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Redéfinir le vivre ensemble au Sahel

D 22 avril 2023     H 05:00     A Paul Martial     C 0 messages


Le texte de Jean-Pierre Olivier de Sardan « Sahel. Pour une réforme radicale des armées nationales » publié sur le site Afrique XXI (1) a un mérite essentiel, son pragmatisme. Il essaye de tracer des voies pour régler le problème de la violence au Sahel.

Beaucoup de commentateurs et d’experts ont loué dans un premier temps l’intervention française avec les opérations Serval puis Barkhane. Ils voyaient dans ces expéditions le moyen d’en finir avec les djihadistes et de restaurer la sécurité et la stabilité des pays. Les années passèrent, les échecs s’accumulèrent et tous ces laudateurs de la manière forte, sans l’ombre d’une autocritique ont, d’une même voix, entonné que la solution ne pourrait être que politique.

L’auteur ne cède pas à cet effet de mode. Il réaffirme l’importance d’articuler avec la dimension politique, les impératifs de sécurité pour les populations. A cette fin, il esquisse une solution, celle d’une armée nationale, efficace et surtout protectrice et bienveillante vis-à-vis des populations. Pour Jean-Pierre Olivier de Sardan l’armée nigérienne, de par son histoire, pourrait jouer ce rôle à la condition expresse d’un changement profond impulsé par une réelle volonté politique des autorités.

Une proposition qui, nous semble-t-il, ne tient pas compte d’une aspiration d’un changement social, partagée de plus en plus par les populations appartenant aux couches sociales inférieures notamment dans les campagnes.

Outils de résolution des crises

On peut considérer qu’il y a trois leviers pour le règlement de la crise au Sahel.
L’option militaire . Elle est utilisée depuis 2003 avec une intensité accrue au fur et à mesure que les djihadistes gagnent du terrain. L’aide massive de la France en janvier 2013 avec l’opération Serval, puis étendue à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne en août 2014 avec Barkhane restera inefficace. Ce qui a d’ailleurs nourri une forte incompréhension des populations, au moins dans les grandes villes. Elles ne comprennent pas qu’une armée aussi puissante que celle de la France ne puisse venir à bout des djihadistes. Le changement d’allié initié par le Mali et la stratégie du Burkina Faso de constituer des milices avec les Volontaires pour la défense de la patrie, ne réussissent pas d’avantage à enrayer la progression des combattants islamistes. Au contraire, ces politiques centrées sur l’utilisation des moyens militaires ne font qu’aggraver la situation sécuritaire.
C’est le principe même de l’efficacité des guerres de guérilla, appelées maintenant guerres asymétriques, de compenser la faiblesse numérique et d’armement par une tactique d’harcèlement. Difficile dans ces conditions de pouvoir résister, surtout pour les armées sahéliennes largement lacunaires. Il est illusoire de penser que des actions de formation dispensées par des instructeurs occidentaux permettront de les rendre efficientes. Les bilans de décennies d’aides et de fonds versés par des pays riches n’ont en rien amélioré ces armées. Elles sont comme les autres structures étatiques. Elles partagent les mêmes vices de corruption, de népotisme, de laisser aller et d’inefficacité. Changer cette situation impliquerait une transformation radicale de la gouvernance.

L’option des négociations . Elle est avancée depuis maintenant plusieurs années au Mali et systématiquement refusée voire sabotée par le gouvernement français. Le départ des troupes françaises n’a pas été l’occasion pour la junte malienne de s’engager dans cette voie. Les pourparlers avec les groupes armées impliquent une réflexion sur les compromis acceptables, on peut citer les questions de la laïcité de l’Etat, les droits des femmes, notamment celui de l’éducation, la place du religieux dans l’enseignement dispensé ou celle de la charia dans le droit. Autre question loin d’être secondaire, avec qui négocie-t-on ? Définir les critères de sélection des interlocuteurs reste un sujet épineux. Des idées sont avancées comme la « modération » des islamistes, ou la nationalité des combattants « les enfants du pays ». Enfin le thème de l’impunité pour les combattants et son étendue se posera. Tout comme le suivi de l’après négociation.
Les acteurs de l’insécurité au Sahel ne sont pas uniquement des militants islamistes. D’autres milices armées souvent communautaires existent et ne seraient pas forcément d’accord avec les conclusions éventuelles d’un pacte avec les groupes islamistes. Le consensus entre les différents groupes armés risque d’être difficilement atteint.

L’option de la gouvernance . Ou autrement dit le rôle de l’Etat. La problématique est identique à celle de l’armée, à savoir implanter les services de l’Etat sans que ces derniers se comportent en prédateur. Quels services veut-on implanter prioritairement, les écoles, les centres de soins, la justice, les mairies, les préfectures, la police ? Et si on dit que la gouvernance va de paire avec les deux autres options, le militaire et la négociation, alors il y a des risques de contradiction entre des mesures, résultant des négociations, opposées aux prérogatives de l’Etat. On peut penser à l’éducation, école publique ou école coranique ou les tribunaux de proximité basés sur le droit séculier ou religieux.

