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Bulletin Afriques en lutte janvier-février 2010

D 2 février 2010     H 22:35     A Bulletin Afriques en lutte     C 0 messages


Edito : Haïti, cobaye pour de nouvelles tutelles ?

Le bilan humain et matériel du tremblement de terre du 12 janvier à Haïti est proprement terrifiant. Au peuple haïtien, qui subissait déjà tant de difficultés politiques, sociales et économiques, nous exprimons toute notre solidarité et notre soutien. Par contre, le traitement misérabiliste et compassionnel dont cette catastrophe fait l’objet empêche de comprendre les raisons pour lesquelles le séisme qui a frappé Haïti a pu faire tant de morts alors qu’il aurait certainement causé moins de des dégâts au Japon par exemple. Ainsi, l’absence de tout système international d’alerte préalable alors que la position d’Haïti, à l’intersection entre deux plaques tectoniques, était bien connue. Ou encore la vulnérabilité des constructions dans un pays dont l’extrême pauvreté est liée à l’histoire de ses relations avec les grandes puissances et le système économique mondial. Surtout que la situation en Haïti est maintenant utilisée par certains pour préconiser ouvertement de nouvelles formes de « tutelles », sous la coupe de quelques grandes puissances et/ou de la « communauté internationale », qu’il conviendrait d’ériger pour s’occuper de « failed states » (Etats en faillite). Une sorte de nouvel impérialisme humanitaire et décomplexé. Et parmi les « candidats » ciblés on trouve une majorité de pays africains. D’ores et déjà, à Haïti, l’armée états-unienne a effectué une occupation en
règle le nombre de soldats sur place devant atteindre 20.000 avant fin janvier.

Mais l’occupation de la présidence du pays a rapidement provoqué des remous dans une population qui, malgré son extrême dénuement, entend conserver sa dignité et sa souveraineté. Première République
fondée en 1804 par des esclaves libérés, Haïti a durement lutté pour gagner son indépendance, et a été longtemps un symbole fort dans toute la région et au delà. C’est cela, d’ailleurs, que les grandes puissances
lui ont ensuite fait très chèrement payé. Les Etats-Unis ont mis 60 ans à reconnaître le pays, avant de tout bonnement l’occuper militairement entre 1915 et 1934, d’y soutenir le sinistre « règne » de la famille
Duvallier en 1957, ou encore d’y mener des politiques néocoloniales privilégiant les profits des multinationales plutôt que les besoins de la population. Si la France, qui colonisa l’île en 1697, a été un peu
moins longue à reconnaître son (1825), ce fut contre le versement 150 millions de francs (21 milliards de dollars d’aujourd’hui) au motif du « dédommagement » des anciens propriétaires d’esclaves, ce qu’Haïti
paiera jusqu’au dernier sous en 1888. C’est aussi une des raisons qui ont plombé l’avenir de ce pays. Ce sont ces mêmes puissances qui tentent aujourd’hui de légitimer une nouvelle forme d’occupation d’Haïti. La
présence états-unienne actuelle doit surtout servir à empêcher l’émigration vers les Etats-Unis, et montrer que les grandes puissances savent bien s’occuper du reste du monde, en gérant un pays « pour son bien ».

D’ailleurs, qui mieux que George W. Bush, l’ex-commandant en chef des guerres impériales nommé « coprésident » de la mission états-unienne de « sauvetage » d’Haïti, pouvait se charger d’une telle tâche ?
Au-delà donc des gestes de soutien spontanés, notre solidarité doit désormais participer à construire un rapport de force social et politique qui permette de réellement aider Haïti, en exigeant notamment :
 l’annulation inconditionnelle de la dette extérieure d’Haïti ;
 le remboursement des « dédommagements » indument obtenues par la France entre 1825 et 1888 ;
 la réquisition et la restitution par la France de la fortune pillée par l’ex-dictateur Jean-Claude Duvallier, qui
vit en toute impunité dans ce pays depuis 1986 ;
 l’accueil en France et Europe de tout-e-s les réfugié-e-s et régularisation de tout-e-s les migrant-e-s « sans
papiers » haitien-ne-s, plutôt que de donner asile aux anciens dirigeants exploiteurs et tortionnaires.

Bertold de Ryon et Kohou Mbwelili

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