Climate Impact Research,Turn down the heat : why a 4°C warmer world must be avoided (https://documents.worldbank.org/en/publication/documents-reports/documentdetail/865571468149197611/turn-down.the.year-why-a4-c-warmer-world-must-be-avoided), dont la suite est consacrée aux conséquences en Afrique, Asie du Sud et Asie du Sud-Est : 4° Baissons la chaleur. Phénomènes climatiques extrêmes, impact régionaux et plaidoyer en faveur de l’adaptation, Résumé analytique, juin 2013 (https://www.worldbank.org/en//publication/documents-reports/documentdetail/843011468325196264/turn-down-the-heat-climate-extremes-regional-impacts-and-the-case-for-resilience-executive-summary).
385 R.K. Pachauri et L.A. Meyer (direction de l’équipe de rédaction principale) Changements climatiques 2014 : Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC, 2014, Genève, p. 19, www.ipcc.ch.
386 Jean Jouzel, op. cit.
387 Collectif, « Climat : “Une défiance grandissante s’installe dans notre communauté scientifique vis-à-vis du pouvoir politique” », Le Monde, 18 avril 2024 (https://www.lemonde.fr/climat/article/2024/04/18/climat-une-defiance-grandissante-s-installe-dans-notre-communaute-scientifique-vis-a-vis-du-pouvoir-politique_6228470_1652612.html.
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