La nature des crises

Le texte de Jean-Pierre Olivier de Sardan met en exergue un point important : le rôle que devrait jouer l’armée. Un rôle bienveillant et protecteur vis-à-vis des populations. Dire à juste titre les populations, et non la population, implique que cette dernière n’est pas une entité homogène. Elle est constituée de différentes communautés dont les rôles sociaux et économiques restent distincts. A l’intérieur de celles-ci existent des hiérarchisations sociales fortes qui fondent la vie en société.

Si les Etats sahéliens sont en crise profonde, avant de proposer les solutions il faut en définir les principales causes. Il existe un débat qui perdure depuis plusieurs années sur les raisons de la crise sahélienne, raisons religieuses ou raisons sociales et économiques. Autrement dit, radicalisation de l’Islam ou islamisation de la radicalité. Selon les régions et les niveaux de responsabilité des protagonistes dans les groupes armés, l’une ou l’autre cause est prédominante.

Le combat islamiste a donné une légitimité religieuse à l’utilisation de la violence ainsi qu’à la contestation de l’ordre établi. Beaucoup de chercheurs ont souligné la capacité des islamistes à s’insérer dans les conflits anciens entre les communautés mais aussi à l’intérieur des communautés.

Les confrontations entre agriculteurs et pasteurs sont bien documentées. Le gagnant-gagnant entre ces deux modes de vie dans l’utilisation des pâturages ne fonctionne plus, les médiations traditionnelles sont délaissées. Le réchauffement climatique aggrave les tensions. Il en est de même entre pécheurs et pasteurs concernant les poses de filets détruits par l’abreuvement du bétail. D’autres discordes existent. Elles prennent leur source dans l’histoire, notamment dans des sociétés particulièrement hiérarchisées où coexistent d’un côté les nobles, les maîtres, les familles puissantes, les marabouts, de l’autre les captifs, les serviteurs, les anciens esclaves. Des rapports de domination que l’on retrouve dans la plupart des communautés des Etats sahéliens.

Parallèlement, se dessine une évolution importante des pratiques cultuelles de l’Islam. On note la remise en cause des notables religieux et des rapports marchands qu’ils ont institués avec les fidèles. D’autres question sont soulevées. L’impossibilité de l’accès à la terre pour les cadets. L’imposition des dots pour les mariages obligeant les plus humbles à s’endetter pour fonder une famille. Tous ces facteurs qui étaient socialement acceptés le sont de moins en moins pour beaucoup de ceux qui sont en bas de l’échelle sociale.

Pour prendre seulement un exemple dans le centre du Mali, le groupe armé de la Katiba Macina a permis aux subalternes de modifier le rapport de force avec les élites en imposant des échanges économiques bien moins inégaux.

Une armée bienveillante pour qui ?

Si on accepte l’hypothèse de la possibilité de construire une armée nationale protectrice et bienveillante, quelle serait son rôle ? Imposer le retour à l’ordre ancien au profit des élites économiques et religieuses locales ou conforter le nouveau statut quo imposé par les différents groupes armés ?

Pour illustrer son propos sur les armées protectrices et bienveillantes, Jean-Pierre Olivier de Sardan fait référence à ce qu’étaient les armées de libération nationale qui agissaient en soutien aux populations dans les territoires libérés. La popularité de ces armées s’explique par leur conquête et la défense d’un ordre social de rupture, en l’espèce avec le système politique d’oppression et d’exploitation coloniale. Ces armées étaient en phase avec la majorité des populations parce qu’elles étaient le vecteur du changement social.

La question de la sécurité des populations ne trouvera pas de réponse dans une action de l’armée, fût-elle protectrice et bienveillante, car elle n’est qu’une réponse militaire d’un problème politique et social.

Nouvelles modalités du vivre ensemble.

A notre tour de prendre des risques en proposant une piste de travail visant sinon à mettre fin aux conflits au moins à les limiter.

La crise au Sahel montre les profondes mutations dans les campagnes. Pas seulement à cause des questions climatiques, mais de l’évolution du monde qui percute un système qui paraît pour beaucoup comme obsolète et injuste. Ce que certains définissent comme une révolution sociale des campagnes prend un tour inattendu en adoptant la guérilla islamiste qui s’étend et s’enracine. Son caractère religieux aide à la justification des actes de rupture avec les longues traditions rurales.

La solution pourrait résider plus dans une mise à plat des règles du vivre ensemble inter et intra-communautaire. Elle devra éradiquer des pratiques d’exploitation et ou d’oppression.

Il ne s’agit pas de faire une énième conférence nationale dont les dictateurs restent friands pour conforter leur pouvoir. Mais au contraire partir d’un changement par le bas. Certainement que les élites perdront inévitablement une grande partie de leurs privilèges, mais c’est le prix à payer pour éviter la destruction du tissu social, les affrontements intercommunautaires débouchant sur des violences sans fins.

Paul Martial

(1) https://afriquexxi.info/Sahel-Pour-une-reforme-radicale-des-armees-nationales#:~:text=Une%20r%C3%A9forme%20radicale%20des%20arm%C3%A9es%20sah%C3%A9liennes%20est%20indispensable%20non%20seulement,profondeur%20de%20la%20culture%20militaire.